UE : L’éloignement des étrangers ayant un titre de séjour dans un autre État membre (et l’insuffisante transposition de la directive Retour depuis 2016)

Publié le 24/02/2022
Voyage, étranger
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Les étrangers en séjour irrégulier en France, tout en ayant un titre de séjour dans un autre État membre de l’Union européenne (UE), sont susceptibles de faire l’objet de deux catégories de mesures : d’une part, une mesure de réadmission au sein de l’UE prévue au paragraphe 3, de l’article 6, de la directive Retour, qui n’est possible que dans des cas circonscrits et n’a pas pour finalité essentielle de garantir leur droit au séjour dans un autre État membre, et, d’autre part, une obligation de se rendre sans délai dans l’autre État membre, sauf à encourir une décision de retour vers leur pays d’origine, conformément au paragraphe 2 de ce même article 6, obligation qui, quoique conçue comme une garantie, voit son effectivité assez mal assurée par le silence des textes nationaux accusant, sur ce point, un défaut de transposition depuis 2016. L’examen des législations comparées de plusieurs autres États membres de l’Union européenne, de l’interprétation de la Commission et de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne permet néanmoins de lever les principales questions qui pouvaient se poser quant à la portée de ce paragraphe 2, de l’article 6, de la directive Retour.

Le droit applicable aux étrangers présents sur le territoire français, en grande partie dicté par le droit de l’Union européenne, distingue entre plusieurs catégories d’étrangers, auxquelles s’appliquent différents régimes, plus ou moins protecteurs selon le cas, pour l’entrée, le séjour ou l’éloignement. En nous tenant aux principales catégories et en allant des plus aux moins protégés, citons : les citoyens de l’Union européenne1, les étrangers titulaires du statut de résident de longue durée-UE dans un autre État membre2, les étrangers titulaires d’un simple titre de séjour dans un autre État membre (sans y bénéficier du statut de résident de longue durée-UE)3 et les étrangers n’ayant aucun permis de séjour ni aucun droit de mobilité quelconque au sein de l’Union européenne. La catégorie des citoyens de l’Union européenne est celle qui, tant dans la législation française que dans la pratique, soulève le moins de difficultés. Celle des étrangers titulaires du statut de résident de longue durée-UE dans un autre État membre est, quant à elle, insuffisamment prise en compte dans la pratique. Cela reflète en partie une lacune de la législation française s’agissant des mesures d’éloignement hors de l’Union européenne : en effet, alors que l’étranger résident de longue durée-UE doit normalement faire l’objet d’une réadmission dans l’État membre où il bénéficie de ce statut, et qu’il ne peut être éloigné du territoire de l’Union que pour les motifs prévus à l’article 12 de la directive n° 2003/109/CE, c’est-à-dire uniquement « lorsqu’il représente une menace réelle et suffisamment grave pour l’ordre public ou la sécurité publique », ni l’ancien article L. 511-1 ni le nouvel article L. 611-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), relatif aux différents fondements possibles de l’obligation de quitter le territoire français (OQTF), ni l’ancien l’article L. 511-4 ni le nouvel article L. 611-3, qui définit les étrangers protégés contre une OQTF, ne font référence aux résidents de longue durée-UE. Mais ce point ne soulève pas de grande difficulté si l’on interprète ces dispositions à la lumière de la directive de 20034. C’est en définitive le sort des ressortissants de pays tiers qui sont en séjour irrégulier en France, tout en ayant un titre de séjour dans un autre État membre de l’Union européenne, sans pour autant bénéficier du statut de résident de longue durée, qui se trouve, en l’état actuel de la législation, le plus frappé d’incertitude. Ces étrangers apparaissent en effet ballottés entre, d’une part, les mesures de réadmission au sein de l’Union européenne prévues au paragraphe 3, de l’article 6, de la directive Retour qui, quoique d’une effectivité bien réelle, ne sont possibles que dans des cas circonscrits et n’ont pas pour finalité essentielle de garantir leur droit au séjour dans un autre État membre (I), et, d’autre part, la dérogation à la décision de retour prévue au paragraphe 2 de ce même article 6 qui, quoique conçue comme une garantie en principe applicable à tous les titulaires d’un titre de séjour dans un autre État membre, voit son effectivité assez mal assurée par le silence des textes nationaux qui, sur ce point, accusent un défaut de transposition depuis 2016 (II).

I. La mesure de réadmission au sein de l’Union européenne n’est possible que dans des cas circonscrits et n’a pas pour finalité essentielle de garantir le droit au séjour de l’étranger dans un autre État membre.

La réadmission au sein de l’Union européenne n’est possible que sur le fondement des accords existant au 13 janvier 2009. Si la directive n° 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 prévoit, en son article 4, qu’elle s’applique sans préjudice des dispositions plus favorables des accords bilatéraux ou multilatéraux conclus avec des pays tiers, elle ne comporte pas de dispositions équivalentes pour réserver de façon générale l’application des accords ou arrangements bilatéraux conclus entre les États membres aux fins de réadmission. Ce n’est que par une dérogation limitée que le paragraphe 3, de l’article 6, énonce que les États membres ne peuvent s’abstenir de prendre une décision de retour vers un pays tiers à l’encontre d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire uniquement si le ressortissant concerné est repris par un autre État membre « en vertu d’accords ou d’arrangements bilatéraux existant à la date d’entrée en vigueur de la présente directive »5. La loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 en a tiré les conséquences en modifiant l’article L. 531-1 du CESEDA relatif aux mesures de réadmission, figurant désormais à l’article L. 621-2 du nouveau code, pour préciser que ces mesures ne pouvaient être prises qu’« en application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec les États membres de l’Union européenne, en vigueur au 13 janvier 2009 »6, date d’entrée en vigueur de la directive Retour. De tels accords de réadmission sont nombreux mais ne semblent pas avoir été conclus avec tous les États membres de l’Union européenne7 et ne prévoient d’ailleurs pas tous les mêmes conditions, même si nombre d’entre elles sont similaires.

