Élodie Chailloux : « Il faut prendre le temps de s’approprier la loi DDADUE » sur l’acquisition des congés payés durant les arrêts maladie
Alors que la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole, dite loi DDADUE, rendait officielle l’acquisition de jours de congés payés pendant un arrêt de travail d’origine non professionnelle, les entreprises françaises, toutes tailles confondues, ont dû s’adapter à ce nouveau mode de calcul. En effet, afin de rendre le droit français conforme au droit européen, les périodes de maladie sont désormais assimilées à du temps de travail effectif pour l’acquisition des congés payés. Cette mesure permet ainsi de cumuler des jours de congé pendant un arrêt pour une maladie non professionnelle tandis qu’auparavant, seuls les jours d’arrêt de travail pour maladie professionnelle ou accident du travail ouvraient droit à congés payés. Ce qui ne va pas sans poser de difficulté aux entreprises. Élodie Chailloux, responsable veille légale et DNS chez ADP, conseille aux entreprises de prendre le temps de s’approprier la loi DDADUE, et considère qu’il faut « accepter de revenir sur des positionnements éventuellement pris dans l’urgence pour faire face aux demandes des salariés, être attentif aux évolutions futures sur le sujet ».
Actu-Juridique : La loi DDADUE du 22 avril 2024 modifie sensiblement l’acquisition de congés payés durant les arrêts maladie. Dans quelle mesure cette réforme modifie-t-elle le mode de calcul des jours de congé ?
Élodie Chailloux : La majeure partie des principes du Code du travail concernant l’acquisition des congés payés est conservée, à savoir une acquisition par mois de travail effectif (ou période d’équivalence, c’est-à-dire 4 semaines, 24 jours, 22 jours ou 20 jours travaillés en fonction de la répartition de l’horaire de travail sur 6 jours, 5,5 jours ou 5 jours dans la semaine), une acquisition dès le premier jour du contrat de travail, par employeur et sur une période de référence donnée.
En revanche, jusqu’à la loi DDADUE (Diverses dispositions d’adaptation au droit de l’UE), un salarié acquerrait 2,5 jours ouvrables par mois de travail effectif (ou 2,08 jours ouvrés), avec un plafond à hauteur de 30 jours ouvrables sur la période de référence. Il n’y avait aucune autre option envisagée par le Code du travail.
Avec la loi DDADUE, le législateur a créé une dérogation au nombre de jours acquis par un salarié en cas de maladie non professionnelle : un salarié malade se verra attribuer 2 jours ouvrables par mois de travail effectif (ou 1,66 jour ouvré), avec un plafond à hauteur de 24 jours ouvrables en cas de maladie non professionnelle sur la totalité de la période de référence.
Si le salarié alterne périodes de travail effectif et périodes de maladie non professionnelle sur la période de référence, c’est le plafond de 30 jours ouvrables qui s’applique.
Il faut donc articuler ces règles, car il est évident que dans la quasi-totalité des situations, un salarié alterne des périodes de maladie non professionnelle et des périodes de travail effectif.
AJ : Pouvez-vous nous rappeler quelles étaient auparavant les règles d’acquisition de congés payés lors des arrêts de travail en raison de maladie professionnelle ou non ?
Élodie Chailloux : En application du Code du travail, avant la loi DDADUE, il n’y avait aucune règle d’acquisition de congés payés pendant les arrêts de travail pour maladie non professionnelle ! Il y a en revanche un grand nombre de conventions collectives qui prévoient une acquisition pendant les périodes de maladie non professionnelle limitée dans le temps : par exemple, pendant les trois premiers mois de maladie indemnisée par l’employeur au titre de son obligation de maintien de salaire, pendant une durée variable en fonction de l’ancienneté du salarié, etc. C’est toute la richesse du champ conventionnel, impliquant aussi une nécessaire complexité pour le mettre en musique avec les nouveautés de la loi DDADUE.
