Droit des restitutions : quel office pour le juge en matière de vente à crédit annulée ?
À la suite de l’annulation d’une vente à crédit affecté, la première chambre civile de la Cour de cassation considère que les parties sont de plein droit replacées dans leur état d’origine avant sa conclusion. Cette formulation, assez habituelle, occulte cependant l’exigence posée par la cour en matière de restitutions. En effet, selon cet arrêt du 6 février 2019, publié au Bulletin en se fondant, semble-t-il sur une absence d’identité des demandes en annulation et restitution, les juges du fond, à défaut de demande expresse en ce sens de la part du vendeur, ne sont pas tenus d’ordonner la restitution du prix en même temps que la reprise de la chose vendue. Rendue sous l’empire du droit des contrats dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, les restitutions, en effet, ne présentent jamais de caractère spontané et automatique. Alors que l’acheteur reste redevable du montant du capital emprunté pour financer son achat, cette restitution non intégrale pose toute la difficulté de recomposition des patrimoines lorsqu’il existe des restitutions en chaîne, mettant en présence plus de deux parties. Comment le juge peut-il replacer les parties dans leur état d’origine sans rétablir l’équilibre rompu ?
Cass. 1re civ., 6 févr. 2019, no 17-25859
En matière d’annulation d’une vente, comment faudra-t-il désormais comprendre l’expression « les parties doivent être replacées dans leur état d’origine » ? Puisque l’acte n’a pas pu être, peut-on se contenter de le défaire sans immédiatement recréer à l’identique ce qui n’aurait pas dû être1 ? Les restitutions sont-elles, par suite nécessaire, l’accessoire indispensable de l’annulation du contrat ou doivent-elles faire l’objet d’une demande particulière2 ? Ce questionnement est celui directement posé par l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 6 février 2019 à propos d’une figure contractuelle particulière, la vente à crédit. L’enjeu pratique est essentiel : fixer le poids de la dette en retour, alors même que les parties – acheteur, vendeur et prêteur – se retrouvent irrémédiablement placées dans une situation qu’elles n’ont pas voulue.
Dans le cadre d’un démarchage à domicile, une vente et une installation d’une centrale photovoltaïque avec ballon thermodynamique sont conclues le 11 octobre 2012 entre un professionnel et un couple de particuliers pour un montant de 22 900 € entièrement payé grâce à un crédit affecté, consenti, le même jour, par un établissement de crédit. Comme souvent, l’opération est réalisée par l’acheteur afin de vendre à la société EDF sa production énergétique réalisée par une telle installation. Rien ne se passe comme prévu, ou plutôt comme il n’est pas rare dans ce marché émergent, le rendement tant espéré s’avère rapidement insuffisant pour couvrir l’investissement à crédit, tandis que l’installateur fait finalement l’objet d’une liquidation judiciaire prononcée le 12 novembre 2014. Sans qu’il soit besoin d’exposer ici les nombreux moyens soulevés par les acheteurs pour tenter de mettre à néant le contrat de vente, ainsi financé par un prêt à la consommation, ils parviennent à obtenir partiellement gain de cause auprès de la cour d’appel de Bordeaux, le 13 juin 20173, en démontrant que le bon de commande signé le jour du contrat ne comportait pas le formulaire détachable4 permettant l’exercice de sa faculté de renonciation5.
Toutefois, si la vente est annulée, les conséquences de celles-ci sur le contrat accessoire de crédit ne permettent pas aux acheteurs d’être pleinement relevés, ni garantis par le vendeur, du remboursement des sommes prêtées par la banque6. Pour les juges du fond, si les époux doivent être condamnés à rembourser à la banque la somme de 22 900 € – déduction faite des mensualités du crédit déjà payées – c’est parce qu’ils n’ont pas sollicité distinctement la restitution du prix payé au moyen du prêt. Les acheteurs, malgré le prononcé de la nullité du contrat de crédit7, continuent d’être obligés par le prêt affecté à la vente. La cour d’appel de Bordeaux s’appuie explicitement, en l’occurrence, sur l’article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, suivant lequel le chef de prétention doit être repris dans le dispositif des conclusions. Le pourvoi en cassation présenté par les acheteurs ne manque pas de soulever la violation de la loi, et notamment des articles L. 121-23 et suivants du Code de la consommation, en objectant qu’ordonner la restitution des panneaux sans ordonner celle du prix payé parait contraire à l’annulation prononcée.