L’exclusion de l’obligation de réadmission en cas de séjour de plus de 6 mois dans un autre État membre. La grande majorité des accords bilatéraux de réadmission conclus par la France avec des États membres ou des États devenus membres de l’Union européenne prévoient, s’agissant notamment des ressortissants de pays tiers qui sont en situation irrégulière dans l’État requérant et qui disposent d’un titre de séjour dans l’État requis, que l’obligation de réadmission « n’existe pas » à l’égard des « ressortissants des États tiers qui séjournent depuis plus de 6 mois sur le territoire de la partie contractante requérante »8. Cette clause d’exclusion de l’obligation de réadmission n’est certes pas prévue par les accords les plus anciens, demeurés en vigueur ou confirmés par un nouvel accord, tels que l’accord conclu avec l’Allemagne9 et l’accord conclu avec la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Pologne10, mais elle a de fait un champ d’application géographique fort large. Elle s’applique en tout cas aux deux pays dont sont principalement issus11 les étrangers qui se trouvent à la fois en séjour irrégulier en France et en possession d’un titre de séjour délivré par un autre État membre de l’Union européenne, à savoir l’Italie et l’Espagne. On peut relever d’autres clauses d’exclusion, notamment en cas de visa ou de titre de séjour délivré par l’État requérant la réadmission, mais, en pratique, c’est la clause liée à la durée du séjour qui est destinée à s’appliquer le plus souvent.

La réadmission au sein de l’Union européenne n’est pas conçue comme une garantie, ni comme une dérogation à la décision de retour qui doit en principe être prise par l’État requis. Ni la directive Retour ni les accords bilatéraux de réadmission entre États membres ne conçoivent la réadmission comme une garantie instituée à l’attention des étrangers qui en font l’objet, mais comme un moyen, pour les États membres, de se partager équitablement la responsabilité de leur éloignement vers les pays tiers. La seconde phrase du paragraphe 3, de l’article 6, de la directive Retour énonce en ce sens qu’en cas de reprise, « l’État membre qui a repris le ressortissant concerné d’un pays tiers applique le paragraphe 1 », c’est-à-dire prend une décision de retour12. Ainsi que l’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt de grande chambre rendu le 7 juin 2016 dans l’affaire n° C47/15, « l’exception prévue à cet article 6, paragraphe 3, concerne uniquement l’obligation de l’État membre, sur le territoire duquel se trouve le ressortissant en question, d’adopter une décision de retour à son encontre et ainsi de se charger de son éloignement, cette obligation incombant alors, ainsi que le précise la seconde phrase dudit article 6, paragraphe 3, à l’État membre qui a repris ce ressortissant » (§ 84). Cette décision de remise constitue donc avant tout « l’une des mesures prévues par la directive n° 2008/115 pour mettre fin au séjour irrégulier du ressortissant d’un pays tiers et une étape préparatoire à l’éloignement de celui-ci du territoire de l’Union » (§ 87)13. De même, les accords bilatéraux de réadmission entre États membres, s’agissant des ressortissants de pays tiers14, sont essentiellement « conçues au niveau européen comme des mécanismes de contrepartie de la liberté de circulation par ailleurs consacrée entre les États signataires, et comme un dispositif de responsabilisation de chacun des pays pour garantir un contrôle aux frontières des arrivées », selon les termes de Xavier Domino dans ses conclusions sur l’affaire Préfet de la Haute-Savoie, ayant donné lieu à l’avis contentieux du 18 décembre 201315.

Certes, le pouvoir d’appréciation dont dispose le préfet dans ce contexte n’est pas sans limite, en particulier lorsque le ressortissant d’un pays tiers a « expressément et préalablement demandé » à être renvoyé dans l’État membre qui lui a délivré un titre de séjour en cours de validité et qu’« aucun motif » n’est « susceptible de faire obstacle » à son éloignement vers ce pays, selon les termes de la décision du Conseil d’État du 26 septembre 2001 rendue en matière d’arrêté de reconduite à la frontière pour la fixation du pays de renvoi16, dont la solution est tout aussi valable lorsqu’il s’agit de décider d’engager une procédure de réadmission, ainsi que le souligne l’avis contentieux Préfet de la Haute-Savoie du 18 décembre 2013.

Néanmoins, force est de constater que la garantie que constitue ce contrôle n’est pas intrinsèquement liée à la procédure de réadmission mais à la question de la détermination de fixation du pays de renvoi : elle n’a d’incidence sur la procédure d’éloignement choisie que si cette dernière est la seule voie possible pour éloigner un étranger vers une destination déterminée. La question se pose donc de savoir de quelle garantie dispose le ressortissant d’un pays tiers qui n’entre pas dans le champ d’application d’une mesure de réadmission et à quelle condition l’obligation de quitter le territoire français peut alors être prise.

II. En principe, une obligation de quitter le territoire français ne peut être prise à l’égard d’un ressortissant de pays tiers bénéficiant d’un titre de séjour dans un autre État membre qu’après une vaine injonction de se rendre immédiatement sur le territoire de cet État membre.

Le paragraphe 2, de l’article 6, de la directive Retour. Ce paragraphe constitue l’une des « exceptions » à la « décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire » que doivent en principe prendre les États membres sur le fondement du paragraphe 1 de l’article 6. Cette exception est prévue pour les ressortissants qui bénéficient d’un droit au séjour dans un autre État membre. S’agissant de ces derniers, la première phrase du paragraphe 2 énonce qu’ils « sont tenus de se rendre immédiatement sur le territoire de cet autre État membre ». La seconde phrase prévoit qu’« en cas de non-respect de cette obligation par le ressortissant concerné d’un pays tiers ou lorsque le départ immédiat du ressortissant d’un pays tiers est requis pour des motifs relevant de l’ordre public ou de la sécurité nationale, le paragraphe 1 s’applique ». Ces dispositions remplacent, ainsi que le précise l’article 21 de la directive, les dispositions équivalentes de l’article 23 de la convention d’application de l’accord de Schengen qui prévoit également, en son paragraphe 2, dans la même hypothèse, une obligation de « se rendre sans délai sur le territoire » de la partie contractante qui a délivré le titre de séjour et, en son paragraphe 3, la possibilité, « lorsque le départ volontaire d’un tel étranger n’est pas effectué », de l’éloigner du territoire où il a été appréhendé vers, ainsi que le précise le paragraphe 4, son « pays d’origine » ou « tout autre État dans lequel son admission est possible ». Jusqu’à une date assez récente, la Cour de justice ne semble s’être prononcée qu’à deux points de vue au sujet du paragraphe 2, de l’article 6, de la directive Retour : d’une part, par l’arrêt rendu le 11 décembre 2014 dans l’affaire n° C-249/13, relative au « droit d’être entendu », la Cour a énoncé que ce droit « comprend, pour un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier, le droit d’exprimer, avant l’adoption d’une décision de retour le concernant, son point de vue sur la légalité de son séjour, sur l’éventuelle application des articles 5 et 6, paragraphes 2 à 5, de ladite directive ainsi que sur les modalités de son retour » ; d’autre part, dans les motifs de l’arrêt rendu le 16 janvier 2018 dans l’affaire n° C240/17, la Cour a estimé que « dans une situation dans laquelle un ressortissant de pays tiers, titulaire d’un titre de séjour délivré par un État membre, est en séjour irrégulier sur le territoire d’un autre État membre, il y a lieu de lui permettre de partir pour l’État membre qui lui a délivré le titre de séjour plutôt que de l’obliger d’emblée à retourner dans son pays d’origine, à moins, notamment, que l’ordre public ou la sécurité nationale ne l’exigent » (§ 46). Toutefois, ces solutions, ainsi que les lois de transposition adoptées par la France, qui ne comportent pas de dispositions spécifiques pour la mise en œuvre du paragraphe 2 de l’article 617, ne permettent cependant pas de répondre précisément à trois questions essentielles pour l’application de cette exception, au sujet des actes qui doivent être pris par les autorités administratives compétentes, de la possibilité de leur exécution forcée et du risque de fuite. Un arrêt de la Cour de justice rendu le 24 février 2021, dans l’affaire n° C-673/19, apporte néanmoins de nouvelles et utiles précisions18.

