La revanche des principes juridiques fondamentaux

Publié le 22/03/2019

Certaines villes, notamment celle de Paris, confrontées à un marché immobilier en crise et à l’explosion des locations de courte durée cherchent à réguler ce phénomène, il n’est pas sûr que les moyens utilisés soient toujours conformes aux principes juridiques fondamentaux d’où une interrogation du Conseil constitutionnel sous forme de QPC transmise par la Cour de cassation à propos de l’entrée au domicile d’un particulier de fonctionnaires chargés de constater le non-respect des règles prévues pour le changement d’usage des lieux et permettre leur sanction. Certes la présente décision est antérieure à la loi Elan mais comme, sur ce point, cette dernière reprend le système antérieur, la décision du Conseil constitutionnel qui sera rendue sera bien utile pour l’application du nouveau droit.

Cass. 3e civ., 17 janv. 2019, no 18-40040

Le litige qui a donné l’occasion de cette QPC, antérieur à la loi Elan1, reste d’actualité car elle a très largement repris le dispositif antérieur en se limitant surtout à aggraver les sanctions déjà prévues. Le modèle de location, qui consiste pour un propriétaire ou un locataire d’un bien immobilier à le louer via internet pour une courte durée, a explosé. Bien souvent, il s’agit d’un changement d’usage des lieux (I), que les villes veulent réglementer et sanctionner (II) ce qui pose le problème des conditions de constatation du non-respect des normes applicables (A) qui se fait par l’entrée de fonctionnaires des villes au domicile des particuliers (B), or la présente décision estimant qu’en l’absence de garanties prévues (2) il y avait une atteinte au principe de l’inviolabilité du domicile (1) garanti par la constitution2 et protégé3, a posé la question au Conseil constitutionnel4. Celui-ci a bien été saisi de diverses dispositions de la loi Elan qu’il a déclarées conformes à la constitution sauf une disposition proche de celle ici contestée, mais sur laquelle il n’avait pas été saisi, qui prévoyait une autorisation permanente d’accès de la police nationale et de la gendarmerie nationale aux parties communes des immeubles des organismes d’HLM et l’accès aux parties communes des immeubles d’habitation par des agents assermentés du service municipal ou départemental du logement5.

I – Le changement d’usage

La location de meublés touristiques relève de différentes normes juridiques6 destinées à permettre aux collectivités territoriales de réguler cette offre par les résidents7. Cela passe par le contrôle du changement d’usage des lieux, qu’elles ont la possibilité de réglementer8, et de sanctionner en cas de non-respect des obligations des loueurs9, qui, sauf en ce qui concerne l’aggravation des sanctions, se limite à reprendre le dispositif antérieur, qui était l’objet du présent litige. Compte tenu de cette faible différence de législations la présente décision et celle, à venir, du Conseil constitutionnel auront un intérêt (y compris pour le nouveau dispositif qui est largement similaire à l’ancien).

Le fait de louer un local meublé, destiné à l’habitation, de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile, constitue un changement d’usage10. Ce qui implique une autorisation préalable délivrée par le maire de la commune11. Le défaut de respect des règles relatives au changement d’usage expose au paiement d’une amende civile de 50 000 €12. Le régime d’autorisation a été soumis à la CJUE13 pour qu’elle statue sur sa compatibilité avec les normes européennes.

II – Mise en œuvre des sanctions

Le non-respect des règles, relatives au changement d’usage des lieux est sanctionné, ce qui pose le problème des sanctions du non-respect des normes relatives au changement d’usage des lieux (A) et de sa constatation qui passe par l’entrée de fonctionnaires des villes au domicile des particuliers (B). Si l’entrée au domicile des particuliers est parfois autorisée à la police et à certains fonctionnaires, c’est dans le respect du principe de l’inviolabilité du domicile des particuliers (1) ce qui justifie un encadrement, et en cas de non-respect expose à des sanctions14 pour atteintes à l’inviolabilité du domicile par des personnes exerçant une fonction publique (2).

