Le référé-réexamen devant le juge administratif : quinze ans de mise en œuvre aléatoire

Publié le 08/06/2016

La loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 relative aux procédures d’urgence avait pour objectif de changer en profondeur le contentieux administratif français. Cette réforme a sans doute modifié le paysage de la procédure administrative. Elle a mis en place des dispositifs soit nouveaux, soit retoqués. Le référé-réexamen de l’article L. 521-4 du Code de justice administrative (CJA) en est la démonstration. Aux termes de cet article, les mesures prises en référé sont susceptibles d’être ultérieurement modifiées ou abrogées. Or, malgré l’importance de ce mécanisme indispensable en matière de référé, le bilan des quinze premières années de sa mise en application est insatisfaisant. L’encadrement législatif et surtout, les aléas jurisprudentiels en sont la raison principale.

L’article L. 521-4 du CJA dispose que « saisi par toute personne intéressée, le juge des référés peut, à tout moment, au vu d’un élément nouveau, modifier les mesures qu’il avait ordonnées et y mettre fin ». Il s’ensuit que les mesures prononcées dans le cadre d’une procédure de référé sont susceptibles de faire l’objet d’une révision ou d’un réexamen permanent. La demande peut en être faite par tout justiciable, y compris par celui qui même n’était pas partie à l’instance initiale1. La modulation de ces mesures, rattrapables à tout moment, est une conséquence logique de leur caractère provisoire.

Ce pouvoir de révision, qui n’est pas propre au contentieux administratif français, constitue une des nouveautés de la réforme du 30 juin 2000 relative aux procédures d’urgence2. Il n’est en principe applicable qu’aux référés d’urgence : le référé-suspension, le référé-liberté et le référé-mesures utiles3. La crainte d’un engorgement des juridictions administratives semble en être la cause principale. En ce sens, un auteur a fait remarquer que « l’ouverture de l’article L. 521-4 du [CJA] à l’ensemble des procédures risquerait de produire un effet d’appel des recours, pouvant paralyser l’action de ce juge »4. Cette crainte devrait pourtant être relativisée, parce que, d’une part, ce dispositif évite le recours à une succession de procédures juridictionnelles (première instance et cassation) et, d’autre part, on va le voir, sa mise en application est rarissime.

Les avantages de cet instrument particulier5 ne sont pas négligeables. Ils sont clairement précisés par la doctrine, selon laquelle le référé-réexamen a été mis à la disposition du juge « pour que la décision prise « colle » le mieux possible aux données du litige »6. Il lui permet de faire « une adaptation fine de la décision juridictionnelle au contexte de droit de fait dans lequel » s’inscrit la palette des mesures prononcées7. Il a été créé dans le but de rapprocher les prérogatives du juge administratif des référés à celles dont dispose son homologue judiciaire en vertu de l’article 488 du Code de procédure civile. « Les promoteurs de la réforme ont entendu limiter la pression pesant sur le magistrat statuant seul lorsqu’il prend sa décision initiale. Il était en effet capital, pour assurer le succès des nouvelles dispositions, que le juge unique ne soit paralysé par la crainte d’une erreur due à une information partielle, crainte alimentée par la rapidité de l’instruction. [Il fallait également limiter] les effets préjudiciables que pourrait avoir l’ordonnance de référé pour un tiers au litige qui n’aurait pas eu la possibilité matérielle d’intervenir eu égard à la brièveté des délais d’instruction des référés »8.

Le dispositif de l’article L. 521-4, qualifié de « soupape de sécurité »9 et de « pièce maîtresse dans l’architecture contentieuse »10, constitue un facteur de bon fonctionnement de la procédure de référé, non seulement pour le juge, mais aussi pour le justiciable. Comme l’énonce un membre de la juridiction administrative, « il s’agit à la fois d’une sécurité pour le justiciable et d’une possibilité offerte au premier juge de modifier sa propre décision qui n’a donc rien d’irréversible »11. Il vise à contrebalancer ou compenser aussi bien l’affaiblissement des garanties résultant de l’unicité du juge des référés et des exigences de la contradiction allégée, mais aussi l’absence d’appel pour certains référés concernés, tels que le référé-suspension et le référé-mesures utiles.