L’arrêt de rejet rendu par la première chambre civile conforte l’analyse des magistrats d’appel dans une formulation qui interroge tout de même : « l’annulation d’une vente entraînant de plein droit la remise des parties en l’état où elles se trouvaient antérieurement à sa conclusion, la cour d’appel n’était pas tenue, à défaut de demande expresse en ce sens, d’ordonner la restitution du prix en même temps que la reprise de la chose vendue ».
Simple rappel procédural du principe du dispositif8 ou remise en cause substantielle des conséquences généralement attachées, jusque-là, à l’annulation, l’arrêt du 6 février 2019, rendu sous l’empire du droit « ancien » des contrats, vient semer le trouble dans un secteur, celui des restitutions, déjà caractérisé par son mode empirique et approximatif.
Faute de principes directeurs clairement établis dans le Code civil 1804, la recomposition des patrimoines repose, jusqu’à cet arrêt, sur l’office du juge, traditionnellement chargé par les parties d’instituer le nouveau rapport permettant la reconstitution des droits originaires. Plus compliqué qu’il n’y parait, l’exercice consiste à faire comme si ce qui n’avait jamais existé n’avait jamais pu produire d’effet. L’effet du temps passé et les changements intervenus pendant la période intermédiaire, comme en l’espèce l’insolvabilité du vendeur, compliquent singulièrement cette tâche. Marquées par la recherche d’un équilibre entre les parties, ancré, d’une manière générale, dans la réciprocité propre au rapport synallagmatique – les plus nombreux en pratique – il s’agit surtout d’éviter toute disproportion manifeste dans le calcul de la dette de restitution. C’est d’ailleurs cette logique des « poids et contrepoids » qui anime pour partie de la réforme du droit des restitutions organisée par l’ordonnance du 10 février 2016 ratifiée par la loi du 20 avril 20189.
Annuler le contrat, c’est certes déjà le défaire. La vente comme le crédit affecté doivent ainsi disparaître de l’ordonnancement juridique, l’un étant le support nécessaire de l’autre. Le sort des prestations accomplies reste néanmoins dissocié des actes annulés. Refaire à l’identique, et comme à l’origine, suppose, selon la première chambre civile, que les parties, ou l’une d’entre elle seulement, en expriment clairement la volonté. Les restitutions ne seraient donc pas consubstantielles à l’annulation elle-même. Mais alors comment celle-ci entraînerait-elle de « plein droit » le retour au statu quo ante sans immédiatement en assurer toutes les modalités pratiques ? Ordonner seulement la reprise de la chose vendue, sans restituer en même temps le prix, c’est admettre une restitution unilatérale dans un rapport synallagmatique, rompant l’équilibre naturellement recherché. Car au bout du compte, le retour à la situation d’origine n’est qu’imparfait. Ici les panneaux solaires pour le vendeur, là l’absence de retour du prix payé pour l’acheteur lequel reste tenu de désintéresser son prêteur, c’est finalement admettre le déséquilibre dans le jeu des restitutions.
Remettre de plein droit les parties en l’état où elles se trouvaient antérieurement à une opération de vente à crédit affecté parait peu compatible avec cette idée d’un retour sans restitution in integrum (I). Afin de ne pas créer de mécompte injustifié, toute recomposition du passé, conséquence d’une annulation d’un contrat, ou de plusieurs, comme en l’espèce, appellerait, selon nous, comme principe directeur une reconstitution des droits éclairée par le principe d’une restitution équilibrée (II).
I – Un retour à l’identique, sans restitution in integrum ?
