Panorama de droit administratif (1er octobre – 15 novembre 2018)

Publié le 04/02/2019

La livraison d’arrêts et de décisions a été très riche entre le 1er octobre et le 15 novembre 2018, tant en ce qui concerne le droit des contrats administratifs que la procédure administrative contentieuse, la responsabilité de la puissance publique, la notion de « biens de retour », la portée des réserves d’interprétation d’un traité international ou encore la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction.

Le juge doit ordonner la production de tout document de nature à permettre de vérifier les allégations du demandeur

CE, 3 oct. 2018, n° 413989, sect. française de l’observatoire international des prisons. Il revient au juge de l’excès de pouvoir, avant de se prononcer sur une requête assortie d’allégations sérieuses non démenties par les éléments produits par l’administration en défense, de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d’instruction des requêtes et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l’administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur1.

L’association requérante a accompli toutes les diligences qu’elle pouvait effectuer afin de se procurer la décision fixant le régime des fouilles des détenus à l’issue des parloirs du centre pénitentiaire et, en gardant le silence sur les demandes dont elle était saisie ou en interceptant les courriers adressés aux détenus de l’établissement pénitentiaire, l’administration ne l’a pas mise à même de satisfaire à l’exigence de production de la décision qu’elle attaquait.

La cour a méconnu son office et commis une erreur de droit en confirmant l’irrecevabilité des conclusions dont elle était saisie, sans avoir préalablement fait usage de ses pouvoirs inquisitoriaux en demandant à l’administration pénitentiaire de produire la note de service définissant le régime des fouilles des détenus à la sortie des parloirs au centre pénitentiaire concerné ou, à défaut de l’existence d’une telle note, tous éléments de nature à révéler le régime de fouilles contesté, notamment le registre de consignation des fouilles mises en œuvre sur les détenus.

Réparation du préjudice d’un fils de harki du fait des conditions indignes de vie dans des camps

CE, 3 oct. 2018, n° 410611, A. Le requérant, fils d’un ancien supplétif de l’armée française en Algérie, a mis en cause, à l’appui de sa demande de réparation des préjudices qu’il estime avoir subis du fait de l’abandon des anciens supplétifs de l’armée française par la France après la signature des accords d’Évian du 19 mars 1962, la responsabilité pour faute de l’État en soutenant qu’étaient fautifs, d’une part, le fait de n’avoir pas fait obstacle aux représailles et aux massacres dont les supplétifs de l’armée française en Algérie et leurs familles ont été victimes sur le territoire algérien, après le cessez-le-feu du 18 mars 1962 et la proclamation de l’indépendance de l’Algérie le 5 juillet 1962, en méconnaissance des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 et, d’autre part, le fait de n’avoir pas organisé leur rapatriement en France. Les préjudices ainsi invoqués ne sont pas détachables de la conduite des relations entre la France et l’Algérie et ne sauraient par suite engager la responsabilité de l’État sur le fondement de la faute.

En revanche, la cour a entaché son arrêt d’erreur de droit en ne relevant pas d’office l’incompétence de la juridiction administrative pour connaître des conclusions tendant à la réparation de préjudices liés à l’absence de rapatriement en France des anciens supplétifs de l’armée française en Algérie et de leurs familles.

Après avoir caractérisé comme indignes les conditions de vie qui ont été réservées aux anciens supplétifs de l’armée française en Algérie et à leurs familles dans des camps, ainsi que les restrictions apportées à leurs libertés individuelles, la cour a donné aux faits qui lui étaient soumis une exacte qualification en jugeant qu’avait ainsi été commise une faute de nature à engager la responsabilité de l’État.

