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Pourboires : mode de calcul et de répartition

Publié le 09/02/2022
Pourboire, donation
iracosma/AdobeStock

Pour le mode de calcul et de répartition des pourboires le montant du service, qui en fait partie, ne peut pas être retiré du calcul.

Cass. soc., 13 oct. 2021, no 19-24739, 19-24740, 19-24742, 19-24743, 19-24744, 19-24745, 19-24746, 19-24747, 19-24748, 19-24749, 19-24751, 19-24752, 19-24753, 19-24755, 19-24756, 19-24757, 19-24758, 19-24759 et 19-24760, FS–B

Le chef de l’État a promis la défiscalisation des pourboires versés par carte bancaire dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration, avec une mise en œuvre « dans les prochains mois »1. Cela est de nature à donner de l’intérêt à la présente décision qui en rejoint une autre rendue dans le même sens sur le même sujet2. Ceci pose la question de l’usage du pourboire (I) et de ses modes de calculs (II).

I – L’usage du pourboire

La rémunération du salarié peut comprendre une partie fixe, une partie variable3 et des pourboires.

A – Existence de pourboires

Nombreuses sont les professions, par exemple dans le secteur des hôtels, cafés, restaurants4, mais il y en a aussi dans beaucoup d’autres, dans lesquelles le salarié, en contact avec la clientèle, perçoit des pourboires qui, dans certains cas, peuvent représenter l’unique rémunération de l’intéressé. Le plus souvent, ces pourboires complètent le salaire.

Les pourboires sont une somme d’argent remise directement ou indirectement par l’intermédiaire d’un client de l’employeur au salarié à l’occasion de ses fonctions.

Dans les établissements commerciaux où existe la pratique du pourboire, toutes les perceptions faites pour le service par l’employeur sous forme de pourcentage obligatoirement ajouté aux notes des clients ou autrement, ainsi que toutes les sommes remises volontairement par les clients pour le service entre les mains de l’employeur ou centralisées par lui, doivent être intégralement versées au personnel en contact avec la clientèle et à qui celle-ci avait coutume de les remettre directement5. Les pourboires s’ajoutant au salaire fixe6, en l’absence de salaire minimum garanti : les pourboires sont acquis au salarié7.

Smic. Lorsque les pourboires constituent l’élément de base de la rémunération du salarié, l’employeur est seulement tenu de compléter les sommes ainsi perçues par l’intéressé jusqu’à concurrence du smic. Si les pourboires sont directement perçus par le salarié, il lui appartient d’établir que le niveau du smic n’est pas atteint8.

L’employeur, tenu de verser chaque mois le montant du salaire minimum, doit supporter la charge éventuelle de l’insuffisance des pourboires et ne peut se dispenser de verser l’intégralité des pourboires de chaque mois en reportant le déficit d’un mois sur l’autre9.

Les sommes remises à titre de pourboires ne doivent pas être confondues avec le salaire fixe10, ni lui être substituées, sauf dans le cas où un salaire minimum a été garanti par l’employeur, ce qui correspond à l’hypothèse dans laquelle il a été convenu entre les deux parties que le salarié serait rémunéré aux seuls pourboires avec minimum garanti11. Ce minimum qui doit être conventionnellement fixé dans le cadre des relations bilatérales des parties, doit être distingué du minimum visé dans la convention collective par référence aux classifications hiérarchiques.

B – Répartition

La répartition des pourboires entre les personnels au contact de la clientèle doit être équitable et automatique12. L’application des dispositions relatives à l’existence de pourboires et à leur répartition est d’ordre public13, il ne peut y être dérogé ni par le contrat de travail ni par accord collectif14, ce dispositif n’est pas subordonné à l’existence de stipulations conventionnelles ou d’un décret fixant les catégories de bénéficiaires et les modalités de la répartition15, même en l’absence de prévision conventionnelle ou réglementaire, le juge peut faire respecter le principe du versement intégral des pourboires aux salariés en contact avec la clientèle16. La répartition des pourboires pose la question de ses bénéficiaires (1) et de ses modalités (2).

