Chronique autorités administratives indépendantes et libertés n° 10 (Novembre 2017-Juin 2018)(2e partie)

Publié le 11/12/2018

Découvrez dans ce numéro la deuxième partie de la chronique Autorités administratives indépendantes et libertés, qui couvre la période de novembre 2017 à juin 2018.

I – Actualités institutionnelles des AAI : des actions internationale et législative au renforcement des missions et de l’indépendance

A – L’action internationale des AAI

B – La contribution des AAI aux réformes législatives

1 – Droit du numérique

2 – Liberté d’information et transparence de la vie publique

3 – Réforme du droit des étrangers

4 – Politiques sécuritaires

C – Exercice des missions et indépendance des AAI

1 – La mise en œuvre des prérogatives des AAI

Le pouvoir de sanction du CSA

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) continue à exercer avec une certaine fermeté son office de régulateur, quitte à voir certaines de ses sanctions annulées par le Conseil d’État.

Le 31 janvier 2018, le CSA a décidé de mettre fin aux fonctions de M. Gallet, président de Radio France. Cette décision1fait suite à sa condamnation par le tribunal correctionnel de Créteil pour atteinte à la liberté d’accès ou à l’égalité des candidats dans les marchés publics lorsqu’il occupait les fonctions de PDG de l’Institut national de l’audiovisuel. Le régulateur indique que malgré la présomption d’innocence dont M. Gallet, qui a fait appel de sa condamnation, continue de bénéficier, « l’intérêt général du service public audiovisuel » exige de mettre fin à ses fonctions. Pour le CSA, la condamnation de M. Gallet risquerait de nuire aux bonnes relations entre Radio France et les pouvoirs publics, dans un contexte de réforme imminente de l’audiovisuel public et de l’importance dans le débat public des questions de déontologie.

Par ailleurs, le Conseil d’État a une nouvelle fois limité les ardeurs du CSA en annulant une des trois sanctions infligées à la société C8 exploitant la chaîne TNT éponyme. En raison de la diffusion de contenus jugés homophobes, sexistes et dégradants dans l’émission « Touche pas à mon poste », le CSA avait décidé, les 7 juin et 26 juillet 2017, d’interdire la diffusion de contenus publicitaires pendant l’émission durant plusieurs semaines et avait condamné la société C8 au versement d’une amende de 3 millions d’euros. Dans un arrêt du 18 juin 20182, le Conseil d’État estime que c’est à tort que le CSA qualifiait de dégradante et humiliante à l’égard d’un chroniqueur de l’émission une séquence litigieuse. La haute juridiction administrative confirme cependant les deux autres sanctions par deux arrêts du même jour.

Sebastiaan VAN OUWERKERK

L’ARCEP et la mission relative à la neutralité de l’internet

Depuis la loi pour une République numérique, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) poursuit l’exercice de sa mission relative au respect de la neutralité de l’internet. Cette dernière doit permettre aux utilisateurs finals d’accéder aux informations et aux contenus, de les diffuser, de les utiliser et de fournir les applications et les services sans discrimination ni censure, par l’intermédiaire de leurs fournisseurs d’accès à internet3. En ce sens, l’ARCEP étend désormais son action aux terminaux : smartphones, tablettes ou encore assistants vocaux, qui sont vendus avec leurs systèmes d’exploitation et leurs magasins d’applications contrôlés par un nombre réduit d’acteurs économiques. L’autorité constate ainsi qu’au-delà des fournisseurs d’accès au réseau d’autres acteurs peuvent entraver l’accès des utilisateurs aux contenus et services, et notamment dès lors que la connexion à l’internet se fait de plus en plus à partir de ces terminaux4. À cette fin, l’ARCEP a mené des auditions et des ateliers avec les acteurs du secteur donnant lieu à un rapport, le 15 février 2018, remis au secrétaire d’État chargé du numérique. L’autorité de régulation fait plusieurs propositions pour assurer un internet ouvert. Elle prévoit d’établir une meilleure transparence dans les pratiques des acteurs et de donner davantage de liberté à l’utilisateur dans l’usage de ses terminaux et le choix de ses applications.

La place des terminaux dans l’ouverture d’internet a également été reprise dans le rapport annuel sur l’état de santé de l’internet de juin 2018. Ce rapport s’inscrit dans la continuité des actions menées par l’ARCEP pour développer un internet de meilleure qualité. L’autorité, qui veut se doter d’outils plus performants pour évaluer la lisibilité du service, fait le choix d’un dialogue avec tous les acteurs concernés devant aboutir à une évolution de leurs pratiques néfastes.

