Inconstitutionnalité de la visite des locaux à usage d’habitation par des agents municipaux
Certaines villes, confrontées à un marché immobilier en crise et à l’explosion des locations de courte durée cherchent à réguler ce phénomène. Le Conseil constitutionnel, en réponse à une QPC transmise par la Cour de cassation à propos de l’entrée au domicile d’un particulier de fonctionnaires chargés de constater le non-respect des règles prévues pour le changement d’usage des lieux vient, comme cela était prévisible, de leur rappeler que les moyens mis en œuvre doivent rester conformes à la constitution, ce qui n’est pas le cas pour la visite des locaux à usage d’habitation par des agents municipaux.
Cons. const., 5 avr. 2019, no 2019-772 QPC
Certaines villes, confrontées à un marché immobilier en crise et à l’explosion des locations de courte durée cherchent à réguler ce phénomène. Les moyens utilisés ne sont pas toujours respectueux de la constitution d’où une interrogation du Conseil constitutionnel sous forme de QPC transmise par la Cour de cassation à propos de l’entrée au domicile d’un particulier de fonctionnaires chargés de constater le non-respect des règles prévues pour le changement d’usage des lieux1 et la réponse qui était prévisible du Conseil constitutionnel décidant que cela n’est pas conforme à la constitution2.
Le changement d’usage des lieux est réglementé et celui fait dans le non-respect des règles applicables est sanctionné, ce qui pose le problème des conditions de constatation de ce non-respect. Jusqu’à présent il reposait sur l’entrée de fonctionnaires des villes au domicile des particuliers, considérée comme une atteinte au principe de l’inviolabilité du domicile garanti par la constitution3, d’où une QPC sur ce point. Le Conseil constitutionnel4 y a répondu qu’effectivement ce dispositif était contraire à la constitution5, cela étant contraire à l’inviolabilité du domicile garanti par la celle-ci6.
Le contrôle du changement d’usage des lieux loués est réglementé7, et sanctionné8. Le défaut de respect des règles relatives au changement d’usage expose au paiement d’une amende civile de 50 000 €9. Le système repose sur un régime d’autorisation qui a été soumis à la Cour de justice de l’Union européenne10 pour qu’elle statue sur sa compatibilité avec les normes européennes. Les pouvoirs de constatation du non-respect des règles donnés aux agents des villes ont été contestés, le Conseil constitutionnel a accueilli favorablement les arguments avancés contre ces pouvoirs des agents municipaux11.
La sanction du non-respect des règles relatives au changement d’usage des lieux pose le problème de sa constatation qui passait par l’entrée de fonctionnaires des villes au domicile des particuliers. Si l’entrée au domicile des particuliers est parfois autorisée à la police et à certains fonctionnaires, c’est dans le respect du principe de l’inviolabilité du domicile des particuliers ce qui justifie un encadrement12 permettant à la police d’entrer au domicile des particuliers (I) en respectant certains principes relatifs à la garantie de l’inviolabilité du domicile garantie par la constitution. En l’état de la décision du Conseil constitutionnel, l’entrée de fonctionnaires de la ville de Paris, et cela devrait s’appliquer aux autres villes, n’est pas conforme à la constitution (II) et ne pourra se faire qu’après que des garanties aient été prévues, ce qui implique une modification de la législation.
La constatation des faits par le moyen de l’entrée de fonctionnaires de la ville au domicile de particuliers a été refusée par le Conseil constitutionnel13 au nom du principe de l’inviolabilité du domicile14 (B). Lorsqu’elles présentent certaines garanties15, les intrusions au domicile des particuliers de la police judiciaire, voire de fonctionnaires, sont autorisées.
I – L’entrée de la police judiciaire et de certains fonctionnaires dans le domicile des particuliers
Dans les conditions prévues par la loi, la police judiciaire16 a la possibilité d’entrer au domicile des particuliers17, de même dans certains cas pour certains fonctionnaires18, le non-respect des conditions prévues entraîne la nullité des actes faits, et des possibilités de sanctions contre les policiers et les fonctionnaires qui sont entrés dans un domicile sans avoir respecté les normes légales prévues pour protéger le domicile des particuliers qui est inviolable19. Les juges interprètent très largement la notion de domicile où, en dehors de l’intéressé et de ceux qu’il y invite, seules les personnes exerçant une autorité peuvent entrer et à certaines conditions, dont le non-respect est susceptible de sanctions20.