Malgré l’importance du référé-réexamen, le bilan tiré de ses quinze premières années d’application demeure décevant. Son utilité demeure quelque peu théorique. Cela provient d’une mise en œuvre très stricte. L’encadrement textuel et, plus fortement, la pratique jurisprudentielle le rendent aléatoire. Ce dispositif largement défini (I) est en effet fondamentalement précaire (II).

I – Le référé-réexamen, un dispositif largement défini

L’article L. 521-4 subordonne la révision de la mesure prononcée à la présence d’un élément nouveau. Il s’agit donc d’un pouvoir limité ou conditionné. L’exigence de l’élément nouveau ou « une modification » nouvelle12 a pour but de préserver la sécurité juridique de la situation jugée. Ce qui confère à la décision du juge administratif des référés une certaine autorité qualifiée d’« autorité de chose jugée au provisoire »13 ou d’autorité « atténuée »14.

Mais la question qui se pose est de savoir quelle est la définition donnée à l’élément nouveau ? À partir de quand peut-on considérer un élément comme nouveau ? L’élément nouveau peut-il être la présentation « d’une argumentation plus nourrie » ou « le constat de l’insuffisance des mesures initialement ordonnées »15 ? S’agit-il d’un élément de droit ou de fait ? En principe, l’élément nouveau est ce « qui est de création récente »16. Quant à lui, un fait nouveau est « une circonstance survenue ou révélée postérieurement à une décision qui justifie que celle-ci soit révisée »17. Le juge administratif ne semble pas avoir parfaitement opté pour cette définition à l’égard de l’élément nouveau. Si ce dernier est logiquement caractérisé par un fait nouveau (A), l’étendue de la notion retenue par la jurisprudence l’est moins (B).

A – L’élément nouveau : l’exigence d’un fait nouveau

L’élément nouveau, permettant l’intervention du juge du référé-réexamen, se concrétise par un fait nouveau. En d’autres termes, la jurisprudence administrative définit la notion d’élément nouveau par l’existence d’un fait nouveau. Ainsi a été considéré comme un élément nouveau, la réalisation de photographies de nature à démontrer que l’affichage du permis de construire dont l’exécution a été suspendue était visible depuis la voie publique18, le fait que la prise de possession par la collectivité publique des biens consignés sur un plan d’alignement soit intervenue antérieurement à la suspension de ce plan qui a, le cas échéant, épuisé ses effets19, la délivrance d’un permis de construire modificatif au requérant dont le premier permis avait fait l’objet d’une suspension20 et l’irrecevabilité de la demande principale21.

De même, le fait que le Conseil supérieur de la magistrature ait donné un avis conforme à la nomination de l’intéressé dans un emploi devenu vacant a été regardé comme un élément nouveau permettant au juge du référé de mettre fin à la suspension qu’il avait prononcée contre un décret du président de la République refusant ladite nomination22 ; des notes de services de renseignements donnant des indications précises sur la dangerosité de la personne faisant l’objet d’un arrêté d’expulsion suspendu ont été regardées comme des éléments nouveaux de nature à enlever le doute sérieux que ceux initialement produits avaient fait naître quant à la légalité de l’arrêté contesté23 ; la production d’un procès-verbal d’infraction, revêtu de la signature de l’auteur du permis invalidé, qui n’avait pas été transmis en temps utile à l’auteur de la décision suspendue, a constitué comme un élément nouveau susceptible d’être soulevé devant le juge des référés avant l’intervention de l’ordonnance litigieuse24.

Plus récemment, le juge du Palais-Royal a, par un arrêt en date du 27 juillet 201525, étendu les pouvoirs du juge des référés. En l’espèce, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris avait refusé de réintégrer à titre provisoire un praticien dans ses fonctions à la suite d’une injonction du juge des référés du tribunal administratif de Melun d’y procéder. Cette inexécution de l’ordonnance de référé a été regardée, par le juge de première instance, comme un élément nouveau au sens de l’article L. 521-4 justifiant qu’il puisse être à nouveau saisi et prononce alors une nouvelle injonction assortie d’une astreinte. Saisi de l’affaire, le Conseil d’État a validé cette solution en considérant que « si l’exécution d’une ordonnance prononçant la suspension d’une décision administrative sur le fondement de l’article L. 521-1 du [CJA] peut être recherchée dans les conditions définies par les articles L. 911-4 et L. 911-5 du même code, l’existence de cette voie de droit ne fait pas obstacle à ce qu’une personne intéressée demande au juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-4 du même code, de compléter la mesure de suspension demeurée sans effet par une injonction et une astreinte destinée à en assurer l’exécution ».