Quentin ALLIEZ

Les décisions individuelles de la HATPV

Les missions de contrôle de la HATVP concernent les déclarations de situation patrimoniale et les déclarations d’intérêts et d’activités des responsables publics. Le contrôle des déclarations d’intérêts est essentiellement préventif : le rôle de la haute autorité est d’identifier de potentiels conflits d’intérêts et le cas échéant de proposer aux déclarants des mesures pour les éviter ou y mettre fin. Quant aux déclarations de situation patrimoniale, la HATVP s’assure de leur caractère « exhaustif, exact et sincère »5. Son contrôle vise à détecter des infractions pénales et à transmettre le dossier au procureur compétent. Selon le rapport annuel de la HATVP, parmi les 1154 déclarations ayant fait l’objet d’un contrôle approfondi, neuf ont été transmises au parquet en 20176.

Parmi les décisions de la HATVP, il est possible de relever celle concernant le patrimoine d’Emmanuel Macron, largement commentée dans la presse. Rendue à la suite de la saisine de l’association Anticor en mars 2017, elle concernait la déclaration que M. Macron avait signée en 2014, non en tant que candidat à la présidence mais en tant que membre du gouvernement7. En effet, si la haute autorité publie les déclarations des candidats à l’élection présidentielle, elle n’a aucun pouvoir de contrôle sur celles-ci. S’il n’a donné suite à aucune procédure pénale, le contrôle de la déclaration de l’actuel président de la République est révélateur d’une plus grande implication de la société civile dans l’activité de la HATVP lors des périodes électorales : en 2017, l’autorité a compté 107 signalements extérieurs contre 13 en 2016.

Afroditi MARKETOU

Le guide « fin de vie » de la HAS : vers une normativité renforcée de la bonne conduite ?

La mise en œuvre des prérogatives de la Haute autorité de santé (HAS) évolue avec la diffusion du guide « Comment mettre en œuvre une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès ? » en mars 20188. Alors que la HAS publie régulièrement des guides à destination des professionnels9, ceux-ci ont un caractère non contraignant. Or, compte tenu du thème abordé, le guide se veut ici prescriptif, ce qui se manifeste par une interprétation très libre des dispositions issues de la loi du 2 février 2016.

D’emblée, la curiosité de ce guide tient en partie à la large place donnée à la qualification des notions. Dès le début, la distinction entre sédation profonde et euthanasie est expliquée en six critères (intention, moyen, procédure, résultat, temps, loi) et est régulièrement rappelée. Notons aussi que la question spirituelle est très présente10 et décomplexée.

En outre, ce guide est la traduction de dispositions complexes et techniques. Les notions sont savantes11 car elles s’adressent à des professionnels, mais elles s’accompagnent de notions définies en notes de bas de page, comme pour spécifier leur nouveauté dans le champ médical12. La place de la nutrition, à côté de l’hydratation, est ambiguë. L’hydratation peut être maintenue13, si le patient insiste. Or, la loi n’est pas si limpide et cette interprétation tend à réduire les effets de la nouvelle législation qui assimilait l’hydratation au traitement.

Marie GLINEL

CNDP – G400 énergie, « un exercice inédit de démocratie participative ! »

Saisie par la direction de l’énergie du ministère de la Transition écologique et solidaire, la Commission nationale du débat public (CNDP) a décidé, en vertu de l’article L. 121-8 du Code de l’environnement, de l’organisation d’un débat public sur l’actuel projet de révision de la programmation pluriannuelle de l’énergie14. Dans le cadre de ce débat – dont l’objectif est d’informer le public, lui permettre de s’exprimer et d’éclairer le maître d’ouvrage – la CNDP a entrepris, selon elle, un « exercice inédit de démocratie participative » : le G400 énergie. Co-organisé avec l’Assemblée nationale, il s’agit d’un groupe de travail rassemblant 400 citoyens tirés au sort qui ont été informés des buts du débat, ont reçu une documentation complète et ont été invités à donner leur avis, le 9 juin dernier à l’Hôtel de Lassay. Accueillis notamment par François de Rugy et Chantal Jouanno (nommée présidente de la CNDP le 22 mars 2018), les participants, après discussions (en groupes de 10 personnes, arbitrées par des garants) en présence d’observateurs, ont répondu individuellement au « questionnaire du débat » (questionnaire en ligne ayant reçu plus de 7000 réponses), lors d’un vote secret. Il appert que ces citoyens tirés au sort, « a priori moins spécialistes du sujet que la majorité des répondants » selon la CNDP, ont produit des réponses sensiblement différentes.

