Les responsabilités consécutives aux travaux sur existants : principes de solution
Parmi toutes les questions que posent les travaux sur existants en matière de responsabilité civile, l’une est primordiale au sens où elle se pose avant toutes les autres : la qualification d’ouvrage de construction ou de simples travaux. Cette qualification opérée, la distribution des actions en responsabilité ou en garantie devient possible.
1. Actualité de la problématique. « Aujourd’hui c’est le bon moment pour faire des travaux »1, nous annonce la Fédération française du bâtiment. Des dispositifs divers aident en effet à la réalisation de travaux de rénovation, et particulièrement de rénovation énergétique (éco-prêt à taux zéro, programme « Habiter mieux », taux réduit de TVA, et même une « aide à la solidarité écologique »). À l’avenir, une part importante des nouveaux marchés de travaux sur existants portera donc sur leur rénovation énergétique, d’autant que l’obligation de rénovation est désormais inscrite dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte2. Ce texte a failli être l’occasion d’inscrire l’application de la garantie décennale aux travaux sur existants dans le Code civil. Un amendement au projet de loi avait envisagé d’ajouter un alinéa à l’article 1792 aux termes duquel « Tout constructeur d’un ouvrage de rénovation énergétique [aurait été] responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, du respect de la réglementation thermique en vigueur »3. Cette entrée de la rénovation dans la loi eut été notable car jusqu’ici, les principes de solution applicables aux responsabilités consécutives aux travaux sur existants découlent de la jurisprudence.
2. Régime prétorien. Le régime des travaux sur existants relève de l’œuvre constructive de la jurisprudence de la Cour de cassation qui a étendu la garantie décennale au-delà du secteur de la construction neuve. Le juriste français le sait bien, nous sommes dans un système de grands arrêts et la Cour de cassation construit le régime des responsabilités spécifiques des constructeurs à partir des libertés que lui donne la rédaction des textes : la notion « d’ouvrage » dans l’article 1792 est sous son contrôle comme celle « d’impropriété à destination »4. Ces notions cadres relèvent du pouvoir institutionnel d’interprétation de la loi civile que détient la Cour de cassation.
3. Extension des responsabilités des constructeurs. Ce travail jurisprudentiel permet l’adaptation du droit écrit à l’accroissement du besoin de responsabilité, particulièrement en matière de construction immobilière. Par exemple, jusqu’à l’arrêt Delcourt qui consacra la survivance de la responsabilité contractuelle pour les dommages intermédiaires5, l’opinion courante était que la réception sans réserves éteignait toute action autre que la garantie décennale expressément prévue par la loi. Mais le progrès technique a changé les regards sur la responsabilité des constructeurs ; on n’admet plus que des dommages de construction, même mineurs, ne soient pas réparés. La jurisprudence débutée avec l’arrêt Delcourt permet d’offrir une action, post-réception, au maître ou acquéreur qui se plaint d’un défaut n’entrant pas dans le champ des garanties légales.
La responsabilité pour les travaux sur existants participe du même mouvement d’adaptation de la responsabilité des constructeurs aux besoins concrets des propriétaires. Si les constructions neuves requièrent qu’on garantisse leurs utilités essentielles durant dix ans (solidité, clos, couvert, etc.), les existants le méritent également pour les travaux qui rénovent ces mêmes utilités. On attend sans doute d’une rénovation immobilière qu’elle résiste au temps qui passe autant qu’une construction neuve. C’est pourquoi la Cour de cassation ne réserve pas aux constructions neuves le jeu des responsabilités spécifiques des constructeurs. L’évolution des mots de la loi a facilité la construction de cette jurisprudence : les termes de « bâtiment » et d’« édifice » ont ainsi progressivement disparu des codes au profit de l’ « ouvrage de construction » qui englobe toute construction immobilière, indépendamment de ses proportions imposantes ou non et sans égard pour sa capacité à servir d’abri. La loi « Engagement national pour le logement » du 13 juillet 20066 a aussi créé un contrat de vente d’immeuble à rénover soumis aux garanties décennale et biennale7 dès lors que les travaux promis entrent dans le champ d’application des articles 1792 et suivants du Code civil.