À défaut d’une demande expresse en restitution du prix (A), l’acheteur, qui a pourtant retourné la centrale photovoltaïque avec son ballon thermodynamique, est replacé dans une situation qui confine à son appauvrissement (B).
A – L’exigence nouvelle : la demande expresse en restitution
Annulant la vente et le prêt affecté, afin de replacer les parties dans l’état antérieur à la conclusion du contrat du 11 octobre 2012, les juges du fond empruntent, par suite, un raisonnement, somme toute classique, dissociant disparition juridique ab initio d’obligations nées d’un contrat anéanti, d’une part, et persistance de prestations déjà accomplies justifiant d’organiser les restitutions, d’autre part. Forts de cette analyse, ils procèdent toutefois à un retour au statu quo ante éloigné, dans son règlement, de l’idée d’un retour à l’identique, c’est-à-dire conforme à l’état originaire. Alors qu’ils ont rendu l’installation solaire, les acheteurs demeurent redevables de la somme de 22 900 € auprès de l’organisme préteur quoique le prix ne leur a pas été retourné par le vendeur, entretemps placé en liquidation judiciaire.
Dans ces conditions, l’affirmation péremptoire d’une remise des parties en l’état où elles se trouvaient antérieurement à la conclusion de la vente, est-elle autre chose que prétendue ? Les parties, débarrassées de l’opération initialement conclue, se retrouvent dans une configuration, en réalité inédite et originale. Le vendeur, ou son mandataire, a repris la chose sans retourner le prix aux acheteurs. Ceux-ci restent tenus d’honorer la dette de restitution correspondant au capital emprunté auprès de la banque.
Reprenant le raisonnement des juges du fait, un tel déséquilibre se justifie, selon la Cour de cassation par l’application de l’article 954, alinéa 2 du Code de procédure civile, invitant à ne statuer que sur les seules prétentions exposées dans le dispositif des conclusions10. Les acheteurs se voient exactement reprocher l’absence de demande de restitution du prix dans leurs écritures, les privant par suite d’un tel retour dans leur patrimoine11. Précisément, cette interférence de la règle procédurale dans le jeu des restitutions est à rechercher, en l’espèce, non pas dans l’absence de toute demande en ce sens, mais bien, comme le relève la cour d’appel de Bordeaux, dans le constat que les dernières conclusions en date du 27 mars 2017 ne comportent pas ce chef de prétention dans le dispositif des conclusions. Y voyant là un manquement empêchant de statuer sur le retour du prix, la règle exposée de la remise des parties en l’état où elles se trouvaient antérieurement s’en trouve finalement paralysée. Si l’annulation de la vente entraîne de « plein droit » une telle conséquence, les demandeurs restaient donc tenus de solliciter – encore – le retour des prestations exécutées. De « plein droit » ne signifie pas ici d’une manière automatique. La formulation surprend. Comment ce qui est annulé pourrait donner lieu à autre chose qu’une remise en l’état d’origine, sauf à considérer qu’il ne s’agit plus là d’une suite nécessaire et immédiate ?
Sur le terrain de la logique, n’est-ce pas introduire un sophisme inutile consistant à prétendre qu’annulation et restitution seraient simplement corrélées aux lieu et place de la reconnaissance d’un lien de cause à effet assez évident entre les deux ?
La restitution du prix est-elle une prétention distincte et propre à la demande en annulation de la vente elle-même ? C’est l’interrogation finalement posée. Demander le retour du prix d’une vente annulée, est-ce une prétention autre que la demande en annulation d’une vente visant à la remise des parties en leur état originaire ? La restitution est-elle, en ce cas, une demande accessoire ou nouvelle à l’annulation elle-même ? A-t-elle un objet principal différent de celle-ci ? Une telle discussion semble s’épuiser d’elle-même sur le terrain de la seule cohérence du droit. Réclamer l’effacement ab initio des obligations nées du contrat sans revendiquer – ipso facto – le retour des prestations exécutées ne revient-il pas à priver de sens l’objet même de l’annulation ? Quelle signification doit-on donner à celle-ci finalement privée de son effet le plus concret ? L’effet « coercitif » procuré par l’obligation de restituer, n’est-il pas encore le moyen le plus élémentaire de ne jamais consacrer le fait accompli dans l’illicéité ? Poser l’exigence d’une demande expresse en restitution du prix, faisant suite à l’annulation de la vente, c’est courir le risque d’affaiblir une telle sanction en l’érigeant, comme en l’espèce, au rang d’une satisfaction de pur principe.
