Vaccination, port du masque, quels sont les droits et devoirs des salariés ?
Alors que le président de la République a annoncé de nouvelles mesures pour lutter contre la propagation du variant delta lundi 12 juillet, dont la vaccination obligatoire des personnels soignants, nous faisons le point sur les obligations et les droits des salariés avec Grégoire Loiseau, Professeur à l’Université Paris I – Panthéon Sorbonne, directeur du Master 2 professionnel Juristes de droit social.
Actu-Juridique : Les annonces d’Emmanuel Macron hier ont ravivé la colère des anti-vaccins, et plus généralement des opposants aux mesures sanitaires. Qu’en est-il des obligations au sein de l’entreprise ?
Grégoire Loiseau : Les mesures d’ordre sanitaires au sein de l’entreprise relèvent du droit mou. Le gouvernement n’ayant pas été habilité à adopter des mesures impératives par voie règlementaire, le ministère du Travail a employé des biais par le truchement du protocole sanitaire en entreprise et, dernièrement, le guide Covid employeur, pour signaler les mesures devant être prises. Le Conseil d’Etat a jugé par deux fois, le 19 octobre pour le port du masque et le 19 décembre suivant s’agissant du télétravail, que les mesures diffusées sur le site du ministère n’ont la valeur que de recommandations à destination des employeurs. La seule façon de les rendre impératives à l’égard des salariés est de les intégrer dans le règlement intérieur de l’entreprise ou de les diffuser dans une note de service. Rappelons à ce sujet que, depuis le 1er janvier 2020, les entreprises de moins de 50 salariés ne sont plus tenues d’avoir un règlement intérieur.
A mesure que les populations vaccinées vont augmenter, on risque de voir se multiplier les conflits en lien avec le refus de porter le masque car les réfractaires, dès lors qu’ils seront vaccinés, refuseront d’autant plus facilement de le porter. Si l’entreprise a prévu dans son règlement intérieur ou dans une note de service le port du masque obligatoire, elle pourra sanctionner le salarié qui ne s’y plierait pas. Mais il y a des entreprises qui ne l’ont pas fait et celles-là pourraient se le voir opposer par le salarié sanctionné. Le conseil des prud’hommes de Bordeaux a rendu début mai une première décision dans une situation de ce type. Un salarié avait été licencié pour avoir refusé de porter le masque comme le lui demandait l’employeur mais objectait que le règlement intérieur ne l’imposait pas. Jugeant que le licenciement pour faute n’était pas justifié, le CPH a reconnu qu’il reposait tout de même sur une cause réelle et sérieuse. On voit ici que les juges ont tenté de trouver une voie médiane. Plusieurs affaires de ce type sont en cours d’examen aux prud’hommes. Nous allons probablement avoir des décisions assez variées.
Actu-Juridique : L’employeur pourrait-il n’imposer le port du masque qu’aux salariés non vaccinés ?
GL : L’employeur ne peut en aucun cas demander à ses salariés s’ils sont vaccinés ou non car cela relève du secret médical et de la vie privée. Cette règle ne souffre aucune discussion, si bien que l’obligation de port du masque est nécessairement indifférenciée, autrement dit doit s’appliquer aussi bien aux salariés vaccinés qu’aux salariés non vaccinés. Cela pourrait d’ailleurs soulever des difficultés à un autre sujet, s’agissant de l’accès au restaurant d’entreprise. Parmi les annonces faites hier, il a été indiqué que le passe sanitaire serait rendu obligatoire pour accéder au restaurant. Si le passe est exigé à l’entrée du restaurant d’entreprise, il sera compliqué pour l’employeur de procéder à un contrôle qui soit compatible avec son devoir de non-immixtion dans la situation vaccinale des salariés.
Actu-Juridique : A compter du 15 septembre les personnels médicaux, y compris les ambulanciers et les pompiers, devront être vaccinés. Cette obligation a-t-elle une chance de passer le contrôle de constitutionnalité ?
GL : Le Conseil constitutionnel a validé le passage de 5 à 11 vaccins obligatoires pour les enfants en considérant qu’il est loisible au législateur de définir une politique de vaccination afin de protéger la santé individuelle et collective (20 mars 2015). La loi en préparation sur l’obligation vaccinale des personnels médicaux devrait en conséquence passer le contrôle du conseil constitutionnel sans dommage. La seule incertitude concerne le fait que tous les vaccins anti-Covid disponibles bénéficient d’une autorisation d’utilisation conditionnelle, s’agissant d’une AMM provisoire. Cela interroge sur une obligation vaccinale au moyen de produits dont la mise sur le marché n’est pas pérenne.
Actu-Juridique : Si la loi est adoptée, que risqueront les salariés qui refuseraient le vaccin ? Qu’en est-il des délais qui, en l’état, semblent intenables ?
GL. : S’agissant des délais, il paraît évident que les soignants ne pourront être sanctionnés qu’à partir du moment où ils auront été matériellement en situation de se faire vacciner. Quant à refuser de se plier à la nouvelle obligation, les intéressés pourraient invoquer une atteinte disproportionnée au droit au respect de leur vie privée. A ceci près que la Cour européenne des droits de l’homme a jugé récemment, à propos de l’obligation vaccinale, que l’ingérence dans la vie privée est justifiée par l’objectif de santé publique (8 avril 2021 Arrêt Vavricka contre République tchèque). Cela ne concernait pas la Covid, mais on imagine bien les implications de cette décision qui revient sur une jurisprudence contraire. Le salarié pourra, soit ne plus être payé, nous dit-on, soit être licencié. Dans le premier cas, rappelons qu’en droit social, l’employeur est tenu de fournir du travail au salarié. S’il ne le fait pas, le salarié qui demeure à sa disposition doit être payé. Il s’ensuit que, si le contrat n’est pas rompu par l’employeur et que le salarié reste à sa disposition sans être payé, ce dernier pourrait prendre acte de la rupture de son contrat aux torts de l’employeur.
Référence : AJU231601