En revanche, n’a pas constitué un élément nouveau le fait qu’il n’avait pas été statué au fond dans le délai initialement prévu en raison des aléas inhérents à l’instruction en particulier du déroulement des échanges contradictoires entre les parties26. En effet, la durée de la procédure devant le juge du fond ne doit pas être prise en compte par le juge de l’article L. 521-4 que lorsqu’elle serait de nature à renverser l’appréciation de l’urgence27. Quoi qu’il en soit, ce qui est considéré comme un élément nouveau et ce qui ne l’est pas relève d’une « appréciation souveraine du juge des référés, en l’absence de dénaturation, ne peut être discuté devant le juge de cassation »28. À noter également que le juge du référé-réexamen, qui suit les mêmes règles d’instruction qu’il avait suivies pour la requête initiale, ne peut pas méconnaître le caractère provisoire inhérent aux mesures prononcées en référé29. Il ne peut pas non plus, sans dénaturer la portée de la première ordonnance, prendre une mesure qui n’était pas impliquée par l’exécution de la première ordonnance30.

L’élément nouveau ainsi défini par un fait nouveau connaît une approche jurisprudentielle étendue. Ce qui n’est pas exempte de toute critique.

B – L’élément nouveau : le maintien d’une notion étendue

Dans la définition de la notion d’élément nouveau, le juge administratif des référés retient une approche très souple ou étendue. Deux décisions publiées au recueil Lebon en témoignent particulièrement. Dans la première, il a été jugé que « la seule circonstance que les éléments produits par le secrétaire d’État à l’Outre-mer auraient déjà été à sa disposition lors de l’instruction de la demande de suspension présentée par Mlle Reby et qu’ils n’auraient pas été invoqués en temps utile, faute que l’Administration ait fait les diligences nécessaires, ne faisait pas obstacle à ce qu’ils fussent invoqués ultérieurement par le secrétaire d’État à l’Outre-mer au soutien d’une demande présentée sur le fondement de l’article L. 521-4 du [CJA] tendant à ce que le juge des référés mette fin à la suspension ordonnée antérieurement »31. Dans la seconde, il a été jugé que les dispositions de l’article L. 521-4 « ne font pas obstacle à ce que le juge des référés modifie les mesures qu’il avait ordonnées ou y mette fin au vu d’un moyen nouveau que lui soumettrait à cette fin l’une des parties ou toute autre personne intéressée alors même que ce moyen aurait pu lui être soumis dès la première saisine »32.

Il en résulte que l’élément nouveau ne se limite, ni à l’articulation d’un moyen de droit qui aurait été inconnu du défendeur au moment de l’instruction de la première ordonnance en référé, ni à la survenance d’un fait nouveau révélé postérieurement à l’ordonnance de référé. L’élément nouveau est celui qui n’a pu être examiné par le juge à l’occasion de la première saisine, que ce soit à cause d’une négligence de la part du requérant à l’invoquer ou faute de temps. Autrement dit, l’élément nouveau s’entend par tout moyen de fait ou de droit dont le juge n’a pas eu connaissance lorsqu’il a statué sur la première demande.

Ce faisant, le juge administratif des référés s’éloigne de la position retenue par son homologue en droit judiciaire : le juge civil des référés. En effet, la Cour de cassation considère que « ne saurait être qualifié de circonstance nouvelle, le fait déjà connu du défendeur et que celui-ci a omis d’invoquer lors des débats »33 ; la demande relative à de telle circonstances ne peut par la suite qu’être rejetée comme irrecevable34. Si le raisonnement retenu par le juge civil est plus restrictif que celui du juge administratif, il n’en demeure pas moins plus cohérent. Il l’est notamment vis-à-vis d’une solution plus générale et constante en contentieux administratif et selon laquelle le juge n’est tenu de rouvrir l’instruction que si le mémoire produit par les parties contient, soit l’exposé d’une circonstance de fait dont la partie qui l’invoque n’était pas en mesure de faire état avant la clôture d’instruction, que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d’une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d’office35.

