Le Conseil d’État sur la brèche

Publié le 08/06/2018

Le Conseil d’État a présenté son rapport annuel d’activité pour 2017, le 17 mai dernier. Malgré un taux d’activité en constante progression dans tous les domaines, la juridiction administrative poursuit son effort de résorption des stocks de dossiers en instance et réduit ses délais de jugement.

« Sur la brèche », le mot est du vice-président du Conseil d’État Jean-Marc Sauvé. Il présentait son dernier rapport annuel d’activité le 17 mai dernier avant de céder sa place à Bruno Lasserre, dont le mandat prend effet à compter du 29 mai. Si Jean-Marc Sauvé estime que les juridictions administratives ont été particulièrement sur la brèche en 2017, c’est que toutes leurs activités sont en progression. À commencer par celle des formations consultatives du Conseil d’État qui ont rendu l’an dernier 1 305 avis et études concernant 106 projets de loi, 69 projets d’ordonnance, 1 101 projets de décret et ont répondu à 18 demandes d’avis. Le vice-président précise toutefois que malgré la charge de travail, l’institution est parvenue à se prononcer « dans un délai maîtrisé de deux mois dans 95 % des cas ». Ce qui ne l’empêche pas de regretter depuis plusieurs années que le gouvernement laisse si peu de délai au Conseil d’État pour examiner des textes d’une complexité technique croissante et communique trop tardivement certains documents essentiels, comme les études d’impact, ce qui « nuit au bon déroulement de l’examen des textes par les formations consultatives ».

Sur le terrain de contentieux, la hausse des nouveaux dossiers s’est poursuivie : + 2,5 % de nouvelles requêtes devant le Conseil d’État qui a ainsi enregistré 9 864 affaires nouvelles en 2017. Mais la juridiction a poursuivi ses efforts et jugé 10 134 dossiers, de sorte que le stock d’affaires est historiquement bas. Il faut compter désormais 5 mois et 24 jours pour obtenir une décision du Conseil d’État. Les cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs ont, quant à eux, tiré parti d’une progression modérée des entrées pour réduire leurs délais de jugement. Les cours administratives d’appel ont enregistré 31 283 affaires nouvelles et en ont jugé le même nombre. Le délai moyen de traitement s’établit à 10 mois et 28 jours, soit une amélioration de 17 % par rapport à 2007. Les tribunaux administratifs ont enregistré quant à eux 197 243 affaires nouvelles en 2017 soit une hausse de 1,9 % par rapport à l’année précédente, et jugé 201 460 dossiers. Le délai moyen de jugement est de 9 mois et 18 jours, soit une diminution de 30 % par rapport à 2007. Seule ombre au tableau, comme il fallait s’y attendre, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) qui intervient sur recours contre les décisions de l’OFPRA commence à ressentir l’impact des flux migratoires : + de 34 % d’entrées en 2017 soit 51 583 recours. Néanmoins, la mobilisation les juges et agents, qui ont réglé plus d’affaires qu’en 2016 (47 814 affaires), a permis que les délais de jugement soient réduits et se rapprochent des objectifs fixés par le législateur : 5 mois et 6 jours de délai moyen constaté (DMC).

La hausse du nombre de QPC se confirme

Concernant la procédure spécifique des questions prioritaires de constitutionnalité, le Conseil d’État en a reçu 258 en 2017. Ce chiffre confirme la tendance déjà constatée l’année précédente. Non seulement le phénomène de tassement attendu du nombre de QPC ne s’est pas produit (même s’il est vrai qu’il y a eu un passage sous la barre des 200 QPC annuelles entre 2012 et 2015) mais les QPC ont légèrement dépassé en 2017 le nombre record enregistré lors de la première année d’application de la réforme (256). Le taux de transmission en 2017 a été de 22 % ce qui s’inscrit dans la fourchette habituelle (entre 21 et 26 % depuis la création des QPC). Le Conseil constitutionnel a rendu l’an dernier 18 décisions de non conformité concernant des QPC transmises par le Conseil d’État ce qui correspond à un taux de succès pour les demandeurs de 33 % à partir du moment où la question est transmise, étant précisé que moins de 1 sur 5 est effectivement envoyée au Conseil constitutionnel.

