Une deuxième édition pour le Grenelle du droit

Publié le 12/12/2018

En novembre 2017, le Grenelle du droit avait constitué un rendez-vous important pour les juristes. Une nouvelle édition de l’événement a été organisée le 16 novembre dernier, avec cette fois-ci l’objectif de présenter des actions concrètes à mettre en place à l’issue de la journée.

Les deux associations françaises de juristes, L’AFJE et le Cercle Montesquieu, ont organisé le 16 novembre 2018 un « Grenelle du droit 2 ». Une nouvelle édition qui a rassemblé plus d’un millier de personnes au Palais Brongniart, afin de réfléchir à des actions concrètes pour faire évoluer le droit et lui permettre de rester pertinent face à l’évolution de la société. Les enjeux sont nombreux : attractivité de la place de droit parisienne dans le contexte du Brexit, nécessité de repenser la formation des juristes ou encore digitalisation du métier avec la façon dont l’intelligence artificielle et l’automatisation viennent bousculer les pratiques. « Il est important d’avoir une réflexion commune avec les juristes d’entreprises sur le sujet de l’influence du droit », souligne Dominique de la Garanderie, ancienne bâtonnière du barreau de Paris, ajoutant « nous travaillons sur ces questions depuis plus de 20 ans pour convaincre les pouvoirs publics. Le drame français est qu’il n’y a pas de soutien financier, c’est un problème au regard de la concurrence des États-Unis où nos confrères américains ont des financements sur les stratégies d’influences du droit ».

La journée s’est ouverte par une séance plénière avec une table ronde en présence de Me Marie-Aimée Peyon (bâtonnière de Paris), Pierre Berlioz (directeur de l’EFB), Thomas Andrieu (directeur des affaires civiles et du Sceau), Aurélien Hamelle (directeur juridique Total) et Yves Garagnon (CEO de Dilitrust) avant de se poursuivre par cinq ateliers permettant aux personnes présentes de participer à des réflexions sur des thématiques précises. Ce second Grenelle du droit a aussi vu la visite du Premier ministre, qui a appelé de ses vœux, dans son discours de clôture, un droit qui soit « un puissant vecteur d’influence de compétitivité et d’attractivité, en particulier quand on programme des investissements sur le long terme ». Prenant acte du fait que les systèmes juridiques sont aujourd’hui en concurrence, Édouard Philippe a concédé que « nous n’avons pas toujours été dans ce domaine, totalement à la hauteur de nos ambitions » ! Notant également que le droit français n’inspirait pas assez confiance, car « parfois trop complexe, instable ; (…) il crée des contraintes inutiles ou en conserve des obsolètes », et de la nécessité pour lui d’adapter nos règles à un univers concurrentiel en leur redonnant plus de souplesse tout en conservant leur singularité. Enfin, le Premier ministre a également insisté sur la protection des intérêts économiques de la France contre des pratiques qu’il qualifie « d’impérialisme juridique » avec une réflexion en cours pour « mieux protéger nos entreprises contre l’utilisation détournée de procédures ou de normes extraterritoriales ».

Le Cercle Montesquieu et l’AFJE publieront, début 2019, un livre blanc à destination des pouvoirs publics qui compilera toutes les propositions faites lors de ce second Grenelle.

Stéphanie Fougou, présidente de l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE), revient pour les Petites Affiches sur cette deuxième édition.

Les Petites Affiches

Ce « Grenelle du droit 2 » prend place un an après le premier événement, quel était le mot d’ordre pour cette seconde édition ?

Stéphanie Fougou

Le premier Grenelle a été un véritable élan, nous avons lancé un mouvement et celui-ci n’a pas de raison de s’arrêter tant qu’il continue à produire des idées. Au départ, l’initiative avait un objectif simple : réunir toutes les professions du droit, à l’occasion d’une journée certes, mais aussi tout au long de l’année pour leur permettre de travailler ensemble sur des propositions. Ces rencontres et discussions permettent de fluidifier les passerelles entre les professions et de travailler ensemble pour une filière du droit plus forte et attractive. Nous sommes persuadés qu’il y a un socle commun entre nos professions qui permet ce rapprochement. C’est dans cet état d’esprit que nous avons organisé la première édition du Grenelle du droit en novembre 2017 avec des ateliers qui permettaient à tout un chacun d’œuvrer sur ces objectifs. À la fin de la journée, nous avions annoncé qu’il y aurait un « Grenelle du droit 2 » pour continuer ce travail de réflexion et présenter les résultats des réflexions menés au cours de l’année et passer aux choses concrètes. Et comme cette édition a de nouveau été un succès, je peux vous annoncer que nous nous retrouverons le 15 novembre 2019 pour un troisième Grenelle.

LPA

Pour entrer dans le détail, pouvez-vous citer quelques-unes des grandes propositions qui ont été présentées au cours de la journée ?

