« Développer la Vallée de la Seine est un enjeu majeur pour notre pays »

Publié le 04/08/2017

Depuis 2012, les régions Normandie et Île-de-France se rapprochent pour aménager et développer le territoire de la Vallée de la Seine. François Philizot, délégué interministériel au développement de la Vallée de la Seine, nous présente un projet peu connu du grand public francilien, qui devrait pourtant avoir un impact important sur le transport de personnes, l’économie et sur l’environnement de la région Île-de-France.

LPA – Quelle est l’origine du projet de la Vallée de la Seine ?

François Philizot – L’idée a émergé dans le cadre de l’atelier international du Grand Paris, qui souhaite promouvoir des problématiques d’aménagement urbain allant bien au-delà du développement du réseau du Grand Paris. Dans le cadre d’un appel à projet en 2009, l’urbaniste Antoine Grumbach a fait renaître de ses cendres une vieille idée d’aménagement du territoire, qui consiste à consolider les débouchés portuaires d’Île-de-France. Il a mis en avant le fait qu’une ville-monde comme Paris ne peut pas être privée de débouché portuaire. Cette idée n’est pas nouvelle, elle date des années soixante, mais elle avait fini par s’estomper. Elle a été reprise par les villes de Paris, de Rouen, du Havre, et ensuite de Caen, et par les milieux consulaires qui ont organisé un colloque annuel autour de l’aménagement de la Vallée de la Seine, en demandant à l’État d’en prendre la tête et de mobiliser les collectivités territoriales autour de ce projet.

LPA – Quelles ont ensuite été les grandes étapes de ce projet ?

F. P. – L’État a nommé un commissaire général au développement de la Vallée du Val-de-Seine, Antoine Rufenacht, qui avait pour mission de proposer une stratégie et de relancer les études sur une ligne rapide entre Paris et la Normandie. Cela pour répondre à une revendication des Normands sur l’accès à Paris, qui s’est détérioré au cours des quarante dernières années. Antoine Rufenacht a fait des propositions en 2012. Le projet a connu un temps d’arrêt du fait des changements politiques survenus au printemps 2012. La fonction de commissaire général a même été supprimée en 2012. Mais au printemps 2013, le projet était de nouveau sur la table, et la fonction de délégué interministériel, que j’occupe aujourd’hui, a été créée par décret. La création de la ligne Paris-Normandie a été inscrite dans les priorités de l’État à l’horizon 2030, ce qui a redonné corps au projet. La démarche est désormais portée par l’État et par les régions de Normandie et d’Île-de-France.

LPA – Où en est le projet aujourd’hui ?

F. P. – Le schéma stratégique, a été présenté et signé à Rouen en juin 2015, avec les présidents et les préfets des deux régions. Il s’agit aujourd’hui de le décliner en contrat de plan qui est l’outil habituel de mise en cohérence des politiques de l’État et des régions en matière d’aménagement du territoire. Concrètement, cela consiste à définir quels seront les investissements en matière d’infrastructure, d’aménagement de recherche… Nous partons sur un ensemble de projets d’un milliard d’euros sur 2015-2020, comprenant un gros volet infrastructure. Les investissements porteront sur trois axes : le transport fluvial, portuaire et ferroviaire, les actions de connaissance et d’animation autour des enjeux de l’aménagement de l’espace et enfin le développement des filières économique sur l’ensemble de la vallée.

LPA – Pourquoi est-ce si important de développer cette vallée ?

F. P. – Cette zone est la plus importante du territoire français en termes de transport de marchandises et de logistique. Les ports du Havre, de Rouen et de Paris coopèrent dans le cadre d’un groupement d’intérêts économiques Pour les flux conteneurisés en particulier, c’est le seul système de transport de marchandises français capable de se distinguer à un niveau mondial. C’est donc un enjeu majeur pour notre pays. Aujourd’hui, une partie des marchandises qui devraient transiter par la France lui échappent, au profit des ports d’Anvers et de Rotterdam. Il faut reprendre ces parts de marché. Ce territoire demeure également la première concentration industrielle française, avec des activités aussi diverses que l’industrie aéronautique, automobile, l’industrie de la chimie, depuis la cosmétique jusqu’à la pétrochimie. Enfin, c’est la première région touristique de notre pays. Le territoire de la Vallée de la Seine draine un important flux de touristes à fort pouvoir d’achat, qui intéresse à la fois l’Île-de-France et la Normandie. Les deux régions travaillent déjà en lien l’une avec l’autre sur différents sujets, mais il faut approfondir ces démarches.