La juridiction administrative teste la médiation obligatoire

Bien que beaucoup mieux lotie que l’institution judiciaire en termes de budget (en 2015, la France consacrait 1 482 euros pour une décision de justice administrative contre 886 pour une décision judiciaire), l’institution est vigilante. Jean-Marc Sauvé a indiqué qu’une enquête a été engagée en 2017 sur la charge de travail dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel. Un premier « baromètre social » a été réalisé en 2017 au niveau des tribunaux et des cours, puis de la CNDA. Cette expérience sera étendue au Conseil d’État en 2018. Par ailleurs, comme l’institution judiciaire, il plaide pour un recours à la médiation volontaire. « Face à une demande de justice en constante augmentation et dans un contexte budgétaire contraint, le recours au juge ne peut plus être la seule modalité de résolution des conflits. Ce n’est pas non plus toujours la solution la plus adaptée aux attentes des personnes. Dans ce cadre, le recours à la médiation doit être encouragé : car elle est plus rapide, moins onéreuse, plus consensuelle et plus complète en ce qu’elle peut intégrer des aspects d’équité ». Mais il a confirmé également le lancement en 2018 d’une expérimentation d’une procédure de médiation obligatoire avant la saisine du juge pour certains litiges relatifs à la situation personnelle des agents publics et pour certains recours relatifs aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi. Cette expérimentation est menée en application de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle du 18 novembre 2016. Il était initialement prévu qu’elle s’achève en novembre 2020. Mais comme en application du décret n° 2018-101 du 16 février 2018, l’expérimentation n’a débuté que le 1er avril 2018, ce qui réduit sa durée à moins de trois ans, le projet de loi de programmation pour la justice prolonge l’expérimentation jusqu’au 31 décembre 2021. Autre innovation, la juridiction administrative va mettre en service, en 2018, une nouvelle application, Télérecours citoyens, qui permettra à tous les justiciables, même non représentés par un avocat, d’accéder aux téléprocédures. Cette nouveauté s’inscrit dans le prolongement de la dématérialisation des procédures via Télérecours, obligatoire depuis le 1er janvier 2017 pour toutes les procédures avec avocats et celles des grandes administrations.

Le juge administratif, juge des libertés

L’année 2017 a également été marquée par la sortie de l’état d’urgence le 31 octobre. Dans ce cadre, le juge administratif accorde beaucoup d’importance à son rôle de juge des libertés. « Les atteintes aux libertés ne sont admissibles que si elles sont strictement proportionnées aux exigences de l’ordre public », a rappelé le vice-président du Conseil d’État. Un équilibre que le Conseil d’État dit s’être employée à maintenir dans son analyse des projets de textes autant qu’à l’occasion de son contrôle juridictionnel. C’est ainsi que s’agissant des mesures restrictives de liberté, il exige « qu’elles reposent sur une motivation rigoureuse et qu’elles respectent le droit à la vie privée et familiale des personnes. La légalité de chacune de ces mesures, y compris les assignations à résidence ou les perquisitions administratives, a été soumise à un triple contrôle de leur caractère nécessaire, adapté et proportionné ». De fait, pour Jean-Marc Sauvé : « Par les réponses rapides et équilibrées apportées aux questions qui se posaient, la juridiction administrative a témoigné de son efficacité et de sa capacité à répondre aux questions posées par la lutte contre le terrorisme ».

La polémique qui avait entouré, lors de la proclamation de l’état d’urgence, l’attribution de pouvoirs au juge administratif par préférence au juge judiciaire semble s’être quelque peu tassée. Mais les interrogations demeurent et certains se sont émus au début de cette année du fait que le Conseil d’État valide des dispositions de réformes attentatoires aux libertés. Ainsi, dans son avis du 15 février 2018 portant sur la loi asile et immigration, le Conseil d’État n’a pas vu d’obstacle à l’extension du recours à la visioconférence, alors que celle-ci a pour effet d’éloigner le justiciable de son juge, de sorte qu’elle est critiquée tant par les avocats que par les magistrats. « Le recours élargi à la vidéo-audience, même sans le consentement du demandeur, ne paraît pas au Conseil d’État se heurter à un obstacle de principe, de nature constitutionnelle ou conventionnelle. Si les exigences d’un procès juste et équitable supposent en effet que le justiciable puisse participer de manière personnelle et effective au procès, ce droit peut être aménagé pour poursuivre des objectifs également légitimes aux plans constitutionnel et conventionnel, tels que – comme en l’espèce – la bonne administration de la justice (en évitant l’allongement des délais dus aux reports d’audience qu’entraînent les difficultés de déplacement des demandeurs), la dignité des demandeurs (en évitant des déplacements sous escorte) et le bon usage des deniers publics (en réduisant les coûts pour l’administration) ». Une position que le Conseil d’État a eu lieu de confirmer dans son avis relatif à la loi de programmation pour la justice du 23 avril 2018 à propos de la modification de l’article 706-71 du Code de procédure pénale qui supprime le droit, pour la personne mise en examen, de s’opposer à ce que l’audience portant sur sa mise en détention provisoire ou le renouvellement de cette mesure soit organisée par visioconférence.

C’était donc le dernier rapport annuel de Jean-Marc Sauvé. Bruno Lasserre hérite d’une institution qui, quoique très sollicitée, fonctionne vite et bien. Rendez-vous en mai prochain pour un premier bilan de son action. Pour mémoire, avant de rejoindre le Conseil d’État, Bruno Lasserre a présidé le Conseil de la concurrence puis l’Autorité qui lui a succédé. Il en a fait l’une des plus réputée du monde. C’est un homme dynamique et passionné d’économie qui va certainement imprimer sa marque.

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