Une première question porte à la fois sur la forme que doit prendre l’obligation de se rendre dans l’autre État membre et sur la possibilité de l’énoncer en même temps qu’une décision de retour assortie d’un délai de départ volontaire. Ainsi que le souligne la Commission dans le « manuel sur le retour » établi par sa recommandation (UE) n° 2017/2338, « les modalités formelles de délivrance de la demande de “se rendre immédiatement sur le territoire de cet autre État membre” doivent être déterminées conformément à la législation nationale » (§ 5.4.). La Commission recommande toutefois de « délivrer des décisions écrites dûment motivées »19. L’essentiel est que l’obligation soit énoncée à l’égard de l’étranger avec précision quant à sa teneur et à sa portée, notamment quant à l’obligation de se rendre « immédiatement » sur le territoire de l’État membre lui ayant délivré un titre de séjour. Le paragraphe 3, de l’article 50, de la loi allemande sur le séjour, l’activité professionnelle et l’intégration des étrangers sur le territoire de la Fédération dispose ainsi, non seulement que l’étranger peut satisfaire à une obligation de quitter le territoire allemand en se rendant dans un autre État membre que s’il est autorisé à y entrer et y à séjourner, mais encore, si cette condition est remplie, qu’il doit être « ordonné » (« aufgefordert ») à cet étranger « de se rendre immédiatement sur le territoire de cet État ». Conformément à la lettre de ces dispositions, interprétées aussi à la lumière du paragraphe 2 de l’article 6 de la directive Retour20, le tribunal administratif de Berlin, par un jugement du 30 janvier 2014, a jugé illégale une décision qui se bornait à se référer purement et simplement à la « possibilité de partir pour l’Italie » sans préciser qu’il s’agissait d’une « obligation » et qu’elle devait être exécutée « immédiatement » en se rendant dans l’État où l’intéressé avait un titre de séjour en cours de validité21.

La question se pose également de savoir si l’obligation de se rendre immédiatement dans l’État membre ayant délivré le titre peut être énoncée en même temps que la décision qui impose l’obligation de quitter le territoire vers un pays tiers dans un délai déterminé, sous la « menace »22 d’une exécution d’office, ou bien si cette dernière obligation ne peut être prise qu’ultérieurement, après le constat que l’obligation de se rendre immédiatement dans l’autre État membre n’a pas été respectée23. Le premier terme de l’alternative présente des avantages évidents pour l’Administration, puisquil lui évite de prendre deux actes différents et de subordonner le second à un contrôle difficile en pratique, tout en permettant à l’étranger de procéder au choix, mais la lettre du paragraphe 2 de l’article 6 milite plutôt pour le second terme : ce n’est, en effet, qu’« en cas de non-respect de cette obligation par le ressortissant concerné » de se rendre immédiatement dans l’autre État membre que « le paragraphe 1 » s’applique, c’est-à-dire que l’État membre prend une décision de retour (sauf à appliquer la réserve de l’ordre public que prévoit également le paragraphe 2). Plusieurs tribunaux administratifs allemands se sont d’ailleurs prononcés en ce sens depuis 2012, en se fondant expressément sur les dispositions de la loi allemande interprétées à la lumière du paragraphe 2, de l’article 6, de la directive Retour24. Le tribunal administratif fédéral d’Autriche s’est prononcé dans les mêmes termes par une décision du 1er août 201825. Telle est aussi l’interprétation que la Commission retient de la directive dans son « manuel sur le retour », en recommandant aux États membres de prévoir un délai entre l’ordre donné à l’étranger « de se rendre sur le territoire de l’autre État membre et l’adoption de la décision de retour en vertu de l’article 6, paragraphe 1 » et de ne pas comptabiliser ce délai « dans l’éventuel délai d’exécution du départ volontaire, puisque ce dernier délai est un élément de la décision de retour et ne commence à courir qu’à compter de l’adoption de celle-ci »26. Telle est, en outre, l’interprétation que semble bien consacrer la Cour de justice dans son arrêté précité du 24 février 2021, notamment à son point 35 qui énonce, en des termes qui ne sont certes pas très expressément exclusifs d’une autre solution, qu’« il ressort donc de cet article 6, paragraphe 2, qu’il y a lieu de permettre à un ressortissant d’un pays tiers, qui séjourne de manière irrégulière sur le territoire d’un État membre tout en disposant d’un droit de séjour dans un autre État membre, de se rendre dans ce dernier plutôt que d’adopter, d’emblée, à son égard une décision de retour (…) ».

En droit français, à défaut de toute disposition spécifique, c’est l’obligation de quitter le territoire français (ou bien la mesure de réadmission, lorsqu’elle est applicable) qui faisait office, jusqu’en 2016, de la Aufforderung prévue par le droit allemand, c’est-à-dire de l’ordre à donner à l’étranger de se rendre immédiatement dans l’État membre qui lui a délivré un titre de séjour, dans le cadre tracé par l’avis contentieux Préfet de la Haute-Savoie du 18 décembre 2013. Ainsi, il s’agissait donc principalement du même instrument juridique, l’OQTF, qui devait imposer l’obligation de se rendre dans l’autre État membre de l’Union européenne ou vers un pays tiers, avec cette conséquence, favorable pour l’étranger, mais contraire à la directive Retour, nous allons le voir, que l’OQTF pouvait, à défaut de départ volontaire, être exécutée d’office vers l’autre État membre de l’Union européenne, alors qu’en cas de méconnaissance de l’obligation de se rendre immédiatement dans l’autre État membre, l’État doit prendre une décision de retour vers le pays d’origine.