S. F.

Les pistes de réflexion et les thématiques abordées étaient très nombreuses, la formation initiale était par exemple un sujet important à nos yeux puisqu’il concerne nos jeunes étudiants aujourd’hui sur les bancs de l’université, mais qui seront demain les futurs professionnels du droit. Nous avons ainsi lancé le projet d’une plate-forme commune qui permettra aux entreprises d’émettre leurs offres de stages pour les étudiants et leur faciliter les recherches. En termes de formation continue, Aurélien Hamelle a également fait une annonce très concrète, avec un groupe de travail constitué de Pierre Berlioz, d’Antoine Garapon et de Sarah Albertin, il a mis en place les contours d’une offre de formation pluridisciplinaire commune à toutes les professions. Elle rassemblerait avocats, magistrats et juristes d’entreprises, avec des cours dispensés dans différentes écoles : l’ENM (École nationale de la magistrature), l’EFB (École de formation du barreau), l’IHEJ (l’Institut des hautes études sur la justice) ou l’AFJE. L’idée est de trouver des sujets qui intéressent tout le monde (contrats, droits des sociétés, compliance) et qui pourront être abordés de manière différente par les enseignants de chaque métier. Nous souhaitons ouvrir cette formation pour septembre 2019.

Un atelier était aussi consacré au socle commun et là encore, force est de constater que nous avons plus de points en commun que de différences : la formation, la compétence d’expertise juridique, l’indépendance de nos professions et la déontologie pour ne citer que quelques aspects. Enfin, nous avons eu une réflexion très intéressante sur les nouvelles technologies dans un atelier animé par Marc Mossé, directeur des affaires publiques et juridiques de Microsoft. On a par exemple étudié les meilleures manières de les aborder dans la formation initiale.

LPA

Considérez-vous que la formation du droit en France est inadaptée à la réalité de la pratique ?

S. F.

Il y a de nombreuses initiatives qui sont menées que ce soit dans les écoles privées ou dans les universités, mais il reste du chemin à faire et la formation initiale n’est en effet pas encore totalement adaptée aux opportunités présentes sur le marché. Aujourd’hui, un étudiant sera formé de manière généraliste au début de sa formation, puis devra très vite bifurquer pour se spécialiser : on ne donne pas la possibilité à chacun de pouvoir se diriger vers d’autres métiers dans le futur. Je pense qu’il faut réfléchir sur deux aspects, le premier est le contenu même de la formation initiale qui ne permet pas toujours aux jeunes d’arriver suffisamment équipés dans le monde professionnel. On le répète depuis de nombreuses années, il faut plus d’économie dans les programmes, des connaissances pratiques sur ce qu’est un bilan, sur les informations comptables ou encore savoir parler anglais et avoir quelques notions en droit comparé anglo-saxon. Tout cela, ce sont aujourd’hui des basiques dans nos métiers. L’autre sujet est de permettre une meilleure mobilité en cours de carrière pour être en capacité d’exercer des métiers différents, les formations d’avocats et de juristes restent encore trop cloisonnées. Il ne faut bien sûr pas oublier la formation continue, car nous avons des métiers d’expertises et il est nécessaire de suivre les évolutions de règlementation. C’est un outil indispensable qui doit lui aussi suivre ces préceptes.

LPA

En pratique, comment se sont déroulés les travaux effectués au cours des douze derniers mois ?

S. F.

Le projet du Grenelle a commencé il y a un peu plus d’un an et demi avec une bande d’amis, le premier événement a permis de faire participer toute la filière du droit et d’établir les typologies d’ateliers et les domaines sur lesquels nous pouvions travailler. Tout au long de l’année, nous avons eu de nombreuses personnes qui se sont manifestées pour participer à ces ateliers, que ce soit via les réseaux ou le think tank « Tous droits devant », lancé en novembre 2017. Cette plate-forme a permis à ceux qui le souhaitaient de travailler de manière informelle sous forme de groupe de travail. La plate-forme commune de stages pour connecter étudiants en droit et entreprises a par exemple été imaginée par ce biais. L’intérêt de « Tous droits devant » est de pouvoir visualiser les différents thèmes en cours, on peut alors envoyer sa candidature pour rejoindre le groupe de travail. On a des « parrains » sur chaque groupe qui sont responsables de la réflexion et de l’organisation. Cette plate-forme va continuer d’exister, nous avons déjà des centaines et centaines d’inscrits et nous allons mettre à jour le site avec les informations du Grenelle du droit 2 pour que ceux qui souhaitent continuent à enrichir la réflexion.

LPA

Le Premier ministre, Édouard Philippe, a clôturé la journée, c’est un signe de reconnaissance de la part du gouvernement ?

S. F.

Nous n’avions en effet pas de représentants du gouvernement lors du premier Grenelle, c’était donc un honneur de recevoir le Premier ministre à cette occasion. Et c’est aussi la preuve que notre projet est soutenu et entendu. Édouard Philippe a prononcé de très belles paroles sur le droit et ce que nous en attendions, il a évoqué deux sujets importants : celui de la formation et la nécessité de faire du droit une vraie puissance. En se demandant comment la filière peut devenir encore plus riche et intelligente via ce fameux socle ainsi que grâce à la confidentialité pour les juristes d’entreprises. Le Premier ministre a également annoncé qu’une mission parlementaire confiée à Raphaël Gauvain travaillait en ce moment même sur ces questions d’attractivité. Il l’a dit lui-même « nous avons assez tergiversé », nous ne pourrions pas être plus en accord. Toutes les propositions et solutions qui ont été évoquées au cours de ce second Grenelle seront d’ailleurs listées et compilées sous la forme d’un livre blanc. Celui-ci sera publié début 2019 et remis au gouvernement.

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