Droit du travail : ce que modifie la loi du 23 mars 2020

Publié le 24/03/2020

Plusieurs dispositions de la « Loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 » du 23 mars 2020 modifient le droit du travail pour l’adapter à la crise. Les explications de Pierre Brégou, Avocat au barreau de Paris, Caravage Avocats

Nul besoin de souligner l’extrême gravité de la situation dans laquelle se trouve notre pays (mais pas que) qui justifie de modifier, pour une période déterminée, un certain nombre de règles qui paraissent, en l’état, inadaptées.

Le Parlement a donc autorisé[1] le 22 mars[2] le Gouvernement à agir par voie d’ordonnance, en encadrant cette délégation d’une temporalité[3] (3 mois) et, si nécessaire, à effet rétroactif (12 mars 2020).

Dans l’attente des ordonnances à paraître (et des décrets), examinons (de manière non exhaustive) les mesures qui concernent le droit du travail.

Droit du travail : ce que modifie la loi du 23 mars 2020
Photo : ©Olivier Le Moal/Adobe

Limiter les ruptures des contrats de travail

Les déclarations contradictoires de certains membres du gouvernement nous laissent, ce jour, dans l’incertitude des mesures à venir : tous les types de ruptures de contrat seront-ils concernés (économique, disciplinaire, pour inaptitude, etc.) ? Quid des procédures déjà engagées et sans aucun lien avec la baisse d’activité liée au Covid 19 ?

Il apparaît déjà que le confinement et la fermeture d’un certain nombre de bureaux de poste limitent, de fait, les possibilités concrètes d’engager et de finaliser un licenciement, sauf à passer outre la convocation à un entretien préalable[4].

En revanche, il est à craindre des ruptures massives de période d’essai, même si l’article L 1221-20 du Code du travail cause cette période comme permettant à l’employeur « d’évaluer les compétences du salarié dans son travail », ce qui n’autorise pas les ruptures pour un motif économique (ou même disciplinaire).

Atténuer les effets de la baisse d’activité

 Pour tenter d’éviter une vague massive de licenciements pour motif économique[5], le recours à l’activité partielle sera favorisé pour toutes les entreprises quelle que soit leur taille, mais comment ? Diverses mesures sont envisagées, à savoir :

  • Adaptation, de manière temporaire, du régime social applicable aux indemnités versées dans ce cadre,
  • Extension à de nouvelles catégories de bénéficiaires,
  • Réduction du reste à charge pour l’employeur,
  • Favoriser une meilleure articulation avec la formation professionnelle et une meilleure prise en compte des salariés à temps partiel.

Adapter les dispositions relatives au maintien de salaire

Une des mesures les attendues est la suppression du délai de carence pour le bénéfice de l’indemnisation des arrêts de travail dès le premier jour d’absence.

Imposer ou modifier la date de prise d’une partie des congés payés

L’employeur est en fait très encadré, car, s’il peut déroger aux délais de prévenance et aux modalités de prise des congés payés légales ou conventionnelles, d’une part, cette modification est limitée à 6 jours ouvrables, et, d’autre part, à la ratification d’un accord de branche ou d’entreprise.

Les TPE, les PME et les professionnels libéraux (pourtant les plus fragiles) semblent absents du bénéfice de ce dispositif ; ce qui est regrettable.

En outre, imposer la signature d’un accord, dans ce contexte de confinement et à brève échéance, risque de rendre inefficace la mesure.

 

Imposer ou modifier unilatéralement les dates de JRTT, les jours de repos prévus par les conventions de forfait affectés sur le CET

Droit du travail : ce que modifie la loi du 23 mars 2020
Photo : ©Image’In/Adobe

 Permettre aux entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation ou à la continuité de la vie économique et sociale de déroger aux règles d’ordre public et conventionnel relatives à la durée du travail, au repos d’hebdomadaire et au repos dominical

 Ces « secteurs particuliers nécessaires à la sécurité de la Nation ou à la continuité de la vie économique et sociale » devront être finement précisés, non pour se prémunir des tentatives de fraude (hélas, toujours possible, surtout en temps de trouble) mais pour éclairer l’employeur, a priori de bonne foi, sur ses droits.

Cette dérogation bénéficie toutefois d’un filet de sécurité, à savoir les Règlements et Directives et autres engagements internationaux de la France en matière de santé et de temps de travail.

Modifier les dates limites et modalités de versement des sommes issues des droits à intéressement et participation

Là encore, cela ne bénéficiera pas ou peu au TPE, PME, ainsi qu’aux professionnels libéraux (pourtant les plus fragiles).

Modifier la date limite et les modalités de versement de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat

La loi du 24 décembre 2019[6] avait fixé la période du 1 janvier au 30 juin 2020 pour verser la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (PEPA) , sous réserve d’avoir conclu un accord d’intéressement à la date de versement de cette prime.

Gageons que ce délai sera probablement repoussé et espérons que la condition de l’existence d’un accord d’intéressement sera aussi supprimée.

Par ailleurs, qu’en est-il des entreprises qui auraient déjà versé cette prime ?

Enfin, rappelons comme un truisme que cette mesure suppose que l’employeur ait encore des ressources financières…

Droit du travail : ce que modifie la loi du 23 mars 2020
Photo : ©Frédéric Massard/Adobe

Aménager l’exercice des missions des services de santé au travail

En temps « normal », au regard de la pénurie des médecins du travail et des réformes successives, les visites médicales, rebaptisées « visite d’information et de prévention » (VIP) étaient déjà très espacées[7].

Ces visites seront probablement repoussées, sauf situations exceptionnelles (embauche, inaptitude, etc.).

La téléconsultation[8] , qui a fait ses preuves en médecine de ville et en expertise,  pourrait peut-être envisagée.

Modifier les modalités d’information et de consultation des IRP pour leur permettre d’émettre les avis requis dans les délais impartis

L’article L 2315-4 du Code du travail limite à 3 réunions par an le recours à la vidéoconférence sans accord avec le CSE.

Gageons que ce plafond de 3 réunions disparaît, les moyens techniques pour permettre de garantir l’anonymisation d’un vote à bulletin secret étant aujourd’hui rodés.

Certains délais de procédure d’information et consultation pourraient être provisoirement réduits.

Suspendre les processus électoraux en cours

Il paraît de bon sens, si les salariés sont confinés à leur domicile, de suspendre, sans sanction, les processus électoraux engagés.

 Aménager certaines dispositions légales liées à la formation professionnelle

 Ces aménagements permettraient aux employeurs, aux organismes de formation et aux opérateurs de satisfaire aux obligations légales en matière de qualité et d’enregistrement des certifications et habilitations ainsi que d’adapter les conditions de rémunérations et de versement des cotisations sociales des stagiaires de la formation professionnelle.

 

[1] Sous les conditions de l’article 38 de la Constitution.

[2] Les plus anciens se souviendront du 22 mars 1968.

[3] Certains parlementaires avaient souhaité une durée d’une année.

[4] Il est vrai que, si nous étions cyniques, nous pourrions rappeler que l’absence d’entretien n’est sanctionnée que par un mois de salaire maximum (L 1235-2).

[5] Très à craindre dans les TPE et PME.

[6] Loi 2019-1446 du 24 décembre 2019.

[7] Décret 2016-1908 du 27-12-2016 : JO 29.

[8] Encouragée par les CPAM depuis 2018.