4. Variété des régimes. L’étude des responsabilités consécutives aux travaux sur existants est complexe car elle chemine au travers de systèmes très différents. Il y a les responsabilités nées de dommages causés aux tiers, propriétaires d’avoisinants par exemple affectés de fissures ou autres désordres en raison du chantier élevé à proximité. Il y a aussi les responsabilités nées des désordres des travaux neufs et celles nées des dommages aux existants dont il faut déterminer si elles coexistent ou si elles doivent au contraire fusionner. Un avis du COPAL8 en 1983 communiquait sur ce point la chose suivante : « il importe en effet de garder présente à l’esprit la distinction devant être opérée entre les dommages survenant aux travaux neufs eux-mêmes du chef d’une conception défectueuse ou d’une exécution incorrecte et ceux causés par l’effet desdits travaux neufs aux ouvrages anciens dont la capacité de supporter les travaux neufs a donc été sous-estimée : les premiers relèvent de la loi du 4 janvier 1978 ; les autres du droit commun (C. civ., art. 1137 et C. civ., art. 1147) ». Mais cette application distributive des responsabilités (garanties constructeurs pour les travaux neufs et droit commun pour les dommages aux existants) n’est pas aisée lorsque le résultat du travail effectué par les entrepreneurs est une fusion totale du neuf dans l’ancien. Il y a encore les garanties spécifiques des constructeurs qu’il faut articuler entre elles (garantie décennale, biennale, parfait achèvement). Et il y a enfin le droit commun de l’inexécution du contrat et la « responsabilité contractuelle de droit commun pour faute prouvée »9 applicable aux dommages intermédiaires dont le champ d’application et le régime sont différents.
5. Illustration. Prenons l’exemple d’un professionnel « étancheur-paysagiste » qui promet la réalisation d’une toiture végétalisée sur le toit-terrasse d’un bâtiment existant. Le chantier peut d’abord causer un trouble anormal de voisinage aux bâtiments voisins ; ensuite, et si l’on reste dans les rapports contractuels, la question de la qualification de ce louage d’ouvrage se posera : s’agit-il d’un ouvrage de construction au sens des articles 1792 et suivants ou de simple travaux relevant du droit commun de l’inexécution du contrat d’entreprises (C. civ., art. 1147 et s., qui deviennent les articles 1231-1 et s. à compter de l’entrée en vigueur de l’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations le 1er octobre 2016) ? En cas de travaux de construction, on s’interrogera alors sur la destination de la végétalisation de la toiture : s’agit-il d’un élément purement esthétique ou d’assurer aussi l’étanchéité du bâtiment ? La toiture végétalisée a-t-elle une fonction d’isolation thermique ? Phonique ? Et si la garantie décennale est applicable à cette prestation, que couvrira-t-elle ? Le désordre de conception de la toiture végétalisée qui l’empêche de retenir les eaux pluviales ? La faible amélioration de l’étanchéité globale de l’immeuble au regard de la situation avant travaux ? Les infiltrations causées dans les murs du bâtiment qu’elle recouvre ? Autant de questions relatives aux travaux sur existants pour qui souhaite sécuriser un projet en en maîtrisant les risques juridiques. Un arrêt récent de la Cour de cassation a tranché la question pour un désordre affectant le revêtement végétal d’une étanchéité. Il fut jugé que ce désordre « ne compromettant pas la solidité de l’ouvrage ni ne le rendant impropre à sa destination et concernant un élément dissociable de l’immeuble non destiné à fonctionner, ne [relevait] pas de la garantie de bon fonctionnement » (Cass. 3e civ., 18 févr. 2016, n°15-10750, PB). Il faut donc connaître la jurisprudence pour anticiper la qualification possible de ces travaux et le régime juridique applicable, avec comme enjeu essentiel l’assurance obligatoire qui accompagne les travaux sur existants lorsqu’ils sont des travaux de construction.
6. Ordre des questions. Parmi toutes les questions que posent les travaux sur existants en matière de responsabilité civile, l’une est primordiale au sens où elle se pose avant toutes les autres : la qualification d’ouvrage de construction ou de simples travaux. Cette qualification opérée (I), la distribution des actions en responsabilité ou en garantie devient possible (II).
I – Qualification des travaux
7. Lorsque les travaux sur existants réalisent un ouvrage de construction immobilière, ils relèvent des responsabilités spécifiques des constructeurs. Sinon, le droit commun de l’inexécution du contrat est applicable (sous réserve des responsabilités extra-contractuelles pour les dommages causés aux tiers dont nous ne traiterons pas).
