De nouvelles précisions sur l’appréciation du caractère suffisamment certain des aménagements routiers nécessaires à un projet d’ensemble commercial
Le Conseil d’État rappelle, dans un arrêt du 12 septembre dernier, qu’une autorisation d’exploitation commerciale ne peut être accordée à un projet que si les aménagements routiers qui lui sont indispensables présentent, à la date de la décision, un caractère suffisamment certain. La haute juridiction souligne, à ce titre, que les cours administratives d’appel exercent, sur ce point, un contrôle strict exigeant qu’elles prennent en compte tout élément de fait de nature à remettre en cause leur caractère certain.
CE, 12 sept. 2018, no 390646
L’effet des projets sur les flux de transports est un des critères mentionnés à l’article L. 752-6 du Code de commerce et pris en compte par les commissions d’aménagement commercial pour délivrer les autorisations d’exploitations commerciales sollicitées par les opérateurs pour la réalisation de leurs projets.
Ce critère demeure parfois difficile à satisfaire, dès lors que les conditions de circulation dans la zone du projet peuvent rendre nécessaire, pour son implantation, la réalisation d’équipements et aménagements routiers par des personnes publiques tierces. Or le pétitionnaire doit établir dans cette hypothèse, depuis les décisions Sodichar et Arcachon du Conseil d’État, que « la réalisation de tels aménagements à la date de l’ouverture de l’ensemble commercial est suffisamment certaine »1.
Cette exigence soulève toutefois une difficulté importante, dans la mesure où le pétitionnaire doit apporter la preuve, au moment de la décision de la CNAC, que les aménagements routiers futurs seront réalisés par des tiers avant qu’ils n’ouvrent leurs surfaces de vente2. Les opérateurs œuvrent ainsi, pour éviter tout risque de refus, à compléter leurs dossiers par différents courriers, engagements et conventions, destinés à apporter la preuve de l’accord des personnes publiques sur le tracé, le calendrier de réalisation de ces équipements et leur financement3.
Les difficultés du pétitionnaire restent toutefois entières, dès lors que rien ne semble protéger son projet de l’abandon ultérieur, par la personne publique tierce, des aménagements routiers pourtant nécessaires à son projet. C’est contre ce risque que la cour administrative d’appel avait rappelé, en application d’un principe traditionnel applicable aux recours pour excès de pouvoir4, que l’abandon ultérieur d’une partie de l’opération immobilière prévoyant la réalisation des aménagements routiers, postérieurement à la décision de la CNAC, n’avait aucune incidence sur la légalité de cette décision5.
Le Conseil d’État vient pourtant d’annuler cette décision pour insuffisance de motivation par un arrêt récent du 12 septembre 20186. La haute juridiction a en effet estimé que la cour disposait d’éléments suffisants pour conclure que les aménagements routiers ne présentaient plus, au 1er avril 2014, date de la décision de la CNAC, un caractère suffisamment certain.
Cette annulation annonce, bien que de manière nuancée et équilibrée, une volonté du Conseil d’État d’assurer un contrôle strict de l’appréciation portée sur le caractère suffisamment certain de ces aménagements.
D’une part, le Conseil d’État prend soin de préserver le principal apport de l’arrêt attaqué de la cour administrative d’appel de Douai, en réaffirmant, implicitement, mais nécessairement, que l’abandon des aménagements routiers, postérieurement à la décision attaquée, ne peut avoir d’incidence sur la légalité de la décision de la CNAC attaquée.
Le Conseil d’État estime en effet que c’est à raison que la cour avait refusé de prendre en considération une délibération, postérieure à la décision de la CNAC, qui remettait en cause le complexe sportif au titre duquel devaient être réalisés les aménagements routiers nécessaires au projet de centre commercial7.
Mais d’autre part, le Conseil d’État marque son désaccord avec la cour administrative d’appel de Douai, non pas tant sur la motivation de l’arrêt, que sur l’appréciation qu’elle avait portée sur ce point.
La cour avait en effet refusé de considérer comme un élément de fait pertinent, la circonstance qu’antérieurement à la décision attaquée, une nouvelle majorité municipale clairement hostile à ce complexe sportif et aux aménagements routiers qu’il induisait, venait d’être élu – seulement quelques jours avant la réunion de la commission nationale. Et ce alors que la cour avait été, comme l’a relevé le rapporteur public, Frédéric Dieu, confrontée à une lettre de la nouvelle majorité confirmant sa volonté d’abandonner ce complexe sportif, « ce qui pour le moins remettait en cause le caractère certain des travaux »8 relatifs à ces aménagements routiers.
Le Conseil d’État a, à l’inverse, considéré que « compte tenu du changement de majorité intervenu au conseil municipal de Dunkerque à la suite des élections municipales des 13 et 30 mars 2014 et de ce que le programme de la liste élue était hostile au projet “Arena”, le caractère suffisamment certain du financement des aménagements routiers et, par suite, de leur réalisation à l’ouverture de l’ensemble commercial, n’était plus établi le 1er avril 2014 ».
Le Conseil d’État semble ainsi avoir voulu, en remettant directement en cause l’appréciation portée par la cour, redonner tout son sens au contrôle que doivent porter les juges du fond sur le caractère suffisamment certain des aménagements routiers.
Les décisions Sodichar et Arcachon s’inscrivaient en effet dans une volonté de renforcer le contrôle porté par le juge sur les conditions de validité des autorisations d’exploitation commerciale9. Les commentateurs soulignant que le contrôle du caractère certain des aménagements se devait d’être strict, notamment pour préserver les objectifs listés à l’article L. 752-6 du Code de commerce10. C’est d’ailleurs ce que semblait confirmer la lecture des conclusions de Gaëlle Dumortier sur l’arrêt Arcachon, lorsqu’elle indiquait que : « S’il s’avère qu’en revanche lors aménagements indispensables sont envisagés mais avec une réalisation trop incertaine ou trop tardive, alors une autorisation serait prématurée car elle risquerait de créer une situation d’illégalité. Il appartient alors à la commission de refuser l’autorisation en l’état et au pétitionnaire de renouveler sa demande en temps utile »11.
