En 2020 près de 70 % des interventions de l’inspection du travail d’Île-de-France étaient liées à la crise sanitaire
Les agents de l’inspection du travail d’Île-de-France ont réalisé plus de 35 335 interventions en 2020. Parmi ces actions, près de 12 800 ont été dédiées à l’inspection de la mise en œuvre des mesures liées aux gestes barrières contre le Covid-19. Plus de 11 000 contrôles d’activité partielle dans les entreprises ont été effectués. Mais les 383 agents de contrôle de l’inspection du travail d’Île-de-France ont aussi poursuivi leur activité classique sur la sécurité des salariés et sur le travail illégal. L’analyse et les détails de Gaëtan Rudant, directeur de la Direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Drieets) d’Île-de-France, nouvelle entité regroupant les compétences des anciennes Direecte et Direction régionale de la cohésion sociale.
Actu-Juridique : Quel bilan global faites-vous de l’activité de l’inspection du travail en 2020 en Île-de-France ?
Gaëtan Rudant : L’année 2020 a été une année extrêmement particulière pour chacun d’entre nous et notamment pour le monde du travail. Elle ne s’inscrit donc pas dans une trajectoire habituelle et elle nous a amené à revoir profondément nos modes d’action. Durant l’année 2020, notre première priorité était d’abord d’avoir un système d’inspection du travail toujours en résonance avec les besoins des entreprises, des salariés et des représentants du personnel, dans le contexte de crise sanitaire. Il y a eu un foisonnement réglementaire extrêmement important. Il a fallu partager et faire comprendre ces textes. On a été énormément mobilisé sur ce sujet. L’année dernière, nos services de renseignement en droit du travail ont répondu à près de 5 000 demandes de la part de salariés et d’employeurs.
La deuxième priorité de cette année était d’être au plus près de la réalité des situations de travail. Tout le monde a appris à gérer le risque Covid-19. Il a fallu être sur le terrain, dans le dialogue pour que les gestes barrières soient mis en œuvre dans les entreprises. En mars 2020, ce n’était pas du tout évident. Il y a eu un effet d’accompagnement de la norme de droit. C’est l’une des premières actions de contrôle que nous avons menées l’année dernière. Sur 35 000 interventions de l’inspection du travail en Île-de-France, près de 13 000 étaient tournées vers le respect des mesures liées à la crise sanitaire.
Enfin, dans ce contexte particulier, il fallait vraiment qu’on s’appuie sur le dialogue social. C’est un axe sur lequel nous nous sommes mobilisés avec les entreprises et les partenaires sociaux.
AJ : De quelle manière l’inspection du travail a-t-elle effectué les contrôles concernant les mesures liées à la crise sanitaire ?
G. R. : Tous les acteurs, employeurs comme salariés, ont dû s’approprier les règles. Quand on se trouve dans cette phase-là, l’enjeu d’explication, de discussion sur la réalité concrète de la situation de travail est essentiel. Les inspecteurs du travail ont contribué fortement à cela à travers leurs contrôles ou grâce à leur participation au dialogue social dans les instances des entreprises. Malheureusement, dans un certain nombre de cas, nous avons eu des employeurs réfractaires aux demandes d’amélioration. Face à ces situations, nous avons utilisé la mise en demeure, qui impose avec une force juridique importante plusieurs mesures précises. Depuis le début de la crise sanitaire, nous avons adopté 53 mises en demeure sur le thème du Covid-19, sur un total de 8 500 interventions sur ce sujet hors activité partielle. Mais dans 90 % des cas de mise en demeure, la situation s’est réglée. Néanmoins, les agents de contrôle, ont saisi trois fois la justice pour obtenir des décisions en référé. Une prérogative utilisée dans des situations particulièrement graves.
AJ : Face à la crise sanitaire, le gouvernement a pris des mesures de soutien aux entreprises. Parmi les dispositifs d’urgence, l’activité partielle. Comment avez-vous contrôlé la mise en œuvre de cette aide dans les sociétés franciliennes ?
G. R. : En Île-de-France, depuis le début de la crise sanitaire, l’activité partielle représente un peu plus de 11,7 Mds€ dépensés. Près de 300 000 entreprises ont eu recours au moins une fois à ce dispositif. Quand il y a des flux financiers aussi importants avec autant de demandes, il peut y avoir des tentations de frauder le système. On a donc réalisé de très nombreux contrôles au stade de la déclaration, avant le paiement. Ce sont les contrôles a priori. Ils sont destinés à corriger les erreurs faites par les demandeurs, dans un contexte d’incertitude conjoncturelle et de changement réglementaire. On a réalisé plus de 30 000 contrôles de ce type, qui ont conduit à de nombreuses corrections. Puis, nous avons réalisé 11 000 contrôles a posteriori pour s’assurer, sur pièce ou de manière approfondie, que les paiements ont été réalisés à bon droit. Nous avons demandé par exemple aux entreprises de nous envoyer les fiches de paie, pour vérifier, par exemple, le placement en activité partielle des salariés concernés ou le décompte exact des heures. Quand les sujets sont plus complexes, l’inspection du travail intervient. 3 000 contrôles de ce type ont été effectués à cause de tentatives de fraude.