En somme, faute de précision législative sur la question, la notion d’élément nouveau a été laissée au juge administratif. Elle fait l’objet d’une définition large. Ce qui rend la procédure du référé-réexamen aléatoire. Le caractère fondamentalement précaire en est un autre élément démonstratif.

II – Le référé-réexamen, un dispositif fondamentalement précaire

La procédure de l’article L. 521-4 du CJA est essentiellement précaire. La raison en est simple : la jurisprudence administrative subordonne sa mise en œuvre à l’octroi de la demande provisoire (A), à la faculté, pour le juge, de moduler d’office la mesure prise (C) et à la saisine d’un juge compétent (B).

A – L’exigence d’octroi de la demande provisoire

La mise en application du référé-réexamen est subordonnée à l’octroi, au moins partiel, de la demande provisoire. Si le requérant dont la première requête a été rejetée peut toujours en présenter une nouvelle « plus étayée ou justifiée par un changement de situation »36, il ne peut plus invoquer la mise en application dudit article. À cet égard, la jurisprudence administrative est catégorique et constante.

En effet, que ce soit en matière de référé-liberté37 ou de référé-suspension38, il a été jugé que les dispositions de l’article L. 521-4 « ne sauraient être utilement invoquées lorsque le juge des référés a rejeté purement et simplement une requête aux fins de suspension d’une décision administrative dont il était saisi ». L’applicabilité de cette solution est donc soumise au rejet par le juge de « l’intégralité des conclusions dont il avait été saisi »39. Et dans le cas où le premier juge a rejeté une première demande, une saisine ultérieure en application dudit article est simplement interprétée par le juge comme une nouvelle demande. La seconde demande est même parfois regardée comme sans objet et, par la suite, irrecevable40. Le juge de cassation n’a pas hésité à sanctionner, au titre de l’erreur de droit, le juge des référés de première instance ayant fait droit, sur le fondement du référé-réexamen, à la demande de suspension d’un acte administratif antérieurement rejetée41.

La jurisprudence justifie une telle position par le fait que le juge qui rejette une demande de référé ne prend aucune mesure susceptible d’être modifiée ou abrogée. Dans le cadre du référé-suspension, le Conseil d’État a ainsi estimé qu’en relevant que le requérant ne pouvait se prévaloir des dispositions de l’article L. 521-4, dès lors qu’aucune mesure susceptible d’être modifiée ou abrogée n’avait été ordonnée par la première ordonnance par laquelle la demande de suspension avait été rejetée, le juge des référés de première instance n’a pas faussement interprété ledit article42. Plus clairement encore en référé-liberté, le Conseil d’État a estimé « que l’ordonnance contestée, qui a rejeté une précédente requête de M. A, n’a ordonné aucune mesure ; que, dès lors, la requête de M. A, qui tend à la modification de cette ordonnance sur le fondement de l’article L. 521-4 du [CJA], est manifestement étrangère au champ de cet article et ne peut donc, y compris ses conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du [même code], qu’être rejetée »43.

Force est toutefois de constater qu’en dépit de l’affirmation prétorienne constante liant la procédure de l’article L. 521-4 aux ordonnances d’octroi des requêtes de référé, elle ne convainc guère. Elle l’est notamment vis-vis du principe d’égalité entre les parties antagonistes. Comment justifier la privation de l’administré d’une telle procédure favorable lorsque sa première demande de référé a été rejetée, alors que l’auteur de l’acte – l’Administration –, pourrait en obtenir l’application ? Ne serait-il pas plus égalitaire de permettre à tout justiciable d’apporter un élément nouveau devant le juge du référé-réexamen indépendamment du sens de la première ordonnance prise ?

Ce qui est sûr c’est que la position retenue jusqu’alors, qui semble « irréprochable au regard de la lettre » de l’article L. 521-4, ait « pour inconvénient d’en limiter l’importance pratique »44. En réalité, bien que le référé-réexamen soit fait « pour qu’on s’en serve », pour reprendre les termes de Jean-Claude Bonichot45, il n’est appliqué que trop rarement. Les chiffres qui ressortent des quinze premières années sont très significatifs. Par exemple, sur les plus de onze mille demandes de référé dont le Conseil d’État a été saisi depuis 200146, seulement une trentaine l’ont été sur le fondement de l’article L. 521-4 et dont, uniquement, une dizaine ont été accordées.