Côté ADP, nous avions donc adapté nos paramétrages pour que, en fonction des conventions collectives avant la loi DDADUE, chacun des 3 millions de salariés servis mensuellement avec nos offres puissent bénéficier de l’acquisition de congés payés pendant les périodes de maladie non professionnelle, ou au contraire, aucune acquisition !
Concernant l’accident du travail ou la maladie professionnelle, le Code du travail assimile certaines absences à du temps de travail effectif permettant l’acquisition de congés payés à hauteur de 2,5 jours ouvrables par mois : c’est notamment le cas des absences pour accident du travail ou maladie professionnelle (AT/MP), ou encore les absences pour congé de maternité, de paternité et d’accueil de l’enfant ou d’adoption. Avant la loi DDADUE, cette assimilation à du temps de travail effectif pour l’acquisition des congés payés était limitée à une année pour les AT/MP.
La loi DDADUE a levé cette limite temporelle d’un an : un salarié en arrêt de travail pour AT/MP acquerra donc des congés payés pendant toute la durée de son arrêt désormais, y compris s’il excède une année.
AJ : Quels types de salariés sont concernés par cette réforme ?
Élodie Chailloux : La loi DDADUE modifie le Code du travail, autrement dit, tous les salariés de droit privé, quel que soit leur type de contrat (CDI, CDD, apprentis, contrat de professionnalisation, etc.) sont concernés.
Les stagiaires ne sont pas directement concernés. Pour autant, le Code de l’éducation prévoit que la convention de stage doit prévoir la possibilité de congés et d’autorisation d’absence pour les stages d’une durée supérieure à 2 mois. Il est donc tout à fait possible qu’une entreprise calque les nouveautés de la loi DDADUE pour un stagiaire. Ce sera en revanche son propre choix. À ma connaissance, c’est une demande qui est peu remontée dans notre parc clients ADP.
AJ : Comment se déroule la rétroactivité de cette loi ?
Élodie Chailloux : C’est l’un des aspects, avec le report des congés payés, les plus complexes de la loi DDADUE !
La loi prévoit une rétroactivité jusqu’au 1er décembre 2009 pour les salariés qui en font la demande auprès de leur employeur. Il y a malgré tout des conditions à respecter :
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la régularisation liée à cette rétroactivité est limitée à une acquisition à hauteur de 24 jours ouvrables maximum par période de référence. Autrement dit, un salarié qui aurait été malade 3 mois sur une période de référence et qui aurait travaillé les 9 autres mois (soit 22,5 jours ouvrables de congés payés acquis au titre de son temps de travail effectif, arrondi à 23 jours ouvrables) ne pourrait se voir attribuer qu’un seul jour de congés payés pour cette régularisation (pour atteindre le plafond de 24 jours ouvrables), et non les 6 jours ouvrables qu’il aurait dû acquérir sur les 3 mois de maladie non professionnelle.
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le salarié doit faire sa demande auprès de son employeur dans un délai de deux années à compter de la publication de la loi. Il a donc jusqu’au 23 avril 2026 inclus pour demander la régularisation de ses droits. Passé ce délai, il ne pourra plus agir, y compris en justice.
Pour les salariés dont le contrat de travail est rompu, des modalités particulières s’appliquent, à savoir l’application de la prescription de droit commun, soit trois ans à compter de la rupture du contrat.
Cette rétroactivité implique pour les employeurs, s’ils souhaitent travailler en amont de demandes de salariés, d’identifier les salariés potentiellement concernés, en vérifiant lesquels ont été malades sur la période de référence et le nombre de jours qu’ils avaient déjà acquis. Les employeurs peuvent aussi régulariser d’eux-mêmes les droits des salariés, il s’agira alors d’une position d’entreprise.
Il convient de noter que la loi n’a pas prévu de rétroactivité pour la levée de la limite d’une année pour l’acquisition de congés payés pendant les périodes d’arrêt de travail pour AT/MP.
AJ : Quelles sont les modalités du report de jours de congé ?