Thomas BERTRAND

Le CCNE, nouvel « opérateur » du débat public

La révision de la loi Bioéthique en 201115, fait fragilement16 évoluer le rôle du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) qui ne sera véritablement éprouvé qu’à l’occasion des États généraux de la bioéthique du 18 janvier au 30 mai 2018. Le CCNE a édité un rapport de synthèse17 pédagogique des consultations publiques et des contributions citoyennes de 198 pages, distincte de l’avis de septembre, et du projet de loi prévu pour décembre.

A priori le CCNE n’était qu’une instance de consultation, toutefois bénéfique au débat éthique, qui a mué en véritable « opérateur » du débat public. C’est dans l’apparence d’une « santé démocratique »18 que se révèle cette évolution.

Singulièrement, sont assimilés à la bioéthique : la fin de vie et l’intelligence artificielle. Classiquement, y sont présents : recherche sur embryon, médecine génomique, don d’organes, neurosciences, données de santé, environnement, procréation. Le « sensible » n’est pas relevé. Or c’est un baromètre utile et significatif des inquiétudes des citoyens consultés.

Cette consultation marque le début d’une nouvelle gouvernance de la bioéthique, où les parties prenantes19 sont invitées, et les experts non seulement consultés mais surtout inclus. Cette évolution, apparemment démocratique, est peut-être en réalité technocratique. L’avis du CCNE et le projet de loi Bioéthique en diront davantage sur les intentions véritables de cette mue institutionnelle.

Marie GLINEL

2 – Le renforcement des compétences et de l’indépendance des AAI

Le DDD rappelle sa compétence sur les activités de sécurité privées

Dans un communiqué de presse du 3 janvier 2018, le DDD revient sur l’entrée en vigueur du décret n° 2017-1844 du 29 décembre 2017 qui modifie le Code de la sécurité intérieure pour autoriser le port d’une arme à certaines activités privées de sécurité et prévoir leurs conditions de formation. Il réaffirme à cette occasion sa compétence en ce domaine au titre de sa mission « Respect de la déontologie des professionnels de sécurité ». Il précise qu’il peut être saisi par toute personne ou d’office en cas d’« usage disproportionné de la force », de « comportement indigne », de « fouille corporelle abusive », de « conditions anormales » dans le cadre d’un contrôle d’identité ou de « difficultés pour déposer plainte ».

Julia SCHMITZ

CNCTR – site internet et deuxième rapport d’activité

La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) a ouvert son site internet20qui expose son fonctionnement et lui permet une visibilité sur son travail institutionnel. Elle a publié en juin 2018 son deuxième rapport d’activité.

La première partie du rapport traite de l’évolution du cadre juridique, et notamment de la réduction de l’exception hertzienne. Les mesures transitoires établies par le Conseil constitutionnel ont pris fin le 31 décembre 2017 et désormais, l’interception des communications privées ne peut être réalisée « que sur le fondement d’une interception de sécurité particulière » nécessitant « une autorisation préalable du Premier ministre accordée après avis de la CNCTR ».

La deuxième partie du rapport constitue un rappel de la CNCTR sur le contrôle des techniques de renseignement a priori – relatif à la prévention du terrorisme – ou a posteriori, relatif aux données recueillies.

Enfin, la dernière partie du rapport vise les voies de recours contre ces techniques de renseignement : l’utilisation de celles-ci reste relativement stable par rapport à l’année précédente.

Une étude suivant les trois parties du rapport annuel s’intéresse à la notification aux personnes concernées des mesures de surveillance mises en œuvre à leur encontre par le passé. Si la surveillance doit rester secrète, cette exigence doit être conciliée avec le respect de la vie privée. L’étude conclut sur la loi française qui dispose que la mise en œuvre d’une surveillance ne peut être portée à la connaissance des personnes surveillées. Néanmoins, la loi met en place des voies de recours : toute personne peut saisir la CNCTR pour qu’elle vérifie qu’aucune technique de renseignement n’a été irrégulièrement mise en œuvre à son encontre.

Pierre JUSTON et Zakia MESTARI

Renforcement des sanctions contre le téléchargement illégal : vers un pouvoir de police pour l’Hadopi ?

Commandé par l’Hadopi, le rapport présenté le 14 décembre 2017 par Louis Dutheillet de Lamothe et Bethânia Gaschet, maîtres des requêtes au Conseil d’État, revient sur les enjeux de la réponse graduée et des sanctions en matière de téléchargement illégal mais sa portée est limitée en ce qui concerne la lutte contre le streaming illégal, alors que dans le même temps, le gouvernement envisage la création d’une liste noire de ces sites.