Outre l’exigence d’octroi de la demande provisoire, la précarité du mécanisme du référé-réexamen vient de la position jurisprudentielle relative à la saisine du juge compétent.

B – La saisine d’un juge compétent

La demande de réexamen doit être présentée à un juge compétent. Rien d’illogique. Ce juge devrait naturellement être celui qui a rendu la décision dont le réexamen est demandé, c’est-à-dire celui qui, en dernier, a connu du litige. Or ce n’est pas la position suivie par la jurisprudence administrative. Dans un arrêt du 30 décembre 200947, il a été relevé qu’il n’appartenait pas au juge de cassation ayant accordé la suspension d’un acte administratif rejetée par le juge de première instance, de modifier ou de mettre fin à cette suspension en vertu du référé-réexamen. De la sorte, le Conseil d’État a considéré que le pouvoir modulatoire ne découlait que de la compétence du juge de première instance qui avait, en l’espèce, rejeté la suspension.

En dépit de la démonstration faite par le rapporteur public quant à la faiblesse des arguments militant en faveur de la compétence du juge de cassation de réviser la suspension qu’il avait ordonnée48, la jurisprudence Commune de Sucy-en-Brie ne convainc pas. Bien qu’elle ait été réaffirmée par la suite49, plusieurs raisons militent en effet en faveur d’une position contraire. D’abord, la solution ainsi dégagée ne semble pas être conforme aux dispositions de l’article L. 521-4 selon lesquelles « le juge des référés peut (…) modifier les mesures qu’il avait ordonnées ou y mettre fin ». Il en déduit que le juge compétent est l’auteur des mesures ordonnées. Rien d’illogique, car il s’agit là du juge le plus apte à réexaminer la mesure qu’il a déjà prise. La bonne administration de la justice elle-même allait dans ce sens. À ce titre, il a été souligné que la solution retenue en 2009 était « contraire au bon sens et a pour effet de prolonger la procédure »50. Afin d’éviter des nouvelles saisines et, par conséquent, de nouveaux coûts financiers et d’éviter le prolongement de la procédure, il serait donc plus judicieux que le juge des référés de cassation statue à nouveau sur la mesure qu’il avait prononcée au lieu de renvoyer l’affaire devant le juge de première instance. Il n’est pas infondé de penser qu’il serait peut-être même difficile à ce dernier de prendre une position différente de celle de la haute juridiction administrative ; juridiction qui, en cas d’appel en référé-liberté, est compétente pour exercer « les pouvoirs prévus à l’article L. 521-4 » du CJA.

À de tels aléas jurisprudentiels s’ajoute un autre, celui lié à la faculté laissée au juge administratif des référés de moduler d’office la mesure prise.

C – La faculté laissée au juge de moduler d’office la mesure prise

La logique juridique milite en faveur de ce que le juge compétent ne puisse mettre en œuvre le référé-réexamen que lorsqu’il en reçoit des conclusions à cette fin. D’où d’ailleurs les dires d’un auteur qu’« il s’agit moins d’un pouvoir que d’une faculté de révision »51. En effet, alors que le projet de loi donnait au juge des référés le pouvoir de mettre en application le référé-réexamen, « non seulement à la demande des intéressés, mais aussi d’office, (…) le Sénat estima cependant qu’un système d’auto-réexamen serait une source d’insécurité juridique et il résolut de l’écarter »52. Le fait que le juge ne puisse pas, de sa propre initiative, mettre en application cette procédure a donc été regardé comme un gage de sécurité juridique. Ce qui confirme que les mesures ordonnées s’imposent, de manière provisoire, à son auteur jusqu’à ce qu’une demande lui soit adressée.