AJ : Face à quelles situations de fraude les agents de l’inspection du travail se sont-ils retrouvés ?
A. R. : Des chefs d’entreprise ont profité de cette situation. Mais ce n’est pas la majorité des cas contre lesquels nous avons lutté. Nous avons eu affaire à des escrocs, qui ont essayé de profiter du système. Ils se faisaient passer pour une entreprise, pour essayer de récupérer le financement de l’activité partielle. C’était le cœur de notre lutte. Par exemple, nous avons un fraudeur qui s’est fait appeler Jimmy Hendrix sur ses déclarations. Autre fraude, avec une dame qui a utilisé l’argent de l’activité partielle pour acheter une voiture et procéder à de la chirurgie esthétique.
AJ : Quelles sont les suites données à ces constats de fraude sur l’activité partielle ?
G. R. : Il y a d’abord une interruption des paiements et des demandes de remboursement sont envoyées. Ensuite, dès que des éléments permettent de caractériser la fraude, la justice est saisie. Ce peut être pour une fraude avérée ou une crainte de fraude. L’année dernière, nous avons saisi la justice à 430 reprises. Nous avons déjà obtenu des condamnations, à de la prison ferme. Je pense notamment à une personne qui avait fraudé le dispositif d’activité partielle mais aussi le fonds de solidarité.
AJ : Vous avez qualifié l’année 2020 de « particulière ». En quoi la manière dont vous vous êtes organisé au niveau de l’inspection du travail est-elle particulière et comment avez-vous accompli vos missions habituelles avec celles liées à la crise sanitaire ?
G. R. : Nous avons été mobilisé sur cet enjeu majeur de la prévention du risque du Covid-19 et celui de l’activité partielle. Mais nous ne nous sommes pas arrêtés sur les autres sujets. Typiquement, dès le mois de mai 2020, quand les chantiers ont repris, nos équipes sont retournés sur le sujet de la sécurité au travail. Nous souhaitions que la reprise soit sûre vis-à-vis du risque Covid. Mais il ne faut pas oublier les autres risques. Je garde à l’esprit cette image d’un chantier sur un immeuble d’une dizaine d’étages où il n’y avait aucune mesure de prévention des chutes de hauteur mais les ouvriers portaient un masque. Il y a aussi le thème de l’exploitation, du travail illégal et de la traite des êtres humains. Nous avons poursuivi notre vigilance sur ces phénomènes-là.
AJ : Comment se porte le dialogue social dans les entreprises en Île-de-France ?
G. R. : Le dialogue social a été une clé de la gestion de la crise sanitaire l’année dernière. Il a été très mobilisé et nous l’avons constaté objectivement. Les échanges entre les partenaires sociaux ont été nourris sur des sujets ciblés : les mesures de prévention et l’organisation du travail en période de Covid. Un des enjeux du dialogue social tel qu’il redémarre actuellement c’est de se réapproprier l’entièreté des compétences comme par exemple l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Puis, avec la période économique incertaine, notamment pour les entreprises confrontées à des difficultés, le dialogue social permet de construire des solutions acceptées au sein des sociétés. Néanmoins, nous sentons quelques crispations, notamment au sein des grands groupes, qui connaissent des restructurations. C’est donc une période très sensible au niveau de la qualité du dialogue social.
AJ : Quel est votre regard par rapport aux perspectives économiques de l’année 2021 ?
G. R. : Le soutien du gouvernement a été extrêmement massif pour faire en sorte de préserver les entreprises et les emplois. Cette politique a eu un effet incontestable sur l’économie. En Île-de-France, si vous additionnez l’activité partielles et le fonds de solidarité, les aides atteignent plus de 19 Mds€. Aujourd’hui, notre enjeu est celui de l’intensité de la reprise économique pour essayer de limiter la casse économique, quand les aides vont progressivement s’alléger. Nous avons un regard très attentif. Nous savons qu’un certain nombre d’entreprises vont être confrontées à des difficultés. Mais nous cherchons la capacité à maintenir une activité à un niveau soutenu, à faire évoluer le tissu économique des entreprises avec la prise en compte des enjeux écologiques, de compétitivité et de responsabilité sociale. Tout cela à travers le plan France Relance.
Ensuite, les perspectives de croissance de près de 6 % annoncées par l’Insee sont bonnes. C’est une excellente nouvelle pour l’Île-de-France et l’entièreté du territoire national. Pour autant, derrière ces indicateurs globaux, il faut être attentif à la situation de certains secteurs. Le tourisme en France est en train de redémarrer avec la période estivale. Mais il faut faire attention. Le tourisme en Île-de-France n’est pas dans le même contexte car il dépend du tourisme international et qu’il n’a pas encore redémarrer. Nous avions constaté, lors du premier déconfinement, qu’il y avait eu une inertie un peu plus grande en Île-de-France, compte tenu des contraintes sanitaires.
Le rapport annuel d’activité de la Direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Drieets) d’Île-de-France est disponible sur leur site ou en cliquant sur le lien ci-après : Rapport de la Drieets 2020.
Le dossier de la Drieets concernant l’inspection du travail d’Île-de-France est quant à lui disponible en cliquant ci-après : Inspection du travail en Île-de-France.
Référence : AJU230593