La procédure de réponse graduée est notamment caractérisée par l’envoi préalable d’avertissements à l’internaute destinés à lui signaler ses infractions. Le rapport, les considérant comme indispensables mais trop nombreux, préconise de diminuer leur nombre préalablement à la réponse pénale, de les dématérialiser et, aussi, d’insérer dans leurs recommandations l’identification des œuvres dont il a été constaté le piratage.

Ensuite, concernant l’infraction de négligence caractérisée, le rapport préconise une évolution quant à sa définition et aux modalités de sa constatation, notamment en multipliant les constats d’infraction, ce qui nécessitera un meilleur accès à l’information.

Enfin, en ce qui concerne l’instauration de nouvelles compétences pour l’Hadopi, le rapport recommande notamment la transformation de l’action pénale en sanction administrative exclusivement pécuniaire. Surtout, il envisage la possibilité de confier à l’Hadopi un rôle dans la procédure pénale en lui permettant, en cas de constatation d’une infraction de négligence caractérisée, d’adresser à l’internaute en infraction une amende forfaitaire pénale. Elle pourrait également lui proposer une transaction pénale consistant là aussi en un versement d’une amende. Si les auteurs se défendent de l’inconstitutionnalité de tels dispositifs, une telle évolution n’en serait pas moins originale puisqu’elle conduirait à confier à une autorité administrative indépendante un pouvoir de police judiciaire. Pour autant, le rapport admet que des moyens préventifs doivent aussi être développés, notamment en ce qui concerne l’offre de contenu.

Jordan PUISSANT

L’extension des compétences de la HAS au domaine social et médico-social

La loi de financement de la sécurité sociale pour 201821 a procédé au transfert des biens, personnels, droits et obligations de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) à la HAS. Ainsi, depuis le 1er avril 2018, la HAS est compétente pour l’évaluation des services et établissements sociaux et médico-sociaux et pour « établir et diffuser les procédures, les références et les recommandations de bonnes pratiques professionnelles »22 de ces services et établissements.

D’un point de vue institutionnel, la HAS a constitué une direction de la qualité de l’accompagnement social et médico-social. Une commission réglementée ainsi qu’un comité de concertation seront également institués pour la mise en œuvre de ces nouvelles compétences. De plus, un onglet « social et médico-social » a été créé sur le site de la HAS recensant, pour l’instant, uniquement les travaux de l’ANESM.

Ainsi, la HAS se félicite de l’attribution de ces nouvelles missions qui, selon elle, va lui permettre de participer au décloisonnement des champs sanitaire, social et médico-social en intervenant sur tous les enjeux de la santé.

Anna ZACHAYUS

Une nouvelle mission pour la CNCDH

Le 3 avril 2018, le gouvernement a confié à la CNCDH la mission d’évaluer la mise en œuvre du « plan national de lutte contre toutes les formes de haines anti-LGBT », qui devrait s’achever en 2019 et qui avait été élaboré par la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT. Quoiqu’il s’agisse peut-être d’un pis-aller pour la Commission, qui a perdu l’an passé son statut d’AAI, elle entend profiter de ses mandats de rapporteur spécial indépendant pour agir de toutes ses forces afin de faire entendre sa voix experte dans la protection des droits de l’Homme au niveau national (par le biais des médias notamment), mais aussi au niveau international (par le dialogue avec ses homologues). C’est la quatrième fois qu’elle est investie d’une telle mission, puisque depuis 1990, elle est rapporteur spécial sur la lutte contre le racisme sous toutes ses formes, depuis 2014 sur la lutte contre la traite et l’exploitation des êtres humains et depuis 2017 sur la thématique « entreprises et droits de l’homme ».

Romain VAILLANT

AFLD – Création d’une commission des sanctions

L’agence française de lutte contre le dopage (AFLD) prend acte, dans un communiqué du 2 février 2018, de la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-688 QPC du 2 février 2018, en annonçant la création d’une commission « indépendante du collège de l’agence ». En effet, le Conseil, saisi d’une requête contestant la constitutionnalité de l’article L. 232-22 du Code des sports qui méconnaîtrait le principe d’indépendance et d’impartialité découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789, a déclaré cet article inconstitutionnel en ce que l’AFLD ne distingue pas les fonctions de poursuite (revenant au collège qui peut s’auto-saisir) et les fonctions de jugement (revenant au collège également). Néanmoins, il module les effets de sa décision en repoussant l’inconstitutionnalité au plus tard au 1er septembre 2018 et en mettant en place un régime transitoire. L’AFLD rappelle cependant que la création de cette commission est un projet antérieur à la décision puisque celle-ci était prévue dans le projet de loi relatif à l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024. La loi est entrée en vigueur le 28 mars 2018 et son article 25 énonce notamment que sera créée au sein de l’agence « une commission distincte du collège de l’agence pour prononcer de telles sanctions ». L’AFLD se félicite de la création de cette commission qui renforce institutionnellement ses prérogatives.