Le domicile est toute demeure permanente ou temporaire occupée par celui qui y a droit, ou, avec son consentement, par un tiers21, ou même tout lieu où une personne, qu’elle y habite ou non, a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l’affectation donnée aux locaux22. Les locaux protégés sont tout local d’habitation, quel qu’en soit le genre23, même s’il ne s’agit pas des lieux où il est possible de vivre, telles les dépendances d’un local d’habitation24. Mais le domicile étant un lieu clos, aucune protection ne peut être reconnue à une cour ou un jardin ouvert sur l’une de ses faces25. La protection légale concerne tout local faisant l’objet d’une habitation effective, même s’il est temporairement vide de tout occupant26.
À défaut de respect des normes légales leur permettant l’entrée au domicile des particuliers (A), les membres de la police judiciaire et/ou les fonctionnaires concernés commettent un délit (B).
A – Conditions permettant l’entrée de la police judiciaire et/ou des fonctionnaires au domicile
La loi autorise les agents de la force publique ou de la police judiciaire à entrer dans les demeures privées en vue de l’exécution d’un acte judiciaire ou de police27. Il en est ainsi en ce qui concerne l’exécution d’un mandat28 ou d’une décision de condamnation29.
Dans un certain nombre de situations, la loi donne à la police judiciaire, et à des catégories de fonctionnaires le pouvoir d’entrer dans les domiciles des particuliers. Entrent dans cette catégorie tous les fonctionnaires ayant le pouvoir d’exercer une contrainte sur les citoyens, tels que les policiers, militaires, fonctionnaires notamment des agents de certaines administrations, disposant légalement du droit d’entrer dans des locaux privés. Tel est le cas par exemple (liste non exhaustive), des agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes30, des agents du fisc31, des douanes32, des inspecteurs du travail33, des fonctionnaires des installations classées34, des agents habilités à visiter les constructions en cours35… Des opérations de visite sont autorisées dans les domaines concernant la matière rurale et la pêche maritime36, le dopage37 et les communications électroniques38.
Sont visées, et autorisées à pratiquer ces visites toutes les personnes « chargées d’une mission de service public »39. Il s’agit de tous ceux qui, sans être dépositaires d’une parcelle de l’autorité publique, accomplissent, à titre temporaire ou permanent, volontairement ou sur réquisition des autorités, un service public quelconque, y compris les « particuliers, collaborateurs bénévoles d’un service public », et les « personnes intégrées dans la fonction publique ». Une loi ne peut autoriser les agents de certaines administrations à procéder à des investigations dans des lieux privés que sur décision du juge et conduites dans le respect de la constitution40, confiant à la seule autorité judiciaire la protection des droits fondamentaux41 ce qui n’a pas été fait pour les agents de la ville de Paris.
B – Sanctions
On sanctionne le fait pour l’agent de s’introduire ou de tenter de s’introduire dans le domicile d’autrui, contre le gré de celui-ci, hors les cas où la loi l’autorise42. La violation de domicile commise par un fonctionnaire public, l’expose à une peine d’emprisonnement de 2 ans et une amende de 30 000 €, soit le double de la peine applicable à un citoyen quelconque. Le statut juridique des personnes susceptibles de commettre le délit est indifférent. Elles ne peuvent entrer dans le domicile des particuliers qu’en respectant les règles prévues. Pour les personnes concernées, le législateur a pris en compte un critère fonctionnel, en se fondant sur la nature des missions que les agents exercent pour le compte de la collectivité publique, « l’important n’est pas de connaître le statut juridique ou professionnel de l’auteur de l’infraction, mais de savoir si celui-ci exerce des fonctions qui participent de la gestion des affaires publiques »43 ce qui vise toutes celles qui se trouvent investies d’un pouvoir d’autorité, quelle qu’en soit la nature. Ces dernières peuvent agir soit pour l’État, soit pour les collectivités territoriales.
Le délit peut donc s’appliquer à la police judiciaire, à la gendarmerie, aux magistrats, aux fonctionnaires concernés, mais aussi aux officiers publics ou ministériels44 tel un huissier procédant à une expulsion, ou un notaire qui rédige un acte de vente immobilière45.
L’agent doit avoir agi dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission46 ; en dehors de ses fonctions, il devient un simple particulier, auquel pourrait s’appliquer l’incrimination de violation de domicile47. Le délit commis par un agent exerçant une fonction publique est punissable même en cas d’entrée non violente dans le domicile d’autrui. La pénétration peut se faire par tout moyen. Il est permis aux autorités judiciaires ou policières de procéder à des visites domiciliaires, ou à des fonctionnaires de pénétrer au domicile de particuliers. Le magistrat instructeur peut accomplir tous les actes d’information qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité48. Il a la possibilité de déléguer ce pouvoir, par commission rogatoire, soit à l’un de ses collègues, soit à un officier de police judiciaire49. Pour que le délit soit constitué, il y a nécessité de l’intention délictueuse50. La question se posait de l’entrée au domicile des particuliers et de ses conditions pour les fonctionnaires de la ville de paris. Elle a été réglée par le Conseil constitutionnel51.