Toutefois, pour rejeter les conclusions dont elle était saisie, la cour n’a pas recherché la valeur des préjudices dont le requérant demandait réparation, mais s’est bornée à faire état d’un ensemble de mesures d’ordre financier mises en place par l’État au bénéfice des anciens supplétifs de l’armée française et de leurs familles ainsi que de la reconnaissance solennelle du préjudice qu’ils ont collectivement subi, notamment par la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, pour en déduire que ces mesures devaient être regardées comme ayant permis, autant qu’il est possible, l’indemnisation des préjudices dont se prévalait le requérant. En statuant ainsi, la cour a, eu égard à la nature des préjudices invoqués, entaché son arrêt d’erreur de droit2.

Travaux sur un monument historique : quelle appréciation ?

CE, 5 oct. 2018, n° 410590, Sté Edilys. Lorsqu’elle est saisie d’une demande d’autorisation au titre du premier alinéa de l’article L. 621-9 du Code du patrimoine, il revient à l’autorité administrative d’apprécier le projet qui lui est soumis, non au regard de l’état de l’immeuble à la date de son classement, mais au regard de l’intérêt public, au point de vue de l’histoire ou de l’art, qui justifie cette mesure de conservation. Dès lors, la cour n’a pas commis d’erreur de droit en retenant que la légalité du projet n’avait pas à être appréciée au regard de la configuration de la place Vendôme telle qu’elle existait à la date de son classement, soit 1862. Elle n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce en jugeant que le classement avait pour objet de préserver l’ordonnancement de la place telle qu’elle avait été conçue par Jules Hardouin-Mansart, à l’homogénéité et à l’unité duquel les transformations effectuées au cours du XIXsiècle avaient porté atteinte. Enfin, elle a porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis une appréciation souveraine exempte de dénaturation en estimant que cet ordonnancement pouvait s’apprécier au regard des gravures réalisées par Jean-François Blondel en 1752 qui donnaient, en l’état des connaissances, la description la plus précise, complète et certaine de la place Vendôme à la date de son achèvement malgré les transformations intervenues au début du XVIIIsiècle.

En jugeant que le préfet avait pu estimer que le projet de dépose des allèges portait atteinte à la présentation de l’immeuble et à l’ordonnancement de la place et n’était, par conséquent, pas compatible avec le statut de monument historique reconnu à cet immeuble, quand bien même ce projet visait à favoriser le développement des activités commerciales dont la présence constitue l’une des caractéristiques de cette place, la cour a porté sur les faits de l’espèce une appréciation souveraine qui, en l’absence de dénaturation, ne peut être discutée devant le juge de cassation.

Du bon usage de l’inventaire détaillé dans l’application « Télérecours »

CE, sect., 5 oct. 2018, n° 418233, M. et Mme F. et a. Les articles R. 412-2, R. 414-1 et R. 414-3 du Code de justice administrative organisent la transmission par voie électronique des pièces jointes à la requête à partir de leur inventaire détaillé. Cet inventaire doit s’entendre comme une présentation exhaustive des pièces par un intitulé comprenant, pour chacune d’elles, un numéro dans un ordre continu et croissant ainsi qu’un libellé suffisamment explicite.

Ces articles imposent également de désigner chaque pièce dans l’application « Télérecours » au moins par le numéro d’ordre qui lui est attribué par l’inventaire détaillé, que ce soit dans l’intitulé du signet la répertoriant dans le cas de son intégration dans un fichier unique global comprenant plusieurs pièces ou dans l’intitulé du fichier qui lui est consacré dans le cas où celui-ci ne comprend qu’une seule pièce. Dès lors, la présentation des pièces jointes est conforme à leur inventaire détaillé lorsque l’intitulé de chaque signet au sein d’un fichier unique global ou de chaque fichier comprenant une seule pièce comporte au moins le même numéro d’ordre que celui affecté à la pièce par l’inventaire détaillé. En cas de méconnaissance de ces prescriptions, la requête est irrecevable si le requérant n’a pas donné suite à l’invitation à régulariser que la juridiction doit, en ce cas, lui adresser par un document indiquant précisément les modalités de régularisation de la requête.