D’une façon plus regrettable, c’est surtout appliquer un principe de restitution non intégrale confinant à une forme de disproportion non justifiée dans le rétablissement des comptes originaires.
B – L’absence de restitution, source d’appauvrissement
En l’espèce, le bon de commande signé le jour de la vente renvoyait aux conditions générales du contrat de crédit affecté dans lesquelles figuraient le rappel des dispositions de l’article L. 311-32 du Code de la consommation. Les fonds prêtés ont servi exclusivement au règlement du vendeur lequel s’est vu restituer la centrale photovoltaïque sans rendre le prix. Par application de l’article L. 312-55 du même code12, l’annulation du contrat principal de vente vient alors priver de cause le contrat de prêt qui le finance. Pour le couple acheteur, en effet, l’opération est globale mêlant, d’une manière indivisible, la vente de la centrale photovoltaïque avec ballon thermodynamique et le prêt octroyé à cette fin. L’annulation du prêt étant effectivement prononcée par les juges du fond, elle va pourtant donner lieu à un règlement peu favorable aux intérêts des acheteurs. Les emprunteurs, privés de leur droit à restitution du prix, doivent néanmoins rembourser le capital emprunté. Le prêteur doit certes rembourser à ces derniers le montant des quelques mensualités déjà réglées, mais il se voit logiquement accorder le remboursement du capital emprunté, soit la somme de 22 900 €.
Replacer les parties dans l’état où elles se trouvaient antérieurement devient une approximation de langage, tant le déséquilibre parait flagrant. Le couple acheteur doit rembourser un capital emprunté, dépourvu de cause à la suite de l’annulation de la vente, puisqu’il a dû restituer la centrale photovoltaïque et son ballon thermodynamique. Maintenir le remboursement des sommes prêtées sur le seul acheteur, c’est l’obliger à une restitution disproportionnée, sans rapport avec son état précédant l’achat annulé. Loin de le replacer dans sa situation de départ, son sort s’est en réalité aggravé, la charge de sa dette de restitution n’étant plus compensée par le retour du prix.
Ce règlement de la dette en retour, entièrement à la charge des emprunteurs, revient finalement à déjouer le mécanisme de la vente à crédit telle que conçue dans le Code de la consommation. Le retour au statu quo ante n’est pas ici un objectif global mais relève d’un traitement différencié des créances de restitutions, pas nécessairement liées, selon les juges, les unes avec les autres. C’est appliquer un mécanisme de restitutions asymétriques entres les trois parties tenues de restituer, en sacrifiant, en l’espèce, la figure de l’emprunteur.
Il est vrai que les textes n’indiquent que de rares règles aux cas de retour des sommes prêtées. Ainsi, l’article L. 312-56 du Code de la consommation dispose bien que le préteur peut exiger du vendeur qu’il garantisse l’emprunteur du remboursement du capital nécessaire à son achat13. En revanche, et c’est sans doute là la faiblesse du dispositif, aucune disposition n’entrevoit – par parallélisme – que l’acheteur à crédit puisse contraindre son vendeur à garantir sa dette de restitution à l’égard du préteur. Peu important le caractère consumériste du prêt ainsi souscrit, le couple acquéreur doit supporter seul une dette de restitution dont l’origine est surtout à rechercher dans la défaillance de celui qui a pourtant reçu le prix au moyen d’un prêt bancaire.