Les critères pour qualifier viennent de la jurisprudence. Avant d’exposer les critères pertinents (A), évacuons les critères indifférents (B).
A – Critères indifférents
8. Le type de contrat. Des travaux immobiliers peuvent faire l’objet d’un contrat d’entreprise (louage d’ouvrage, contrat de construction de maison individuelle), d’un mandat (délégation de maîtrise d’ouvrage, contrat de promotion immobilière) ; ils peuvent aussi accompagner une vente (vente d’immeuble à construire, vente d’immeuble à rénover). La qualification de vente avec travaux (vente ou entreprise ?) était d’ailleurs déjà discutée par les exégètes du Code civil10. En principe, la qualification des travaux sur existants ne sera pas déduite du type de contrat conclu. Une vente avec travaux pourra réaliser un ouvrage de construction si la nature des travaux le justifie ; un contrat d’entreprise sur existants restera dans le champ du droit commun si les travaux ne réalisent pas un ouvrage de construction.
Cependant, la qualification des travaux est parfois un préalable indispensable à la qualification du contrat : on songe à la distinction de la vente d’immeuble à construire et de la vente d’immeuble à rénover. La vente d’immeuble à construire, modèle utilisable depuis longtemps pour les rénovations d’ampleur, suppose intrinsèquement des travaux réalisant un ouvrage de construction. Ainsi la qualification en vente d’immeuble à construire conduit nécessairement à celle d’ouvrage de construction immobilière. Mais ce n’est pas vrai pour le louage d’ouvrage ni pour la vente d’immeuble à rénover : la qualification du contrat ne suffira pas pour qualifier les travaux et déterminer leur soumission ou non aux garanties du droit de la construction. Et de ce point de vue, les volontés individuelles n’ont aucune influence : on ne peut pas, par une clause du contrat, stipuler que les travaux réalisés ne seront pas des travaux de construction ; une telle clause ayant pour effet d’exclure la garantie décennale serait réputée non écrite par l’article 1792-5 du Code civil.
9. Ni la qualité des parties ni l’usage auquel les travaux sont destinés n’ont d’importance pour décider si ces travaux entrent ou non dans le champ des garanties spécifiques des constructeurs. Ces garanties, contenues dans le Code civil, transcendent la distinction des secteurs libre et protégé11 et s’étendent également au-delà du droit de la consommation. Parce qu’elles appartiennent au droit commun de la construction, ces garanties sont dues autant par le vendeur professionnel que par le vendeur occasionnel12 dès lors qu’il a réalisé des travaux de construction sur l’immeuble qu’il a vendu par la suite.
B – Critères pertinents
10. Du neuf sur, sous ou à côté. D’évidence les travaux qui consistent en une extension, une surélévation, un agrandissement par le haut ou en tréfonds sont des ouvrages de construction : ces travaux construisent une partie nouvelle sur l’existant, ou en-dessous, ou accolée à l’existant.
Plus délicate est la qualification des travaux de rénovation ou d’amélioration de l’existant. Les critères utilisés en jurisprudence pour retenir la qualification d’ouvrage de construction sont divers.
11. L’ampleur de la rénovation. Réhabiliter revient à construire du neuf, c’est d’ailleurs le point de vue du droit fiscal qui traite les gros travaux de rénovation comme concourant à la production d’un immeuble neuf13. Lorsque les arrêts motivent la qualification d’ouvrage de construction par l’ampleur de la rénovation, ils relèvent toujours des travaux de reprise du gros œuvre : par exemple, des travaux de réhabilitation comprenant la construction des planchers du premier et du deuxième étage, le chaînage haut et les cloisons intérieures de l’immeuble, la construction d’un garage, la modification des façades ainsi que des distributions intérieures14.
Le coût des travaux peut être un indice de leur importance15, sans qu’un montant modique ne suffise cependant pour exclure la qualification d’ouvrage de construction16.