L’incorporation dans une ACCA n’est plus définitive

CE, sect., 5 oct. 2018, n° 407715, Assoc. Saint-Hubert. L’opposition à l’incorporation de terrains dans le territoire de chasse de l’association communale de chasse agréée (ACCA) peut être formée après la constitution de cette association et conduit au retrait des terrains en cause, à l’expiration de la période de 5 ans en cours, dès lors que les conditions fixées par le 3° de l’article L. 422-10 du Code de l’environnement sont satisfaites à la date de la demande et que cette dernière respecte le préavis fixé par l’article L. 422-18. Le législateur ayant prévu que cette opposition est ouverte aux détenteurs de droits de chasse aussi bien qu’aux propriétaires, la loi n’institue pas, en méconnaissance de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention EDH combinées à celles de l’article 14 de cette même convention, une discrimination entre ces deux catégories de personnes3.

Si le pouvoir réglementaire a défini les conditions dans lesquelles une personne propriétaire unique peut bénéficier du droit de retrait de ses terrains du territoire de l’ACCA lorsqu’elle a acquis des terrains supplémentaires lui permettant de remplir la condition de superficie minimale, il n’a en revanche pas précisé les conditions dans lesquelles le même droit de retrait est exercé par les propriétaires qui, postérieurement à la constitution de l’ACCA, se regroupent pour constituer un ensemble de terrains d’une superficie totale supérieure au seuil minimal en vue d’exercer en commun leurs droits de chasse. Ce faisant, il a exclu la possibilité pour ces derniers d’exiger un tel retrait.

Le régime des associations de chasse agréées répond à un motif d’intérêt général, visant à prévenir une pratique désordonnée de la chasse et à favoriser une gestion rationnelle du patrimoine cynégétique, notamment en encourageant la pratique de la chasse sur des territoires d’une superficie suffisamment importante. Ce motif justifie l’article R. 422-55 du Code de l’environnement qui prévoit la réintégration d’office dans le territoire de l’ACCA de tout territoire de chasse pour lequel il a été fait opposition qui vient, pour quelque cause et dans quelque condition que ce soit, à être morcelé. Si, en complément des dispositions de cet article, le même motif d’intérêt général peut également justifier que le pouvoir réglementaire assortisse le retrait d’une ACCA d’un territoire de chasse formé par un regroupement de propriétaires de certaines conditions permettant de garantir la stabilité de ce territoire après sa sortie de l’ACCA, il ne saurait, en revanche, conduire à instaurer la différence de traitement, manifestement disproportionnée, consistant à réserver par principe aux seules personnes physiques propriétaires d’un terrain de chasse supérieur au seuil minimal le droit de demander le retrait de leur fonds du territoire d’une ACCA déjà constituée et à en exclure les propriétaires qui atteignent ce seuil minimal en se regroupant en vue d’exercer ensemble leurs droits de chasse. L’article R. 422-53 du Code de l’environnement méconnaît, dans cette mesure, le principe d’égalité4.

Les travaux de raccordement au réseau public de collecte sont des travaux publics

T. confl., 8 oct. 2018, n° 4135, Cne de Malroy. Eu égard aux rapports de droit privé nés du contrat qui lie le service public industriel et commercial de l’assainissement à ses usagers, les litiges relatifs aux rapports entre ce service et ses usagers relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire. Ainsi, il n’appartient qu’à la juridiction judiciaire de connaître des litiges relatifs à la facturation et au recouvrement de la redevance due par les usagers, aux dommages causés à ces derniers à l’occasion de la fourniture du service, peu important que la cause des dommages réside dans un vice de conception, l’exécution de travaux publics ou l’entretien d’ouvrages publics, ou encore à un refus d’autorisation de raccordement au réseau public. En revanche, un litige né du refus de réaliser ou de financer des travaux de raccordement au réseau public de collecte, lesquels présentent le caractère de travaux publics, relève de la compétence de la juridiction administrative.