Élodie Chailloux : C’est l’autre point de complexité de la loi DDADUE ! Et nos équipes travaillent sur ce sujet pour accompagner nos clients et les très nombreux salariés concernés. Une information doit en effet être délivrée aux salariés.
Pour se conformer au droit européen, et pour ne pas créer un droit à congés illimité, il existe désormais des règles de report des droits à congés payés. Le Code du travail fixe un délai minimal de report de 15 mois, pouvant être allongé par accord collectif. Ce report – ou plus précisément son point de départ – s’applique différemment selon que le salarié est en arrêt de travail sur toute la période d’acquisition ou non. Il est aussi absolument nécessaire qu’il y ait un solde de congés non pris à la fin de la période de prise, pour que le report s’exerce réellement.
Lorsque le salarié est en arrêt de travail au cours de la période de prise des congés payés, l’employeur a l’obligation de l’informer, à son retour d’arrêt, de son solde de congés (ceux en cours d’acquisition et ceux acquis à prendre) et du délai pour les prendre. C’est cette information de l’employeur, à faire dans le mois suivant le retour, qui marque le point de départ du décompte du délai de 15 mois. Pour autant, le Code du travail précise que le report s’applique « en cas d’impossibilité, pour cause de maladie ou d’accident, de prendre au cours de la période de prise de congés tout ou partie des congés ». Autrement dit, si le salarié a, malgré son arrêt de travail, pu prendre la totalité de ses congés payés avant le terme de la période de prise, il n’y a pas de report réel puisqu’il n’y a pas de jours à reporter.
Lorsqu’un salarié est en arrêt de travail sur une période qui couvre la totalité d’une période d’acquisition de congés payés, la loi DDADUE prévoit un déclenchement automatique du délai de 15 mois à l’achèvement de la période d’acquisition, y compris si le salarié est toujours en arrêt de travail et sans que l’employeur n’ait à délivrer une quelconque information à son salarié. Autrement dit, le salarié peut perdre des congés reportés si son absence vient à se prolonger sur plusieurs années.
Et ce n’est pas la durée de l’arrêt qui compte pour déterminer le point de départ du délai de report : il convient de regarder période d’acquisition par période d’acquisition si, à la fin de celle-ci, l’absence couvre au moins l’année ou non pour savoir s’il y a début du report automatique ou non.
Si jamais notre salarié en longue absence revient pendant le délai de report de 15 mois, le Code du travail prévoit que celui-ci est suspendu jusqu’à ce que l’employeur délivre l’information de retour d’arrêt à son salarié. Il reprendra pour le solde de délai de report non échu.
Et nous sommes ici sur le « théorique », ces règles s’articulent entre elles et peuvent conduire à devoir gérer plusieurs périodes de report dans l’hypothèse où le salarié a été malade à plusieurs reprises.
AJ : Quelles interrogations et quelles inquiétudes cette réforme a-t-elle suscité chez les entreprises ?
Élodie Chailloux : Parmi les échanges que nous avons pu avoir avec certains de nos clients, beaucoup sont inquiets de la charge de travail générée par le report et l’information du salarié à son retour d’arrêt maladie. Car la loi ne prévoit aucune exception à cette information : elle doit être donnée à chaque retour d’arrêt maladie, que celui-ci dure quatre mois, deux ans ou deux jours !
Certains souhaitent adapter une lecture stricte du Code du travail à leurs contraintes pratiques (information au terme de la période de prise plutôt qu’au retour de chaque arrêt, information chaque mois pour les salariés ayant été en arrêt au cours du mois, etc.).
Les règles de rétroactivité de la loi, si elles sont appréciées parce que pouvant limiter le coût financier contrairement à une rétroactivité sans aucun garde-fou, pose des difficultés d’accès aux données antérieures, notamment avec l’application du règlement général sur la protection des données (RGPD) qui prévoit de purger régulièrement certaines données ou par la simple vie d’une entreprise pouvant avoir évolué depuis 2009.