Ce contrôle semblait toutefois avoir perdu de son intensité, au regard de certaines décisions rendues par les cours administratives d’appel – et des décisions des commissions d’aménagement commercial.
C’est ainsi que la cour administrative d’appel de Nantes avait pu considérer suffisant l’avis favorable du président du conseil général « dès lors qu’une convention fixant les modalités de réalisation et de financement de l’accès à la route départementale doit être approuvée par la commission permanente du conseil général, et qu’une permission de voirie doit être délivrée avant le commencement des travaux »12.
Et de la même manière, la cour administrative d’appel de Douai avait déjà jugé suffisant le fait que le gestionnaire de la voirie ait « autorisé par écrit la SCI Thiant à participer au financement de l’accès direct à l’équipement commercial sous la forme d’un giratoire ; qu’ainsi, il n’est pas établi que les aménagements en cause ne seraient pas suffisants, ou suffisamment certains, pour faire face au flux limité de circulation supplémentaire attendu »13.
Le Conseil d’État rappelle donc aux juges du fond qu’ils doivent, non pas chercher s’il existe des éléments de preuve permettant d’établir le caractère incertain des aménagements, mais bien sanctionner toute autorisation qui aurait été accordée alors que subsiste le moindre doute sur leur réalisation.
Les pétitionnaires devront donc désormais faire preuve, encore davantage, de prudence en apportant l’ensemble des preuves nécessaires et suffisantes pour établir qu’aucun doute ne subsiste, à la date de la décision de la commission d’aménagement commercial, sur la réalisation future des aménagements routiers nécessaires à leur projet.
Notes de bas de pages
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1.
CE, 27 juill. 2012, n° 354436, SAS Sodichar ; confirmé par CE, 23 sept. 2013, n° 359270, Conf. pour les entrepreneurs et la préservation du Pays du Bassin d’Arcachon. Étant précisé que cette exigence avait déjà été exprimée, en substance, bien que s’agissant des transports collectifs, dans la décision CE, 27 juin 2011, n° 336234, GIE Centre commercial des Longs Champs.
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2.
Frachon H., « Conditions d’autorisation d’un ensemble commercial dans l’incertitude de la réalisation des aménagements nécessaires », AJDA 2013, p. 2561.
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3.
La jurisprudence exige en effet que le pétitionnaire apporte la preuve de l’accord de la personne publique, mais également du calendrier de réalisation et des modalités du financement de ces équipements (CE, 27 juin 2011, n° 336234, GIE Centre commercial des Longs Champs ; pour un ex. récent, CAA Nantes, 18 janv. 2017, n° 15NT01288, SCI Val de Sarthe et autres). La jurisprudence apparaissant toutefois difficilement systématisable, tant l’appréciation portée sur les documents fournis par le pétitionnaire semble dépendre des faits de l’espèce.
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4.
Il est en effet de jurisprudence constante que la légalité d’une décision s’apprécie devant le juge de l’excès de pouvoir en tenant compte des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle elle a été rendue (pour un exemple, CE, 24 janv. 2007, n° 288044, M. C. A.).
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5.
« Considérant que la circonstance qu’à l’issue des élections municipales des 13 et 30 mars 2014, une nouvelle équipe, opposée au projet, ait été élue à la mairie de Dunkerque et que, compte tenu de cette nouvelle orientation et de l’élection d’un nouveau président au sein de la communauté urbaine de Dunkerque, cette dernière a décidé, par une délibération du 19 mai 2014, de résilier le contrat de partenariat public privé conclu pour la réalisation d’un complexe “Arena”, conçu en complément du centre commercial faisant l’objet de l’autorisation attaquée, est, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de la décision attaquée qui, intervenue avant la résiliation du contrat précité, s’apprécie au jour où elle a été prise et pour le seul centre commercial en litige », CAA Douai, 2 avr. 2015, nos 14DA01161, 14DA01173, 14DA01222 et 14DA01227, Sté Cora et a.
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6.
CE, 12 sept. 2018, n° 390646, Sté Cora et a.
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7.
« Si, ainsi que l’a jugé la cour, la délibération du 19 mai 2014 du conseil de la communauté urbaine mettant en cause le projet “Arena” était, par elle-même, insusceptible d’avoir une incidence sur la légalité de la décision prise par la CNAC le 1er avril précédent… ».
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8.
Concl. du rapporteur public, Frédéric Dieu, sur CE, 12 sept. 2018, n° 390646, Sté Cora et a.
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9.
Borel J.-P., « Condition de validité d’une autorisation d’exploitation commerciale », AJDI 2014, p. 306.
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10.
Borel J.-P., « Condition de validité d’une autorisation d’exploitation commerciale », AJDI 2014, p. 306 ; Frachon H., « Conditions d’autorisation d’un ensemble commercial dans l’incertitude de la réalisation des aménagements nécessaires », AJDA 2013, p. 2561
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11.
Concl. du rapporteur public, Gaëlle Dumortier, sur CE, n° 359270, 23 sept. 2013, Conf. pour les entrepreneurs et la préservation du Pays du Bassin d’Arcachon.
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12.
CAA Nantes, 10 juill. 2015, n° 14NT01686, SA Immobilière Européenne des Mousquetaires.
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13.
CAA Douai, 1er févr. 2018, n° 17DA01193, M. G. et a.