Portée d’une réserve d’interprétation d’un traité

CE, ass., 12 oct. 2018, n° 408567, SARL Super Coiffeur. Les dispositions de l’article 55 de la constitution impliquent, en cas d’incompatibilité entre ces deux normes, que le juge administratif fasse prévaloir le traité ou l’accord sur la loi, dès lors que celui-ci remplit les conditions posées à son application dans l’ordre juridique interne et crée des droits dont les particuliers peuvent directement se prévaloir. Lorsqu’un traité ou un accord a fait l’objet de réserves, visant, pour l’État qui exprime son consentement à être lié par cet engagement, à exclure ou à modifier l’effet juridique de certaines de ses clauses dans leur application à son endroit, il incombe au juge administratif, après s’être assuré qu’elles ont fait l’objet des mêmes mesures de publicité que ce traité ou cet accord, de faire application du texte international en tenant compte de ces réserves5. De telles réserves définissant la portée de l’engagement que l’État a entendu souscrire et n’étant pas détachables de la conduite des relations internationales, il n’appartient pas au juge administratif d’en apprécier la validité6.

La règle non bis in idem, telle qu’elle résulte de de l’article 4, paragraphe 1, du protocole n° 7 à la convention EDH, ne trouve à s’appliquer, selon la réserve accompagnant l’instrument de ratification de ce protocole par la France et publiée au JORF du 27 janvier 1989, à la suite du protocole lui-même, que pour « les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale », et n’interdit ainsi pas le prononcé de sanctions administratives parallèlement aux décisions définitives prononcées par le juge répressif. Il n’appartient pas au juge national de se prononcer sur la validité de cette réserve, non dissociable de la décision de la France de ratifier ce protocole7.

En principe, l’autorité de la chose jugée au pénal ne s’impose à l’Administration comme au juge administratif qu’en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire du dispositif d’un jugement devenu définitif, tandis que la même autorité ne saurait s’attacher aux motifs d’un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu’un doute subsiste sur leur réalité8. Il appartient, dans ce cas, à l’autorité administrative d’apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis et, dans l’affirmative, s’ils justifient l’application d’une sanction administrative9. Il n’en va autrement que lorsque la légalité de la décision administrative est subordonnée à la condition que les faits qui servent de fondement à cette décision constituent une infraction pénale, l’autorité de la chose jugée s’étendant alors exceptionnellement à la qualification juridique donnée aux faits par le juge pénal10.

Précision sur les « biens de retour »

CE, 18 oct. 2018, n° 420097, Sté électricité de Tahiti (EDT ENGIE). Dans le cadre d’une concession de service public mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l’acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l’ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition, à la personne publique. Le contrat peut attribuer au concessionnaire, pour la durée de la convention, la propriété des ouvrages qui, bien que nécessaires au fonctionnement du service public, ne sont pas établis sur la propriété d’une personne publique, ou des droits réels sur ces biens, sous réserve de comporter les garanties propres à assurer la continuité du service public, notamment la faculté pour la personne publique de s’opposer à la cession, en cours de concession, de ces ouvrages ou des droits détenus par la personne privée.

À l’expiration de la convention, les biens qui sont entrés, en application de ces principes, dans la propriété de la personne publique et ont été amortis au cours de l’exécution du contrat font nécessairement retour à celle-ci gratuitement, sous réserve des clauses contractuelles permettant à la personne publique, dans les conditions qu’elles déterminent, de faire reprendre par son cocontractant les biens qui ne seraient plus nécessaires au fonctionnement du service public. Le contrat qui accorde au concessionnaire, pour la durée de la convention, la propriété des biens nécessaires au service public autres que les ouvrages établis sur la propriété d’une personne publique, ou certains droits réels sur ces biens, ne peut, sous les mêmes réserves, faire obstacle au retour gratuit de ces biens à la personne publique en fin de concession.