Mais, d’une part, cette solution était contraire à la directive, sinon en ce qu’elle prévoyait une seule mesure, l’OQTF, avec deux destinations envisageables, au lieu d’un mécanisme à double détente, composée deux décisions successives (injonction de se rendre sans délai vers l’autre État membre, puis, le cas échéant, sanction de sa méconnaissance par une décision de retour vers le pays d’origine) ; du moins en ce qu’elle permettait que la méconnaissance de l’injonction de se rendre dans l’autre État membre soit sanctionnée, non par une décision de retour vers le pays d’origine, mais par l’exécution forcée de l’obligation de se rendre dans l’autre État membre, ce que la Cour a jugé formellement contraire à la directive Retour dans son arrêt du 24 février 2021. Au point 34 de cet arrêt, la Cour juge en effet que « lorsque ce ressortissant ne respecte pas cette obligation [regagner immédiatement le territoire de l’État membre où il détient un permis de séjour], l’État membre où il se trouve en séjour irrégulier adopte une décision de retour à son égard ». Et afin d’éviter toute ambiguïté sur la portée de ce motif, la Cour ajoute, au point 36, que la disposition du paragraphe 2 de l’article 6 « ne saurait être interprétée comme édictant une exception au champ d’application de la directive n° 2008/115, qui s’ajouterait à celles énoncées à l’article 2, paragraphe 2, de celle-ci, et qui permettrait aux États membres de soustraire aux normes et aux procédures communes de retour les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier lorsque ceux-ci refusent de réintégrer immédiatement le territoire de l’État membre qui leur reconnaît un droit de séjour ».

D’autre part, le législateur a depuis lors fait le choix, en 2016, d’aligner la définition de l’OQTF prévue à l’article L. 511-1 (désormais CESEDA, art. L. 611-1) sur celle de la mesure de retour au sens de la directive Retour, ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France27. Conformément à cette finalité, la loi du 7 mars 2016 a inséré à l’article L. 511-1 un alinéa, figurant désormais à l’article L. 711-2 du nouveau CESEDA28, qui énonce que « pour satisfaire à l’obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l’étranger rejoint le pays dont il possède la nationalité ou tout autre pays non membre de l’Union européenne avec lequel ne s’applique pas l’acquis de Schengen où il est légalement admissible ». Il en résulte qu’une OQTF prise en application de l’article L. 511-1, devenu l’article L. 611-1 dans le nouveau code, ne peut plus fixer un État membre de l’Union européenne comme pays de destination29 : seule la mesure de réadmission peut remplir ce rôle. Mais ce dernier est taillé trop largement pour elle puisque cette procédure est inapplicable dans nombre de cas et qu’elle n’est pas conçue pour cette finalité. Ainsi, motivée par le souci de donner à l’obligation de quitter le territoire français le même champ d’application que la « décision de retour » au sens de la directive, ce qui pouvait être assuré autrement30, la modification de l’article L. 511-1 par la loi du 7 mars 2016, issue d’un amendement parlementaire, aboutit en définitive à priver l’application de l’exception du paragraphe 2 de l’article 6 d’une base légale en droit français : cette disposition souffre depuis, et aujourd’hui encore, d’un défaut de transposition.

Une deuxième question est relative à la possibilité d’exécuter d’office l’obligation du ressortissant de pays tiers de se rendre immédiatement dans l’État membre où il a un droit de séjourner. Cette question peut sembler paradoxale dans la mesure où l’obligation que prévoit le deuxième alinéa, de l’article 6, de la directive Retour constitue en réalité une garantie, en tant qu’elle est une exception à la « décision de retour » que le ressortissant de pays tiers encourt normalement. Mais elle peut se poser dans certains cas, notamment en cas de risque de fuite ou d’impossibilité de renvoyer l’étranger dans un pays tiers.

La lettre du paragraphe 2 de l’article 6 et d’autres dispositions de la directive Retour tendent à exclure la possibilité du recours à une exécution forcée de l’obligation de se rendre dans un autre État membre. D’une part, si la première phrase du paragraphe 2, de l’article 6, de la directive n’énonce pas explicitement que le départ immédiat de l’étranger vers l’État membre où il a un droit au séjour est volontaire31, la seule sanction du « non-respect » de cette obligation de départ « par le ressortissant », que prévoit la seconde phrase du même paragraphe, est l’application du paragraphe 1, c’est-à-dire l’adoption d’une « décision de retour ». Ainsi, la Commission énonce que « si un ressortissant d’un pays tiers ne consent pas à retourner volontairement, conformément à l’article 6, paragraphe 2, sur le territoire de l’État membre dont il est titulaire d’un titre de séjour, l’article 6, paragraphe 1, devient alors applicable et une décision de retour ordonnant le retour direct dans un pays tiers doit être adoptée »32. D’autre part, les articles 8 et 15 de la directive, relatifs aux mesures d’exécution, et notamment à la rétention, ne se réfèrent qu’aux « décisions de retour » ou à l’« éloignement », lequel n’est que « l’exécution de l’obligation de retour », aux termes du 5) de l’article 3. Or il est clair qu’une mesure de réadmission au sein de l’Union européenne ne constitue pas une « décision de retour » qui a nécessairement pour destination un pays tiers. Au demeurant, la Cour de justice a confirmé, par son arrêt du 24 février 2021, précédemment cité, que l’obligation de se rendre sans délai dans l’État membre où l’étranger à un permis de séjour, prononcée en application du paragraphe 2, de l’article 6, de la directive Retour, ne pouvait être exécutée d’office.

Ainsi, sil « n’est pas possible de recourir à la force pour renvoyer la personne dans l’autre État membre », selon les termes du « manuel sur le retour », l’interprétation défendue par la Commission réserve néanmoins le cas où « un accord bilatéral entre États membres déjà en vigueur au 13 janvier 2009 prévoie expressément cette possibilité »33. Les accords bilatéraux de réadmission ne sont certes prévus, au paragraphe 3, qu’en vue d’une décision de retour, mais puisque les États membres peuvent « à tout moment » décider, selon les termes du paragraphe 4, d’accorder un titre de séjour, il apparaît difficile que le paragraphe 3 puisse faire obstacle à ce que les États membres décident de s’abstenir de retirer un titre qu’ils ont déjà accordé et à ce qu’une mesure de réadmission puisse, en définitive, servir à renvoyer un ressortissant de pays tiers dans l’État membre où il a un droit au séjour, qu’il y jouisse ou non effectivement de ce droit selon la décision qu’adoptera en définitive cet État membre.