LPA – Comment se matérialise cette coopération entre les deux régions ?

F. P. – Nous avions des structures de filières qui existaient dans les deux régions. Sur l’aéronautique, il y avait un pôle de compétitivité en Île-de-France et une association de filières en Normandie. Ces deux entités se sont rapprochées pour travailler ensemble. Dans le domaine de l’information et de la communication, le pôle de Normandie s’est rapproché des deux qui existaient en Île-de-France, pour développer des actions communes. Dans le domaine de l’automobile, il y avait déjà une structure commune aux deux régions, dont l’action a été renforcée.

LPA – Comment s’opère le rapprochement en matière de tourisme ?

F. P. – Nous avons identifié des segments de marché sur lesquels il importe de renforcer la coopération. Prenez l’exemple de l’impressionnisme. C’est un thème qui attire 3,5 millions de touristes à Orsay et sept cent mille à Giverny. Nous voulons inciter ces touristes à rayonner sur l’ensemble des sites liés à l’impressionnisme sur les deux régions. Nous souhaitons également proposer un axe autour des croisières fluviales et maritimes, et développer le cyclotourisme. Nous sommes en train de développer le projet « la Seine à vélo », itinéraire à travers les deux régions. L’objectif est d’avoir d’ici 2020 cet itinéraire balisé qui permettra de relier Paris et Le Havre ou Paris et Honfleur. Une bifurcation en fin de parcours permettra d’aller vers Le Havre si l’on veut profiter d’une ambiance portuaire et voir l’architecture de Perret, ou vers Honfleur si on préfère visiter les maisons d’Alphonse Allais ou d’Erik Satie.

LPA – Il est également question d’aménager les bords de Seine

F. P. – Il faut mettre de la cohérence dans l’aménagement de ce territoire. L’objectif est d’abord d’en connaître le fonctionnement, pour pouvoir ensuite bien penser les investissements. Les bords de Seine constituent un joli territoire, dont le développement peut être un atout pour les deux régions. Il convient, pour cela, d’arrêter le mouvement de consommation des terres agricoles et de travailler à la densification urbaine. Cela prend des formes diverses. Nous travaillons avec l’École nationale supérieure de Versailles pour l’aménagement du paysage, ainsi qu’avec les établissements publics fonciers pour repérer les sites stratégiques et les secteurs d’aménagement potentiels à l’échelle de la vallée. Nous travaillons également avec l’Agence de l’eau sur les continuités écologiques. Nous cherchons par exemple à mieux comprendre la vie piscicole de la Seine, l’évolution des milieux, pour ensuite intervenir pour réaménager les berges, reconstituer des milieux naturels en bordure de Seine, là où on trouve aujourd’hui nombre d’espaces artificialisés.

LPA – Quel est le projet le plus emblématique de la Vallée de la Seine ?

F. P. – C’est assurément la construction des sections prioritaires de la ligne Paris-Normandie, très attendue par la population normande. Ces trois sections prioritaires sont les tronçons Paris-Mantes-la-Jolie, Mantes-Evreux et Rouen-Yvetot. Ce projet est évalué à 5,5 milliards d’euros, la mise en service est prévue à l’horizon 2030. Nous visons la déclaration d’utilité publique en 2020, pour lancer les phases d’études détaillées et de marché. Cent millions d’euros devraient être engagés en crédit d’étude et pour les premiers travaux d’ici 2020.

LPA – Le projet ne risque-t-il pas de s’enliser à nouveau, comme cela a été le cas en 2012 ?

F. P. – La phase de démarrage est passée, c’est aujourd’hui, me semble-t-il, un projet porté et considéré comme important par les gouvernements successifs. Le chef du gouvernement étant aussi maire du Havre, il porte une attention toute particulière à ce projet. Ces grands projets d’urbanisme sont liés à l’économie mais auront également des retombées positives sur la vie des habitants des deux régions. Les Normands en suivent l’évolution de près et la presse normande rend régulièrement compte des avancées. Les Franciliens sont, eux, moins au courant. Pourtant, cela aura un impact direct, par exemple sur l’amélioration du système ferroviaire dans l’Ouest francilien, et permettra donc de désengorger les transports en commun. Le développement de la vallée est un atout pour l’Île-de-France tant sur le plan économique que sur celui de l’environnement et du cadre de vie autour de la Seine.

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