Les sommes requises pour l’exécution des travaux de renouvellement des biens nécessaires au fonctionnement du service public qui ont seulement donné lieu, à la date d’expiration du contrat, à des provisions, font également retour à la personne publique. Il en va de même des sommes qui auraient fait l’objet de provisions en vue de l’exécution des travaux de renouvellement pour des montants excédant ce que ceux-ci exigeaient, l’équilibre économique du contrat ne justifiant pas leur conservation par le concessionnaire.

Les dispositions du II et du III de l’article LP 6 de la loi de pays contestée imposent, s’agissant des contrats en cours, notamment de faire un point sur le programme des investissements de renouvellement dans les 6 mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi et l’affectation de la part surévaluée des provisions de renouvellement au regard de ce programme d’investissements à un fonds de travaux dédié à la délégation. En permettant ainsi, sans justification par un intérêt général et sans condition ni limitation, la réalisation d’investissements nouveaux non prévus au contrat et, dans tous les cas, hors toute procédure de publicité et de mise en concurrence, le II de l’article LP 6 a, par sa généralité, méconnu les règles de la commande publique tout en affectant la liberté de gestion dont dispose normalement le concessionnaire dans le cours de l’exécution du contrat. Ces dispositions, qui sont divisibles de la « loi du pays », doivent être déclarées illégales11.

Nécessité d’une nouvelle enquête publique en cas de modification substantielle du projet

CE, 22 oct. 2018, n° 411086, Cne de Mitry-Mory et a. Il résulte des articles L. 1, L. 121-2 et L. 121-4 du Code de l’expropriation que, lorsqu’un projet déclaré d’utilité publique fait l’objet de modifications substantielles durant la période prévue pour procéder aux expropriations nécessaires, sans toutefois qu’elles conduisent à faire regarder celui-ci comme constituant un projet nouveau, il incombe à l’autorité compétente de porter une nouvelle appréciation sur son utilité publique au regard de ces changements et de modifier en conséquence la déclaration d’utilité publique initiale. Une telle modification, qui n’a pas pour effet de prolonger la durée pendant laquelle doivent être réalisées les expropriations, ne saurait toutefois légalement intervenir qu’à la suite d’une nouvelle enquête publique, destinée notamment à éclairer le public concerné sur la portée des changements ainsi opérés au regard du contexte dans lequel s’inscrit désormais le projet. La procédure de cette enquête publique et la composition du dossier sont régies par les dispositions applicables à la date de la décision modifiant la déclaration d’utilité publique. Il appartient donc au maître d’ouvrage, d’une part, de reprendre les éléments du dossier soumis à l’enquête publique initiale en les actualisant pour prendre en compte les modifications substantielles apportées au projet et les évolutions du contexte si ces dernières sont significatives, et, d’autre part, de produire les éléments du dossier soumis à enquête publique nouvellement requis par la réglementation.

La vidéo-audience ne peut être remplacée par le téléphone portable de la greffière

CE, 24 oct. 2018, n° 419417, Sté Hélène et fils. La circonstance qu’une partie ne s’est pas opposée à la tenue de l’audience devant le juge du référé ne fait pas obstacle à ce qu’elle se prévale devant le juge de cassation de l’irrégularité du procédé de communication mis en œuvre pour relier en direct à la salle d’audience le ou les magistrats des tribunaux administratifs d’outre-mer dont la venue à l’audience n’était pas matériellement possible.

Le juge des référés, saisi d’un litige ressortissant à la compétence du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon, dont la venue à Saint-Pierre-et-Miquelon n’était pas matériellement possible, a décidé d’organiser, depuis le tribunal administratif de la Martinique, une visioconférence avec la salle d’audience du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon. En raison de difficultés techniques faisant obstacle, malgré plusieurs tentatives, à l’utilisation du dispositif de vidéo-audience, la greffière du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a eu recours à son téléphone portable, mis sur haut-parleur, pour permettre au juge des référés de tenir l’audience. L’usage du téléphone ne permet que la transmission de messages sonores et non visuels, en méconnaissance notamment de l’article R. 781-2 du Code de justice administrative.

