Sophie Uettwiller : « Il faut fixer des règles pour régir le travail en cas de fortes chaleurs »

Publié le 16/09/2022

Associée du cabinet UGGC Avocats, Sophie Uettwiller est à la tête du département de droit social, qui compte 12 avocats spécialisés en droit du travail et de la sécurité sociale. Spécialiste de la négociation salariale, elle réagit à la demande faite par la Confédération européenne des syndicats à fixer une température maximale à laquelle les salariés peuvent travailler.

Actu-Juridique : Que pensez-vous de l’idée de fixer une température limite au travail, portée par les syndicats européens ?

Sophie Uettwiller : Des organisations syndicales européennes revendiquent la fixation d’une température maximale au travail. Je ne pense pas que cela soit possible. On ne va pas mettre le pays à l’arrêt parce qu’il fait chaud, d’autant plus qu’il est probable que ces épisodes de fortes chaleurs soient amenés à durer et à se renouveler. Fixer une température limite au-delà de laquelle on cesse de travailler serait injuste pour les pays du sud de l’Europe, qui seraient en plus grande difficulté que les autres. C’est inimaginable ! En revanche, il est intéressant de fixer un seuil de température à partir duquel il est impératif de prendre des mesures pour assurer la sécurité et la santé des salariés. C’est aux médecins de travailler et de dire à partir de quel seuil de température et de combien de jours de chaleur consécutifs il faut intervenir.

Actu-Juridique : Que prévoit la loi aujourd’hui ?

Sophie Uettwiller : Un certain nombre de pays européen ont des normes précises concernant le travail dans un contexte de fortes chaleurs. Ce n’est pas le cas en France. On considère que l’arsenal juridique est suffisant. Les employeurs ont une obligation générale de garantir la santé et la sécurité de leurs salariés. Ces derniers peuvent quant à eux exercer leur droit de retrait s’ils se considèrent en danger. Les employeurs ont l’obligation de mettre de l’eau à disposition de leurs salariés. Mais rien n’est codifié en ce qui concerne les températures maximales au travail. Aujourd’hui, on est dans un certain flou. Un juge va estimer qu’un salarié est légitime à exercer son droit de retrait quand il fait 30 degrés, un autre va dire l’inverse. Fixer une température seuil peut être de nature à donner une sécurité juridique. Les salariés doivent savoir s’ils peuvent être légitimes ou non à exercer leur droit de retrait, et les employeurs à partir de quand ils sont tenus de prendre des mesures supplémentaires pour leurs salariés.

Actu-Juridique : Quels sont les secteurs les plus affectés par les fortes chaleurs ?

Sophie Uettwiller : On pense en premier lieu aux secteurs du BTP et de l’hôtellerie-restauration. Mais tous les secteurs sont en fait concernés, dès lors que les températures montent. Quand les locaux sont vétustes et pas climatisés, travailler sur ordinateur ou sur des machines peut être très fatigant. Même le télétravail peut devenir difficile. Des salariés retournent d’ailleurs au bureau pour bénéficier de la climatisation.

Actu-Juridique : Quelles mesures faudrait-il prendre ?

Sophie Uettwiller : Dans le BTP on peut aménager les horaires, ce que font déjà largement les entreprises du secteur. Cela suppose de leur donner de la souplesse aux employeurs, pour qu’ils puissent par exemple permettre aux salariés de commencer à 4 h du matin pour terminer à 11 h. Aujourd’hui, le travail de nuit est compliqué à mettre en œuvre car il est conditionné à un accord collectif. Dans l’hôtellerie-restauration, il semble plus difficile de mettre en place des horaires décalés, mais on peut fournir aux salariés des boissons aux sels minéraux, par exemple, et adapter les tenues. Dans des restaurants très chics de la Côte d’Azur, les serveurs sont en short et en polo et portent des lunettes de soleil, tout en restant très chics. Certaines mesures relèvent du bon sens, d’autres peuvent avoir un coût, par exemple s’il faut climatiser des locaux ou augmenter les pauses. Quoi qu’il en soit, cela relève de la responsabilité de l’employeur. Et cela sera toujours moins cher et moins douloureux que le décès d’un salarié exposé à des fortes chaleurs sans protection comme c’est arrivé récemment. Deux accidents du travail mortels survenus à la mi-juillet sont en lien possible avec une exposition à la chaleur, d’après l’inspection du travail.

Actu-Juridique : Pourquoi faut-il statuer au niveau européen ?

Sophie Uettwiller : Il est intéressant que ces débats aient lieu au niveau européen. Beaucoup de Français travaillent dans l’hôtellerie-restauration et exercent leur métier à l’étranger. Il est légitime qu’ils bénéficient partout de la même protection, quel que soit le pays d’Europe dans lequel ils vont travailler. De la même façon, il est raisonnable que des ressortissants de l’Union européenne qui viennent travailler dans le BTP bénéficient des mêmes règles, qu’ils travaillent en France ou dans leur pays.

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