La Commission paraît également envisager le recours à l’exécution forcée dans « certaines circonstances », « lorsque le retour (…) vers un pays tiers n’est pas possible et que l’État membre ayant délivré le permis convient de reprendre en charge la personne »34 : c’est ce que la Cour de justice a reconnu à titre d’exception dans son arrêt du 24 février 2021, dans le cas très particulier de l’étranger disposant du statut de réfugié, en disant pour droit que « les articles 3, 4, 6 et 15 de la directive n° 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce qu’un État membre place en rétention administrative un ressortissant d’un pays tiers, en séjour irrégulier sur son territoire, afin de procéder au transfert forcé de ce ressortissant vers un autre État membre dans lequel ledit ressortissant dispose du statut de réfugié, lorsque ce même ressortissant a refusé d’obtempérer à l’ordre qui lui avait été donné de se rendre dans cet autre État membre et qu’il n’est pas possible d’adopter une décision de retour contre lui ». Les motifs de l’arrêt précisent toutefois, au point 45, que, dans une telle situation, « la décision d’un État membre de procéder au transfert forcé d’un ressortissant d’un pays tiers, en séjour irrégulier sur son territoire, vers l’État membre qui lui a reconnu le statut de réfugié n’est pas régie par les normes et les procédures communes établies par la directive n° 2008/115 », mais relève « de l’exercice de la seule compétence de cet État membre en matière d’immigration illégale ». Cette exception demeure donc sans incidence sur l’impossibilité d’exécuter d’office l’obligation prévue au paragraphe 2, de l’article 6, de la directive Retour.

La dernière question porte sur le risque de fuite. Cette dernière question est d’un intérêt pratique non négligeable. Elle naît du constat qui résulte d’une double comparaison. Comparaison, d’abord, avec les stipulations « équivalentes » de l’article 23 de la convention d’application de l’accord de Schengen, qui prévoient trois cas justifiant l’éloignement de l’étranger vers un pays tiers : l’absence de « départ volontaire » de l’étranger vers le territoire de la partie contractante où il a un droit au séjour, le cas où « il peut être présumé que ce départ n’aura pas lieu » et le cas où « le départ immédiat de l’étranger s’impose pour des motifs relevant de la sécurité nationale ou de l’ordre public », alors que le paragraphe 2 de l’article 6 ne reprend que le premier et le dernier de ces cas. Comparaison, ensuite, avec le régime des décisions de retour elles-mêmes : le paragraphe 4 de l’article 7 prévoit que le départ immédiat peut être décidé non seulement pour des motifs d’ordre public, mais aussi en cas de « risque de fuite », alors que le paragraphe 2 de l’article 6 ne retient que l’ordre public et le non-respect du départ volontaire vers l’autre État membre pour justifier le départ immédiat vers un pays tiers.

Le paragraphe 2 de l’article 6 ne prévoit donc pas expressément la possibilité de décider le départ immédiat par adoption d’une décision de retour en cas de « risque de fuite » ou de présomption d’inexécution du départ volontaire vers l’autre État membre. En outre, il ne semble guère possible de pouvoir subsumer ces deux cas sous les « motifs d’ordre public » justifiant le départ immédiat en application de la seconde phrase de ce même paragraphe, au sens où l’on entend généralement ces termes, qui sont d’ailleurs également mentionnés dans l’article 23 de la convention d’application de l’accord de Schengen comme un motif distinct. Bien qu’ils semblent plus larges que les termes du paragraphe 4 de l’article 7, qui se réfèrent à « un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale », la Cour de justice de l’Union européenne les interprète de la même façon, dans des conditions qui laissent mal entrevoir leur application à la simple hypothèse d’un risque de fuite35.

Il semble donc bien, qu’en cas de « risque de fuite », les autorités compétentes de l’État concerné ne soient pas exonérées d’imposer d’abord à l’étranger l’obligation de se rendre immédiatement dans l’autre État membre. Dans la mesure où le contrôle du respect d’une telle obligation est, dans une telle hypothèse, assez largement illusoire, seule une mesure de réadmission, lorsqu’elle est possible, serait de nature à mettre fin au séjour irrégulier d’un tel étranger avec quelque chance de succès, avant que le risque de fuite ne se réalise.

Enfin, il semble bien que, faute de disposition en ce sens prévue par la directive, une présomption d’inexécution du départ volontaire ne puisse davantage être retenue pour prendre immédiatement une décision de retour. On peut à cet égard se demander si le simple fait, de la part du ressortissant d’un pays tiers ayant un droit au séjour dans un autre État membre, de n’avoir pas demandé, expressément et préalablement à l’obligation de quitter le territoire, à être renvoyé dans l’État membre où il a un droit au séjour, suffit à justifier légalement, en l’état actuel du droit, l’édiction immédiate d’une obligation de quitter le territoire français vers un pays tiers, conformément à la position du Conseil d’État en matière de reconduite à la frontière antérieurement à l’entrée en vigueur de la directive Retour. Inversement, la question se pose de savoir si le fait, de la part de l’étranger, d’avoir expressément affirmé, dans l’exercice du droit à être entendu, son intention de ne pas exécuter l’obligation de se rendre immédiatement dans l’État membre où il a droit au séjour, en réponse à une question qui lui a été expressément posée sur son intention d’exécuter cette obligation avec une information suffisamment précise sur la teneur et la portée d’une telle obligation, serait de nature à justifier l’adoption immédiate d’une décision de retour. La jurisprudence germano-autrichienne et la recommandation de la Commission excluent résolument une telle interprétation. La Cour de justice de l’Union européenne ne s’est toutefois pas prononcée : les termes, pour le moins assez lâches, retenus dans l’arrêt du 16 janvier 2018, relevant, à propos des obligations de l’État à l’égard du ressortissant de pays tiers qui séjourne irrégulièrement sur son territoire tout en ayant un droit au séjour dans un autre État membre, qu’« il y a lieu de lui permettre de partir pour l’État membre qui lui a délivré le titre de séjour »36, n’excluent pas a priori cette dernière interprétation, qui, au moins dans la seconde hypothèse qui vient d’être décrite, permettrait à la fois de limiter les risques de fuite ou de procédures inutiles et de s’assurer de façon expresse de la volonté de l’étranger de ne pas se rendre immédiatement dans l’État membre où il bénéficie d’un droit au séjour.