A – Sanction du non-respect des normes relatives au changement d’usage des lieux

Sauf si le bien loué est la résidence principale du loueur, le défaut de déclaration en cas de changement d’usage est sanctionné par une amende15 prononcée à la requête du ministère public et du maire de la commune par le président du TGI du lieu de l’immeuble où est situé le bien loué, statuant en référé16. Les fausses déclarations ou manœuvres frauduleuses sont passibles d’une peine d’emprisonnement d’un an et/ou d’une amende de 80 000 €17. On ne connaît que peu d’applications18. De même pour des condamnations pour non-respect de ces normes relatives à l’autorisation administrative de changement d’usage des lieux19. La sanction passe par la constatation des faits qui peut passer par l’entrée de fonctionnaires de la ville au domicile de particuliers ce qui implique le respect des règles protectrices de celui-ci contre les intrusions des fonctionnaires, voire de la police judiciaire.

B – L’entrée de la police judiciaire et de certains fonctionnaires dans le domicile des particuliers

Dans les conditions prévues par la loi, la police judiciaire20 a la possibilité d’entrer au domicile des particuliers21, de même dans certains cas pour certains fonctionnaires22, le non-respect des conditions prévues entraîne la nullité des actes faits et des possibilités de sanctions contre les policiers et les fonctionnaires qui sont entrés dans un domicile sans avoir respecté les normes légales prévues pour protéger le domicile des particuliers qui est inviolable23. Les juges interprètent très largement la notion de domicile où, en dehors de l’intéressé et de ceux qu’il y invite, seules les personnes exerçant une autorité peuvent entrer et à certaines conditions dont le non-respect est susceptible de sanctions24.

Le domicile est toute demeure permanente ou temporaire occupée par celui qui y a droit, ou, avec son consentement, par un tiers25, ou même tout lieu où une personne, qu’elle y habite ou non, a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l’affectation donnée aux locaux26. Les locaux protégés sont tout local d’habitation, quel qu’en soit le genre27, même s’il ne s’agit pas des lieux où il est possible de vivre, telles les dépendances d’un local d’habitation28. Mais le domicile étant un lieu clos, aucune protection ne peut être reconnue à une cour ou un jardin ouvert sur l’une de ses faces29. La protection légale concerne tout local faisant l’objet d’une habitation effective, même s’il est temporairement vide de tout occupant30.

À défaut de respect des normes légales leur permettant l’entrée au domicile des particuliers (1), les membres de la police judiciaire et/ou les fonctionnaires concernés commettent un délit (2).

1 – Conditions permettant l’entrée de la police judiciaire et/ou des fonctionnaires au domicile

La loi autorise les agents de la force publique ou de la police judiciaire à entrer dans les demeures privées en vue de l’exécution d’un acte judiciaire31. Il en est ainsi en ce qui concerne l’exécution d’un mandat32 ou d’une décision de condamnation33.

Dans un certain nombre de situations, la loi donne à la police judiciaire, et à des catégories de fonctionnaires le pouvoir d’entrer dans les domiciles des particuliers. Entrent dans cette catégorie tous les fonctionnaires ayant le pouvoir d’exercer une contrainte sur les citoyens, tels que les policiers, militaires, fonctionnaires notamment des agents de certaines administrations, disposant légalement du droit d’entrer dans des locaux privés. Tel est le cas par exemple, selon une liste non exhaustive, des agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes34, des agents du fisc35, des douanes36, des inspecteurs du travail37, des installations classées38, des agents habilités à visiter les constructions en cours39… Des opérations de visite sont autorisées en matière rurale et de pêche maritime40, de dopage41, pour les communications électroniques42.

Sont visées, toutes les personnes « chargées d’une mission de service public »43. Il s’agit de tous ceux qui, sans être dépositaires d’une parcelle de l’autorité publique, accomplissent, à titre temporaire ou permanent, volontairement ou sur réquisition des autorités, un service public quelconque, y compris les « particuliers, collaborateurs bénévoles d’un service public », et les « personnes intégrées dans la fonction publique ».

Une loi ne peut autoriser les agents de certaines administrations à procéder à des investigations dans des lieux privés que sur décision du juge et conduites dans le respect de la constitution44, confiant à la seule autorité judiciaire la protection des droits fondamentaux45.

2 – Sanctions

On sanctionne le fait pour l’agent de s’introduire ou de tenter de s’introduire dans le domicile d’autrui, contre le gré de celui-ci, hors les cas où la loi l’autorise46. La violation de domicile commise par un fonctionnaire public, l’expose à une peine d’emprisonnement de deux ans et une amende de 30 000 €, soit le double de la peine applicable à un citoyen quelconque.

Le statut juridique des personnes susceptibles de commettre le délit est indifférent. Elles ne peuvent entrer dans le domicile des particuliers qu’en respectant les règles prévues. À défaut ils commettent un délit.