En outre, l’usage du téléphone ne garantit pas non plus le respect des normes prévues par l’article 2 de l’arrêté du 9 septembre 2005. Le juge ne peut, à titre exceptionnel, s’affranchir de l’obligation d’une transmission à la fois sonore et visuelle que dans l’hypothèse particulière où, compte tenu du délai nécessaire pour mettre en place un dispositif de communication audiovisuelle ou pour organiser le déplacement du ou des magistrats concernés, il ne pourrait plus statuer utilement sur la requête dont il est saisi.

Du vice du consentement dans les contrats de la commande publique

CE, 9 nov. 2018, n° 420654, Stés Cerba et Delapack Europe B. V. Une erreur conduisant à une appréciation inexacte du coût d’un achat par le pouvoir adjudicateur n’est pas, en elle-même, constitutive d’un vice du consentement.

Un concurrent évincé ne peut invoquer, outre les vices d’ordre public dont serait entaché le contrat, que des manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat en rapport direct avec son éviction12. Au titre de tels manquements, le concurrent évincé peut contester la décision par laquelle son offre a été écartée comme irrégulière. Un candidat dont l’offre a été à bon droit écartée comme irrégulière ou inacceptable ne saurait en revanche soulever un moyen critiquant l’appréciation des autres offres. Il ne saurait notamment soutenir que ces offres auraient dû être écartées comme irrégulières ou inacceptables, un tel manquement n’étant pas en rapport direct avec son éviction et n’étant pas, en lui-même, de ceux que le juge devrait relever d’office. Il en va ainsi y compris dans l’hypothèse où toutes les offres ont été écartées comme irrégulières ou inacceptables, sauf celle de l’attributaire, et qu’il est soutenu que celle-ci aurait dû être écartée comme irrégulière ou inacceptable13.

Si les requérants entendent soutenir que, du fait des irrégularités de l’offre de la société attributaire du marché, qui la rendaient, selon eux, irrégulière et inacceptable, le contenu du contrat litigieux est lui-même entaché d’un vice, ils ne peuvent soulever un tel moyen que si le vice ainsi allégué est d’ordre public, c’est-à-dire si le contenu du contrat est illicite. Le contenu d’un contrat ne présente un caractère illicite que si l’objet même du contrat, tel qu’il a été formulé par la personne publique contractante pour lancer la procédure de passation du contrat ou tel qu’il résulte des stipulations convenues entre les parties qui doivent être regardées comme le définissant, est, en lui-même, contraire à la loi, de sorte qu’en s’engageant pour un tel objet, le cocontractant de la personne publique la méconnaît nécessairement.

Les détenus ne sauraient financer des dépenses de téléphonie répondant à un but de police

CE, 14 nov. 2018, n° 418788, C. S’agissant d’une concession de service public, revêtent un caractère réglementaire les clauses qui en définissent l’objet ainsi que celles qui fixent les tarifs applicables aux usagers de ce service.

Le droit de téléphoner des personnes détenues, consacré par l’article 39 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, s’exerce dans les limites inhérentes à la détention et dans les conditions particulières en résultant, notamment l’absence de libre choix de l’opérateur de téléphonie. Eu égard à la différence de situation objective existant entre les personnes détenues qui souhaitent téléphoner et les autres usagers d’un service de téléphonie, la circonstance que le tarif des communications téléphoniques, tel qu’il est fixé par les clauses réglementaires du contrat litigieux, est établi à un niveau plus élevé que celui dont bénéficient, en moyenne, les autres usagers du téléphone ne caractérise pas une rupture du principe d’égalité dès lors que cette différence de tarif n’est pas manifestement disproportionnée. Les modalités spécifiques retenues pour le calcul de ce tarif ne caractérisent pas par elles-mêmes une rupture du principe d’égalité, les structures de coût du réseau exploité dans le cadre de la concession litigieuse n’étant pas comparables à celles des autres opérateurs de téléphonie.