Un accompagnement de nos clients dans la compréhension de cette réforme nous paraît indispensable.
C’est bien toute l’expertise d’ADP en général, et plus spécifiquement ADP en France et ses plus de 2 000 collaborateurs, qui sont mobilisés sur cette réforme.
AJ : Que risque un employeur qui n’informerait pas ses salariés sur ses droits aux congés payés à son retour d’arrêt maladie ?
Élodie Chailloux : Textuellement, aucune sanction n’est prévue dans le Code du travail en cas de non-respect de l’obligation d’information du salarié à son retour d’arrêt maladie. Malgré tout, deux interprétations s’opposent en cas de non-respect de cette obligation :
– soit elle a pour seule conséquence de décaler le point de départ du délai de report de 15 mois ;
– soit, comme l’employeur ne s’y est pas conformé, le délai de report de 15 mois n’est pas opposable au salarié ce qui sous-entendrait qu’il pourrait prendre les congés payés reportés sans limite de date.
Nous sommes donc en attente d’une clarification dans les années à venir par la jurisprudence.
AJ : Comment cette nouvelle loi s’articule-t-elle avec les conventions collectives qui prévoyaient déjà une acquisition de congés pendant un arrêt de travail ?
Élodie Chailloux : Juridiquement, il est toujours possible pour les conventions collectives de prévoir des dispositions plus favorables que celles prévues par la loi DDADUE. C’est un des nœuds du problème : comment apprécie-t-on le caractère plus favorable d’une disposition conventionnelle ? Là encore, plusieurs interprétations peuvent être mises en balance, certaines portées par les organisations patronales ou par des avocats.
Pour ADP, comme l’acquisition de jours de congés payés pendant les périodes de maladie non professionnelle est désormais d’ordre public, nous veillons à ce que chaque jour d’arrêt de travail pour maladie non professionnelle ouvre droit à une acquisition de congés payés.
Une nouvelle fois, ce sera la jurisprudence dans les années à venir qui déterminera l’interprétation à retenir.
AJ : Quels sont les effets de cette réforme sur la gestion de la paie ?
Élodie Chailloux : Les règles de calcul de l’indemnité de congés payés ont aussi évolué avec la loi DDADUE. Il a fallu repenser notamment la constitution du salaire de référence du 10e congés payés. Chacun a dû se replonger dans les règles des congés payés pour prendre toute la mesure des évolutions de la loi DDADUE.
L’affichage des compteurs de congés payés sur le bulletin de paie a fait l’objet de son lot de questions : doit-on dissocier ou non les droits acquis au titre de la maladie de ceux acquis au titre du temps de travail effectif ? Le salarié choisit-il quel jour de congés payés il pose en fonction de la date potentielle de report ? L’information du salarié sur le report doit-elle passer par le bulletin de paie ou non ?
Chez ADP, nous avons décidé que le bulletin de paie n’était pas le meilleur support pour l’information à délivrer au salarié lorsqu’il rentre d’arrêt de travail. Un document annexe est en cours d’élaboration.
Ce sont bien les 3 millions de salariés servis chaque mois dans toute la France par ADP qui sont potentiellement concernés par ces nouveautés.
AJ : Quelles sont vos recommandations à destination des entreprises ?
Élodie Chailloux : Bien qu’ADP soit leader mondial de solution paie sur le marché, que nous délivrions de l’information juridique régulièrement à nos clients, il n’en reste pas moins que ceux-ci restent maîtres de l’organisation des congés payés dans leur entreprise, c’est une vraie coopération à développer entre le partenaire de paie et l’entreprise.
La souplesse est le mot à retenir à mon sens ! Cette réforme est d’une complexité extrême, venant mettre un terme à une dizaine (voire vingtaine) d’années de non-conformité du droit français au droit européen.
Il faut prendre le temps de se l’approprier, accepter de revenir sur des positionnements éventuellement pris dans l’urgence pour faire face aux demandes des salariés, être attentif aux évolutions futures sur le sujet.
Référence : AJU015n0
