Le Conseil d’État précise les modalités de recours contre les actes réglementaires

Publié le 20/07/2018

Le 18 mai 2018, le Conseil d’État a publié une décision où il précise les modalités de recours contre les actes réglementaires. Le Conseil d’État souligne que le moyen tiré des vices de forme et de procédure d’un acte réglementaire n’est possible que dans le cadre du recours par la voie de l’action. Cette décision est importante en matière de contentieux administratif mais elle peut également l’être dans le cadre du contentieux de la régulation.

CE, 18 mai 2018, no 414583, Fédération des finances et affaires économiques de la CFDT

1. Faits. En l’espèce, le syndicat Fédération des finances et affaires économiques de la CFDT a demandé au Premier ministre d’abroger le décret n° 2017-436 du 29 mars 20171. Suite au « refus implicite » de ce dernier, le syndicat introduit un recours en excès de pouvoir devant le Conseil d’État en vue d’obtenir l’annulation de la décision du Premier ministre et de l’enjoindre à abroger le décret précité. La question qui se pose au Conseil d’État est de savoir si les moyens tirés de vices de forme ou de procédure dont serait entaché un acte réglementaire doivent être jugés inopérants dans le contentieux du refus de l’abroger et lors de sa contestation par la voie de l’exception d’illégalité. À cette occasion, la haute juridiction de l’ordre administratif, réunie en assemblée du contentieux, estime dans sa décision en date du 18 mai 20182, que le recours contre les vices de forme et de procédure n’est possible que dans le cadre du recours par la voie de l’action. Par conséquent, il rejette le recours du syndicat.

Nous présenterons cette décision en abordant dans un premier temps les précisions apportées par le Conseil d’État (I) avant de traiter cette décision sous un angle prospectif en étudiant l’application de cette décision aux actes des autorités de régulation (II).

I – Précision du Conseil d’État sur le recours contre les actes réglementaires

2. Les modalités de recours contre un acte réglementaire. La décision du Conseil d’État rappelle dans un premier temps les modalités de recours contre les actes réglementaires. Ces modalités peuvent se présenter de la manière suivante :

  • Recours par la voie de l’action : le Conseil d’État vérifie que le demandeur a intérêt à agir et que la demande en annulation est faite dans les 2 mois qui suivent la publication de l’acte attaqué3. Le Conseil d’État précise également que dans le cadre d’une action par la voie de l’action, le juge administratif « contrôle la compétence de l’auteur de l’acte, les conditions de forme et de procédure dans lesquelles il a été édicté, l’existence d’un détournement de pouvoir et la légalité des règles générales et impersonnelles qu’il énonce ».

  • Recours par la voie de l’exception : Le Conseil d’État rappelle qu’un recours par la voie de l’exception est toujours possible, après l’expiration du délai de 2 mois, « à l’appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure prise pour l’application de l’acte réglementaire ou dont ce dernier constitue la base légale »4.

  • Recours gracieux : Une demande d’abrogation peut également être faite à l’auteur de l’acte. En cas de refus, cette décision de refus sera susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir5.

3. Des précisions relatives au contrôle de la légalité externe des actes administratifs réglementaires. Il est important de signaler que dans cette décision, le Conseil d’État estime que dans le cadre du recours par la voie de l’exception et le recours contre la décision de refus d’abroger l’acte administratif réglementaire, les requérants peuvent utilement invoquer la contestation de la légalité des règles fixées par l’acte réglementaire, la compétence de son auteur et l’existence d’un détournement de pouvoir. La haute juridiction de l’ordre administratif précise qu’« il n’en va pas de même des conditions d’édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne pouvant être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l’acte réglementaire lui-même et introduit avant l’expiration du délai de recours contentieux »6. Autrement dit, le contrôle « complet » de la légalité externe d’un acte réglementaire n’est possible que dans le cadre de l’action par la voie de l’action. Pour les autres voies de recours, le seul moyen de légalité externe qui puisse être invoqué est l’incompétence.