12. L’apport d’éléments nouveaux. En 1994 déjà, la Cour de cassation avait retenu la qualification d’ouvrage de construction pour des travaux de rénovation d’une toiture au motif que l’entreprise avait remplacé des éléments anciens par des nouveaux (il s’agissait du remplacement de chevrons, de voliges, de liteaux et de la panne faitière)17. On peut en déduire que l’apport d’éléments nouveaux en remplacement des anciens est un critère ; mais en filigrane sans doute, c’est l’importance des travaux pour assurer le couvert du bâtiment (utilité essentielle de celui-ci) qui a motivé ici la qualification et le jeu de la garantie décennale. En 2004, le critère de l’apport d’éléments nouveaux fut formellement repris par la Cour de cassation. Elle approuva une cour d’appel d’avoir retenu la qualification d’ouvrage pour des travaux qui « avaient eu pour objet la consolidation du sol au droit des fondations et avaient consisté en injections de coulis de ciment ». La « cour d’appel, qui a caractérisé l’apport d’éléments nouveaux aux fondations existantes, a exactement décidé qu’ils constituaient un ouvrage de nature à engager la responsabilité décennale de leur auteur »18.
13. L’immobilisation d’un élément d’équipement. Ce critère intéresse les travaux consistant à installer un équipement dans un existant. Lorsque l’opération nécessite des travaux de construction (dits de bâtiment) et non simplement des techniques de pose, le travail d’installation de l’équipement lui-même peut être qualifié d’ouvrage de construction immobilière. Pour le dire autrement, il faut que les travaux fassent de cet équipement un immeuble par destination en raison d’une incorporation physique dans un immeuble existant. Dans ce cas, l’équipement installé devient un ouvrage de construction au sens de l’article 1792 ; il est alors l’ouvrage de référence pour l’application des responsabilités spécifiques des constructeurs : sa solidité et sa destination propres seront donc garanties (C. civ., art. 1792), ainsi que la solidité de ses propres éléments indissociables (C. civ., art. 1792-2), et le bon fonctionnement des éléments qui l’équipent et en sont dissociables le sera aussi (C. civ., art. 1792-3). On peut en donner pour exemple l’installation d’un système de chauffage central comportant, notamment, une cuve enterrée dans le sol19 ou une cheminée installée avec un conduit maçonné20 ; en revanche, le simple aménagement d’une installation préexistante, sans reprise de maçonnerie, n’est pas la création d’une cheminée et ne peut donc être qualifié d’ouvrage de construction immobilière21.
Lorsque des travaux consistent dans l’installation d’un nouvel équipement sur un existant, il faudra donc rechercher au cas par cas les indices permettant d’y voir la création d’un ouvrage de construction (meuble devenu immeuble par incorporation ou attache à perpétuelle demeure). Ainsi en va-t-il des climatisations. En 2003, une centrale autonome de climatisation n’a pas été jugée comme réalisant la construction d’un ouvrage car elle se présentait sous la forme d’une armoire verticale raccordée à des conduits et des réseaux d’air placés entre deux sous-plafonds suspendus22. En 2009 au contraire, la Cour de cassation a approuvé une cour d’appel d’avoir retenu qu’un système de climatisation pouvait constituer un ouvrage au sens de l’article 1792 en raison de sa conception, de son ampleur et de l’emprunt de ses éléments à la construction immobilière23.
14. En synthèse, deux critères, non cumulatifs, apparaissent déterminants pour reconnaître un ouvrage de construction dans des travaux sur existants : d’une part l’installation d’un élément d’équipement qui réalise, en elle-même, un ouvrage de construction parce que l’élément est incorporé, scellé à l’existant par des travaux de maçonnerie ; d’autre part, la participation des travaux réalisés au maintien des utilités essentielles de l’existant (son clos, son couvert, son étanchéité, etc.).
Le critère du remplacement d’éléments anciens par de nouveaux nous paraît peu pertinent s’il est utilisé seul. Si le changement n’a qu’une dimension esthétique ou d’agrément, le travail ne relèvera pas du droit de la construction. C’est pourquoi la cour considère que la pose de peinture à visée esthétique24, la pose d’un dallage25, de moquettes26 ou autres enduits de parement27, relèvent de la responsabilité contractuelle de droit commun, même lorsque ces travaux sont réalisés à l’occasion d’une construction neuve28. Pour la même raison, des travaux de rejointoiement de murs qui ne servent pas à leur restauration ne réalisent pas un ouvrage de construction29. En revanche, lorsque la rénovation d’une façade ne se limite pas à son rafraîchissement, la qualification d’ouvrage de construction devient possible : ce fut le cas dans un arrêt de 2014 à propos d’un « ouvrage constitué par des prestations complexes visant également à traiter les murs de pathologies propres aux bâtiments anciens et à les protéger contre l’humidité et le salpêtre (…) La cour d’appel a pu retenir que ces prestations [constituaient] un ouvrage dès lorsqu’elles avaient pour but, non pas seulement de rénover l’extérieur du bâtiment, mais de remédier à la pathologie de ses murs et d’en assurer la protection »30.
