Coronavirus, encore une mauvaise nouvelle pour le Grand Paris Express
Les travaux du métro du Grand Paris Express sont à l’arrêt depuis le 17 mars dernier. Un nouveau coup dur pour le plus grand projet urbain d’Europe. Le calendrier, déjà repoussé, de certaines lignes et le coût du projet, maintes fois dénoncés, pourraient s’en trouver encore impactés.
Tout mais sauf ça. De toutes les hypothèses portant sur les travaux du Grand Paris Express (GPE), le super-métro francilien qui prévoit la construction de 200 kilomètres de lignes d’ici 2030, aucune ne pouvait prédire la suspension complète des chantiers — au nombre de 150 — du fait d’une pandémie venue d’Asie. La décision a été prise le 17 mars dernier, soit au lendemain du discours d’Emmanuel Macron annonçant le confinement obligatoire des Français. « En lien avec les entreprises partenaires, avec les élus locaux et les autorités de tutelle, puisque les conditions de sécurité n’étaient plus réunies », précise la Société du Grand Paris (SGP), l’établissement public créé en 2010 par l’État pour piloter le projet. Le week-end précédent pourtant l’espoir de poursuivre les travaux était de mise. « Les entreprises étaient encore dans une logique de poursuite de l’activité », confiait Thierry Dallard, président du directoire de la SGP dans une interview récente au journal Libération. La réalité virale a rattrapé le Grand Paris Express en quelques jours.
Arrêter un tel chantier et une quinzaine de tunnelier n’est pas sans impacts. Économiques d’abord. Le chantier du Grand Paris Express représente 4 à 5 Mds€ de commandes et d’investissements par an. 7 000 personnes y travaillent tous les jours, autant de personnes sans activité aujourd’hui. À elles s’ajoutent plusieurs milliers d’autres personnes associées indirectement au projet. Une vingtaine de maîtres d’œuvre et 37 équipes d’architectes, françaises et internationales, collaborent notamment sur le réseau du Grand Paris Express. Un véritable écosystème économique au point mort depuis trois semaines. Seules encore en activité, les équipes dédiées aux études poursuivent leurs missions en télétravail tout comme « l’acquisition de données sur le terrain : topographie, inventaires, sondages qui peuvent être poursuivis avec des adaptations simples des gestes techniques », précise la SGP. Et d’ajouter ainsi qu’elle « soutient directement l’économie de ses partenaires et poursuit son objectif de qualité du Grand Paris Express ». Cela sera-t-il suffisant pour autant ? Tout dépendra de la durée du confinement.
Un nouveau calendrier ?
Pour l’heure, pas de pronostic. Aucune date ne peut être avancée pour la reprise des chantiers. Et quand bien même établie, celle-ci ne devrait se concrétiser en un seul jour. À l’instar du « déconfinement », une reprise des travaux en plusieurs étapes sera privilégiée. « Les équipes de la Société du Grand Paris sont toutes mobilisées et analysent la situation selon deux paramètres : quels sont les chantiers les plus sensibles pour le respect des calendriers et dans quelle mesure la reprise de nos activités est compatible avec les capacités de mobilisation des entreprises et des secours. Il est probable que la reprise s’effectue de manière progressive, par exemple en redémarrant des travaux réalisés en surface », affirmait ainsi la SGP dans un communiqué il y a quelques jours. Le retour à la normale ne se concrétiserait alors qu’au terme de plusieurs mois et pourrait avoir pour corollaire de retarder la mise en service, qui doit s’étaler jusqu’en 2030, des lignes du nouveau réseau. Principalement concerné à court-terme, le prolongement au Nord, depuis Saint-Lazare, de la ligne 14 du métro jusqu’à Mairie de Saint-Ouen. Celui-ci devait se réaliser initialement cet été. Si la RATP, maître d’œuvre du tronçon, estime ne pas « être en mesure de pouvoir dire à ce stade les conséquences exactes et de plus long terme sur les projets (calendrier, budget) », il paraît peu probable qu’elle puisse respecter les délais impartis. Pour les autres lignes, le flou règne. Le doute, lui, s’est installé et une mise à jour du calendrier du Grand Paris Express pourrait alors s’imposer, pour la deuxième fois en deux ans seulement.
En février 2018 déjà, Édouard Philippe, Premier ministre, avait annoncé le « recalage » de certaines lignes à l’aune des nombreuses difficultés – techniques et financières notamment – que rencontrait le « chantier du siècle ». Si certaines étaient sanctuarisées comme la 16 et 17, ou encore le prolongement au Nord et au Sud de la 14, d’autres faisaient l’objet d’un décalage dans le temps. Ainsi la réalisation de la ligne 18, dont la desserte du plateau de Saclay dans l’Essonne doit accompagner le développement d’une « Silicon Valley » à la Française, était repoussée de 3 ans. Livraison maximale prévue en 2027, au lieu de 2024. Ces annonces, décriée par les élus et acteurs économiques locaux, s’inscrivaient alors dans un contexte bien différent de celui du Covid-19. Peut-on supposer dès lors que la pire crise sanitaire que traverse le pays depuis un siècle puisse être sans nouvel effet sur le chantier du siècle ?
Des finances fragiles
À ces doutes sur le calendrier, s’ajoutent ceux, peut-être plus importants encore et intimement liés, des finances. Il y a deux ans déjà, le Premier ministre s’était appuyé sur un rapport de la Cour des comptes, dévoilé quelques semaines auparavant, pour justifier en partie ces décalages temporels. De 25 Mds€ en 2013, le coût du projet du GPE était passé à 38 Mds€ en 2017. Trop pour la Cour qui dénonçait alors en 145 pages « le dérapage considérable du coût prévisionnel du projet du Grand Paris Express » et préconisait « la révision du paramètre du projet et de son phasage ». Si l’une des recommandations a été appliquée, l’autre non. Peut-être s’imposera-t-elle bientôt.
Quand l’heure de la relance économique et des milliards sonneront, l’État cherchera, partout, de l’argent pour financer l’après-pandémie. Il pourrait être alors tenté de piocher dans les projets d’infrastructures les plus coûteux. Au premier rang desquels se retrouve bien sûr le Grand Paris Express. Pour rappel, le pilote, la Société du Grand Paris est détenu à 100 % par la puissance publique. Certaines lignes pourraient en faire directement les frais. Du décalage, à l’abandon, les effets de la crise du Covid-19 n’ont pas fini de se faire ressentir sur le plus important chantier d’Europe. Prophète, la Cour des comptes s’inquiétait dans son rapport, publié en janvier 2018, du « risque d’insoutenabilité de la dette de la SGP en cas de dégradation des hypothèses sur lesquelles a été bâti son modèle financier ». L’hypothèse Coronavirus n’était alors dans les plans de personne…