L’article 3 du contrat litigieux prévoit que « le délégataire se rémunère sur le prix des communications téléphoniques ». Il résulte de l’annexe financière au contrat que l’amortissement des fournitures et des prestations est réalisé à travers les ventes des communications téléphoniques effectuées par les détenus. Or figurent parmi ces prestations, des « spécifications fonctionnelles » permettant d’assurer l’écoute, l’enregistrement et l’archivage des conversations téléphoniques. Ces prestations qui permettent d’assurer le contrôle des communications téléphoniques conformément aux dispositions de l’article 727-1 du Code de procédure pénale se rattachent aux missions générales de police qui, par nature, incombent à l’État. Les dépenses auxquelles elles donnent lieu, qui ne sont pas exposées dans l’intérêt direct des détenus, ne sauraient dès lors être financées par le tarif des communications téléphoniques perçu auprès des usagers en contrepartie du service qui leur est rendu.

Compétence en cas de requalification d’un contrat d’avenir

T. confl., 12 nov. 2018, n° 4136, Mme A. Selon l’article L. 5134-41 du Code du travail, le « contrat d’avenir » est un contrat de travail de droit privé à durée déterminée. Il en est de même du « contrat unique d’insertion » aux termes des dispositions combinées des articles L. 5134-19-3 et L. 5134-24 du même code. Il appartient en principe à l’autorité judiciaire de se prononcer sur les litiges nés de la conclusion, de l’exécution et de la rupture de tels contrats, même si l’employeur est une personne publique gérant un service public à caractère administratif. Il lui incombe, à ce titre, de se prononcer sur une demande de requalification de ces contrats et d’indemnisation des conséquences des manquements de l’employeur, y compris lorsqu’ils portent sur les conditions dans lesquelles les contrats ont été conclus et renouvelés.

Toutefois, d’une part, dans le cas où la contestation met en cause la légalité de la convention passée, notamment, entre l’État et l’employeur, la juridiction administrative est seule compétente pour se prononcer sur la question préjudicielle ainsi soulevée. D’autre part, le juge administratif est également seul compétent pour tirer les conséquences d’une éventuelle requalification d’un contrat, soit lorsque celui-ci n’entre en réalité pas dans le champ des catégories d’emplois, d’employeurs ou de salariés visées par le Code du travail, soit lorsque la requalification effectuée par le juge judiciaire, pour un autre motif, a pour conséquence non la réparation du préjudice résultant de la rupture du contrat mais la poursuite d’une relation contractuelle entre le salarié et la personne morale de droit public gérant un service public administratif, au-delà du terme du ou des contrats relevant de la compétence du juge judiciaire14.

Si la requalification à laquelle a procédé le conseil de prud’hommes a eu pour effet de transformer en licenciement la rupture ultérieurement notifiée pour arrivée à terme des contrats, elle n’a pas eu pour conséquence de placer la relation de travail en dehors du droit privé ni d’entraîner la poursuite de la relation contractuelle de l’intéressée au-delà du terme du dernier contrat aidé relevant de la compétence judiciaire. Aucun travail n’a plus été fourni ni aucun salaire versé après la date initialement convenue comme devant marquer la fin des relations contractuelles (compétence judiciaire).

Le service public assuré par le Greta est un service public administratif

T. confl., 12 nov. 2018, n° 4137, Sté de maintenance pétrolière. Il résulte des articles L. 122-5, L. 423-1, D. 423-1, D. 423-6, D. 423-9 et D. 423-10 du Code de l’éducation que les missions de formation professionnelle font partie des missions légalement dévolues aux établissements publics d’enseignement. Les établissements publics d’enseignement relevant du ministère de l’Éducation nationale exercent ces missions en s’associant dans des groupements dépourvus de personnalité morale dits Greta. Le recteur d’académie arrête la composition et le fonctionnement du groupement et détermine l’établissement public support, membre de ce groupement, chargé d’en assurer la gestion administrative, financière et comptable. L’ordonnateur et le comptable du groupement sont ceux de l’établissement public support. En raison tant de son objet que de son mode de fonctionnement, le service public assuré par le Greta est un service public administratif. Par suite, le litige opposant un usager à un Greta en matière de formation professionnelle relève de la compétence de la juridiction administrative.

