Inconstitutionnalité de l’absence de recours contre une décision de refus d’exécution en France d’une condamnation prononcée par la juridiction d’un autre État membre de l’UE
Par une décision du 7 janvier 2022, le Conseil constitutionnel a jugé que l’absence de voie de recours pour contester le refus du procureur de la République de consentir à l’exécution d’une peine privative de liberté, prononcée par la juridiction d’un État européen, sur le territoire français, est contraire aux exigences posées par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC). Le Conseil constitutionnel confère, en outre, à sa décision un effet immédiat, faisant ainsi bénéficier, aux affaires pendantes devant les juridictions, d’un droit au recours effectif.
Cons. const., QPC, 7 janv. 2022, no 2021-959
L’exécution des peines privatives de liberté suscite bien souvent des questions lorsque le cadre est européen1. En effet, une peine prononcée par un pays de l’Union européenne peut être exécutée sur le territoire français. Son exécution en France, lorsque la personne condamnée est étrangère, est subordonnée à une décision du procureur de la République, dont l’accord est sollicité par les autorités de l’État où la peine est prononcée. Or, le procureur de la République peut ne pas consentir à l’exécution en France de la décision de condamnation faisant l’objet de la transmission notamment s’il estime que l’exécution en France de la condamnation n’est pas de nature à favoriser la réinsertion sociale de la personne concernée. Cette décision négative n’est pas susceptible de recours devant la chambre des appels correctionnels, en vertu des articles 728-48 et 728-52 du Code de procédure pénale.
C’est le nœud du problème qui a conduit le requérant, dans la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 7 janvier 20222, à formuler une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du second alinéa de l’article 728-48 du Code de procédure pénale et du deuxième alinéa de l’article 728-52 du même code, dans leur rédaction issue de la loi n° 2013-711 du 5 août 2013, portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France.
Le requérant reproche à ces dispositions de priver une personne condamnée par une juridiction d’un autre État membre de toute possibilité de contester le refus du procureur de la République de consentir à l’exécution sur le territoire français de sa peine. Ces dispositions méconnaîtraient, d’une part, le droit à un recours juridictionnel effectif, et, d’autre part, au regard des conséquences qu’emporte un tel refus sur la situation personnelle de la personne condamnée, le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale. Pour lui, ces dispositions priveraient les seules personnes de nationalité étrangère de la possibilité de saisir le juge de ce refus, en méconnaissance du principe d’égalité.
La question, envoyée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, a été jugée comme présentant un caractère sérieux par la chambre criminelle de la Cour de cassation3 et transmise au Conseil constitutionnel.
Ce dernier note qu’il résulte des dispositions contestées que les personnes, qui se voient opposer une décision de refus sur le fondement du 3° de l’article 728-11 du Code de procédure pénale, ne peuvent pas la contester devant une juridiction. Ainsi, au regard des conséquences qu’est susceptible d’entraîner pour ces personnes une telle décision, l’absence de voie de droit permettant la remise en cause de cette décision méconnaît les exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC) de 1789. Par conséquent, concluent les sages, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres griefs, les dispositions contestées doivent être déclarées contraires à la Constitution.
En substance, le Conseil constitutionnel juge inconstitutionnelles les dispositions excluant tout recours contre la décision du procureur de la République refusant l’exécution d’une peine prononcée à l’étranger sur le territoire français (I). Aussi, il confère à sa décision une application immédiate dont la portée est conséquente (II).
I – L’absence de recours contre la décision de refus du procureur de la République refusant l’exécution d’une peine en France : une disposition inconstitutionnelle
Lorsque la demande d’exécution d’une peine sur le territoire français est refusée par le procureur de la République, l’étranger n’a aucun recours contre cette décision4. La question de la constitutionnalité de telles dispositions, excluant tout recours contre la décision du procureur de la République, se pose. La Cour de cassation, dans son arrêt du 6 octobre 2021, transmettant la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, avait souligné que « la question présente un caractère sérieux car l’impossibilité, pour un étranger, ressortissant d’un État membre de l’Union européenne, de purger en France une condamnation prononcée contre lui par un autre État membre de l’Union, est susceptible, s’il vit en France et y a des attaches familiales, de porter une atteinte grave et disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée, ainsi qu’à son droit de mener une vie familiale normale, ces droits étant protégés respectivement par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et par le préambule de la Constitution de 1946. Le droit à un recours juridictionnel effectif, qui résulte de l’article 16 de la [DDHC], peut être de nature à justifier que le refus, opposé par le ministère public, à l’exécution en France d’une peine prononcée à l’étranger à l’encontre d’un étranger demeurant en France soit susceptible d’être contesté devant un juge, chargé d’apprécier si ce refus porte ou non une atteinte disproportionnée aux droits précités »5.