La solution interroge d’autant plus qu’il ne s’agit pas d’une sanction, puisque les mêmes acheteurs se sont vu accorder sur le fondement de l’article 1240 du Code civil des dommages et intérêts compte tenu des pertes de temps, diligences infructueuses et autres tracas liés à la procédure. En même temps, les juges du fond n’ont pas manqué de relever que, selon eux, la banque n’avait pas commis de faute au moment du déblocage des fonds. Sur ce point, d’ailleurs, les auteurs du pourvoi auraient trouvé avantage à s’appuyer sur certaines décisions récentes de la Cour de cassation privant parfois le préteur fautif de son droit à restitution14. Ainsi, dans la mesure où le document contractuel ne comportait pas le formulaire détachable permettant l’exercice de sa faculté de renonciation, l’organisme de crédit aurait logiquement pu être privé de sa créance de restitution du capital emprunté15.
Sans doute l’arrêt du 6 février 2019 montre-il les limites de la règle prétendue, mais souvent évoquée, de réciprocité devant accompagner les suites de l’annulation d’un contrat. En l’occurrence, le règlement des prestations en retour est perturbé par la présence de trois intervenants liés, entre eux, par des rapports singuliers : vendeur et acheteur, emprunteur et préteur, mais aussi vendeur et établissement de crédit. Ces relations, non pas seulement synallagmatiques, mais tripartites, pèsent sur l’équilibre d’ensemble à rechercher. Ainsi lorsque les juges relèvent que les acheteurs n’ont pas demandé à être relevés et garantis par le vendeur pour leur créance bancaire, ils créent, par ce seul constat, une interférence pesant dans le règlement du principal des restitutions, empêchant tout retour à la situation d’origine. Sauf à envisager une restitution déséquilibrée dans son essence, en quoi les acheteurs seraient-ils garants auprès de l’organisme préteur de la restitution d’une somme de 22 900 € entièrement affectée au paiement de l’acquisition et de l’installation de leur centrale photovoltaïque qu’ils ont dû finalement restituer ?
Rendu sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 réformant le droit des contrats, cet arrêt du 6 février 2019 renferme une solution qui crée une disproportion peu justifiée dans le compte de restitution des parties.
II – La reconstitution des droits par le principe d’une restitution équilibrée
Replacer les parties en l’état où elles se trouvaient avant la vente, peut-il, comme en l’espèce, s’accommoder d’un retour au statu quo ante purement formel, sans formulation ipso facto de ses modalités concrètes ? Dans une opération de restitutions en chaîne, le critère de la réciprocité devrait ordinairement y concourir (A), étant précisé qu’à la suite de la réforme du droit des contrats entreprise par l’ordonnance du 10 février 2016, la détermination d’un nouvel équilibre en retour semble bien relever de l’office habituel des juges du fond (B).
A – Le critère de réciprocité dans une chaîne de restitutions
En matière de vente à crédit annulée, si l’une des parties n’obtient pas en retour sa prestation accomplie, c’est bien l’équilibre d’ensemble du retour au statu quo ante qui vacille.
L’acheteur emprunteur, en cette double qualité, est placé au centre du dispositif des restitutions. S’il rend la chose mais ne reçoit pas le prix, il est toujours tenu de rendre le capital emprunté. Pourtant, dans la chaîne des restitutions, le prix ne parait guère dissociable du crédit lui-même, et l’objectif est bien de replacer dans leur état antérieur les parties. La perspective change alors. Si l’acheteur restitue le capital emprunté sans retour du prix payé, sa charge de restitution est inévitablement déséquilibrée. Il doit restituer une somme d’argent qui n’a plus aucune contrepartie. D’un autre côté, il n’est pas plus difficile de remarquer que si le préteur, à son tour, ne voit pas retourner le capital qu’il a libéré, ses droits sont sacrifiés et le prêt accordé se transforme en une dette à inscrire à son passif.
Dès lors que l’une des parties expose son empêchement à retourner ce qu’elle doit, le « jeu des réciprocités » dans le règlement des restitutions devient désordonné. N’est-ce pas l’ensemble de l’opération en retour qui doit être reconsidérée, pour éviter tout imputation injustifiée à la charge d’une des parties ?