15. Cheminement. Une fois opérée la qualification des travaux – ouvrage de construction ou simples travaux –, la détermination du régime juridique applicable aux actions en responsabilité devient possible. C’est le temps de la distribution des actions en responsabilité ou en garantie.
II – Distribution des actions
16. Droit commun. Droit spécial. Selon la qualification retenue, les travaux sur existants relèveront soit des responsabilités spécifiques des constructeurs (A) soit des responsabilités et garanties du droit commun (B).
A – Actions spéciales
17. Pluralité. Les actions en responsabilité ou en garantie spécifiques des constructeurs immobiliers sont multiples : il y a la garantie décennale et la garantie biennale que l’on trouve dans tous les contrats de construction ; il faut y ajouter la garantie de parfait achèvement du louage d’ouvrage, dont le contrat de construction de maison individuelle est un type, la garantie d’isolation phonique pour les bâtiments d’habitation, ainsi que la garantie des vices et défauts de conformité apparents des contrats de vente d’immeuble à construire et de vente d’immeuble à rénover.
18. Réception. L’ouverture de toutes ces actions suppose un prérequis : la réception des travaux (C. civ., art. 1792-6). L’acte de réception doit avoir eu lieu (expressément, tacitement, judiciairement) car aucune action spécifique n’est ouverte en l’absence de réception et seul le droit commun de l’inexécution du contrat est alors applicable. Cet acte n’est pas seulement important pour les actions en garantie dont il fait courir les délais pour agir ; la réception est aussi cruciale car elle purge les défauts apparents des travaux qui n’auraient pas été réservés dans l’acte.
1 – Défauts apparents
19. Garanties des vices et défauts apparents. Les défauts apparents des travaux, à la réception31 ou à la livraison32, sont couverts par des garanties qui se caractérisent par leur brève durée et la largesse de leur champ d’application : la garantie de parfait achèvement (C. civ., art. 1792-6) et la garantie des vices et défaut de conformité apparents (C. civ., art. 1642-1 et CCH, art. L. 262-3) couvrent ces défauts indépendamment de leur siège ou de leur gravité.
20. Vente d’immeuble à rénover. Une particularité notable doit être soulignée s’agissant de la garantie des vices et défauts de conformité apparents de la vente d’immeuble à rénover : elle joue alors même que les travaux sur existants ne sont pas des ouvrages de construction. On s’en convainc par le renvoi que fait l’article L. 262-3 du CCH (qui organise cette garantie des vices et défauts apparents) aux travaux qui sont l’objet du contrat de vente d’immeuble à rénover (CCH, art. L. 262-1), lesquels ne sont pas nécessairement des travaux de construction.
21. Petits travaux. Il s’en infère un régime différencié pour les petits travaux de rénovation (travaux de peinture par exemple) selon le modèle de contrat. Dans l’hypothèse d’une vente d’immeuble à rénover, ils relèvent de la garantie des vices et défauts de conformité apparents qui doit être mise en œuvre dans la première année qui suit la livraison ; mais lorsque qu’ils sont réalisés en exécution d’un contrat d’entreprise, ils sont soumis au droit commun de l’inexécution contractuelle et au délai de prescription quinquennal de l’article 2224 du Code civil. La garantie de parfait achèvement de l’article 1792-6 n’est pas applicable si les travaux ne réalisent pas un ouvrage de construction immobilière.
2 – Défauts cachés
22. Garantie des ouvrages de construction. Lorsque, postérieurement à la réception, le maître ou l’acquéreur d’un ouvrage de construction constate des désordres qui étaient jusque-là cachés, il dispose de trois actions : la garantie décennale (C. civ., art. 1792 et C. civ., art. 1792-233), la garantie de bon fonctionnement (C. civ., art. 1792-3) et la garantie de parfait achèvement (C. civ., art. 1792-6) dont la durée va décroissante depuis la réception des travaux : dix ans, deux ans et un an.
