Aux prud’hommes de Créteil : « Un balai dans une main, un couteau dans l’autre »

Publié le 30/03/2022

Coups de sang, menaces et vitres brisées figuraient au menu du bureau de jugement de la section Industrie du Conseil des prud’hommes de Créteil le 25 février dernier.

Hall du tribunal de Créteil indiquent les directions du TC et du CPH
Photo : ©Pierre Anquetin

Ignacio, la soixantaine, bien calé sur sa chaise, les mains sur les genoux, fait face aux conseillers prudhommaux du Val-de-Marne, section Industrie.  Il y a quatre ans, il était encore poseur de volets mécaniques. Il s’est retrouvé au chômage à 61 ans, après avoir été licencié pour faute grave. Il conteste les motifs et réclame 33 000 € de dommages et intérêts.

Julien, le patron de la petite entreprise de pose de volets, lui reproche d’abord d’être parti en vacances de Noël sans avoir restitué le fourgon et les outils de la société. Pour l’avocate d’Ignacio les congés ont été posés en bonne et due forme. Et depuis le début de son contrat de travail, Ignacio conservait toujours le véhicule pendant les vacances, sans protestations de l’employeur. Quant aux outils, ils appartenaient à l’ouvrier, et non à la société.

L’employeur vient au domicile

Mais un autre motif de licenciement est avancé. Julien a laissé des messages à Ignacio pour lui demander de rendre le fourgon. Sans réponse. Julien a alors déboulé avec son père au domicile d’Ignacio pour récupérer le véhicule.  L’ouvrier les aurait accueillis par une volée d’injures et menacés avec un balai et un couteau.

« C’est le monde à l’envers, s’exclame l’avocate d’Ignacio. C’est l’employeur qui vient à son domicile. On ne peut pas lui reprocher d’avoir un balai chez lui. Et ce n’est pas un couteau, c’est un opinel. Il a rendu les clefs et les papiers du fourgon à la police. »

D’autres motifs figurent dans la lettre de licenciement : il aurait dénigré des clients, harcelé des collègues. Ignacio conteste encore. Explique qu’il a dû emmener le beau-fils du patron sur des chantiers. « La seule chose que j’ai essayé de faire, c’est de le faire travailler ! Je lui disais qu’on ne pouvait pas rester sans arrêt sur son téléphone… »

Son avocate se désole : « Monsieur avait 59 ans. Il n’a jamais retrouvé de travail jusqu’à sa retraite. »

Scène de rue

Au tour de l’avocate de l’employeur. Elle doit convaincre les conseillers que Julien et son père sont les victimes. Sa société possédait seulement deux fourgons, explique-t-elle, et pendant les congés d’Ignacio, deux semaines et demi, les chantiers continuaient. Si ça a dégénéré, c’est parce qu’il a refusé de rendre le fourgon. Elle décrit la colère d’Ignacio qui se saisit d’un balai, poursuit Julien dans la rue avec un couteau.

Un conseiller l’interrompt, interloqué : « Pour qu’on comprenne bien : il court avec un balai dans une main, un couteau dans l’autre ? » Les autres sourient, les avocats aussi. Mais pas Ignacio, immobile sur sa chaise. « En tout cas il y a une histoire avec un balai et une histoire avec un couteau », résume l’avocate de l’employeur.

Chantiers au noir

Elle raconte enfin que si Ignacio garde le fourgon et les outils pendant ses congés, c’est pour réaliser des chantiers au noir. « Nous avons l’attestation du gérant du tabac qui dit : Monsieur P a fait mon store pour 400 € réglés en liquide. »

Dernier point : « Il vient dire que le motif du licenciement est discriminatoire en raison de son âge. Mais il a été embauché à 57 ans ; on ne peut pas dire que l’employeur discrimine les séniors. Et depuis Monsieur P s’est laissé couler jusqu’à la retraite. Des preuves de recherche d’emploi, il n’y en a pas. » Elle conteste sa demande de 33 000 € de dommages et intérêts. Réponse des conseillers le 28 mars 2022.

Esclandre à la boutique

Dossier suivant. « C’est presqu’une réédition de l’affaire précédente », remarque l’avocat de cet autre employeur, une société de travaux et d’entretien d’immeubles. Le salarié, Stéphane, plombier, réclame 7 000 € d’heures supplémentaires non payées et 13 500 € de dommages et intérêts pour travail dissimulé.

Son avocate présente la situation : Stéphane adresse une lettre recommandée à son employeur pour signaler qu’il travaille en réalité 39 heures et non 35 h, et reçoit en retour une lettre de licenciement pour faute grave : des retards. Il conteste, fournit des captures d’écran affichant des horaires de sortie. Par exemple 17 h 20 au lieu de 17 h. Une adresse apparaît également sur la capture. Soupçonneux, un conseiller demande : « Il fournit des captures de départ, mais il a les captures d’arrivée aussi ? » Réponse négative et embarrassée de l’avocate, qui poursuit : « De l’autre côté de la barre, vous n’avez rien du tout. Seulement des attestations disant « il est arrivé en retard », sans plus de détail. Et les heures supplémentaires n’ont pas été payées volontairement. »

Mais elle doit enfin contester un dernier motif de licenciement : Stéphane aurait insulté ses employeurs, cassé des rideaux… « Il y a eu une plainte mais pas de suite », remarque l’avocate, sans insister davantage.

Vitrine brisée

En défense de l’employeur, son confrère présente une version bien différente. « L’employeur ne place pas de traqueur ou de pointeuse sur les chantiers. » Stéphane est libre de ses horaires, mais de jour en jour, il arrive en retard, se crispe de plus en plus, il devient violent.

Le 5 novembre, escorté de sa femme, il se présente à la boutique pour exiger une augmentation. Devant le refus de l’employeur, il s’emporte, insulte, menace, raconte l’avocat : « Il s’est saisi d’une chaise pour essayer d’assener un coup sur la tête de mon client et il a alors brisé la vitrine de la boutique. » C’est après cet événement qu’il a réclamé le paiement des heures supplémentaires : « Un calcul fait à la louche. »

Pour l’avocat, les captures d’écran n’ont aucune force probante. « Avec aucun téléphone je n’ai vu le lieu ou le nom affichés sur une photo de cette façon. Ce sont des éléments qui peuvent être ajoutés. » Il demande que Stéphane soit débouté de ses demandes et laisse les conseillers estimer si l’indemnisation de l’employeur est justifiée.

Réponse le 28 mars, mais dans un dossier comme dans l’autre, la menace physique ne semble pas être le meilleur moyen d’obtenir des dommages et intérêts.

 

Mise à jour du 31 mars : Les délibérés

Ignacio : Le délibéré est rendu un mois plus tard. Le Conseil des prud’hommes estime que « le licenciement ne peut être qualifié de faute grave mais repose sur une cause réelle et sérieuse ». L’entreprise doit verser à Ignacio 9 500 €, essentiellement au titre d’un rappel de salaire, de l’indemnité de licenciement et de l’indemnité compensatrice de préavis. Ignacio est cependant débouté de ses demandes de dommages et intérêts.

Stéphane : Stéphane est débouté de l’ensemble de ses demandes.