Dans une relation à trois parties, caractéristique d’une vente à crédit affecté, déterminer l’origine comme la cause de la dette à restituer devient une figure imposée. Si l’on s’en tient à la recherche d’un équilibre mesuré par le critère de la réciprocité des restitutions, la solution à laquelle on parvient est autre.
Le crédit ayant été affecté, c’est la banque qui, selon toute vraisemblance16, a délivré directement le prix auprès du vendeur. L’acheteur paye, mais c’est le préteur qui a débloqué les fonds afin de régler le montant de l’opération. La restitution faisant suite à la disparition ab initio de cette vente pourrait s’articuler en respectant rigoureusement cet ordre des prestations réalisées, propre au crédit affecté. Telle n’est pourtant pas l’analyse retenue, en l’espèce. Le vendeur n’est pas tenu, par parallélisme, de retourner les 22 900 € à la banque qui a financé le prix, quand bien même cette dernière aurait libéré les fonds directement auprès du premier. Sous l’angle de la réciprocité, l’établissement de crédit ne devrait-il pas s’adresser directement au vendeur afin que celui-ci lui restitue le prix réglé par son crédit ? D’un point de vue factuel, n’est-ce pas le préteur qui, somme toute, a consenti à financer une opération mal conçue par le vendeur ? Une telle règle aurait évidemment l’avantage de ne pas exiger de l’acheteur le retour de fonds dont la disponibilité lui a finalement échappé. Elle le protègerait surtout d’une possible défaillance du vendeur. Lorsqu’il restitue la chose, l’acheteur sortirait ainsi libéré du principal rapport n’unissant plus, sur le terrain de la réciprocité, que les promoteurs de cette vente à crédit. À titre accessoire, seulement, les mensualités déjà réglées viendront se compenser avec l’usage de la chose.
La Cour de cassation a-t-elle voulu faire peser sur l’acheteur à crédit une obligation de garantir l’établissement préteur en cas de défaillance du vendeur ? La solution parait d’autant plus originale, qu’à l’avenir, c’est-à-dire sous l’empire du droit nouveau consacré définitivement par la loi du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance du 10 février 2016 réformant le droit des contrats, un tel résultat paraîtrait assez peu probable.
B – Le juge dans la détermination du nouvel équilibre en retour
Posant l’exigence d’une demande expresse en restitution du prix en même temps que la reprise de la chose vendue, cet arrêt du 6 février 2019, semble assez éloignée des nouvelles règles devant accompagner la sanction de nullité ou même de caducité17.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi de ratification du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance du 10 février portant réforme du droit des contrats, le rôle de l’interprète est certes, bel et bien, d’expliquer le droit ancien à la lumière de celui-ci, sans l’éclairage du droit nouveau ; position revenant immanquablement à retarder davantage l’entrée en vigueur de ce qui constituera in fine le nouveau droit des obligations. Pourtant, l’occasion est propice de mesurer ici l’apport du droit nouveau des restitutions, dans un secteur où jusqu’alors, les juges restent invités à trouver, dans quelques dispositions clairsemées, sinon introuvables18, et en tout cas oubliée en 1804, les moyens d’assurer le retour au statu quo ante.
Le nouvel article 1178 du Code civil invite à considérer que le raisonnement initié à l’occasion de cet arrêt du 6 février 2019 est déjà frappé d’une forme d’obsolescence juridique programmée. Selon le deuxième alinéa de ce texte, si « le contrat annulé est censé n’avoir jamais existé », le troisième alinéa prend soin de disposer immédiatement que « les prestations exécutées donnent lieu à restitution dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9 » du Code civil. Toute demande expresse en restitution pourrait bien être, à l’avenir, à la fois surabondante et surtout comme relevant strictement du nouveau droit des restitutions. L’expression « donnent lieu à restitution » introduit, en effet, ce lien direct et nécessaire entre annulation et restitution écarté, en l’occurrence, par les juges. Certes le texte ne commande pas formellement à ces derniers d’organiser les restitutions. Mais tout indique que les parties, comme le juge, devront se ranger au nouveau régime de règlement précisé par le législateur.