Le Conseil d’État a cependant indiqué, dans son avis Commune de Rogerville, en date du 12 mai 2004, que le juge des référés « se prononce par une ordonnance qui n’est pas revêtue de l’autorité de la chose jugée et dont il peut lui-même modifier la portée au vu d’un élément nouveau invoqué devant lui par toute personne intéressée »53. Bien que cette position, non partagée par des commentateurs autorisés54, ait été ultérieurement réitérée à plusieurs reprises55, elle n’en demeure pas moins fragile. Elle l’est notamment d’un point de vue égalitaire entre les deux parties antagonistes. Surtout que, on vient de le voir, le mécanisme du réexamen n’est susceptible d’être mis en œuvre qu’à l’encontre des ordonnances d’octroi des requêtes de référé.

Cela ne signifie pourtant pas que le recours du juge des référés au pouvoir de révision ou de réexamen est sans limite. Il s’agit d’un pouvoir qui ne relève heureusement pas des humeurs du juge. Autrement dit, la marge de manœuvre dont bénéficie le juge en la matière n’est pas absolue. La raison en est simple. S’il appartient au juge de moduler de lui-même les mesures précédemment prises, il ne peut y procéder que lorsqu’un élément nouveau a été invoqué devant lui. Cela ressort, comme on l’a vu, non seulement de la jurisprudence administrative mais aussi du texte de l’article L. 521-4 lui-même.