II – La visite des locaux à usage d’habitation par des agents municipaux
A – Visite domiciliaire
Avant la décision du Conseil constitutionnel, les agents assermentés du service municipal du logement étaient habilités à visiter les locaux à usage d’habitation situés dans leur ressort de compétence, aux fins de constater les conditions d’occupation de ces locaux et, notamment, le respect des autorisations d’affectation d’usage52. Ils étaient autorisés, en cas de refus ou d’absence de l’occupant du local ou de son gardien, à se faire ouvrir les portes et à visiter les lieux en présence du maire ou d’un commissaire de police53. En prévoyant ainsi que les agents du service municipal du logement peuvent procéder à une telle visite sans l’accord de l’occupant du local ou de son gardien et sans y avoir été préalablement autorisés par le juge, le législateur a méconnu le principe d’inviolabilité du domicile. Le texte qui le leur permet54 doit donc être déclaré contraire à la constitution55.
B – Déclarations
Les requérants à la QPC mettaient aussi en cause le droit reconnu aux agents assermentés du service municipal du logement de recevoir toute déclaration et de se faire présenter par les propriétaires, locataires ou autres occupants toute pièce ou document établissant les conditions dans lesquelles les lieux sont occupés56. Le Conseil constitutionnel juge que ce texte ne saurait, en lui-même, méconnaître les droits de la défense ni le droit à un procès équitable57 et que le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser ne fait pas obstacle à ce que l’Administration recueille les déclarations faites par une personne en l’absence de toute contrainte. En outre, le droit reconnu aux agents assermentés du service municipal du logement de se faire présenter des documents tend non à l’obtention d’un aveu, mais seulement à la présentation d’éléments nécessaires à la conduite d’une procédure de contrôle du respect de l’autorisation d’affectation d’usage du bien. Dès lors, le grief avancé tiré de la méconnaissance de la Déclaration de 178958 doit être écarté et le texte critiqué59, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la constitution garantit, doit être déclaré conforme à celle-ci.
Aucun motif ne justifiant de reporter la prise d’effet de la déclaration d’inconstitutionnalité, celle-ci intervient donc à compter de la date de la publication de la décision et est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.
Conclusion
Compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel, les fonctionnaires de la ville de Paris ne sont plus autorisés à pénétrer dans des domiciles privés pour permettre la vérification du respect des normes relatives au changement d’usage des lieux loués60. Les auteurs de la loi qui avaient mis en place ce système, si pressés de réguler les locations touristiques de courte durée en ont oublié qu’il existe en droit français des principes fondamentaux qui, à force d’être considérés comme secondaires par rapport à certains choix économiques des décideurs, finissent par se rappeler à eux et vont les obliger soit à renoncer à ce système soit à mettre en place une nouvelle loi.
Notes de bas de pages
-
1.
Cass. 3e civ., 17 janv. 2019, n° 18-40040 : Richevaux M., « La revanche des principes juridiques fondamentaux », LPA 22 mars 2019, n° 142v0, p. 10.
-
2.
Cons. const., 5 avr. 2019, n° 2019-772 QPC.
-
3.
Const., art. 66 ; DDHC, art. 2, 4, 16 ; Gravelais I., La protection juridictionnelle de l’inviolabilité du domicile, thèse, 2013, université de Bourgogne.
-
4.
Cass. 3e civ., 17 janv. 2019, n° 18-40040 : Richevaux M., « La revanche des principes juridiques fondamentaux », LPA 22 mars 2019, n° 142v0, p. 10.
-
5.
Cons. const., 5 avr. 2019, n° 2019-772 QPC.
-
6.
DDHC, art. 2.
-
7.
CCH, art. L. 651-4 ; CCH, art. L. 651-6 et CCH, art. L. 651-7.
-
8.
L. n° 2018-1021, 23 nov. 2018 : JO, 24 nov. 2018.
-
9.
CCH, art. L. 651-2.
-
10.
Sursis à statuer question préjudicielle, v. « Meublés touristiques : la CJUE doit se prononcer sur le régime d’autorisation », obs. sous Cass. 3e civ., 15 nov. 2018, n° 17-26156, FP-PBI : Defrénois flash 26 nov. 2018, n° 148c3, p. 1.
-
11.
Cons. const., 5 avr. 2019, n° 2019-772 QPC.