Contrairement à la position adoptée le 6 février 2019 – à la lumière, il est vrai, d’un droit ancien des restitutions toujours aussi nourri de solutions éparpillées, peu convaincantes19 et naturellement susceptibles d’évolution, comme en l’espèce – retourner le prix en même temps que la reprise de la chose vendue ne supposerait plus alors de présenter nécessairement au dispositif des prétentions expressément énoncées en ce sens. Elles s’inscrivent dans l’articulation désormais logique des textes du droit commun.
Sous l’éclairage du nouveau chapitre V du titre IV relatif aux régimes des obligations, lequel introduit, au sein du livre III du Code civil, un régime unifié des restitutions20, le couple acheteur aurait-il été tenu de rembourser le capital emprunté faute de restitution du prix ?
Une lecture des textes nouveaux suffit à vérifier que désormais, dans l’esprit du législateur, l’opération de restitution s’inscrit classiquement dans un schéma synallagmatique, nécessitant de se pencher sur chacune des prestations en retour. Inscrite dans une opération globale, par essence, faite de réciprocités multiples, la particularité des restitutions tripartites, notamment, ne sont cependant guère envisagées21. Pas plus que n’est envisagé, d’ailleurs, le cas particulier d’une partie ayant une double qualité dans le jeu des restitutions. L’enchevêtrement des restitutions consécutives à l’annulation d’une vente à crédit affecté crée une situation complexe qu’il faut ordonner en tenant compte des différents rapports de réciprocité. L’approche doit-elle être globale ou analytique ? Dans le premier cas, suivant l’esprit des textes consuméristes, une telle vente est indissociable du crédit. Le prix payé et le capital à rembourser ne constituent que l’avers et le revers d’une même prestation en retour. Dans le second cas, il faut interroger le rapport synallagmatique lui-même. Qui de la banque ou de l’acheteur a effectivement procédé au règlement du prix ? Dans l’hypothèse, assez commune, où l’établissement de crédit a payé directement le vendeur, c’est bien à celui-ci d’exiger le retour des sommes prêtées et ainsi affectées. Dans les deux cas, la solution n’en serait pas moins favorable à l’acheteur simplement tenu de rendre la chose.
La portée exacte de cette décision rendue le 6 février 2019, au regard de la généralité de la règle ainsi énoncée, reste incertaine. La Cour de cassation a-t-elle voulu affirmer que désormais, toute vente annulée sous l’empire du droit des contrats anciens supposerait des parties qu’elles demandent expressément la restitution du prix en même temps que la reprise de la chose vendue ? Faut-il plus raisonnablement réserver cette décision aux particularités de la vente à crédit affecté, faisant de l’emprunteur le garant « naturel » du vendeur insolvable au profit de l’établissement de crédit ? Sauf à introduire un déséquilibre empêchant tout retour au statu quo ante originaire, l’opération triangulaire entre les parties commanderait pourtant de distinguer qui de la chose, qui du prix et qui du capital prêté, en respectant toujours les rapports effectifs de réciprocité. Dans ce schéma, c’est sans doute la relation, si déterminante en matière de vente à crédit affecté, liant vendeur et établissement de crédit qu’il reste à cerner pour replacer les parties dans leur état originaire. Exiger la restitution du capital prêté, alors que le prix payé par affectation d’un tel crédit n’a pas été retourné, déséquilibre l’harmonie de l’ensemble et confine, pour l’acheteur, à une forme de mécompte finalement assez peu justifiable sur le terrain des droits respectifs des parties.
Notes de bas de pages
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1.
Ce qu’exprime le brocard « quod nullum est nullum producit effectum » : Rolland H. et Boyer L., Adages du droit français, 4e éd., n° 367 ; Schmidt-Szalewski J., « Sur les conséquences de l’annulation d’un contrat », JCP 1989, 3397.
