Victime d’une faille dans la délivrance du passe sanitaire, un avocat saisit le Conseil d’Etat

Publié le 30/07/2021

Dans le cadre d’un référé-liberté, l’avocat Henri de Beauregard a soumis au Conseil d’État, le 29 juillet, un imbroglio administratif l’empêchant, comme des milliers de Français, d’obtenir un passe sanitaire. Affecté par la Covid-19 en mars, il n’a pas accès à son certificat de rétablissement, les données relatives aux tests étant supprimées au bout de trois mois. Le ministère de la Santé a entrepris de régler le problème.

Façade du Conseil d'Etat
Photo : ©AdobeStock/Pixarno

 La situation s’apparente au casse-tête chinois que la patience ne suffit pas à résoudre. Avant d’en venir au recours examiné au Palais-Royal ce jeudi 29, il convient d’exposer les raisons qui ont conduit le citoyen Henri de Beauregard à saisir le juge des référés. Sa qualité d’avocat l’a évidemment aidé à s’extraire du dédale de chicanes administratives dans lequel il s’est égaré avant de se tourner vers la juridiction suprême. Et ce dans l’intérêt général, puisqu’il n’est pas seul concerné (voir encadré).

Mardi 30 mars, Me de Beauregard effectue un test de dépistage PCR, qui se révèle positif. Une fois guéri de la Covid-19, il entreprend les démarches pour obtenir son passe sanitaire. Son certificat de rétablissement datant de moins de six mois, il devrait lui être facilement délivré. Premier écueil : le portail SI-DEP (Système d’information de dépistage) ne le reconnaît pas : « Aucun dossier à votre nom n’a été trouvé », lit-il. Le 15 juillet, il écrit à sa Caisse primaire d’assurance maladie, laquelle se déclare incompétente.

« Nous vous invitons à visiter le site du gouvernement »

 Le 19 juillet, Henri de Beauregard se tourne vers l’ARS d’Île-de-France. Le lendemain, l’Agence régionale de santé lui indique que « les données sont conservées trois mois et à l’issue, supprimées. Si vous ne possédez pas de copie de vos résultats avec QR code, il vous sera impossible de bénéficier du certificat de rétablissement ». L’ARS s’avoue elle aussi incompétente et conclut sa réponse d’une formule-type : « Nous vous invitons à visiter le site du gouvernement. » Ne disposant pas du fameux QR code, qui n’est automatiquement généré que depuis le 19 avril, soit 21 jours après que Me de Beauregard a été déclaré positif, l’avocat est renvoyé à la case départ. Il saisit le tribunal administratif… lequel s’estime également incompétent ! Confronté à ce parfait exemple de quadrature du cercle, le voici donc au Conseil d’État.

Face au juge des référés Jean-Yves Ollier, une quinzaine d’élèves-avocats écoutent avec intérêt le résumé de la discussion. A leur droite, dans la salle des finances choisie ce jour-là, le représentant de la Direction des affaires juridiques du ministère des Solidarités et de la Santé espère qu’Henri de Beauregard va se désister. En effet, la veille, le service de Charles Touboul a étudié le recours dans le détail et a conclu que « la faille administrative » devait être comblée dans les meilleurs délais. Ordre a été donné, dès le 29 au matin, d’adresser un « DGS-Urgent » à tous les laboratoires de biologie français.

« Le ministère est à votre disposition pour vous aider »

 Cette circulaire de la Direction générale de la santé a peut-être été lue par quelques techniciens ; rien n’est moins sûr compte tenu de leur charge de travail. Elle intime l’ordre de « transmettre dès aujourd’hui au SI-DEP les résultats de tests PCR positifs établis il y a entre trois et six mois afin qu’un QR code soit généré ». Dès que le certificat de rétablissement et ledit code, valide au sein de l’Union européenne, seront transmis à la plateforme, ils devront être « récupérés par le patient le jour même afin que cette donnée de plus de 90 jours réintroduite dans le système ne soit en aucun cas conservée dans celui-ci, conformément à la loi ». De prime abord, tout cela paraît encore aléatoire et quelque peu compliqué.