En conclusion, s’il résulte d’une analyse des législations comparées de plusieurs autres États membres de l’Union européenne, de l’interprétation de la Commission et de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, que les principales interrogations relatives à la portée du paragraphe 2, de l’article 6, de la directive Retour sont désormais, en grande partie, levées, il apparaît, en négatif, que cette disposition se trouve dépourvue de toute transposition en droit interne, malgré la récente recodification, depuis que, par la loi du 7 mars 2016, le législateur a aligné le champ de l’OQTF sur celui de la décision de retour, privant ainsi les autorités compétentes de la possibilité d’utiliser cet instrument pour obliger – dans leur intérêt – les étrangers bénéficiant d’un titre de séjour dans un autre État membre à regagner immédiatement cet État, avant d’envisager d’édicter une décision de retour à leur encontre, vers leur pays d’origine. Il apparaît aussi que cette ancienne solution était contraire à la directive. Enfin, on peut constater que le préfet de police, au moins depuis le 20 novembre 2019, à notre connaissance, induite de la pratique juridictionnelle, prononce désormais, à l’encontre de l’étranger bénéficiant d’un titre de séjour dans un autre État membre, une « invitation » à « quitter le territoire dans un délai de 72 heures » vers l’État membre où il est titulaire d’un titre de séjour, en précisant que « son maintien en France en méconnaissance de cette décision l’expose à l’édiction à son encontre d’une obligation de quitter le territoire français » : une telle mesure nous paraît adéquatement correspondre à la mesure qu’implique la dérogation à la décision de « retour » que prévoit le paragraphe 2, de l’article 6, de la directive n° 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, pour le cas des étrangers titulaires d’un titre de séjour dans un autre État membre37 ; néanmoins, force est de constater qu’elle ne repose sur aucune base légale dans la législation française mais trouve directement son fondement dans le paragraphe 2, de l’article 6, de la directive, dont la transposition appelle des dispositions qu’il revient au législateur d’adopter.