1 – Bénéficiaires

Pour bénéficier des pourboires il faut que les fonctions exercées impliquent un contact avec la clientèle17, seul l’ensemble des membres du personnel en contact avec la clientèle doit recevoir les sommes perçues à titre de pourboire18, quelle que soit la catégorie du personnel à qui les sommes sont matériellement remises19. Au sein des casinos, les pourboires doivent être versés à l’ensemble des personnels en contact avec la clientèle et non au seul personnel assurant le service des jeux. Le personnel des services dits périphériques (bar, restaurant…) doit donc également en profiter. Les pourboires reçus aux tables de jeu constituent une masse unique à répartir selon un pourcentage fixé par un accord collectif entre le personnel des jeux et le personnel des services périphériques20, indépendamment des pourboires qui peuvent leur être remis personnellement, à l’occasion de leurs propres fonctions21 et quelle que soit la catégorie du personnel à qui les sommes sont matériellement remises22.

Les salariés qui ne sont investis que de tâches excluant tout contact avec la clientèle, ne peuvent bénéficier de ces dispositions23. Il en va ainsi notamment des « grillardins » chargés de cuire la viande24, du régisseur et du commissaire de bord d’une entreprise de bateaux-mouches25, des salariés investis de tâches purement administratives excluant par leur nature tout contact direct avec la clientèle26, du preneur d’ordre dans un hôtel ayant pour fonction de prendre, par téléphone, les commandes des clients qui ne sont pas de ceux auxquels la clientèle a coutume de verser un pourboire27.

Doivent être également exclus les salariés qui n’ont qu’un contact occasionnel avec la clientèle : par exemple les écailleurs d’un restaurant de fruits de mer28, des directeurs régionaux dont les fonctions sont d’encadrement et de contrôle des établissements de restauration, leurs fonctions de service étant limitées aux hypothèses de remplacement d’un salarié absent, donc seulement accessoires et l’accessoire suivant le principal, ils sont donc réputés ne pas être en contact avec la clientèle et ne peuvent donc pas prétendre au versement des pourboires29.

2 – Modalités

Les modalités de répartition supposent au préalable l’existence d’une masse à répartir (a) et de sa détermination (b).

a – Masse à répartir

Doivent être réintégrées dans la masse à partager et redistribuées au personnel de salles, les sommes prélevées par l’employeur sur un petit tronc pour rémunérer une femme de ménage, un plongeur pour la sortie des poubelles et un barman avant répartition entre les salariés en contact avec la clientèle30.

L’hôtel employeur doit payer les pourboires31 même sur les notes qui sont impayées par le client qui s’est soustrait à ses obligations. A contrario, la pratique dite des « chambres offertes » ne donnant lieu à aucune facture et par voie de conséquence à aucun paiement par le client, le fait générateur des pourboires fait défaut. En l’absence d’usage présentant le caractère de généralité, de constance et de fixité, ce dernier n’a donc pas à assurer le paiement de pourboires fictifs y correspondant32. L’employeur qui, a extrait de la masse des pourboires à répartir entre les salariés en contact direct avec la clientèle33 une partie des sommes au profit d’autres catégories du personnel, doit redistribuer cette seconde masse entre les seuls salariés bénéficiaires, sans pouvoir imputer sur celle-ci le montant de la TVA acquittée par lui au titre de cette première répartition. En effet, si l’employeur avait procédé dès le départ à la répartition des pourboires auprès des seuls salariés en contact avec la clientèle, il aurait bénéficié de l’exonération de la TVA34.

L’employeur peut déduire de ces sommes le montant de la TVA correspondante qu’il justifie avoir versée35.

b – Affectation

L’obligation pour l’employeur de répartir les pourboires entre les salariés en contact avec la clientèle lui interdit d’utiliser ces sommes pour le paiement des heures de délégation des représentants du personnel36 ou pour le maintien du salaire pendant la maladie37.

L’employeur ne peut participer lui-même au partage de ces sommes, que sont les pourboires, même en cas d’accord dans ce sens dans l’entreprise38.

L’employeur justifie de l’encaissement et de la remise aux salariés des pourboires39.

Les conventions collectives ou, à défaut des décrets en Conseil d’État pris après consultation des organisations d’employeurs et de salariés intéressées, déterminent par professions ou par catégories professionnelles, nationalement ou régionalement, les modes de justification à la charge de l’employeur40.