En outre, le renforcement de cette autorité intervient dans un contexte de renforcement de la lutte contre le dopage puisque la Cour européenne des droits de l’Homme s’est également prononcée sur la question dans son arrêt du 18 janvier 2018, Fédération nationale des associations et syndicats de sportifs et autres c/ France où elle considère que la géolocalisation des sportifs, qui porte atteinte à leur vie privée et familiale, est possible lorsqu’elle poursuit un but de lutte contre le dopage.

Matthieu GAYE-PALETTES et Zakia MESTARI

II – La protection des droits et libertés fondamentaux par les AAI : des décisions et réflexions convergentes

A – La protection des personnes vulnérables

1 – Le DDD – Harcèlement sexuel et outrage sexiste, les limites de la réponse pénale

Saisi à trois reprises par le Parlement pour avis sur le harcèlement sexuel et l’outrage sexiste23, le DDD fait preuve d’une remarquable cohérence sur le harcèlement et l’outrage sexistes. Dans un contexte socio-politique toujours plus hostile à ces comportements et aux discriminations subies par les femmes, le DDD expose les limites du droit pénal à la lutte contre ces actes répréhensibles.

Le DDD estime que l’arsenal juridique déployé pour lutter contre le harcèlement sexuel reste globalement positif et cohérent depuis la loi du 6 août 2012. Celui-ci n’est désormais plus qualifié par la volonté de l’auteur des actes d’obtenir des faveurs sexuelles volontairement, mais par l’impact sur la victime de certains comportements répétés à connotation sexuelle qui créent à son encontre un environnement hostile. Le DDD se félicite d’une telle évolution qui place le vécu de la victime au cœur de la constitution de l’infraction et qui développe le caractère discriminatoire du harcèlement. Il déplore seulement que le gouvernement, en 2012, n’a pas souhaité harmoniser la définition du harcèlement sexuel avec la directive européenne n° 2006/54/CE, qui prévoit qu’une telle infraction puisse résulter d’un seul acte.

Cependant, le DDD met en garde le Parlement sur la pertinence de la création d’une infraction « d’outrage sexiste ». D’une part, pour des raisons intrinsèques à la définition de l’infraction similaire au harcèlement : cette similarité risque d’engendrer une politique pénale de requalification de certains faits constitutifs de harcèlement (délit) en « outrage sexiste » (contravention). D’autres infractions similaires déjà existantes en droit du travail pourraient être élargies dans l’espace public, ce qui permettrait l’harmonisation et la cohérence entre les infractions. D’autre part, pour des raisons extrinsèques relatives à l’efficacité de la réponse pénale : le DDD considère que le déploiement d’un dispositif répressif individualisant, même s’il est nécessaire, est insuffisant pour lutter efficacement contre le harcèlement sexuel et sexiste. L’enjeu est structurel et systémique et doit donc passer par de la pédagogie et de l’information. Il est important, selon le DDD, de déployer un système d’information et de sensibilisation sur la prise en charge des plaintes relatives au harcèlement et de promouvoir, en amont, une véritable politique d’éducation contre les stéréotypes de genre.

Jean Philippe SURAUD

2 – La protection des mineurs

Le DDD et la protection des mineurs

Avis n° 18-17 du 8 juin 2018 relatif au projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (notamment sur mineurs)24 Le DDD a émis un nouvel avis sur ce projet de loi en cours de discussion après ceux des 15 mars, 12 mai 2018 et 30 novembre 2017. Il s’est montré défavorable à l’allongement de la durée de la prescription déjà allongée l’an dernier à 20 ans pour les crimes, sans dérogation pour ceux commis sur mineurs, le délai courant à compter de la majorité25. Cet état de droit tient suffisamment compte de l’intérêt de la victime, de la gravité du crime et des droits de la défense, il est donc inutile de le modifier. Concernant l’agression sexuelle ou le viol commis sur mineurs de moins de 15 ans, le DDD approuve le texte qui précise les éléments caractérisant la contrainte ou la surprise sans créer de présomption de culpabilité ni aucun seuil d’âge en deçà duquel le mineur serait présumé non consentant. De même, il approuve l’élargissement de la notion de viol.

