Télétravail : quels sont les droits et obligations du salarié et de l’employeur ?
Avec la pandémie, le télétravail s’est de plus en plus imposé dans le monde de l’entreprise. Aujourd’hui, nombreuses sont les entreprises qui ont instauré de manière permanente 1, 2, voire 3 jours de télétravail par semaine. Me Philippe Pouzet, avocats chez Oratio nous explique quels sont les droits et obligations de l’employeur et du salarié en cas de mise en place du télétravail.
Actu-juridique : Comment mettre en place le télétravail dans l’entreprise ?
Philippe Pouzet : L’article L. 1222-9 du Code du travail prévoit que le télétravail peut être mis en place par écrit dans le cadre d’un accord collectif — accord d’entreprise — ou, à défaut, par une charte élaborée unilatéralement par l’employeur après avis du comité social et économique s’il existe.
L’accord collectif ou la charte doit être relativement précis et mentionner notamment :
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les conditions de passage en télétravail ;
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les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail ;
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les modalités d’acceptation par le salarié des conditions de mise en œuvre du télétravail ;
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les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail ;
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la détermination des plages horaires durant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail ;
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les modalités d’accès à une organisation en télétravail des travailleurs handicapés et des salariées enceintes.
L’employeur peut aussi mettre en place le télétravail sans charte et sans accord collectif. Il lui suffit simplement de recueillir l’accord écrit du salarié. Cet écrit devra permettre de s’assurer que le salarié est volontaire et de fixer les conditions du télétravail.
Cette dernière solution peut apparaître plaisante et plus simple d’accès. Il faut toutefois éviter d’avoir recours à ce mode de mise en place si le télétravail se généralise au sein de l’entreprise.
La mise en place du télétravail par charte ou accord présente l’avantage d’être collectif. L’employeur appliquera assurément les mêmes règles à l’ensemble des salariés sans discrimination et sans dérogation. De même, l’employeur pourra faire évoluer sa pratique du télétravail par la mise en place d’un nouvel accord ou la réécriture de la charte. Dans ce cas, l’employeur n’aura pas besoin de recueillir l’accord individuel de chaque salarié.
À l’inverse, en contractualisant le télétravail avec chaque salarié, l’entreprise risque de se retrouver avec des situations multiples, pouvant aller jusqu’à la discrimination si les conditions du télétravail ne sont pas équitables.
Surtout, les évolutions seront soumises à négociation individuelle avec chaque salarié puisqu’il faudra l’approbation des télétravailleurs avec la signature d’un nouvel écrit.
Pour éviter cette complexité, il faut clairement privilégier la charte ou l’accord pour la mise en place du télétravail.
AJ : Le salarié peut-il télétravailler où il veut (locaux coworking, maison de vacances, café, étranger…) ?
Philippe Pouzet : La charte ou l’accord d’entreprise doit fixer des règles précises sur le lieu du télétravail.
Les espaces de coworking sont de plus en plus plébiscités. Ils représentent un choix à hauteur de 21 % pour les cadres du privé ayant fait le choix du télétravail. Ce format présente des avantages pour le salarié et pour l’entreprise :
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séparation de la vie professionnelle et de la vie personnelle ;
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un cadre de travail propice à la concentration ;
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simplification des problématiques d’assurance ;
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mise à disposition d’un matériel adapté et professionnel.
Naturellement, il appartiendra à l’entreprise de prendre en charge le coût de la location des bureaux.
A priori, le fait de télétravailler depuis une résidence secondaire ou un café ne posent pas de difficultés.
On s’interrogera tout de même sur le télétravail depuis un café concernant la confidentialité et la sécurité des échanges. Néanmoins, rien ne l’interdit.
Il faut enfin préciser que le lieu de télétravail doit être situé en France. En effet, le mythe du télétravail à l’autre bout du monde sur une plage pose des problèmes bien concrets :
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le décalage horaire ne permettra pas au télétravailleur de respecter les plages horaires de travail de télétravail pour pouvoir être contacté par les clients, ou par l’employeur ;
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le travail à l’étranger, hors Union européenne et de manière habituelle risque d’entraîner l’obligation d’affiliation à la Sécurité sociale du pays d’hébergement et le refus de la prise en charge par la Sécurité sociale française ;
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enfin, sur le plan fiscal, l’imposition des revenus pourrait avoir lieu dans le pays d’hébergement.
