Édith Delbreil : « Le contrat social est un paradigme dépassé »

Publié le 26/01/2022

Le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, souhaite de plus en plus développer la médiation. La Chambre professionnelle de la médiation et de la négociation s’est saisie de cette proposition. Dans le cadre des États généraux de la justice, elle demande l’inscription d’un droit à la médiation dans la Constitution. Édith Delbreil, ancienne avocate et médiatrice professionnelle, nous explique le sens de cette revendication.

Actu-Juridique : Quelle est l’origine de votre intervention aux États généraux de la justice ?

Edith Delbreil : Tout a commencé avec le projet de loi pour la confiance en l’institution judiciaire qui proposait, dans son article 29, de développer la médiation, une technique hors cadre judiciaire. La Chambre professionnelle de la médiation et de la négociation, premier syndicat professionnel de la profession de médiateur, s’est saisie de cette occasion pour proposer sa contribution au débat. Nous, médiateurs professionnels, nous réjouissons de l’intérêt suscité par la médiation mais notons néanmoins un paradoxe : la décision de médiation, est confiée aux magistrats envers lesquels on veut restaurer une confiance. Nous nous interrogeons aussi sur ce qui est attendu de cette médiation ; la voit-on comme un palliatif à une institution judiciaire en grande difficulté ? Veut-on au contraire donner une possibilité aux justiciables de trouver librement une solution à leur conflit ? Cette deuxième optique, d’après nous, implique de changer de paradigme et de se baser non plus sur le contrat social, comme le font les juristes, mais sur l’entente sociale. Quoi qu’il en soit, nous entendons profiter de cette occasion pour amener les parlementaires et le ministère de la Justice à réfléchir réellement à ce qu’ils veulent faire de la médiation.

AJ : Que savent les parlementaires de la médiation ?

E.D. : De nombreuses personnes ignorent qu’il existe deux types de médiations. La médiation traditionnelle s’inscrit dans le droit-fil du système judiciaire et s’exerce sous une tutelle judiciaire. Elle se situe dans le sillage de l’ « alternative dispute résolution » venue des États-Unis, notion traduite en français par l’expression « mode alternatif de règlement des conflits ». La médiation professionnelle promeut, quant à elle, la liberté de décision, d’expression et de pouvoir monter un projet relationnel. Elle n’est pas un mode alternatif de règlement des conflits mais un mode de résolution des conflits à part entière. Son objectif est de promouvoir la qualité relationnelle. Celle-ci est au cœur même du débat, bien plus que le droit. Pour y parvenir, nous nous appuyons sur une méthode appelée « ingénierie relationnelle ».

AJ : Quelle relation entretiennent les juristes et les médiateurs professionnels ?

E.D. : Le droit a son paradigme ; celui du contrat social issu de Rousseau et des Lumières. Ces philosophes n’imaginaient pas que l’homme puisse être un individu libre et affranchi de ses émotions. Par conséquent, seule la loi pouvait, d’après eux, lui garantir des libertés et l’aider à réguler ses émotions. Face à ce contrat social qui implique de la contrainte et de l’adversité, les médiateurs professionnels lui préfèrent le référentiel de l’entente sociale : il s’agit de donner à tout individu la possibilité d’aller trouver lui-même le projet relationnel qui lui conviendra. Alors que le juriste va chercher le dysfonctionnement dans le conflit et y insérer du droit, le médiateur professionnel va, pour sa part, revenir à l’entente qui existait avant tout contrat. Un tel changement de référentiel est violent pour un juriste qui peut se sentir menacé. Néanmoins, ces approches peuvent cohabiter, il nous arrive de travailler ensemble ; le médiateur comme expert de la relation et le juriste comme expert du droit. Ainsi, c’est si la médiation ne fonctionne pas que la voie traditionnelle se pose en second recours ; il nous semble important de penser la résolution des conflits dans cet ordre. Le droit est donc là pour régler le problème par la contrainte lorsque le médiateur n’y est pas parvenu. Le médiateur renoue un dialogue puis l’expert du droit intervient pour mettre en forme les accords. Son travail est alors facilité par l’entente restaurée.

AJ : Quelle résolution des conflits offre la médiation ?

E.D. : La technique d’ingénierie relationnelle permet d’aller vers trois types de résolution de conflit : la reprise de la relation, son aménagement ou sa rupture de manière consensuelle. Cela permet d’éviter de garder de la rancœur, des remords alors que de tels sentiments persistent souvent après une procédure judiciaire. Si la Déclaration universelle des droits de l’Homme et du citoyen énonce que tout individu peut avoir recours à la justice pour faire valoir ses droits fondamentaux, il est légitime de s’interroger sur les référentiels sur lesquels cet acquis est basé. En effet, accéder à la justice pour garantir ses libertés, c’est également se priver de décider soi-même de ce qui est bon pour soi. La loi, devenue exponentielle, a empêché l’expression de certaines libertés. Face à ce système datant de plusieurs siècles, nous proposons de le remettre en question à travers une méthodologie bien définie, afin que l’individu puisse décider de ce qui est bien pour lui, librement. Cette liberté de décision est dans le droit-fil de la liberté d’expression. Elle fonde le droit à la médiation, différent du droit de la médiation.

AJ : Quel est ce droit à la médiation ?

E.D. : Il s’agit d’un droit que l’individu pourrait faire valoir plutôt que d’être contraint d’aller devant un juge qui risque de lui imposer une décision et donc de le priver de sa liberté. Il nous semble choquant, par exemple, que, dans le cas d’un divorce, des décisions qui impactent la vie quotidienne de la famille sur la durée ne soient pas prises par les intéressés mais par un juge. Nous savons pourtant que, dans la plupart des cas, avec des outils d’ingénierie, les personnes divorcées peuvent diminuer la charge émotionnelle et parvenir à séparer le lien conjugal du lien parental afin de préserver le bien-être de leurs enfants. Je vais vous donner un autre exemple. Je suis intervenue pour une directrice des ressources humaines insatisfaite de sa reprise de travail après un congé maternité. L’enfant de cette femme avait des difficultés physiques, et son poste était trop lourd à gérer pour elle. Elle avait besoin de temps pour son enfant mais ne l’avait pas dit, anticipant certaines réactions de son employeur et craignant d’être licenciée, alors que celui-ci était très satisfait de son travail. Le chef d’entreprise, de son côté, ne comprenait pas ce qui se passait. Finalement, l’affaire a été déjudiciarisée et nous avons trouvé une solution en sortant du cadre du conseil de prud’hommes. Grâce à la médiation, les parties ont décidé ensemble que la directrice des ressources humaines poursuivrait son travail en freelance le temps de former la personne qui allait lui succéder. Ainsi, ils ont trouvé la solution qui leur correspondait, dans une entente totale et dans le respect des intérêts de chacun. Un juge, un médiateur judiciaire ou un conciliateur n’aurait jamais obtenu ce type de solution. C’est pour cela que nous pensons que le droit et l’organisation sociétale sont à repenser pour offrir plus de liberté aux individus. Pour nous, le recours à la médiation s’inscrit dans le droit-fil de la liberté d’expression et permet à l’individu d’exercer son libre arbitre. Pour cette raison, nous pensons que ce recours doit être inscrit dans la constitution.