Décision n° 2018-050 du 16 mars 2018 relative au refus de carte de résident opposé aux parents en situation irrégulière d’enfants. Conformément à l’article L. 314-11 8° du CESEDA, la carte de résident est délivrée de plein droit aux ascendants directs au premier degré de réfugiés lorsque ceux-ci sont mineurs et non mariés sous condition de régularité de leur séjour. Le DDD saisi d’un refus de carte de séjour sur ce fondement, estime que cet état de droit est contestable et recommande donc que le projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif exempte désormais l’ensemble des membres de familles d’un réfugié de la condition de régularité de séjour (souhait sans écho à ce jour).

Décision n° 2018-100 du 25 avril 2018 relative à la situation des mineurs non accompagnés interceptés aux points de passage autorisés vers l’Italie. Cette interception suivie d’un renvoi sur le territoire italien est, selon le DDD, contraire à la convention internationale des droits de l’enfant et ne respecte pas les garanties procédurales prévues par le droit européen et le droit français. Tout mineur ainsi intercepté doit être immédiatement conduit en zone d’attente où il pourra bénéficier des droits et garanties procédurales prévues par les textes nationaux et supranationaux, notamment l’information sur ses droits dans une langue qu’il comprend et la possibilité de se faire accompagner par un avocat.

Hélène SIMONIAN

La CNCDH : pour une diminution du nombre de mineurs détenus en France

La CNCDH a rendu un avis alarmant sur la hausse globale du nombre de mineurs détenus alors que la délinquance des mineurs n’augmente pas. S’agissant des établissements pénitentiaires, cette augmentation s’explique en grande partie par un recours excessif à la détention provisoire. Les prévenus représentent 3/4 des mineurs détenus alors que ce dispositif ne devrait être mis en œuvre qu’après l’échec des mesures éducatives. L’augmentation du nombre de mineurs détenus dans des structures ne relevant pas de l’administration pénitentiaire est particulièrement significative – dans les centres éducatifs fermés depuis leur création par la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 et dans les centres de rétention administrative.

La CNCDH dénonce une évolution qui tend à rapprocher le statut judiciaire des mineurs de celui des majeurs – célérité des procédures, banalisation de l’enfermement – alors que l’ordonnance de 1945 prévoyait un modèle de politique criminelle qui devait privilégier « l’intérêt supérieur [du mineur], donc sa socialisation en milieu ouvert »26. Elle invite les pouvoirs publics à « faire primer l’éducatif sur le répressif notamment en redonnant au milieu ouvert les moyens (…) pour exercer les missions d’éducation »27.

Nana-Fatouma ASKOFARE

Le CGLPL et l’enfermement des mineurs

Devant la recrudescence du nombre d’enfermements d’enfants en centre de rétention, le CGLPL a pris un avis très hostile à de telles pratiques : constat y est fait d’une utilisation pragmatique sinon cynique de tels enfermements, afin de « faciliter l’organisation de la reconduite »28 pour l’Administration. Ce rappel très ferme de la nécessité d’encadrer les mesures privatives de liberté – quand bien même il ne s’agirait que d’une nuit – au travers d’un refus catégorique de l’enfermement par « commodité » s’inscrit ainsi dans un schéma plus global de limitation d’enfermements trop importants ou disproportionnés défendu par le CGLPL. À cette protection, il ajoute l’argument du traumatisme psychologique entraîné par de tels enfermements dans le cas particulier des enfants, faisant ainsi écho à la position de la CEDH29.

Par ailleurs, le CGLPL s’est aussi intéressé à la question des droits fondamentaux des mineurs en établissement de santé mentale30. Il a notamment constaté que les demandes d’hospitalisation à l’initiative des parents étaient assez fréquentes et étaient assimilées à des soins libres, alors même que le défaut de consentement pouvait être constitué. Le CGLPL note ainsi que les mineurs ne bénéficient pas des mêmes droits que les majeurs dans des conditions similaires. Il met alors en avant une double vulnérabilité des mineurs hospitalisés mais aussi de ceux qui sont détenus ou encore privés de liberté, préconisant un renforcement des mesures de protection les visant, en raison de leur âge mais aussi de la situation particulière dans laquelle ils se trouvent.