Notes de bas de pages

  • 1.
    PE et Cons. UE, dir. n° 2004/38/CE, 29 avr. 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ; et, en droit français ; CESEDA, art. L. 200-1 à CESEDA, art. L. 286-2, nouveau code entré en vigueur le 1er mai 2021, articles qui constituent un livre ad hoc du CESEDA, le livre II, qui perpétue sur ce point un défaut de l’ancien, consistant à distraire artificiellement – sans doute pour des raisons politiques de mise à l’honneur – les dispositions relatives à l’entrée, au séjour et à l’éloignement de cette catégorie d’étrangers des différents livres du code qui sont spécialement consacrés à chacune de ces mesures (livre III pour l’entrée, livre IV pour le séjour et livre VI pour l’éloignement), à ceci près que la distraction est aujourd’hui totale, alors qu’elle était auparavant partielle (ce qui était encore plus incohérent et dérangeant pour les praticiens).
  • 2.
    Cons. UE, dir. n° 2003/109/CE, 25 nov. 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers de longue durée, modifiée par la directive n° 2011/51/UE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2011 ; et, en droit français ; v. not. CESEDA, art. L. 426-11 à CESEDA, art. L. 426-16 pour le séjour, avec un titre qui leur est spécialement consacré ; et CESEDA, art. L. 621-4 pour l’éloignement, avec un titre qui les fond dans la catégorie plus large des étrangers « ayant exercé un droit de mobilité » : cette démarche de subsomption est intéressante mais manque de clarté, dans la mesure où elle s’abstient de consacrer un titre aux sous-catégories (qui en bénéficient en revanche pour le séjour). Le nouveau code est loin de répondre, à cet égard, aux attentes des praticiens (juges, administration déconcentrée, avocats), dont le travail quotidien est affecté d’une façon qui n’est pas négligeable (s’agissant d’un contentieux « de masse ») par le renumérotation complète du code.
  • 3.
    PE et Cons. UE, dir. n° 2008/115/CE, 16 déc. 2008, art. 6, § 2, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite directive Retour ; CESEDA, art. L. 621-2 (leur présence dans le code est quasi-clandestine).
  • 4.
    À défaut de transposition expresse de la référence à une menace particulièrement qualifiée à l’ordre publique, il convient d’interpréter CESEDA, art. L. 511-1 ou désormais CESEDA, art. L. 611-1, dans toute la mesure du possible, à la lumière de la directive Retour (v., pour un exemple récent : TAP, 10 mars 2021, n° 2021351/1-3).
  • 5.
    Sans préjudice, naturellement, de la faculté de l’État membre de décider d’accorder un titre de séjour au ressortissant considéré, ainsi que le prévoit d’ailleurs le paragraphe 4 du même article 6. CE, ass., avis, 4 juin 2012, n° 356505.
  • 6.
    Rapp. Sénat n° 716, commission des lois, M. François-Noël Buffet, 30 sept. 2015. L’étude d’impact du projet de loi n’indique pas le nombre d’accords de réadmission concernés. L’on peut toutefois, sur ce point, utilement se reporter au rapport n° 945 de M. Hugues Renson, au nom de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement fédéral autrichien relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière. Ce rapport indique que « la France a établi un réseau dense d’accords bilatéraux de réadmission dans le monde et en particulier en Europe : / – elle est partie à 38 accords de cette nature, qui couvrent 41 pays, parmi lesquels 20 États-membres de l’Union européenne (…) ». Il est à noter que l’article 6 de la directive Retour se réfère aux accords « existant » à la date de son entrée en vigueur, tandis que l’article L. 531-1 du code se réfère aux accords « en vigueur » à la même date, et que la question se pose de savoir, au regard de la directive, s’il convient de se référer à la date de signature de l’accord ou à la date de sa publication qui conditionne son entrée en vigueur. Cette question n’est pas que théorique puisque l’on peut constater qu’un décret n° 2019-12 du 7 janvier 2019 a publié, après le 13 janvier 2009, l’accord entre la France et l’Autriche relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière qui a été signé le 20 avril 2007. La version anglaise de la directive utilise également le mot « existing », mais la version allemande, le mot « geltend », ce qui tend à signifier plus précisément, semble-t-il, « applicable » ou « en vigueur ». L’on sait, bien sûr, qu’aux termes des articles 53 et 55 de la Constitution, les traités ou accords internationaux ne prennent effet qu’après avoir été ratifiés ou approuvés et n’ont une autorité supérieure à celle des lois qu’après avoir été publiés.
  • 7.
    Le rapport n° 945 de M. Hugues Renson cité dans la note précédente indique que ces accords couvrent « 20 États-membres de l’Union européenne ». L’on peut relever, au terme d’une recherche sommaire menée dans le fonds des « Lois et décrets » publiés au Journal officiel depuis 1990 et accessibles sur Légifrance, qui n’est peut-être pas exhaustive mais qui coïncide avec le chiffre précédemment mentionné, des accords conclus avec 20 États-membres. Soit, dans l’ordre antéchronologique de leur publication, outre l’accord avec l’Autriche mentionné à la note précédente : l’accord avec la Grèce du 15 décembre 1999 publié par décret n° 2006-34 du 11 janvier 2006, l’accord avec l’Allemagne du 10 février 2003 publié par décret n° 2005-1101 du 2 septembre 2005, l’accord avec l’Espagne du 26 novembre 2002 publié par décret n° 2004-226 du 9 mars 2004, l’accord avec l’Italie du 3 octobre 1997 publié par décret n° 2000-652 du 4 juillet 2000, l’accord avec la Lituanie du 4 décembre 1998 publié par décret n° 2000-62 du 24 janvier 2000, l’accord avec l’Estonie du 15 décembre 1998 publié par décret n° 99-454 du 28 mai 1999, l’accord avec la Hongrie du 16 décembre 1996 publié par décret n° 99-63 du 25 janvier 1999, l’accord avec la Lettonie du 5 décembre 1997 publié par décret n° 98-628 du 17 juillet 1998, l’accord avec la République slovaque du 20 mars 1997 publié par décret n° 97-866 du 18 septembre 1997, l’accord avec la Bulgarie du 29 mai 1996 publié par décret n° 97-226 du 10 mars 1997, l’accord avec la Croatie du 27 janvier 1995 publié par décret n° 96-436 du 20 mai 1996, l’accord avec le Portugal du 8 mars 1993 publié par décret n° 95-876 du 27 juillet 1995, l’accord avec la Slovénie du 1er février 1993 publié par décret n° 95-823 du 23 juin 1995, l’accord avec la Roumanie du 12 avril 1994 publié par décret n° 94-783 du 1er septembre 1994 (ce dernier ne prévoit toutefois une obligation de réadmission que pour les ressortissants des États parties), l’accord du 29 mars 1991 avec la Belgique, l’Allemagne, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Pologne publié par décret n° 94-49 du 12 janvier 1994, l’accord avec la Suède du 14 février 1991 publié par décret n° 91-726 du 22 juillet 1991. L’on peut aussi mentionner, parmi les pays tiers de l’espace Schengen auxquels s’applique la directive Retour comme un développement de l’acquis de Schengen, l’accord avec la Suisse du 28 octobre 1998 publié par décret n° 2000-287 du 28 mars 2000 (accord qui s’applique aussi au Liechtenstein comme la directive Retour). 25 États-membres ont adopté la directive Retour, à l’exclusion du Danemark, de la Grande-Bretagne et de l’Irlande.
  • 8.
    Selon les termes du c, de l’article 6, de l’accord avec l’Italie de 1997 et du c, de l’article 6, des accords avec l’Espagne, la Grèce, les États baltes, la Bulgarie, la Croatie, mentionnés à la note précédente, termes que l’on retrouve aussi au c, de l’article 7, de l’accord avec l’Autriche publié en 2019, ainsi qu’au c, de l’article 3, de l’accord avec la Slovénie et au 5°, de l’article 6, de l’accord avec la Suède mentionnés à la note précédente. Le d de l’article 7 de l’accord avec la Slovaquie prévoit, en termes quasi équivalents, « depuis plus de 180 jours ». L’accord avec la Hongrie prévoit une simple faculté de dérogation dont peut se prévaloir la partie requise en énonçant, au paragraphe 2, de son article 5, que « la réadmission peut être refusée dans la mesure où la partie contractante requise établit que le ressortissant d’un État tiers a quitté le territoire de celle-ci depuis plus de six mois ». Le c, de l’article 3, de l’accord avec le Portugal se distingue quant à lui par une durée de moitié inférieure, en se référant au séjour depuis « plus de 90 jours ». Ainsi, au moins 14 États membres sont concernés par cette clause d’exclusion de l’obligation de réadmission. L’accord avec la Suisse comporte aussi une clause identique à son article 7.
  • 9.
    V. l’accord du 10 février 2003 mentionné à la note 3 qui s’inscrit à cet égard dans la continuité de l’accord conclu le 29 mars 1991 avec plusieurs États et notamment avec l’Allemagne.
  • 10.
    V. l’accord du 29 mars 1991 mentionné à la note 3. L’Italie était partie à cet accord mais le nouvel accord de 1997 comporte la clause du séjour « de plus de six mois ». De même, si l’accord avec l’Espagne du 8 janvier 1988 ne prévoyait pas cette clause d’exclusion de l’obligation de réadmission, le nouvel accord conclu avec ce pays en 2002 la prévoit désormais.