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2.
Sur cette discussion : v. Bouziges A., Les restitutions après annulation ou résolution d’un contrat, 1982, thèse, Poitiers ; Malaurie M., Les restitutions en droit civil, 1991, Cujas ; Guelfucci-Thibierge C., Nullité, restitutions et responsabilité, t. 218, 1992, LGDJ, Bibliothèque de droit privé.
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3.
CA Bordeaux, 13 juin 2017, n° 15/06823, infirmant partiellement TI Périgueux, 26 oct. 2015, n° 11-15-378.
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4.
C. consom., art. R. 121-3 et s.
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5.
C. consom., art. L. 121-23 et s.
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6.
V. l’article L. 311-33 dans sa version antérieure au 14 mars 2016, applicable à ce contrat conclu le 11 octobre 2012.
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7.
C. consom., art L. 311-32.
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8.
À propos de cet arrêt du 6 février 2019, v. sur ce point, Disseaux N., « Restitution du prix d’une vente annulée : quoi de neuf sur le soleil ? », JCP E 2019, n° 19, 1233
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9.
Logique tempérée par l’exigence de la bonne foi : Hervas Hermida C., « Le régime des restitutions dans la réforme des obligations », JCP N 2016, 1116.
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10.
CPC, art. 954, al. 2 : « Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte ».
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11.
CPC, art. 954, al. 3 : « La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion ».
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12.
C. consom., art. L. 312-55 : « en cas de contestation sur l’exécution du contrat principal, le tribunal peut, jusqu’à la solution du litige, suspendre l’exécution du contrat de crédit. Celui-ci est résolu ou annulé de plein droit lorsque le contrat en vue duquel il a été conclu est lui-même judiciairement résolu ou annulé. Les dispositions du premier alinéa ne sont applicables que si le prêteur est intervenu à l’instance ou s’il a été mis en cause par le vendeur ou l’emprunteur ».
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13.
C. consom., art. L. 312-56 : « Si la résolution judiciaire ou l’annulation du contrat principal survient du fait du vendeur, celui-ci peut, à la demande du prêteur, être condamné à garantir l’emprunteur du remboursement du prêt, sans préjudice de dommages et intérêts vis-à-vis du prêteur et de l’emprunteur ».
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14.
Sur ce point, Disseaux N., « Restitution du prix d’une vente annulée : quoi de neuf sur le soleil ? » JCP E 2019, n° 19, 1233.
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15.
En ce sens, v. Cass. 1re civ., 3 mai 2018, n° 17-13308 : RTD com. 2018, p. 439, obs. Legeais D. ; V. égal. Cass. 1re civ., 26 sept. 2018, n° 17-18083.
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16.
Les circonstances de l’espèce ne le précisent toutefois pas, quoiqu’il s’agisse d’un crédit affecté.
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17.
C. civ., art. 1186 ; C. civ, art. 1187.
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18.
En matière de restitutions, les principes directeurs à l’œuvre ont longtemps été le fruit des travaux doctrinaux : v. not. Bouziges A., Les restitutions après annulation ou résolution d’un contrat, 1982, thèse, Poitiers ; Malaurie M., Les restitutions en droit civil, 1991, Cujas ; Guelfucci-Thibierge C., Nullité, restitutions et responsabilité, t. 218, 1992, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, 1992.
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19.
Par ex., sur les difficultés de restituer l’usage de la chose, v. Goubeaux G., À propos de la restitution de l’usus, in Des contrats civils et commerciaux aux contrats de consommation, Mélanges en l’honneur du Doyen B. Gross, 2009, PUN, p. 63.
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20.
Klein J., « Les restitutions », JCP 2015, p. 74 et s.
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21.
Excepté l’article 1352-9 du Code civil : « les sûretés constituées pour le paiement de l’obligation sont reportées de plein droit sur l’obligation de restituer sans toutefois que la caution soit privée du bénéfice du terme ».