En l’espèce, le Conseil d’État applique cette nouvelle grille de lecture. Il décide donc de rejeter le recours du syndicat car son recours se basait sur les vices de forme et de procédure contre le refus du Premier ministre.

Schéma synthétisant les modalités de recours contre les actes réglementaires

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Après la présentation de l’apport de cette décision, notre étude doit poursuivre sur sa portée.

II – L’application de la décision du 18 mai 2018 aux actes réglementaire des autorités de régulation économique

4. Définition d’un acte réglementaire. L’étude de la portée de cette décision suppose que nous définissions les actes réglementaires. Classiquement7, les actes réglementaires peuvent se définir comme des actes qui revêtent un caractère général et impersonnel et qui visent ou concernent des catégories de destinataires et une situation prise de façon abstraite8. Une autre définition consiste à définir les actes réglementaires comme « des règles générales et impersonnelles destinées à des sujets de droit indéterminés »9.

5. Genèse du pouvoir réglementaire des autorités de régulation. La possibilité de conférer un pouvoir réglementaire à une autorité de régulation n’a pas toujours été évidente en raison de la rédaction de l’article 21 de la constitution du 4 octobre 1958. Cet article octroie le pouvoir réglementaire au Premier ministre mais ne prévoit de délégation qu’au profit des autres ministres10. Le Conseil constitutionnel a clarifié la situation en se prononçant sur la possibilité de déléguer des pouvoirs réglementaires par la loi à une autorité autre que le Premier ministre11. Toutefois, cette habilitation ne peut être absolue, elle ne peut concerner que des mesures « limitées tant par leur champ d’application que par le contenu »12.

Le législateur a conféré à de nombreuses autorités de régulation économique le pouvoir d’édicter des normes mettant en œuvre la loi13, parmi elles se trouvent des autorités telles que l’AMF, l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes), l’Autorité de la concurrence, la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés), la CRE (Commission de régulation de l’énergie), etc.

6. Le recours contre les actes réglementaires des autorités de régulation. Le recours pour excès de pouvoir contre les normes réglementaires des autorités de régulation n’est pas chose nouvelle. Le Conseil d’État a ainsi contrôlé la légalité d’une décision du CSA fixant les règles de répartition du temps d’actualité accordé aux représentants du gouvernement, de la majorité parlementaire et de l’opposition par les services de cette autorité (règle dite des trois tiers)14 ou d’une décision de l’ARCEP relative aux tarifs pratiqués par les opérateurs de téléphonie mobile15.

7. La décision du 18 mai 2018 est-elle applicable aux actes réglementaires des autorités de régulation ? Bien qu’en l’espèce la décision porte sur un recours contre un décret, nous pouvons noter que le Conseil d’État retient une formulation générale dans ses considérants16. Cette formulation générale nous amène à penser que ces décisions ont vocation à s’appliquer aux actes réglementaires dans leur ensemble. À notre sens, cette décision peut trouver à s’appliquer aux actes réglementaires des autorités de régulation. Cette interprétation est confortée par le communiqué publié sur le site internet du Conseil d’État17. S’il n’a aucune valeur juridique, ce communiqué peut toutefois nous offrir des pistes quant à l’intention des conseillers d’État.

8. La décision du 18 mai 2018 est-elle applicable aux actes de droit souple des autorités de régulation ? En principe les actes de droit souple ne sont pas concernés par cette décision dans la mesure où il ne s’agit pas d’actes réglementaires. Toutefois, il est notable que les actes de droit souple (avis, recommandations, mises en garde et prises de position, etc.) peuvent parfois revêtir un caractère de dispositions générales et impératives et sont susceptibles d’un recours en excès de pouvoir18. Autrement dit, les actes de droit souple peuvent avoir un caractère réglementaire et faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Ces éléments nous permettent de penser que la décision du 18 mai 2018 peut s’appliquer aux actes de droit souple des autorités de régulation dans la mesure où ils revêtent un caractère réglementaire.