Les questions d’expatriation doivent clairement se poser si tel est le cas.
AJ : Quelles sont les obligations de l’employeur ?
Philippe Pouzet : Les salariés en télétravail sont considérés comme les autres salariés de l’entreprise. Par conséquent, l’employeur a l’obligation :
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de proposer les mêmes avantages aux télétravailleurs que les salariés en travail présentiel (tickets restaurants, droits à la formation…) ;
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d’informer les salariés des modalités de mise en place du télétravail et des dispositifs de contrôle et de collecte de données ;
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de respecter le droit à la déconnexion et la vie privée des télétravailleurs ;
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d’assurer la santé et la sécurité des télétravailleurs ;
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de donner les moyens aux télétravailleurs de mener à bien leurs missions (équipements, outils, formation…).
En plus de ses obligations générales, l’employeur est tenu à quelques obligations qui découlent spécifiquement de la situation de télétravail de ses salariés (C. trav., art. L. 1222-10).
En effet, l’employeur doit prévoir un entretien annuel avec son salarié pour évoquer les questions d’organisation de ses missions en télétravail ainsi que sur la charge de travail.
L’employeur informe le salarié de toute restriction d’usage d’équipements ou outils informatiques ou de services de communication électronique. L’information doit également prévenir l’utilisateur des sanctions en cas de non-respect de ces restrictions.
Enfin, l’employeur a l’obligation de proposer en priorité à tout salarié en situation de télétravail un poste qui serait vacant dans les locaux de l’entreprise et qui correspondrait à ses qualifications et compétences (pour le cas du télétravail total).
AJ : Qui prend en charge les frais du salarié lié au télétravail ?
Philippe Pouzet : L’employeur a une obligation de prise en charge des frais professionnels du salarié liés aux besoins de l’activité professionnelle (Cass. soc., 7 avr. 2010, n° 08-44865 et Cass. soc., 14 sept. 2016, n° 14-21893). Celle-ci, étant de portée générale, elle peut être étendue aux télétravailleurs.
Généralement, l’employeur fournit le matériel pour le télétravail (ordinateur, téléphone, imprimante, …).
En revanche, le télétravailleur va utiliser sa connexion internet, son électricité, et utiliser du chauffage.
Les services de l’URSSAF précisent que pour les connexions et consommables, l’employeur a le choix entre le remboursement des frais au réel (sur facture) ou le remboursement forfaitaire.
Le remboursement sur la base des factures va s’avérer très complexe pour déterminer la consommation personnelle et professionnelle. Il est donc de l’intérêt des parties de privilégier l’indemnisation forfaitaire.
Cette allocation forfaitaire mensuelle est de 10 euros maximum pour une journée de télétravail hebdomadaire (augmentée de 10 € par jour de télétravail hebdomadaire supplémentaire), ou une allocation de 2,50 € par jour télétravaillé dans la limite de 55 € par mois.
Il s’agit là des maximums fixés par les services de l’URSSAF. L’employeur peut décider de prendre en charge des montants inférieurs ou supérieurs. S’agissant de remboursement de frais, les sommes ne seront pas soumises aux cotisations sociales.
En revanche, en cas de prise en charge de montants supérieurs, ils seront soumis à cotisations sociales.
Enfin, si l’employeur ne fournit pas de lieu de travail au salarié et que le salarié est donc contraint de télétravailler, l’employeur devra verser une indemnité d’occupation.
Cette indemnité à vocation à compenser le fait que le salarié soit obligé de libérer une partie de son logement personnel pour des fins professionnelles.
Cette indemnité doit être fixée en fonction de l’importance de l’espace. Généralement autour de quelques dizaines d’euros par mois.
Cette indemnité d’occupation est soumise aux charges sociales.
AJ : Quels sont les droits du salarié en télétravail ?