Litige opposant le titulaire du marché de vérification des installations d’assainissement et un tiers : compétence judiciaire

T. confl., 12 nov. 2018, n° 4139, SARL Millet BTP et SMABTP. En vertu des dispositions du III de l’article L. 2224-8 du Code général des collectivités territoriales, la commune assure le contrôle des installations d’assainissement non collectif. La compétence que la commune tirait de ces dispositions a été transférée à une communauté de communes. Cet établissement public confie à un prestataire privé, par des marchés de prestations de services, la vérification de la conformité des installations d’assainissement non collectif aux prescriptions applicables ainsi que la rédaction et la transmission aux services de la communauté de rapports techniques comportant des propositions de décision. Le titulaire du marché ne peut être regardé comme gérant le service public de l’assainissement non collectif, qui demeure exploité en régie par la communauté de communes. Le litige opposant la SARL Millet BTP et la SMABTP à l’association titulaire du marché, au titre d’une faute que cette association aurait commise à l’occasion d’une vérification effectuée en exécution d’un tel marché, est un litige entre personnes privées relevant de la juridiction judiciaire.

Notes de bas de pages

  • 1.
    V. CE, 26 nov. 2012, n° 354108, Mme Cordière : Lebon, p. 394.
  • 2.
    Comp. CE, ass., 16 févr. 2009, n° 315499, Mme Hoffman-Glemane : Lebon, p. 43.
  • 3.
    Ab. jur., CE, sect., 7 juill. 1978, n° 99333, min. Qualité de la vie : Lebon, p. 295.
  • 4.
    Ab. jur., CE, 13 févr. 1980, n° 9807, X. et a. : Lebon, p. 77.
  • 5.
    V. CE, ass., 18 déc. 1998, n° 181249, SARL du parc d’activités de Blotzheim et SCI Haselaecker : Lebon, p. 483 – CE, ass., 5 mars 2003, n° 242860 : Lebon, p. 77.
  • 6.
    V. CE, 26 déc. 2008, n° 282995, X : Lebon T., p. 661, 679, 684, 745 et 748 – Rappr. CEDH, 4 mars 2014, nos 18640/10 et a., Grande Stevens et a. c/ Italie.
  • 7.
    V. CE, 8 juill. 2002, n° 239366, Cne de Porta : Lebon, p. 260.
  • 8.
    V. CE, sect., 16 févr. 2018, n° 395371, X : Lebon, p. 41.
  • 9.
    V. CE, sect., 28 juill. 1999, n° 188973, GIE Mumm-Perrier-Jouet : Lebon, p. 257.
  • 10.
    V. CE, ass., 8 janv. 1971, n° 77800, min. Int. c/ X : Lebon, p. 19 – CE, 10 oct. 2012, n° 345903, SARL Le Madison : Lebon T., p. 757, 886 et 929.
  • 11.
    V. CE, ass., 21 déc. 2012, n° 342788, Cne de Douai : Lebon, p. 477 – CE, sect., 29 juin 2018, n° 402251, min. Int. c/ Cté de cnes de la vallée de l’Ubaye, sera publié au Lebon.
  • 12.
    V. CE, sect., 5 févr. 2016, n° 383149, Synd. mixte des transports en commun Hérault transport : Lebon, p. 10.
  • 13.
    V. CE, ass., 4 avr. 2014, n° 358994, Dpt de Tarn-et-Garonne : Lebon, p. 70.
  • 14.
    V. T. confl., 22 nov. 2010, nos 3789, 3790 et 3791, X et a. c/ Lycée David d’Angers : Lebon T., p. 685-1007.
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