Notes de bas de pages

  • 1.
    D. n° 2017-436, 29 mars 2017, fixant la liste des emplois et types d’emplois des établissements publics administratifs de l’État prévue au 2° de l’article 3 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 : JORF n° 0076, 30 mars 2017, texte n° 54. Ce décret a pour vocation de recenser les emplois ou types d’emplois des établissements publics administratifs de l’État qui requièrent des qualifications professionnelles particulières indispensables à l’exercice de leurs missions spécifiques et non dévolues à des corps de fonctionnaires, et qui justifient le recrutement d’agents contractuels.
  • 2.
    CE, 18 mai 2018, n° 414583, Fédération des finances et affaires économiques de la CFDT.
  • 3.
    CE, 18 mai 2018, n° 414583, cons. 3.
  • 4.
    CE, 18 mai 2018, n° 414583, cons. 4.
  • 5.
    CE, 18 mai 2018, n° 414583, cons. 4.
  • 6.
    CE, 18 mai 2018, n° 414583, cons. 4.²
  • 7.
    Il faut noter que le Conseil d’État a apporté quelques précisions à la définition classique. Dans sa décision n° 403316 en date du 19 juin 2017, le Conseil d’État estime qu’un acte n’est pas réglementaire car « d’une part, [il] est dépourvu de caractère général et impersonnel et, d’autre part, n’a pas, par lui-même, pour objet l’organisation d’un service public » (CE, 9e-10e ch. réunies, 19 juin 2017, n° 403316, Sté anonyme de gestion de stocks de sécurité, SAGESS). Un auteur souligne que cette décision laisse planer l’incertitude sur le caractère alternatif ou cumulatif du critère d’organisation d’un service public (Untermaier-Kerléo E., « La double définition de l’acte réglementaire », AJDA 2017, p. 1725).
  • 8.
    Frier P.-L. et Petit J., Précis de droit administratif, 6e éd., 2010, Montchrestien, n° 119.
  • 9.
    Morand-Deviller J., Droit administratif, 12e éd., 2011, Montchrestien, p. 317 ; Conseil d’État, Glossaire, v° « Acte administratif ». Le glossaire du Conseil d’État est disponible sur son site internet à l’adresse suivante : http://www.conseil-etat.fr/Les-Services/Glossaire.
  • 10.
    Autin J.-L., « Autorités administratives indépendantes », JCl Administratif, fasc. 75, 20 juill. 2010, fasc. actualisé par E. Breen le 4 oct. 2015, n° 88.
  • 11.
    Cons. const., 18 sept. 1986, n° 86-217 DC, loi relative à la liberté de communication. Le Conseil constitutionnel estime que l’article 21 de la constitution de 1958 ne fait « pas obstacle à ce que le législateur confie à une autorité de l’État autre que le Premier ministre le soin de fixer les normes permettant de mettre en œuvre une loi ».
  • 12.
    Cons. const., 17 janv. 1989, n° 88-248 DC.
  • 13.
    CE, « Le juge administratif et les autorités de régulation économique », Les dossiers thématiques du Conseil d’État, 13 oct. 2016, p. 3.
  • 14.
    CE, 7 juill. 1999, n° 198357, Front national.
  • 15.
    CE, 19 mai 2008, n° 311197, Fédération nationale UFC Que Choisir.
  • 16.
    CE, 18 mai 2018, n° 414583, cons. 2 à 4.
  • 17.
    Le communiqué fait remarquer que « l’assemblée du contentieux du Conseil d’État (…) rejette ces deux recours, en précisant selon quelles modalités les actes réglementaires, tels que le décret en cause peuvent être contestés devant le juge administratif ».
  • 18.
    CE, 21 mars 2017, nos 368082, 368083, 368084, Sté Fairvesta International GmbH : Vabres R., Dr. sociétés 2016, comm. 108 ; Perroud T., JCP G 2016, 22, 623. Dans cette décision, le Conseil d’État précise que les actes de droit souple sont susceptibles de recours pour excès de pouvoir « lorsqu’ils sont de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou ont pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent ».
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