En guise de conclusion, deux constats principaux et contradictoires s’imposent. En premier lieu, la procédure de l’article L. 521-4 du CJA, qui confirme la place primordiale du juge de premier ressort en matière d’urgence, est d’une importance capitale. Elle indispensable en matière de référé. Elle est même de nature à favoriser l’octroi des mesures de référé avec célérité puisque le juge a l’assurance de pouvoir revenir sur sa décision. En second lieu, le bilan de la pratique prétorienne des quinze premières années d’entrée en vigueur du mécanisme du référé-réexamen est décevant. Il est bien insatisfaisant. La position jurisprudentielle rend en effet l’utilité de la procédure en question aléatoire. Outre sa précarité, elle bénéficie d’une définition large. Ce qui fait que son adaptation au référé demeure théorique. La rareté de sa mise en œuvre en est la conséquence. Pour y remédier, il faudrait, non seulement que le juge administratif élargisse le champ d’application de la procédure, mais aussi qu’il redéfinisse la notion d’élément nouveau.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Dès lors, la mise en œuvre de la procédure peut être présentée par les personnes recevables à former une tierce-opposition : CE, 16 déc. 2005, n° 286593, Fondation Hector Otto, D – CE, 4 avr. 2012, n° 356401, Société Céphalon France : Lebon, p. 141.
  • 2.
    Sur ces points, v. A. Sayede Hussein, Le juge administratif, juge du référé-suspension, PUAM, Aix-en-Provence, 2014, p. 436 et s.
  • 3.
    CE, 5 avr. 2004, n° 260574, SARL Restaurant Côte d’Azur : Lebon, tables, p. 829. Force est toutefois de constater que si cette procédure a été jugée inapplicable aux décisions prises par le juge du référé-provision de l’article R. 541-1 du CJA (CE, 20 déc. 2006, n° 283352, SNC Cannes Esterel : Lebon, tables, p. 1006), elle a été appliquée aux décisions prises au titre du référé-projet d’aménagement de l’article L. 554-11 du CJA (CE, 21 déc. 2001, nos 232084 et 232260, EPAD : Lebon, p. 654).
  • 4.
    J. Piasecki, L’office du juge administratif des référés : entre mutation et continuité jurisprudentielle, Thèse université du sud Toulon-Var, 2008, p. 378.
  • 5.
    Il convient de noter que le référé-réexamen est différent des voies de recours classiques (appel et cassation). Sur ce point, v. A. Sayede Hussein, Le juge administratif, juge du référé-suspension, op. cit., p. 437 et s.
  • 6.
    J.-C. Bonichot, obs. sous CE, 2 juin 2003, n° 253854, ville de Montpellier c/ Chong : BJDU 2003, n° 4, p. 299.
  • 7.
    C. Landais et F. Lenica, chron., sous CE, ass., 11 mai 2004, n° 255886, Association AC ! : AJDA 2004, p. 1184.
  • 8.
    J. Gourdou et A. Bourrel, Les référés d’urgence devant le juge administratif, L’Harmattan, Paris, 2003, p. 89 et s.
  • 9.
    P. Cassia, « Le référé-réexamen devant le juge administratif : premières applications et difficultés d’interprétation de l’article L. 521-4 du Code de justice administrative » : JCP G 2003, 1347, spéc. n° 29.
  • 10.
    J.-C. Bonichot et a., Les grands arrêts du contentieux administratif, Dalloz, 2011, 3e éd., p. 455.
  • 11.
    L. Vallée, concl., sur CE, sect., 29 nov. 2002, n° 244727, Communauté d’agglomération Saint-Étienne Métropole : BDCF 2003, n° 28.
  • 12.
    E. Prada-Bordenave, concl., sur CE, sect., 23 nov. 2001, Aberbri : RFDA mars-avr. 2002, p. 338.
  • 13.
    B. Plessix, « Le caractère provisoire des mesures prononcées en référé » : RFDA janv.-févr. 2007, p. 78.
  • 14.
    L. Esfonds, Langage et conceptualisation du contentieux provisoire des décisions administratives. Réflexions sur la procédure de suspension des décisions administratives, PUAM, Aix-en-Provence, 2006, p. 251.
  • 15.
    F. Colcombet, « Rapport au nom de la commission des lois sur le projet de loi relatif au référé devant les juridictions administratives » : Rapp. n° 2002, 8 déc. 1999, p. 45, www.assemblee-nationale.fr/11/rapports/r2002.asp.
  • 16.
    R. Rouquette, Dictionnaire du droit administratif, Le Moniteur, Paris, 2002, p. 536.
  • 17.
    G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, Paris, 2011, 9e éd., p. 688.
  • 18.
    CE, 2 juin 2003, n° 253854, ville de Montpellier c/ Chong : Lebon, tables, p. 925.
  • 19.
    CE, 26 mars 2012, n° 350834, Association des habitants des quartiers sud et maraîchers de Colmar et a. : Lebon, tables, p. 607.
  • 20.
    CE, 24 févr. 2003, n° 251928, M. Perrier : Lebon, p. 50 – CE, 13 juin 2012, n° 354493, Association patrimoine et environnement Bourg-de-Péage Romans, D.
  • 21.
    CE, 1er mars 2004, n° 258505, Socquet-Juglart : Lebon, tables, p. 818, 823 et 825.
  • 22.
    CE, 20 sept. 2002, n° 249894, ministre de la Justice c/ Ozoux : Lebon, tables, p. 850.
  • 23.