Est coupable de travail dissimulé pour s’être intentionnellement soustrait aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales afférentes l’employeur qui a organisé le système des pourboires en fixant lui-même les clefs de répartition et en élaborant un système de retrait des pourboires pour sanctionner certaines fautes commises dans l’exécution du service sans mentionner ces sommes sur les bulletins de paie des salariés et sans les soumettre aux cotisations et contributions sociales41.

II – Modes de calculs

Dans la présente espèce, les juges ont donné d’utiles précisions sur les modes de calcul lorsque le pourboire est calculé par rapport aux prix de la prestation fournie au client (A) et les conséquences de ce mode de calcul (B).

A – Mode de calcul des pourboires

Différentes méthodes existent pour calculer les pourboires, la plus courante étant un pourcentage sur le prix de la prestation fournie aux clients, comme il a été précisé par les juges.

Si le pourboire n’est qu’un accessoire du salaire de base du salarié : aucune mention ne sera précisée sur la carte. Les clients resteront en revanche libres d’offrir, ou non, un pourboire au salarié.

Le litige portait sur le mode de calcul de rétrocession des pourboires.

B – Conséquences

Dans la présente espèce l’employeur invoquait que si l’on prenait comme base de calcul des pourboires le chiffre d’affaires TTC service compris, il devait reverser aux salariés 17,25 % de son chiffre d’affaires et non les 15 % convenus. Selon lui, cela revenait à reverser aux salariés une somme plus élevée que celle que les clients avaient payée au titre du service.

Cet argument a été écarté par les juges expliquant que les dispositions relatives aux pourboires42 ne faisaient pas obstacle à ce qu’il soit décidé « que les sommes reversées par l’employeur soient calculées sur la base d’une masse à partager supérieure à celle facturée aux clients au titre du service ».

En effet, selon le raisonnement des juges, seul un accord peut convenir d’une répartition d’un pourcentage du chiffre d’affaires hors service ou hors taxes, généré par les prix des consommations seules.

Mais dans cette affaire, s’il est seulement question d’un pourcentage sur le chiffre d’affaires, le montant du service, qui en fait partie, ne peut pas être retiré du calcul.