Philippe Pouzet : L’article L. 1222-9 du Code du travail rappelle que le télétravailleur bénéficie des mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise. Le télétravailleur dispose donc des mêmes droits individuels et collectifs que ses collègues à savoir :
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Accès à la formation
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Respect de la vie privée
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Santé et sécurité au travail
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Accès aux activités sociales de l’entreprise, aux informations syndicales, aux avantages sociaux (titres-restaurant, chèques vacances par exemple).
Les télétravailleurs sont soumis à l’application des mêmes accords et conventions collectifs, bénéficient de la même couverture de Sécurité sociale, maladie et accident du travail.
Ils relèvent des mêmes dispositions légales en matière de minima sociaux, rémunération des heures supplémentaires, jours fériés et jours de congé, etc.
AJ : Quid de ses obligations ?
Philippe Pouzet : Le salarié en télétravail ayant les mêmes droits que les autres salariés, est dans ce cadre soumis aux mêmes obligations que tout autre salarié et peut par conséquent s’exposer dans les mêmes conditions aux sanctions disciplinaires s’il ne respecte pas les obligations découlant de son contrat de travail.
Par conséquent, le télétravailleur doit respecter ses horaires et ses plages de disponibilités durant lesquelles il doit être joignable par l’entreprise ainsi que les durées maximales quotidiennes et hebdomadaires, et les temps de repos. Le salarié sous convention en forfait jours n’est pas soumis à l’horaire collectif de travail mais doit tout de même respecter ses temps de repos.
De plus, le salarié est responsable des équipements qui lui sont remis, il doit, à cet effet, prendre soin du matériel et utiliser les équipements mis à disposition par l’entreprise exclusivement dans le cadre de ses missions. En cas d’utilisation à des fins personnelles, des sanctions disciplinaires pourront être appliquées conformément au règlement intérieur de l’entreprise.
AJ : Un accident survenu pendant le télétravail est-il un accident du travail ?
Philippe Pouzet : La loi est claire au sujet des accidents du travail. Comme le précise l’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale : « Est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise ».
L’accident du travail n’est donc pas limité à l’accident survenu au sein de l’entreprise.
L’accident du travail peut avoir lieu au domicile du salarié ou dans tout autre lieu de télétravail (espace de coworking, café, …).
Naturellement, il faut surtout s’attacher à savoir si l’accident est survenu pendant l’exercice de l’activité professionnelle du salarié. Autrement dit, l’accident a-t-il eu lieu à l’occasion du travail et pendant les plages horaires de travail ?
Pour se faire, il faudra utiliser la méthode du faisceau d’indices pour déterminer si l’accident est un accident du travail.
Le faisceau d’indices pourra consister à vérifier :
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la déclaration du salarié pour noter des incohérences ;
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l’heure d’intervention des secours ;
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si le salarié a travaillé juste avant l’accident en envoyant des mails ou en passant des appels.
En effet, il est peu probable notamment pour le télétravail à domicile de disposer de témoins (mis à part les membres de la famille du télétravailleur et dont les attestations seront sujettes à réserves).
AJ : L’employeur peut-il contester la nature de l’accident ?
Philippe Pouzet : Si l’accident est survenu sur le lieu du télétravail et pendant les plages horaires de travail, l’article L. 1222-9 du Code du travail prévoit que l’accident est présumé être un accident de travail.
Si la présomption est établie, l’employeur peut la combattre. Il devra alors démontrer pour que la qualification d’accident du travail soit rejetée :
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que le salarié s’était soustrait à l’autorité de l’employeur ;
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qu’il n’y a aucun lien entre l’accident et le poste de travail.
Dès lors, il faut conseiller aux employeurs d’être extrêmement vigilant sur les horaires (ou plages horaires) de travail afin d’encadrer strictement le télétravail.
La contestation de l’accident reste quoi qu’il en soit délicate et subjective. Pour l’anecdote, une juridiction allemande, fin 2021, a qualifié d’accident du travail – accident de trajet – une chute dans les escaliers d’un salarié qui se rendait de sa chambre à coucher à son bureau pour télétravailler.
Référence : AJU007e8