    CE, 4 oct. 2004, n° 266948, ministre de l’Intérieur, de la Sécurité intérieure et des Libertés locales c/ Bouziane, D.
  • 24.
    CE, 21 oct. 2013, n° 370324, ministre de l’Intérieur c/ Boyer : Lebon, tables, p. 733.
  • 25.
    CE, 27 juill. 2015, n° 389007, Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) : Lebon à paraître.
  • 26.
    CE, 2 juill. 2010, n° 339677, chambre de commerce et d’industrie Marseille-Provence : Lebon, p. 234.
  • 27.
    J.-C. Bonichot et a., Les grands arrêts du contentieux administratif, op. cit., p. 464.
  • 28.
    CE, 10 avr. 2002, n° 241039, Mlle Reby : Lebon, p. 133 – CE, 30 déc. 2009, n° 327334, Charles A. et M. Grenier : Lebon, tables, p. 891.
  • 29.
    V. CE, 20 oct. 2004, n° 266724, ministre de l’Agriculture c/ consorts Jaboulet : Lebon, tables, p. 824.
  • 30.
    CE, 8 févr. 2006, n° 276047, commune de Saint-Maxime, D.
  • 31.
    CE, 10 avr. 2002, n° 241039, Mlle Reby : Lebon, p. 133. Ce principe a été récemment réaffirmé : CE, 26 mars 2012, n° 350834, Association des habitants des quartiers sud et maraîchers de Colmar et a. : Lebon, tables, p. 607.
  • 32.
    CE, 26 juin 2002, n° 242703, ministre de l’Éducation nationale c/ Mme Charlois-Duméril : Lebon, p. 226.
  • 33.
    Cass. 3e civ., 3 oct. 1984, n° 83-11704, Société Fredgérard : JCP G 1984, IV, 338, spéc. n° 2.
  • 34.
    Cass. 3e civ., 16 déc. 2003, n° 02-17316, FP-BD : D. 2004, IR, p. 252, n° 4.
  • 35.
    CE, 12 juill. 2002, n° 236125, M. et Mme Leniau : Lebon, p. 278. Il s’agit d’un principe repris même par le juge des référés : CE, 30 déc. 2009, n° 327334, Charles A. et M. Grenier : Lebon, tables, p. 891.
  • 36.
    Rapport du groupe de travail du Conseil d’État sur les procédures d’urgence : RFDA sept.-oct. 2000, p. 951.
  • 37.
    CE, 13 oct. 2004, n° 273046, Hoffer : Lebon, tables, p. 816. D’une manière contradictoire, le Conseil d’État a, dans une espèce où les conditions d’octroi de la procédure du référé-liberté n’étaient pas remplies, estimé que « la présente ordonnance ne fait pas obstacle à ce que les requérants, dans le cas où une décision sur leur demande n’interviendrait pas dans des délais rapprochés ou en raison d’éléments nouveaux relatifs à la situation de leurs enfants, saisissent à nouveau le juge des référés sur le fondement de l’article L. 521-4 » : CE, 13 janv. 2006, n° 288434, Rasamoelina, D.
  • 38.
    CE, 3 nov. 2004, n° 273370, M. A., D – CE, 23 déc. 2009, n° 333759, M. A., D.
  • 39.
    CE, 12 janv. 2005, n° 276365, M. X, D.
  • 40.
    CE, 25 mai 2005, n° 280778, Bedecarrax, D.
  • 41.
    CE, 17 mars 2004, n° 257650, S.C.I., Bord de Mer et commune de Saint-Tropez, D.
  • 42.
    CE, 17 mai 2002, n° 239266, commune de Proville, D.
  • 43.
    CE, 21 sept. 2010, n° 343326, M. A, D. Dans le même sens, il a été plus récemment relevé que le juge qui rejette la demande de référé en raison d’absence d’aucune atteinte à une liberté fondamentale « n’a en conséquence ordonné aucune mesure qu’il serait possible de lui demander de modifier ou à laquelle il serait possible de lui demander de mettre fin selon la procédure prévue par l’article L. 521-4 » : CE, 26 janv. 2012, n° 356028, Mme V, D.
  • 44.
    P. Cassia, « Le référé-réexamen devant le juge administratif », art. cit., p. 1347 et s et p. 1350.
  • 45.
    J.-C. Bonichot, obs., sous CE, 2 juin 2003, n° 253854, ville de Montpellier c/ Chong, préc., p. 299.
  • 46.
    Pour tableaux analytiques sur ce point, v. A. Sayede Hussein, Le juge administratif, juge du référé-suspension, op. cit., p. 56.
  • 47.
    CE, 30 déc. 2009, n° 333704, commune de Sucy-en-Brie : Lebon, tables, p. 890.
  • 48.
    Sur ces conclusions, v. P.-H. Job , note sous CE, 30 déc. 2009, n° 333704 : commune de Sucy-en-Brie : AJDA sept. 2010, p. 1603 et s.
  • 49.
    CE, 12 mai 2010, n° 320842, SCA Pyrénées Porcs, D.
  • 50.
    E. Glaser, note sous CE, 30 déc. 2009, n° 333704, commune de Sucy-en-Brie : Rev. Lamy coll. territoriales 2010, p. 23.
  • 51.
    M. Fouletier, « La loi du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives » : RFDA 2000, p. 970.
  • 52.
    JO déb. Sénat 8 juin 1999, p. 3754. Cité par R. Vandermeeren, « La réforme des procédures d’urgence devant le juge administratif » : AJDA 2000, p. 718.
  • 53.
    CE, sect., avis, 12 mai 2004, n° 265184, commune de Rogerville : Lebon, p. 223.
  • 54.
    P. Cassia, « Le juge administratif des référés et le principe d’impartialité » : D. 2005, p. 1188, n° 18.
  • 55.
    CE, 18 févr. 2005, n° 268952, M. T. : Lebon, tables, p. 1023, 1031 et 1050 – CE, 17 avr. 2008, n° 307866, Caisse des dépôts et consignations gérant la CNRACL : Lebon, tables, p. 806 et 867.
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