Il est, en effet, utile de rappeler que la loi ne peut pas s’affranchir des droits fondamentaux et des valeurs qui régissent notre société. Ainsi en est-il du droit à un recours effectif6, qui doit être attaché à toute décision judiciaire. Or, dans cette affaire, le requérant fait grief aux dispositions du Code de procédure pénale précitées de le priver de toute possibilité de recours alors que sa demande d’exécution de sa peine en France a été rejetée par le procureur de la République.
L’article 16 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, visé par le requérant dans sa requête est, comme le souligne un auteur, « un condensé du droit constitutionnel et un des fondements de notre démocratie. Il est devenu, au fil des années et grâce notamment à la question prioritaire de constitutionnalité, la garantie que les autres droits et libertés proclamés par la Constitution seront respectés. Il consacre, en particulier, le droit à un recours effectif devant un juge indépendant et impartial dans le respect des droits de la défense et l’interdiction non justifiée des lois rétroactives. C’est en ce sens que l’on peut affirmer qu’il constitue la clef de voûte de ces droits et libertés »7.
Le requérant, en l’espèce, s’en prévalait notamment pour dénoncer la méconnaissance de son droit au recours effectif en raison de cette impossibilité pour lui de contester une décision de refus d’exécution de sa peine en France alors même que cette décision lui cause un préjudice certain. Par ailleurs, il a également invoqué la violation du droit au respect de sa vie privée : l’exécution de sa peine dans l’État qui l’a condamné compromettrait sa vie de famille, sans compter qu’elle porte atteinte au principe d’égalité.
Le requérant a donc fait prévaloir tous les arguments pour voir juger inconstitutionnelles les dispositions contestées. Mais le Conseil constitutionnel ne s’en tient qu’au premier argument pour déclarer ces dispositions inconstitutionnelles.
En effet, retient-il, au regard des conséquences qu’est susceptible d’entraîner pour ces personnes une telle décision, l’absence de voie de droit, permettant la remise en cause de cette décision, méconnaît les exigences découlant de l’article 16 de la DDHC de 1789.
Cette décision est salutaire car il était injuste de priver de tout recours la personne condamnée par un État européen et dont la demande d’exécution de sa peine en France est rejetée. Le rejet d’une telle demande, sans possibilité de recours, viole manifestement le droit à un recours effectif qui ne devrait en aucun cas être refusé à la personne dont la demande d’exécution de sa peine en France est rejetée. Le Conseil constitutionnel déclare dès lors le second alinéa de l’article 728-48 du Code de procédure pénale et le deuxième alinéa de l’article 728-52 du même code, dans leur rédaction issue de la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France, contraires à la Constitution8. Aussi, il confère à sa décision une application immédiate.
II – L’exigence d’un recours contre la décision du procureur de la République refusant l’exécution en France d’une peine prononcée à l’étranger : une disposition d’application immédiate
À partir du moment où on reconnaît les condamnations prononcées par les juridictions d’un pays membre de l’Union européenne et leur exécution en France9, il paraissait cohérent et logique de permettre également que la personne condamnée puisse, en conséquence, bénéficier de tous les recours contre la décision du procureur de la République admettant et/ou refusant l’exécution de la décision sur le territoire français.
En effet, au-delà même du droit à un recours effectif, l’exclusion de tout recours contre une décision rejetant la demande d’exécution de la peine en France, au regard des conséquences qu’emporte un tel refus sur la situation personnelle de la personne condamnée, peut porter atteinte, comme l’a invoqué le requérant, au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale. Aussi, ces dispositions méconnaissent le principe d’égalité car elles privent les seules personnes de nationalité étrangère de la possibilité de saisir le juge de ce refus.
En réalité, une atteinte simultanée à plusieurs droits fondamentaux est portée par les dispositions contestées. Même si le Conseil constitutionnel a mis en avant l’atteinte qu’une telle disposition porte au droit à un recours effectif, la même atteinte est portée au principe d’égalité et éventuellement au droit au respect de la vie privée. Une demande d’exécution en France d’une peine prononcée dans un autre État européen n’est pas anodine et est en principe suffisamment motivée, comme elle le fut, en l’espèce. Heureusement que le Conseil a prononcé l’inconstitutionnalité de ces dispositions, avec, au surplus, un effet immédiat.