Pour les personnes concernées, le législateur a pris en compte un critère fonctionnel, en se fondant sur la nature des missions que les agents exercent pour le compte de la collectivité publique, « l’important n’est pas de connaître le statut juridique ou professionnel de l’auteur de l’infraction, mais de savoir si celui-ci exerce des fonctions qui participent de la gestion des affaires publiques »47 ce qui vise toutes celles qui se trouvent investies d’un pouvoir d’autorité, quelle qu’en soit la nature. Ces derniers peuvent agir soit pour l’État, soit pour les collectivités territoriales.

Le délit peut donc s’appliquer à la police judiciaire, à la gendarmerie, aux magistrats, aux fonctionnaires concernés, mais aussi aux officiers publics ou ministériels48 tel un huissier procédant à une expulsion, ou un notaire qui rédige un acte de vente immobilière49.

L’agent doit avoir agi « dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission »50 ; en dehors de ses fonctions, il devient un simple particulier, auquel pourrait s’appliquer l’incrimination de violation de domicile51. Le délit commis par un agent exerçant une fonction publique est punissable même en cas d’entrée non violente dans le domicile d’autrui. La pénétration peut se faire par tout moyen. Il est permis aux autorités judiciaires ou policières de procéder à des visites domiciliaires, ou à des fonctionnaires de pénétrer au domicile de particuliers. Le magistrat instructeur peut accomplir « tous les actes d’information qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité »52. Il a la possibilité de déléguer ce pouvoir, par commission rogatoire, soit à l’un de ses collègues, soit à un officier de police judiciaire53.

Pour que le délit soit constitué il y a nécessité de l’intention délictueuse54.

Conclusion

Certains fonctionnaires de la ville de Paris ont été autorisés à pénétrer dans des domiciles privés pour permettre la vérification du respect des normes relatives au changement d’usage des lieux loués55, ce contrôle n’étant pas assorti de garanties particulières, la Cour de cassation a donc renvoyé au Conseil constitutionnel une QPC tendant à contester sa conformité, au principe de l’inviolabilité du domicile. Les auteurs de la loi si pressés de réguler les locations touristiques de courte durée en ont oublié qu’il existe en droit français des principes fondamentaux qui pourraient prendre leur revanche sur cette manière de procéder en étant rappelés par le Conseil constitutionnel.