Notes de bas de pages

  • 1.
    « E. Macron annonce la défiscalisation des pourboires par carte bancaire », Le Monde avec AFP, publié le 27 septembre 2021.
  • 2.
    C. Berlaud, « Méthode de calcul du montant du service dans une brasserie obs. sous Cass. soc., 13 oct. 2021, n° 19-24741 », Sté Brasserie l’Européen c/ M. X et a., FS-B : GPL 2 nov. 2021, n° GPL428c5.
  • 3.
    P. Morvan, « La détermination de la rémunération variable », JCP S 2008, 1180 ; « La révision de la rémunération variable », JCP S 2008, 1198.
  • 4.
    P.-H. d’Ornano, « La pratique des pourboires dans le secteur des hôtels, cafés, restaurants », JCP S 2006, 1514.
  • 5.
    C. trav., art. L. 3244-1.
  • 6.
    C. trav., art. L. 3244-2.
  • 7.
    C. Berlaud, « Absence de salaire minimum garanti : les pourboires sont acquis au salarié obs. sous Cass. soc., 13 oct. 2021, n° 19-24741 », Sté Brasserie l'Européen c/ M. X et a., FS-B, GPL 19 janv. 2016, n° GPL254v0.
  • 8.
    Cass. soc., 29 nov. 1962, n° 57-40366 : Dr. soc. 1963, p. 227, obs. J. Savatier.
  • 9.
    Cass. soc., 17 janv. 1962 : JCP 1962, II 12922, note P. Bizière.
  • 10.
    C. trav., art. L. 3244-2.
  • 11.
    Cass. soc., 16 déc. 2015, n° 14-19073 : JCP S 2016, 1076, note G. Vachet.
  • 12.
    C. trav., art. L. 3244-1 et C. trav., art. L. 3244-2.
  • 13.
    C. trav., art. L. 3244-1.
  • 14.
    Cass. soc., 6 mai 1998, n° 91-41424.
  • 15.
    Cass. soc., 14 nov. 2013, n° 12-16805 : JCP S 2014, 1123, note G. Vachet ; RJS 2014, n° 86, avis H. Liffran.
  • 16.
    J. Icard, Répartition des sommes versées à titre de pourboires obs. sous Cass. soc., 14 nov. 2013, n° 12-16805 », FS-PB, Cah. soc. janv. 2014, n° CSB112h3.
  • 17.
    Cass. soc., 6 mai 1998, n° 96-40077, Société de participation et d’investissement du casino de Chamonix c/ Busco et a. : LPA 15 sept. 1998.
  • 18.
    Cass. soc., 3 mars 1993, n° 89-44976 ; Cass. soc., 4 juill. 1984, n° 81-42852 ; Cass. soc., 4 févr. 1981, n° 78-41008.
  • 19.
    Cass. soc., 6 mai 1998, n° 97-41424 : JCP S 2014, 1123, note G. Vachet.
  • 20.
    Cass. soc., 9 mars 1994, n° 91-17543 : Bull. civ. V, n° 85 ; RJS 1994, n° 409 – Cass. soc., 6 mai 1998, nos 96-40017, 97-40921 et 97-41424 : RJS 1998, n° 737 ; Bull. civ. V, n° 227.
  • 21.
    Cass. soc., 29 sept. 2004, n° 02-43500 : Bull. civ. V, n° 235 ; RJS 2004, n° 1285 ; Dr. soc. 2004, p. 1142, obs. C. Radé ; D. 2004, p. 2894.
  • 22.
    Cass. soc., 9 mai 2000, nos 98-20146 et 98-20517 : Dr. soc. 2000, p. 773, obs. C. Radé ; Bull. civ. V, n° 169 ; RJS 2000, n° 672 – Cass. soc., 18 juill. 2001, n° 99-41214 : RJS 2001, n° 1287 : Bull. civ. V, n° 277 ; J. Icard, « Répartition des sommes versées à titre de pourboires obs. sous Cass. soc., 14 nov. 2013, n° 12-16805 », FS-PB, Cah. soc. janv. 2014, n° CSB112h3.
  • 23.
    C. trav., art. L. 3244-1 ; Cass. soc., 25 mai 1976, n° 75-40059.
  • 24.
    Cass. soc., 30 juin 1993, n° 90-42171.
  • 25.
    Cass. soc., 15 juin 1983, n° 80-41621.
  • 26.
    Cass. soc., 25 mai 1976, n° 75-40059.
  • 27.
    Cass. soc., 18 juin 1997, n° 94-43634 : RJS 1997, n° 1295 – Cass. soc., 15 juin 1983, n° 80-41621 : Bull. civ. V, n° 328.
  • 28.
    Cass. soc., 3 mars 1976, n° 74-40771.
  • 29.
    J. Icard, « Répartition des sommes versées à titre de pourboires obs. sous Cass. soc., 14 nov. 2013, n° 12-16805 », FS-PB, Cah. soc. janv. 2014, n° CSB112h3.
  • 30.
    CA Paris, 22e ch., 15 mai 1998 : RJS 1998, n° 1432.
  • 31.
    C. trav., art. L. 3244-2.
  • 32.
    CA Paris, 21e ch., 19 déc. 1991 : RJS 1992, n° 400.
  • 33.
    C. trav., art. L. 3244-2.
  • 34.
    CA Grenoble, 1re ch., 18 mai 1999 : RJS 1999, n° 1254.
  • 35.
    Cass. soc., 6 mai 1998, nos 96-40077, 97-40921 et 97-41424 : Bull. civ. V, n° 227 ; RJS 1998, n° 737 – Cass. soc., 4 févr. 1981, n° 78-41013 : Bull. civ. V, n° 103.
  • 36.
    Cass. crim., 26 juill. 1989, n° 88-86040 : Bull. crim., n° 302 ; RJS 1989, n° 767 – Cass. soc., 8 nov. 1994, n° 93-42501 : RJS 1994, n° 1372.
  • 37.
    Cass. soc., 31 mai 1989, n° 86-45448 : RJS 1989, n° 583.
  • 38.
    Cass. soc., 19 juin 1990, n° 87-41769 : RJS 1990, n° 576.
  • 39.
    C. trav., art. R. 3244-1.
  • 40.
    C. trav., art. R. 3244-2.
  • 41.
    CSS, art. L. 242-1 ; Cass. crim., 1er déc. 2015, n° 14-85480 : JCP S 2016, 1035, note F. Duquesne.
  • 42.
    C. trav., art. L3244-1.
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