Grande démission en France ou Grand coup de com ?
Un rapport de la direction statistiques du ministère du travail publié le 18 août dernier révèle que la France connait actuellement un nombre élevé de démissions, ce qui est présenté comme l’indice favorable d’une reprise et une opportunité pour les salariés. Me Michèle Bauer, spécialiste de droit du travail, met en garde contre le mirage de la démission heureuse.
Après les tracances, c’est désormais la démission qui intéresse la presse. On pourrait ironiser d’ailleurs sur le fait que les tracances ne peuvent mener qu’à la démission. À trop vouloir travailler, jusque sur son lieu de vacances, on finit par se brûler, craquer et… démissionner.
Cet intérêt soudain pour les salariés démissionnaires ne vient pas de nulle part, un rapport de la DARES (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) , organisme statistique du Ministère a été publié jeudi 18 août sous ce titre un brin provocateur : « La France vit-elle une Grande Démission ? ». Je mets fin au suspens : NON.
Que dit ce rapport ?
*Le nombre de démissions est élevé mais pas inédit (le taux des démissions sur le premier trimestre 2022 atteint 2,7 % contre 2,9 % début 2008).
*La hausse des démissions apparaît comme normale. Le taux de démission est traditionnellement bas en période de crise et plus élevé lors des reprises, quand de nouvelles opportunités apparaissent.
*Selon cette étude, cette situation serait favorable aux salariés et reflèterait le dynamisme du marché du travail. Environ 8 démissionnaires sur 10 auraient retrouvé un emploi dans les 6 mois suivant leur démission
Est-il vraiment objectif, ce rapport ?
Je ne suis pas statisticienne, toutefois, je suis avocate et j’ai l’habitude d’analyser les pièces adverses.
Dans un premier temps, il faut toujours analyser la provenance d’une pièce. Le rapport est une analyse de la DARES, organisme statistique attaché au Ministère du Travail qui se décrit comme un organisme indépendant.
Puis, il convient d’analyser le contexte : ce rapport est publié alors que nous entendons parler de la baisse du pouvoir d’achat, de la volonté de notre Président d’instaurer le plein-emploi, mais aussi des problèmes de recrutement dont se plaignent certains secteurs.
Le rapport brosse une situation très idyllique du marché du travail où les démissionnaires retrouveraient majoritairement très vite un nouvel emploi car ils ont un choix considérable, le chômage étant au plus bas (à noter tout de même, un article de Médiapart qui explique que la baisse du chiffre du chômage serait due à un changement de classification).
Par ailleurs, je serais curieuse de savoir ce que deviennent ces deux salariés sur 10 qui ont démissionné et ne retrouvent pas d’emploi dans les 6 mois.
Combien de salariés démissionnaires ont demandé une rupture conventionnelle de leur contrat ou étaient en arrêt de travail avant cette rupture ?
À ces questions, le rapport de la DARES ne répond pas et c’est bien dommage.
Pour finir, une expérience du terrain : mes clients, salariés que je reçois à mon cabinet sont souvent en souffrance au travail, ils sont loin de cette description des démissionnaires heureux qui retrouvent très vite un emploi car ils sont en position de force.
Ces salariés que je conseille sont victimes d’un management toxique, de harcèlement moral, de burn-out et démissionnent car ils sont las d’être en arrêt par exemple et veulent tourner la page au plus vite.
Quelle est la réalité juridique des démissions ?
Les conséquences juridiques de la démission sont loin du monde de « Oui-Oui » de la Dares.
Lorsque le salarié démissionne :
– Il n’aura pas droit à son indemnité de licenciement, qui comme son nom l’indique exige d’être licencié. Si le salarié a une ancienneté importante, il risque donc de renoncer à une indemnité significative.
– Il n’aura pas droit à des allocations-chômage sauf en cas de démission légitime et 4 mois après cette démission. Il existe 17 cas de démissions légitimes, ci-dessous 4 exemples issus d’un tableau publié sur le site du Pôle emploi :
– Le salarié démissionnaire ne pourra pas tout de suite bénéficier du RSA, la CAF tenant compte de la moyenne des trois derniers mois de revenus pour accorder cette aide.
– Il ne pourra pas bénéficier de son assurance perte d’emploi s’il en a contracté une, la plupart des assurances ne garantissant pas les démissions.
Il est donc vivement déconseillé de démissionner même si la DARES vous promet dans les 6 mois un nouveau poste et reprend le discours du gouvernement en participant à la « grande com » de la rentrée : « Le plein-emploi ».
Référence : AJU314373