  • 11.
    Point très approximativement induit d’une expérience juridictionnelle de l’auteur au tribunal administratif de Paris qui mériterait d’être confirmée par des éléments statistiques plus larges.
  • 12.
    Commission UE, recomm. n° 2017/2338, 16 nov. 2017, établissant un « manuel sur le retour » commun devant être utilisé par les autorités compétentes des États membres lorsqu’elles exécutent des tâches liées au retour, et le paragraphe 5.4. du « manuel sur le retour » annexé à cette recommandation.
  • 13.
    V. aussi, en ce sens, le 9°, de l’article 7, de la loi belge du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, dans sa version en vigueur au 22 août 2019, qui prévoit qu’un ordre de quitter le territoire dans un délai déterminé peut être pris à l’encontre d’un ressortissant de pays tiers qui, en application des accords bilatéraux « en vigueur » le 13 janvier 2009 entre les États membres de l’Union européenne et la Belgique, est remis aux autorités belges « en vue de son éloignement ». En Allemagne, la législation fédérale prévoit – au point de vue, cette fois-ci, de l’État requérant – que lorsque le ressortissant d’un pays tiers tenu de quitter le territoire est réadmis dans un État membre (ou la Norvège ou la Suisse) avec lequel la Fédération est liée par un accord bilatéral de réadmission en vigueur (« geltend ») au 13 janvier 2009, il est alors éloigné vers ce pays, sans préciser la finalité de cette mesure (Loi sur le séjour, l’activité professionnelle et l’intégration des étrangers sur le territoire de la Fédération, art. 57, § 2 ; Gesetz über den Aufenthalt, die Erwerbstätigkeit und die Integration von Ausländern im Bundesgebiet).
  • 14.
    Ces accords s’appliquent aussi aux ressortissants des États membres parties à l’accord bilatéral.
  • 15.
    CE, ass., avis, 18 déc. 2013, n° 371994.
  • 16.
    CE, 26 sept. 2001, n° 214130, Préfet de police c/ M. : Lebon – v. égal. CE, 19 juin 1996, n° 152410, Préfet des Yvelines c/ D. : Lebon, retenant un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation.
  • 17.
    Il en va de même de la législation belge. S. Saroléa et P. d’Huart (dir.), La réception du droit européen de l’asile en droit belge : la directive retour, 2014, Université catholique de Louvain, spéc. § 61 (consultable ici https://lext.so/boXB0i). Le § 1, de l’article 27, de la loi du 15 décembre 1980 précitée, issu d’une loi du 15 juillet 1996, dispose certes que « si l’étranger (…) dispose d’un titre de séjour ou d’une autorisation de séjour provisoire en cours de validité, délivrés par un État partie, il pourra être ramené à la frontière de cet État ou être embarqué à destination de cet État », mais il ne s’agit que d’une faculté qui n’est assortie d’aucune procédure précise. La législation luxembourgeoise a quant à elle repris la lettre du paragraphe 2, de l’article 6, à l’article 100, de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration dans sa rédaction résultant du 12°, de l’article 1er, de la loi du 1er juillet 2011, qui dispose, en son 2, que « les étrangers en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois qui sont titulaires d’un titre de séjour valable ou d’une autre autorisation conférant un droit de séjour délivrés par un autre État membre sont tenus de se rendre immédiatement sur le territoire de cet autre État membre. En cas de non-respect de cette obligation ou lorsque le départ immédiat est requis pour des motifs relevant de l’ordre public ou de la sécurité nationale, une décision de retour est prise ». Il ne semble pas que les règlements grand-ducaux d’application comportent des dispositions plus précises. Il en va différemment, en revanche, des législations allemande et autrichienne, citées infra.
  • 18.
    Qui tendent à confirmer les principales conclusions de cette étude de droit comparé, dont une première version avait été achevée en octobre 2019.
  • 19.
    Le manuel évoque aussi, assez étrangement par le terme choisi, une « demande » adressée à cette fin par les autorités compétentes à l’étranger : s’agirait-il d’une traduction du mot allemand Aufforderung retenu par la législation allemande, qui peut certes être traduit par « demande » ou « invitation », mais aussi, et ce serait ici tout de même plus adéquat, par « ordre » ou « sommation » ?
  • 20.
    Verwaltungsgericht Berlin, Beschluss vom 30.01.2014 - 19 L 395.13 (§ 23 et s. du jugement, spéc. § 32). Le paragraphe 2, de l’article 6, de la directive Retour est cité en allemand, français et anglais.
  • 21.
    Le jugement comporte, sur ce point, un intéressant motif (§ 34) soulignant que l’obligation d’ordonner à l’étranger de se rendre sur le territoire de l’État où il a un droit d’entrée et de séjour a aussi pour finalité d’éviter une entrée illégale sur le territoire d’un autre État membre, dans le contexte d’une union croissante des États membres et d’une progressive abolition des frontières intérieures qui imposent de lutter contre les entrées illégales.
  • 22.
    Ainsi que l’énonce la loi allemande : « Androhung der Abschiebung », à l’article 57 de la loi précitée.
  • 23.
    V., pour l’énoncé concis de cette alternative en droit allemand, le § 39 du jugement du tribunal administratif de Berlin du 30 janvier 2014.
  • 24.
    VG Hamburg, Urteil vom 14.01.2015 - 17 K 1758/14, § 34 et les précédents qui y sont cités.
  • 25.
    Bundesverwaltungsgericht. Affaire n° W163 2006039-2. V., en particulier, le motif 3.2.1. Le paragraphe (6), de l’article 52, de la loi de 2005 relative à police des étrangers, modifiée (Fremdenpolizeigesetz 2005 § 52), est un peu moins explicite que la loi allemande sur l’ordre à donner à l’étranger de se rendre immédiatement dans l’autre État membre (il est dit qu’il y est « obligé » de s’y rendre), mais précise que l’étranger doit démontrer qu’il a exécuté son obligation et qu’à défaut d’avoir satisfait à son obligation de quitter le territoire, une décision de retour peut être prise à son encontre.
  • 26.
    Manuel sur le retour, § 5.4.
  • 27.
    Rapp. n° 2923, M. Erwann Binet, 2 juill. 2015, spéc. « ii. Précision sur le lieu pour lequel l’étranger quitte le territoire ».
  • 28.
    Dans le livre VII relatif à l’exécution des décisions d’éloignement.
  • 29.
    Cette impossibilité a été reconnue par plusieurs jugements du tribunal administratif de Paris (TAP, magistrat désigné, 9 juin 2018, n° 1809347/8 ; TAP, magistrat désigné, 4 août 2018, n° 1814208/8, ; TAP, magistrat désigné, 24 nov. 2018, n° 1821316/8 ; TAP, magistrat désigné, 15 févr. 2019, n° 1821716/1-3 ; et, s’agissant de jugements rendus par des formations collégiales, TAP, 9 nov. 2018, n° 811795/6-2 ; TAP, 10 mars 2021, n° 2021351/1-3). Il en résulte d’ailleurs que la faculté alternative dessinée par l’avis contentieux Préfet de la Haute-Savoie du 18 décembre 2013 et adaptée en conséquence par les jugements précités, est très largement vidée de sa substance.
  • 30.
    D’autres États membres prévoient d’ailleurs également qu’une même mesure puisse, tantôt faire office de « décision de retour » au sens de la directive, tantôt de mesure d’éloignement prise sur le fondement de dispositions nationales. Une chose est d’assurer qu’une décision d’éloignement nationale qui présente le caractère d’une décision de retour ait un pays de destination conforme à sa nature de décision de retour, une autre est de prévoir que toutes les décisions d’éloignement nationales se confondent avec des décisions de retour (conclusion qui n’a d’ailleurs pas été poussée jusqu’à ses extrêmes conséquences par les auteurs de l’amendement parlementaire puisqu’il a bien fallu maintenu le régime des obligations de quitter le territoire français à l’égard des citoyens de l’Union européenne, prévu à un autre article que l’article L. 511-1 du CESEDA).
  • 31.
    Les stipulations équivalentes du paragraphe 3, de l’article 23, de la convention d’application de l’accord de Schengen se réfèrent expressément au « départ volontaire ».
  • 32.
    Manuel sur le retour, § 5.4.
  • 33.
    Manuel sur le retour, § 5.4.
  • 34.
    Manuel sur le retour, § 5.4.
  • 35.
    CJUE, 16 janv. 2018, n° C240/17, § 48 et 49, qui se réfèrent aux mêmes critères que pour l’article 7, ceux qui ont été dégagés dans l’arrêt CJUE, 11 juin 2015, n° C554/13.
  • 36.
    Termes qui ne constituent certes pas l’enjeu de la question soumise à la Cour et qu’il convient de ne pas surinterpréter, même s’ils paraissent dire moins qu’une certaine lecture de l’article 6, dont la Cour aurait pu tout simplement citer les termes.
  • 37.
    À notre connaissance, à peine six jugements, tous du tribunal administratif de Paris, ont été rendus sur une mesure prononcée en ces termes : v., pour le plus récent, et le premier à se prononcer explicitement sur cette mesure : TAP, 16 déc. 2021, n° 21141131, concl. X. Pottier, et, pour le plus ancien : TAP, 29 juin 2020, n° 1926357/2-2.
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