En effet, les sages ont justement rappelé qu’en principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration. Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s’opposer à l’engagement de la responsabilité de l’État du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d’en déterminer les conditions ou limites particulières.
Eu égard à ces dispositions, le Conseil constitutionnel a estimé, à juste titre, qu’en l’espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de la publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.
Il convient de saluer, une fois encore, la décision des sages qui permet, par son application immédiate, de faire bénéficier, aux affaires pendantes devant les juridictions, d’un droit à un recours effectif.
En clair, les affaires non définitivement jugées se voient appliquer cette décision et la personne condamnée a ainsi désormais le droit d’exercer un recours contre la décision du procureur de la République refusant l’exécution sur le territoire français d’une peine prononcée par une juridiction d’un État de l’Union européenne.
Notes de bas de pages
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1.
S. Neveu, Le transfert de l’exécution des peines privatives et restrictives de liberté en droit européen. À la recherche d’un équilibre entre intérêts individuels et collectifs, 1re éd., 2017, Anthémis.
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2.
D. Goetz, « Droit de recours et procédure d’exécution en France d’une peine privative de liberté prononcée par une juridiction d’un État membre de l’Union européenne », Dalloz actualité, 14 janv. 2022 ; « Condamnation à l’étranger (exécution en France) : inconstitutionnalité du régime – Conseil constitutionnel 7 janvier 2022 », D. 2022, p. 14.
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3.
Cass. crim., 6 oct. 2021, n° 21-90031, F-D.
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4.
Il est à noter que l’article 728-48 ne prévoit que le recours contre la décision du procureur de la République, reconnaissant la décision de condamnation comme étant exécutoire sur le territoire français et, le cas échéant, l’ordonnance homologuant ou refusant d’homologuer la proposition d’adaptation de la peine ou de la mesure de sûreté privative de liberté.
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5.
Cass. crim., 6 oct. 2021, n° 21-90031, F-D.
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6.
Sur les différentes décisions du Conseil constitutionnel sanctionnant une atteinte au droit à un recours effectif : Cons. const., QPC, 9 sept. 2020, n° 2020-855 : Dalloz actualité, 10 sept. 2020, obs. J.-M. Pastor ; AJDA 2020, p. 1636 ; D. 2020, p. 1722, et les obs. ; AJ pénal 2020, p. 521, obs. J.-P. Céré – Cons. const., QPC, 15 janv. 2021, n° 2020-872 : Dalloz actualité, 8 févr. 2021, obs. S. Goudjil ; AJDA 2021, p. 119 ; AJDA 2021, p. 810, note M. Verpeaux ; D. 2021, p. 82, et les obs. ; D. 2021, p. 280, entretien N. Hervieu – Cons. const., QPC, 16 avr. 2021, n° 2021-898 : Dalloz actualité, 28 avr. 2021, obs. D. Goetz ; D. 2021, p. 748.
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7.
R. Fraisse, « L’article 16 de la Déclaration, clef de voûte des droits et libertés », N3C 2014, p. 9.
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8.
Il convient de rappeler que ce n’est pas la première fois que les dispositions de cette loi sont sanctionnées par le Conseil constitutionnel sur ce même fondement. En ce sens, v. Cons. const., QPC, 7 mai 2021, n° 2021-905 : Dalloz actualité, 18 mai 2021, obs. D. Goete. Le Conseil constitutionnel sanctionnait l’absence de voie de recours contre la décision du représentant du ministère public de demander cette fois l’exécution d’une condamnation sur le territoire d’un autre État membre de l’Union européenne. Le fait qu’aucune disposition ne permet à la personne condamnée de contester devant une juridiction la décision du représentant du ministère public de former une telle demande est inconstitutionnel. L’existence d’un éventuel recours en vigueur dans l’autre État n’est pas un argument suffisant pour convaincre les sages de la conformité de cette situation à la Constitution.
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9.
En vertu de l’article 132-23-1 du Code pénal, les condamnations prononcées par les juridictions d’un État membre de l’Union européenne sont prises en compte dans les mêmes conditions que les condamnations prononcées par les juridictions pénales françaises et produisent les mêmes effets juridiques. En ce sens : Cass. crim., 8 janv. 2020, n° 19-80349, F-PBI.
Référence : AJU003q5