L’articulation de la garantie de parfait achèvement avec les garanties décennale ou biennale ne pose guère difficulté. Si, s’agissant des défauts apparents à la réception, la garantie de parfait achèvement est seule à jouer, le maître de l’ouvrage choisira en revanche librement son action pour les désordres apparus et signalés dans l’année puisque la Cour de cassation juge que la garantie de parfait achèvement n’est pas exclusive de la garantie décennale et de la garantie biennale34.
L’articulation de la garantie décennale et de la garantie biennale se règle quant à elle par un concours et ce concours est remporté par la garantie décennale : un désordre affectant à la fois le bon fonctionnement d’un élément d’équipement dissociable (domaine de la garantie biennale) et la destination ou la solidité de l’ouvrage (domaine de la décennale) sera réparé exclusivement sur le terrain de la garantie décennale.
23. Impropriété à destination. Une question spécifique à la garantie décennale des travaux sur existants se pose. Peut-on prendre en compte l’existant pour apprécier l’impropriété à destination des travaux nouveaux ? La réponse est non. La destination à prendre en compte n’est pas celle de l’existant, mais bien celle des travaux. La Cour de cassation y veille ; ce sont les travaux neufs qui doivent être impropres à leur destination : « l’installation d’un système de climatisation par pompe à chaleur immergée au fond d’un puits en contact avec la nappe phréatique sur un ouvrage existant constitue un ouvrage dont l’impropriété à destination s’apprécie indépendamment de l’immeuble pris dans son ensemble »35. C’est donc bien l’ouvrage que constituent les travaux sur existants qui doit être impropre à sa destination pour donner lieu à la garantie décennale.
Cependant, ce principe n’interdit pas de tenir compte de la destination de l’existant pour apprécier celle des travaux. En 201336, la Cour de cassation a eu à juger de défauts esthétiques affectant les travaux de rénovation des façades d’un immeuble, classé immeuble exceptionnel dans la zone de protection du patrimoine architectural urbain et paysager de la commune de Biarritz. Après avoir vérifié la qualification d’ouvrage de construction (en raison de la lourdeur de la restauration), la Cour de cassation a approuvé les juges d’appel d’avoir dit que les désordres esthétiques généralisés des façades devaient être appréciés par rapport à la situation particulière de l’immeuble (un immeuble exceptionnel). L’existant peut servir à apprécier la destination des travaux ; mais pour autant, l’impropriété à destination doit rester celle des travaux. Les travaux constituent l’ouvrage de référence pour apprécier l’existence d’un désordre et décider des garanties.
24. Dommages aux existants. La garantie décennale ne couvre pas les dommages causés aux existants qui ne résultent pas d’une impropriété à destination ou d’une atteinte à la solidité des travaux neufs. Pour que la garantie décennale puisse réparer les dommages causés aux existants, il faut d’abord un désordre décennal dans les travaux neufs : les dommages causés aux existants par les travaux nouveaux seront alors couverts par la garantie au titre des dommages consécutifs au désordre décennal.
25. Vice de l’existant. L’impropriété à destination des travaux ou leur défaut de solidité peut provenir d’un vice de l’existant auquel les travaux n’auront pas remédié. La garantie décennale jouera quand même car son régime repose sur la nature du dommage et non sur sa cause (une faute des constructeurs ou un vice de l’existant). Il n’en va autrement que si le constructeur démontre avec succès, ce qui paraît difficile, que le vice de l’existant à l’origine des désordres avait les caractères de la cause étrangère.
B – Actions de droit commun
26. Le droit de l’inexécution du contrat (C. civ., art. 1147 et s. et C. civ., art. 1231-1 à venir) s’applique aux travaux sur existants dans cinq cas de figure :
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les travaux échappent par leur nature au droit de la construction ;
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les travaux constituent bien un ouvrage de construction mais la réception n’a pas eu lieu ;
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la demande du créancier insatisfait porte sur la violation d’une obligation non constitutive d’un désordre des travaux (un retard d’exécution ou encore un défaut de conseil par exemple) ;
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le désordre des travaux relève de la catégorie des dommages intermédiaires parce qu’il n’entre ni dans le champ de la garantie décennale ni dans celui de la garantie biennale (le dommage purement esthétique d’un bâtiment banal par exemple) ;
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la réalisation des travaux a causé un dommage aux existants en violation d’une obligation contractuelle de conservation de cet existant.