-
12.
C. pén., art. 432-8 : Matsopoulou H., « Atteintes à l’inviolabilité du domicile par des personnes exerçant une fonction publique », JCl. Pénal, Art. 432-8, fasc. 20.
-
13.
Cons. const., 5 avr. 2019, n° 2019-772 QPC.
-
14.
DDHC, art. 2 : Gravelais I., La protection juridictionnelle de l’inviolabilité du domicile, thèse, 2013, université de Bourgogne.
-
15.
C. pén., art. 432-8 : Matsopoulou H., « Atteintes à l’inviolabilité du domicile par des personnes exerçant une fonction publique », JCl. Pénal Art. 432-8, fasc. 20.
-
16.
Decoc A., Montreuil J. et Buisson J., Le Droit de la Police, 2e éd., 1998, Litec.
-
17.
CPP, art. 76.
-
18.
CPP, art. 28 à 28-2.
-
19.
Matsopoulou H., « Atteintes à l’inviolabilité du domicile par des personnes exerçant une fonction publique », JCl. Pénal, Art. 432-8, fasc. 20.
-
20.
C. pén., art. 432-8.
-
21.
Cass. crim., 28 janv. 1958 : Bull. crim., n° 94.
-
22.
Cass. crim., 24 avr. 1985, n° 84-92673 : Bull. crim., n° 158 ; RSC 1986, p. 103, obs. Levasseur G.
-
23.
Cass. crim., 18 oct. 1972, n° 71-93575 : Gaz. Pal. Rec. 1973, 1, p. 100.
-
24.
Cass. crim., 8 févr. 1994, n° 92-86333 : Dr. pén. 1994, comm. 129, 2e espèce, obs. Véron M.
-
25.
Cass. crim., 26 sept. 1990, n° 89-86600 : Bull. crim. 1990, n° 321 ; Dr. pén. 1991, comm. 41, obs. Véron M.
-
26.
Cass. crim., 13 oct. 1982, n° 82-91057 : Bull. crim. 1982, n° 218.
-
27.
Buisson J., L’acte de police, thèse, 1988, Lyon III, p. 821.
-
28.
CPP, art. 134.
-
29.
CPP, art. 709.
-
30.
C. consom., art. L. 215-1 ; C. com., art. L. 450-4 ; C. consom., art. L. 215-1 : Matsopoulou H., « Le nouveau dispositif, issu de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, applicable aux visites et saisies effectuées par les agents de certaines administrations », D. 2008, p. 2814.
-
31.
LPF, art. L. 26.
-
32.
C. douanes, art. 64.
-
33.
C. trav., art. L. 8113-1.
-
34.
Wailly J.-M., Les installations classées : innovations, 2003, L’Harmattan, n° 18, p. 167 à 177.
-
35.
C. urb., art. L. 461-1.
-
36.
C. rur., art. L. 205-1.
-
37.
C. sport, art. L. 232-13-1.
-
38.
C. pén., art. 438.
-
39.
C. pén., art. 438.
-
40.
Const., art. 66.
-
41.
Cons. const., 2 mars 2004, n° 2004-492 DC : JCP G 2004, II 10048, note Larka J.-C.
-
42.
C. pén., art. 432-8.
-
43.
Circ. n° 290, 14 mai 1993.
-
44.
C. pén., art. 432-8.
-
45.
Circ. n° 290, 14 mai 1993.
-
46.
C. pén., art. 432-8.
-
47.
C. pén., art. 226-4.
-
48.
CPP, art. 81, al. 1er.
-
49.
CPP, art. 151, al. 1er : Ascensi L., « Commissions rogatoires », JCl. Pénal, Art. 151 à 155, fasc. 20.
-
50.
Goyet F., Rousselet M. et Patin M., in Rousselet M., Patin M. et Arpaillange P. (dir.), Droit pénal spécial, 8e éd., 1972, Sirey, n° 110.
-
51.
Cons. const., 5 avr. 2019, n° 2019-772 QPC.
-
52.
CCH, art. L. 651-6.
-
53.
CCH, art. L. 651-6.
-
54.
CCH, art. L. 651-6.
-
55.
Cons. const., 5 avr. 2019, n° 2019-772 QPC.
-
56.
CCH, art. L. 651-7, al. 1er, 2e phrase.
-
57.
CEDH, art. 6.
-
58.
DDHC, art. 9.
-
59.
CCH, art. L. 651-7, al. 1er, 2e phrase.
-
60.
L. n° 2018-1021, 23 nov. 2018, art. 145 : JO, 24 nov. 2018, dite loi ELAN.