Propos sexistes : quand le licenciement est une sanction disproportionnée

Si les agissements sexistes doivent être sanctionnés par l’employeur, le licenciement n’est pas toujours la sanction adaptée.
Guide pratique et juridique « Harcèlement sexuel et agissements sexistes au travail : prévenir, agir, sanctionner » : https://lext.so/PGnfL0
Rapport du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes « Le sexisme dans le monde du travail » : https://lext.so/1PEhH_
Un licenciement pour propos sexistes peut être considéré comme une sanction disproportionnée eu égard à la gravité des faits et à la personnalité du salarié.
La qualification d’agissements sexistes et la prévention du risque
La notion d’agissement sexiste a été introduite dans le Code du travail par la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi afin de combattre le sexisme ordinaire auquel peuvent être confrontés les salariés.
L’article L. 1142-2-1 du Code du travail prévoit ainsi que « nul ne doit subir d’agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».
En 2019, le ministère du Travail a publié un guide pratique et juridique dans lequel il souligne la nécessité de bien distinguer le harcèlement sexuel de l’agissement sexiste et illustre les manifestations du sexisme ordinaire dans le monde du travail à partir d’éléments tirés d’un rapport de 2015 du Conseil supérieur à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes :
• les remarques et blagues sexistes (par ex. : raconter régulièrement des blagues sexistes à une de ses collègues de travail, qui la mettent mal à l’aise) ;
• les incivilités à raison du sexe (par ex. : avoir recours à un langage avilissant, ignorer les demandes légitimes d’un collègue, ne pas donner la parole à un collègue ou la lui couper, mettre en doute sans raison le jugement d’un salarié sur un sujet qui relève de sa compétence ou encore s’adresser à lui en des termes non professionnels) ;
• la police des codes sociaux du sexe (par ex. : critiquer une femme parce qu’elle n’est pas « féminine » ou un homme parce qu’il n’est pas « viril ») ;
• les interpellations familières (par ex. : s’adresser à une femme en employant des termes tels que « ma petite », « ma mignonne », « ma belle », « ma chérie ») ;
la fausse séduction (par ex. : faire des remarques appuyées sur la tenue ou la coiffure) ;
• le sexisme bienveillant (par ex. : valoriser une responsable en vantant uniquement des qualités attachées à des stéréotypes de sexe telles que son sens de l’écoute, sa sensibilité, sa minutie…) ;
• les considérations sexistes sur la maternité ou les charges familiales (par ex. : souligner la non-disponibilité d’une salariée en soirée car elle doit s’occuper de ses enfants).
En parallèle, la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, a intégré les agissements sexistes dans les principes généraux de prévention que doit mettre en œuvre l’employeur pour préserver la santé et la sécurité des travailleurs.
L’article L. 4121-2 du Code du travail énonce ainsi notamment que l’employeur est tenu de « planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes ».
La sanction des agissements sexistes
Pour la première fois, dans un arrêt rendu le 12 juin 2024, la Cour de cassation a reconnu que des agissements sexistes justifient un licenciement pour faute simple1.
Dans cette affaire, un salarié avait tenu des propos inappropriés à connotation sexuelle, insultants, humiliants et dégradants à l’égard de deux collègues de sexe féminin. Retenant que la hiérarchie du salarié avait déjà été informée par le passé qu’il tenait des propos inappropriés à l’égard de certaines de ses collègues mais qu’il n’avait pas été sanctionné, la cour d’appel en avait déduit que le licenciement apparaissait disproportionné en ce qu’aucune sanction antérieure n’avait été prononcée pour des faits similaires, alors que l’employeur en avait connaissance.
La Cour de cassation ne l’a toutefois pas entendu de cette manière et a considéré que les propos à connotation sexuelle, insultants et dégradants, étaient de nature à caractériser un comportement fautif constitutif d’une cause réelle et sérieuse fondant le licenciement décidé par l’employeur, et ce, quelle qu’ait pu être l’attitude antérieure de l’employeur tenu à une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs.
Plus récemment, la cour d’appel de Limoges a jugé que des propos sexistes, non contestés par le salarié concerné, ne justifiaient pas un licenciement, leur gravité pouvant être minorée par plusieurs éléments2.
L’employeur reprochait à un juriste, d’avoir tenu, lors d’une réunion, des propos offensants et blessants pour les équipes, contraires aux valeurs de la direction juridique, en déclarant : « La loi, c’est comme les jeunes filles, mieux on la connaît, mieux on peut la violer ».
Le salarié s’était immédiatement excusé auprès de sa hiérarchie en expliquant qu’il s’agissait d’une citation empruntée à un éminent professeur de droit, qu’il s’agissait d’une figure de style mais qu’il mesurait qu’elle avait pu être mal interprétée à distance et qu’il serait plus précautionneux à l’avenir. L’employeur, qui ne lui avait pas permis de s’excuser personnellement auprès des personnes qui auraient exprimé leur incompréhension ou l’atteinte ressentie à leur dignité et à leur féminité, l’avait néanmoins licencié pour faute.
Si la cour d’appel reconnaît que le caractère sexiste de cette expression est indiscutable, elle juge toutefois le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse au regard des regrets exprimés par le salarié, de sa personnalité et de l’absence d’antécédents.
Elle relève que c’est par une extrême maladresse que le salarié a tenu les propos incriminés, ce qu’il regrette, qu’il n’était pas dans son intention de blesser l’auditoire, et que son intervention n’a pas eu lieu dans un cadre préparé mais dans une prise de parole en réagissant à une autre intervention.
Elle examine également sa « maladresse » au regard de sa personnalité et de sa carrière professionnelle de 12 ans sans sanction ni incident, de nombreuses personnes l’ayant côtoyé professionnellement affirmant qu’il s’est toujours montré respectueux envers ses collègues féminines et qu’un tel incident ne lui ressemble aucunement. Le salarié produisait même des témoignages de collègues féminines en sa faveur.
Les juges en concluent que le salarié était dépourvu de toute intention malveillante ou sexiste et que, si son employeur était bien fondé à le sanctionner pour avoir tenu les propos incriminés, son licenciement constitue une sanction qui n’est pas proportionnée à la gravité des faits ni à sa personnalité ; ces faits ne pouvaient donc pas constituer une cause sérieuse de son licenciement.
Attention donc au caractère excessif de la sanction ! En l’espèce, une mise à pied disciplinaire aurait peut-être constitué une sanction plus en adéquation avec les faits fautifs…
Référence : AJU015p1