Gaëlle LICHARDOS

3 – La protection des personnes âgées

CNCDH, avis du 22 mai 2018. Agir contre les maltraitances dans le système de santé : une nécessité pour les droits fondamentaux

Dans cet avis de 76 pages, la CNCDH dresse un bilan, hélas déjà bien connu, des travers du système de santé français, tant pour la majorité de la population qui doit faire face aux politiques de limitation des coûts, que pour les populations vulnérables (personnes en situation de précarité, handicapées, LGBT, personnes en surpoids…). Elle prend aussi en compte la situation des soignants eux-mêmes. La complexité du système et les préjugés seraient ainsi générateurs d’exclusion et de refus de soins sans réorientation de la personne vers un lieu adapté. Les traitements disponibles seraient eux-mêmes trop standardisés. L’avis évoque des cas de « maltraitance » allant « jusqu’au traitement relevant de l’article 3 de la CESDH », tout en admettant que les données statistiques demeurent trop faibles. Plus généralement, l’avis établit l’ineffectivité du droit d’accès aux soins et s’en prend à la perception même que le système renvoie du patient, « trop culpabilisé », jusque dans les campagnes de prévention. La tarification à l’activité (dite T2A) conduit à financer les dépenses à partir d’un coût prédéfini par pathologie et non en fonction de la réalité du coût et « à éviter d’accueillir ce que certains appellent les « patates chaudes » ou de s’en débarrasser très vite ».

Enfin, l’avis pointe du doigt les effets pervers de la politique de réduction des dépenses de santé qui engendre de nouveaux coûts (diagnostics incomplets, choix thérapeutiques inadaptés, orientation vers les actes les plus rémunérateurs et non les plus efficaces…). Il propose de repenser le système à partir des besoins de la population et non pas en fonction des ressources, ce qui ne sera possible qu’avec une véritable démocratie sanitaire : renouveau de l’information du patient, échange avec le soignant et codécision ; patients et soignants doivent être associés aux réflexions sur le fonctionnement des établissements et autres administrations de santé.

Xavier BIOY

CCNE, avis n° 128, 15 février 2018 – « Enjeux éthiques du vieillissement. Quel sens à la concentration des personnes âgées entre elles, dans des établissements dits d’hébergement ? Quels leviers pour une société inclusive pour les personnes âgées ? »

« Nos sociétés, en confiant finalement la vieillesse et la fin de la vie à la médecine, ont confiné des personnes en raison de leur âge et de ses contingences, dans des « lieux de vie » souvent violents et parfois même maltraitants. Elles ont exclu ces questions du champ de la responsabilité sociale et individuelle » (p. 6). Le CCNE, sur auto-saisine, entend dresser une forme d’état des lieux de la prise en compte du vieillissement de la population, après l’adoption de la loi de 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement et de celle de 2016 relative à la modernisation de notre système de santé. Pour faire face à l’indignité de situations qui résultent, selon lui, largement de la « mise à l’écart » des personnes âgées et de leur « concentration » dans des établissements certes « adaptés » mais désocialisants, le comité propose certaines pistes : considérer la dépendance comme un risque à prendre en charge par la sécurité sociale, donner une forme de statut aux « aidants » en vue du maintien à domicile (formation, temps, rémunération, compte personnel d’activité, favoriser le bénévolat). Certains processus vertueux paraissent en effet particulièrement « éthiques » et devoir être institutionnalisés comme la transmission du savoir contre l’aide, par exemple en rapprochant demandeurs d’emplois et seniors. Différentes pistes existent : développement concomitant de l’utilisation des outils numériques, habitat intergénérationnel, résidences-services… Tout comme l’avis de la CNCDH du 22 mai 2018, le comité s’inquiète des effets de la tarification à l’acte et de l’absence de valorisation des actions d’aide et d’accompagnement.

Xavier BIOY

4 – La protection des usagers du système de santé et des personnes en situation de handicap

L’Arcep et les services concernant les utilisateurs sourds, aveugles et aphasiques

La loi pour une République numérique, du 7 octobre 2016, impose désormais aux opérateurs de téléphonie fixe et mobile de mettre à disposition des utilisateurs finals sourds, malentendants, sourd-aveugles et aphasiques une offre de service de traduction simultanée écrite et visuelle pour les appels passés et reçus31. Ce service doit se faire sans surcoût et dans la limite d’un usage raisonnable. C’est à l’Arcep que cette responsabilité a échu. Elle doit en ce sens définir les conditions de qualité de ces offres. Pour cela elle a lancé une consultation publique afin de déterminer les indicateurs devant évaluer la qualité et l’utilisation des services. Elle s’est fondée sur l’expérience de ses consœurs britannique, suédoise et néerlandaise, qui ont déjà développé de tels services depuis près d’une dizaine d’années et sur le rapport d’activité du service de relais téléphonique canadien, qui a mis en place ce service fin 201632.