27. Remèdes. Dans le cadre du droit commun de l’inexécution du contrat, le créancier dispose d’un panel de remèdes appréciable : dommages et intérêts, exécution sous astreinte, résolution du contrat, faculté de remplacement. S’agissant de cette dernière on peut observer, de lege ferenda, un rapprochement à venir entre le droit commun et la garantie de parfait achèvement. Dans le cadre du remplacement de l’article 1792-6 du Code civil, c’est sans l’autorisation du juge que le maître de l’ouvrage peut faire exécuter les travaux par un tiers aux frais et risques de l’entrepreneur défaillant. En droit commun positif, la faculté de remplacement de l’article 1144 du Code civil suppose quant à elle l’autorisation du juge : « Le créancier peut aussi en cas d’inexécution, être autorisé à faire exécuter lui-même l’obligation aux dépens du débiteur », dispose ce texte. Dans l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, le nouvel article 1222 du Code civil dispose qu’« après mise en demeure, le créancier peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter lui-même l’obligation ». Exit donc le remplacement judiciaire de l’article 1144 du Code civil ; le système de la garantie de parfait achèvement serait généralisé.
28. Droit de la vente. La garantie des vices cachés des articles 1641 et suivants du Code civil a vocation à jouer lorsqu’un existant est vendu après travaux. Le vendeur garantit les vices cachés de l’immeuble vendu, que ces vices proviennent d’un défaut antérieur aux travaux ou des travaux eux-mêmes. En application d’une solution jurisprudentielle bien assise37, cette garantie des vices cachés coexistera avec la garantie décennale du vendeur après achèvement toute les fois où les travaux réalisés avant la vente seront des travaux de construction. Une telle coexistence est en revanche impossible pour les ventes d’immeuble à rénover. La garantie des vices cachés couvre seulement l’existant et ne s’étend pas aux travaux à réaliser par le vendeur qui seront, par définition, exécutés après la conclusion de la vente : l’antériorité du vice par rapport à la vente est à la fois une condition de la garantie et sa principale justification.
Notes de bas de pages
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1.
http://www.ffbatiment.fr/federation-francaise-du-batiment/laffb/actualites/aujourd%E2%80%99hui-c%E2%80%99est-le-bon-moment-pour-faire-des-travaux-.html
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2.
L. n° 2015-992, 17 août 2015, relative à la transition énergétique pour la croissance verte, art. 5 : « Avant 2025, tous les bâtiments privés résidentiels dont la consommation en énergie primaire est supérieure à 330 kilowattheures d’énergie primaire par mètre carré et par an doivent avoir fait l’objet d’une rénovation énergétique ». Adde le nouvel article L. 110-10 du CCH. Des dérogations aux règles d’implantation ou de hauteurs des documents d’urbanisme sont désormais possibles pour assurer l’isolation des bâtiments par l’extérieur ou par surélévation des toitures : nouvel article L. 123-5-2 du Code de l’urbanisme.
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3.
La mesure fut finalement écartée de peur qu’elle entraînât une hausse des primes d’assurance de responsabilité décennale et par là même du coût de la construction. En revanche, un article L. 111-13-1 a été ajouté au Code de la construction et de l’habitation pour encadrer les hypothèses dans lesquelles un défaut de performance énergétique pourra être qualifié d’impropriété à destination justifiant la mise en œuvre de la garantie décennale : « En matière de performance énergétique, l'impropriété à la destination, mentionnée à l'article L. 111-13, ne peut être retenue qu'en cas de dommages résultant d'un défaut lié aux produits, à la conception ou à la mise en œuvre de l'ouvrage, de l'un de ses éléments constitutifs ou de l'un de ses éléments d'équipement conduisant, toute condition d'usage et d'entretien prise en compte et jugée appropriée, à une surconsommation énergétique ne permettant l'utilisation de l'ouvrage qu'à un coût exorbitant ».
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4.
Un peu moins cependant avec le nouvel article L. 111-13-1 du CCH.
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5.