Me Guillaume Lécuyer, l’avocat au Conseil d’État qui assiste son confrère, n’entend pas se désister sans garanties. Henri de Beauregard est tout aussi prudent, sachant que « le SI-DEP n’a pas les moyens de s’adapter, c’est un système automatisé, pour ne pas dire déshumanisé ». Par ailleurs, il faut que l’information parvienne aux professionnels de santé : « Aujourd’hui, j’ai appelé mon labo, je suis tombé sur le standard et on m’a prié d’envoyer un mail. Si j’ai un retour demain, je me désisterai. Mais je préfère que l’on reporte la clôture de l’instruction d’au moins 24 heures. »

Le juriste dépêché par le ministère promet que tout va bien se passer – il préfèrerait à l’évidence que Jean-Yves Ollier ne statue pas. « Le ministère est à votre disposition pour vous aider », propose-t-il à Me de Beauregard qui le remercie mais émet une réserve : « Outre le fait que je ne dispose pas du 06 de Charles Touboul si le problème perdure, je doute que vous puissiez assister tous les Français dans la même situation. »

« Une atteinte grave aux libertés, manifestement constituée »

 Le conseiller Ollier semble partager cet avis et s’il reconnaît « qu’un travail approfondi a été mené » par la direction juridique du ministère, il doute que les laboratoires puissent recréer les données « écrasées » dans un délai raisonnable. « Des milliers de gens sont concernés, insiste le requérant, qui comme moi ont été contaminés lors de la troisième vague. Par conséquent, les données peuvent être potentiellement lourdes à reconstituer. »

Il souligne « une atteinte grave aux libertés, manifestement constituée, car sans passe sanitaire, et sauf à faire un test toutes les 48 heures, je ne peux plus accéder à un lieu de culture, bientôt aux restaurants ou aux transports indispensables à l’exercice de mon activité ». Et ce jusqu’au 30 septembre, date à laquelle il sera autorisé à recevoir une dose de vaccin (six mois après l’infection).

Le juge Ollier finit par trancher en sa faveur : la décision sera rendue lundi 2 août à 17 heures. Si, d’ici là, Henri de Beauregard n’a pas récupéré ses données auprès de son laboratoire, obtenu son QR Code et le sésame que constitue désormais le passe sanitaire, Me Guillaume Lécuyer suggère au Conseil d’État de délivrer une injonction au ministère de la Santé.

Henri de Beauregard se désiste de son recours

Ayant obtenu son passe sanitaire vendredi 30 juillet, Henri de Beauregard se désiste de son recours, conformément à ses engagements formulés la veille devant le Conseil d’État. Le juge des référés Jean-Yves Ollier devrait prendre acte de sa décision par une ordonnance attendue ce jour.

Sur Twitter, Me de Beauregard s’est déclaré satisfait « de ce que le droit permette d’obtenir pourvu qu’on sache un peu le manier ».

En amont de l’examen de son référé-liberté, l’avocat avait saisi la sénatrice de l’Orne Nathalie Goulet (UDI) afin qu’elle expose le problème en séance au palais du Luxembourg. Son intervention a permis qu’un amendement soit adopté et que le secrétaire d’État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, Cédric O, introduise l’article 3 bis à la loi du 11 mai 2020.

Après la première phrase du troisième alinéa du I de l’article 11 de la loi n° 2020-546 du 11 mai  2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Par dérogation, les données relatives à une personne ayant fait l’objet d’un examen de dépistage virologique ou sérologique de la Covid-19 concluant à une contamination sont conservées pour une durée de six mois après leur collecte. »

Cette précision, associée au « DGS-Urgent » que la Direction générale de la santé a adressé aux laboratoires dès le 29 juillet (https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/dgs_urgent_72_certificat_retablissement.pdf) doit désormais permettre aux Français se trouvant dans la même situation que le requérant d’obtenir leur passe sanitaire.

Les données médicales conservées six mois depuis le 21 juillet

 Lorsque le portail SI-DEP fut ouvert aux professionnels de santé, en mai 2020, il avait été décidé de conserver durant un an les tests positifs pour assurer au mieux le suivi des patients. La CNIL (Commission nationale de l’information et des libertés) a vérifié que ces derniers étaient édifiés de leurs droits et que leur consentement avait été correctement recueilli. Dès son avis rendu, le Parlement a jugé nécessaire de rectifier le délai, fixant la durée de conservation des données à trois mois après leur collecte.

Un an plus tard, le 19 avril 2021, le SI-DEP a été étendu aux particuliers et leur a permis de télécharger les résultats de tests, certificats de vaccination ou de rétablissement accompagnés d’un QR code pour obtenir leur passe sanitaire. Toutefois, en application du délai raccourci par le Parlement, le code a disparu au bout de trois mois. Le 21 juillet, l’Assemblée nationale a voté un amendement autorisant la conservation des données pendant six mois. Mais la décision n’est pas rétroactive et Henri de Beauregard n’a donc pas pu récupérer ses données, déjà supprimées du SI-DEP.

 

Victime d'une faille dans la délivrance du passe sanitaire, un avocat saisit le Conseil d'Etat
Me Henri de Beauregard (à gauche) et son avocat au Conseil d’État, Me Guillaume Lécuyer (Photo : ©I. Horlans)

 

 

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