Quentin ALLIEZ

(À suivre) NDLR

5 – La protection des personnes privées de liberté

B – La lutte contre les discriminations

C – La protection des données personnelles

Notes de bas de pages

  • 1.
    CSA, déc. n° 2018-13, 31 janv. 2018 mettant fin aux fonctions du président de Radio France.
  • 2.
    CE, sect., 18 juin 2018, n° 412074, Sté C8.
  • 3.
    V. en ce sens notre chronique précédente (n°9), LPA, 19 avril 2018, n° 079, p. 23.
  • 4.
    Communication de l’Arcep du 11 décembre 2017, disponible sur son site internet.
  • 5.
    V. L. n° 2013-907, 11 oct. 2013, art. 4.
  • 6.
    HATVP, Rapport d’activité 2017, mai 2017, p. 63 et 64.
  • 7.
    HATVP, Rapport d’activité 2017, mai 2017, p. 29
  • 8.
    Comment mettre en œuvre une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès ?, 2018, HAS, Guide du parcours de soin.
  • 9.
    À titre d’exemple, la HAS avait publié, en 2016, un guide sur la rédaction des directives anticipées.
  • 10.
    La HAS prend en compte la question du culte, religion, spiritualité aux pages 8, 10, 11, 16, 22, 26, 28.
  • 11.
    L’usage de termes employés à l’adresse de professionnels de santé « bolus», « voie IV», « dose de charge».
  • 12.
    L’usage de la notion « titration » p. 28.
  • 13.
    V. dans le Guide du parcours de soin, page 21 : « Si, malgré ces explications, la volonté du patient ou des proches est de poursuivre l’hydratation, elle sera maintenue à faible volume, sauf en cas d’effet indésirable grave ».
  • 14.
    V. L. n° 2015-992, 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a créé la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui est un outil de pilotage de la politique énergétique. L’actuelle PPE porte sur les périodes 2016-2018 et 2018-2023 et doit être révisée en 2018 pour les périodes 2018-2023 et 2024-2028. CNDP, déc. n° 2017/41/PPE/1, 6 sept. 2017.
  • 15.
    V. L. n° 2011-814, 7 juill. 2011.
  • 16.
    En 2013, à l’occasion de la révision des dispositions relatives à la recherche sur embryon, le législateur n’avait pas suivi la procédure de consultation qu’il avait lui-même créée en 2011, ce qui a été validé par le Conseil constitutionnel, car il s’agit uniquement d’une obligation législative (Cons. const., 1er août 2013, n° 2013-674 DC).
  • 17.
    V. dans le rapport de synthèse du CCNE, juin 2018, p. 6 : « Le CCNE est donc devenu "opérateur", chargé d’organiser et impulser le débat public préalable à la révision de la future loi ».
  • 18.
    Les expressions « santé démocratique » et « démocratie sanitaire » sont issues du rapport, p. 3.
  • 19.
    Les « parties prenantes » sont encore nommées « citoyens » dans le présent rapport à 145 reprises.
  • 20.
    www.cnctr.fr.
  • 21.
    V. L. n° 2017-1836, 30 déc. 2017, art. 72 de financement de la sécurité sociale pour 2018.
  • 22.
    V. CASF, art. L. 312-8.
  • 23.
    DDD, avis n° 18-03 du 25 janvier 2018 relatif au harcèlement sexuel ; avis n° 18-12 du 11 mai 2018 et n° 18-17 du 8 juin 2018 relatifs au projet de loi n° 778 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.
  • 24.
    Devenu la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.
  • 25.
    L. n° 2017-242, 27 févr. 2017.
  • 26.
    CNCDH, avis sur la privation de liberté des mineurs, 27 mars 2018, p. 4.
  • 27.
    CNCDH, avis sur la privation de liberté des mineurs, 27 mars 2018, p. 42.
  • 28.
    CGLPL, Avis du 9 mai 2018 relatif à l’enfermement des enfants en centres de rétention administrative, JO du 14 juin 2018, texte 57 page2.
  • 29.
    CEDH, 12 juill. 2016, n° 11593/12, A. B. et a. c/ France ; CEDH, 12 juill. 2016, n° 33201/11, R. M. et M. M. c/ France ; CEDH, 12 juill. 2016, n° 24587/12, A. M. et a. c/ France ; CEDH, 12 juill. 2016, n° 68264/14, R. K. c/ France ; CEDH, 12 juill. 2016, n° 76491/14, R. C. c/France.
  • 30.
    CGLPL, rapport thématique sur les droits fondamentaux des mineurs en établissement de santé mentale, 2017.
  • 31.
    V L. n° 2016-1321, art. 105.
  • 32.
    Communication de l’Arcep, le 19 février 2018.
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