Notes de bas de pages

  • 1.
    L. n° 2018-1021, 23 nov. 2018 : JO, 24 nov. 2018.
  • 2.
    Constitution, art. 66 ; DDHC, art. 2, 4, 16.
  • 3.
    Gravelais I., La protection juridictionnelle de l’inviolabilité du domicile,‎ 2013, thèse, université de Bourgogne.
  • 4.
    Favoreu L. et Philip L., Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Sirey.
  • 5.
    Cons. const., 15 nov. 2018, n° 2018-772 DC : Rouquet Y., Projet de loi ELAN : censure du Conseil constitutionnel ; Dalloz actualité, 19 nov. 2018.
  • 6.
    L. n° 89-462, 6 juill. 1989 mod. le Code de la construction et de l’habitation et le Code du tourisme.
  • 7.
    Lagau-Lacrouts D., « Location meublée touristique et pratique notariale – Aspects juridiques », JCP N 2018, 1355, spéc. n° 49.
  • 8.
    Applicables au litige : CCH, art. L. 651-4 ; CCH, art. L. 651-6 et CCH, art. L. 651-7.
  • 9.
    L. n° 2018-1021, 23 nov. 2018 : JO, 24 nov. 2018.
  • 10.
    CCH, art. L. 631-7.
  • 11.
    CCH, art. L. 631-7.
  • 12.
    CCH, art. L. 651-2.
  • 13.
    Meublés touristiques : la CJUE doit se prononcer sur le régime d’autorisation obs. sous
  • 14.
    Cass. 3e civ., 15 nov. 2018, n° 17-26156, ECLI:FR:CCASS:2018:C301004, FP-PBI (sursis à
  • 15.
    statuer question préjudicielle : Defrénois flash 26 nov. 2018, n° 148c3, p. 1.
  • 16.
    C. pén., art. 432-8 ; Matsopoulou H., « Atteintes à l’inviolabilité du domicile par des personnes exerçant une fonction publique », JCl. Pénal, fasc. n° 20, art. 432-8.
  • 17.
    C. tourisme, art. L. 324-1-1, II nouveau.
  • 18.
    CCH, art. L. 651-2.
  • 19.
    Emprisonnement d’un an : CCH, art. L. 651-3.
  • 20.
    CA Paris, 9 mars 2017, n° 15/14971 ; CA Paris, 30 juin 2017, n° 15/23009.
  • 21.
    Cass. 3e civ., 22 janv. 2014, n° 12-19494 ; Cass. 3e civ., 10 juin 2015, n° 14-15961.
  • 22.
    Decoc A., Montreuil J. et Buisson J., Le Droit de la Police, 2e éd., 1998, Litec.
  • 23.
    CPP, art. 76.
  • 24.
    CPP, art. 28 à 28-2.
  • 25.
    Matsopoulou H., « Atteintes à l’inviolabilité du domicile par des personnes exerçant une fonction publique », JCl. Pénal, fasc. n° 20, art. 432-8.
  • 26.
    C. pén., art. 432-8.
  • 27.
    Cass. crim., 28 janv. 1958 : Bull. crim. n° 94.
  • 28.
    Cass. crim., 24 avr. 1985, n° 84-92673 : Bull. crim. n° 158 ; RSC 1986, p. 103, obs. Levasseur G.
  • 29.
    Cass. crim., 18 oct. 1972, n° 71-93575 : Gaz. Pal. Rec. 1973, 1, p. 100.
  • 30.
    Cass. crim., 8 févr. 1994, n° 92-86333 : Dr. pén. 1994, comm. n° 129, 2e espèce, obs. Véron M.
  • 31.
    Cass. crim., 26 sept. 1990, n° 89-86600 : Bull. crim. 1990, n° 321 ; Dr. pén. 1991, comm. 41, obs. Véron M.
  • 32.
    Cass. crim., 13 oct. 1982, n° 82-91057 : Bull. crim. 1982, n° 218.
  • 33.
    Buisson J., L’acte de police, thèse, Lyon III, 1988, p. 821.
  • 34.
    CPP, art. 134.
  • 35.
    CPP, art. 709.
  • 36.
    C. consom., art. L. 215-1 ; C. com., art. L. 450-4 ; C. consom., art. L. 215-1 ; Matsopoulou H., « Le nouveau dispositif, issu de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, applicable aux visites et saisies effectuées par les agents de certaines administrations », D. 2008, p. 2814.
  • 37.
    LPF, art. L. 26.
  • 38.
    C. douanes, art. 64.
  • 39.
    C. trav., art. L. 8113-1.
  • 40.
    Wailly J.-M., Les installations classées : innovations, 2003, L’Harmattan, n° 18, p. 167 à 177.
  • 41.
    C. urb., art. L. 461-1.
  • 42.
    C. rur., art. L. 205-1.
  • 43.
    C. sport, art. L. 232-13-1.
  • 44.
    C. pén., art. 438.
  • 45.
    C. pén., art. 438.
  • 46.
    Constitution, art. 66.
  • 47.
    Cons. const., 2 mars 2004, n° 2004-492 DC : JCP G 2004, II, 10048, note Larka J.-C.
  • 48.
    C. pén., art. 432-8.
  • 49.
    Circ. n° 290, 14 mai 1993 ; Colcombet F., Exposé général – Examen des articles, rapport n° 2244, t. 1 ; Doc. AN 1991, n° 2244, p. 124.
  • 50.
    C. pén., art. 432-8.
  • 51.
    Circ. n° 290, 14 mai 1993 ; Colcombet F., rapp. n° 2244, préc. ; Doc. AN 1991, n° 2244, p. 128.
  • 52.
    C. pén., art. 432-8.
  • 53.
    C. pén., art. 226-4.
  • 54.
    CPP, art. 81, al. 1er.
  • 55.
    CPP, art. 151, al. 1er ; Ascensi L., « Commissions rogatoires », JCl. Pénal, fasc. n° 20, art. 151 à 155.
  • 56.
    Goyet F., Rousselet M. et Patin M., Droit pénal spécial, Rousselet M., Patin M. et Arpaillange P. (dir.), 8e éd., 1972, Sirey, n° 110.
  • 57.
    L. n° 2018-1021, 23 nov. 2018, art. 145 : JO, 24 nov. 2018, dite loi ELAN.
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