Cass. 3e civ., 10 juill. 1978, n° 77-12595 : Bull. civ. III n° 285. V. Faure-Abbad M., Droit de la construction, 2016, Gualino, n° 1001 et s.
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6.
Loi n° 2006-872.
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7.
CCH, art. L. 262-2, al. 3.
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8.
Comité pour l’application de la loi Spinetta.
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9.
Sur les rapports du droit commun de l’inexécution du contrat et de la responsabilité contractuelle de droit commun pour les dommages intermédiaires, V. Faure-Abbad M., « Responsabilité des constructeurs et des vendeurs pour les dommages intermédiaires : unité ou diversité ? », RDI 2013, p. 456.
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10.
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11.
V. la controverse entre Troplong et Duvergier à propos de l’application de l’article 1793 du Code civil au cas d’une construction sur le terrain de l’architecte. Troplong, De l’échange et du louage, 1852, § 1022 ; Duvergier continuant Toullier, Le droit civil français suivant l’ordre du Code, Du louage, 1836, § 369.
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12.
Sur la distinction des secteurs libre et protégé et son rapport au droit de la consommation, V. Droit de la construction, préc., nos 17 et s.
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13.
Cass. 3e civ., 3 mars 2010, n° 09-11282 : Bull. civ. III, n° 55.
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14.
CGI, art. 257.
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15.
Cass. 3e civ., 9 déc. 1992, n° 91-12097 : Bull. civ. III, n° 321.
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16.
Cass. 3e civ., 29 janv. 2003, n° 01-13034 : Bull. civ. III, n° 18.
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17.
Cass. 3e civ., 6 nov. 1996, n° 94-16786 : Bull. civ. III, n° 212.
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18.
Cass. 3e civ., 9 nov. 1994, n° 92-20804 : Bull. civ. III, n° 184.
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19.
Cass. 1re civ., 24 févr. 2004, n° 98-23129.
-
20.
Cass. 3e civ., 18 nov. 1992, n° 90-21233 : Bull. civ. III, n° 298.
-
21.
Cass. 3e civ., 25 févr. 1998, n° 96-16214 : Bull. civ. III, n° 46.
-
22.
Cass. 3e civ., 6 févr. 2002, n° 00-15301.
-
23.
Cass. 3e civ., 10 déc. 2003, n° 02-12215 : Bull. civ. III, n° 224.
-
24.
Cass. 3e civ., 28 janv. 2009, n° 07-2089 : Bull. civ. III, n° 22.
-
25.
Cass. 3e civ., 16 mai 2001, n° 99-15062 : Bull. civ. III, n° 62.
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26.
Cass. 3e civ., 13 févr. 2013, n° 12-12016 : Bull. civ. III, n° 20.
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27.
Cass. 3e civ., 30 nov. 2011, n° 09-70345 : Bull. civ. III, n° 202.
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28.
Cass. 3e civ., 19 oct. 2011, nos 10-21323 et 10-24231, F-D.
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29.
V. par exemple pour des fissures et décollement affectant des dallages d’un centre commercial, Cass. 3e civ., 13 févr. 2013, n° 12-12016 : Bull. civ. III, n° 20.
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30.
Cass. 3e civ., 23 févr. 2000, n° 98-16250.
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31.
Cass. 3e civ., 12 juin 2014, n° 13-16789. Adde Cass. 3e civ., 18 juin 2008, n° 07-12977 : Bull. civ. III, n° 106.
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32.
Pour le contrat d’entreprise.
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33.
Pour les ventes d’immeuble à construire ou à rénover.
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34.
Adde C. civ., art. 1646-1 pour la vente d’immeuble à construire ; C. civ., art. 1871-1 pour le contrat de promotion immobilière, CCH, art. L. 262-2, al. 3 pour la vente d’immeuble à rénover.
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35.
Cass. 3e civ., 12 oct. 1994, n° 92-16533 : Bull. civ. III, n° 172.
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36.
Cass. 3e civ., 24 sept. 2014, n° 13-19615.
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37.
Cass. 3e civ., 4 avr. 2013, n° 11-25198 : Bull. civ. III, n° 45.
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38.
Cass. 3e civ., 17 juin 2009, n° 08-15503 : Bull. civ. III, n° 143 – Cass. 3e civ., 11 mai 2010, n° 09-11282 : Bull. civ. III, n° 55.