Parcoursup devant le juge administratif : cassation du premier jugement

Publié le 24/07/2019

Le tribunal administratif de la Guadeloupe avait annulé le refus implicite et enjoint l’université des Antilles de faire droit à la demande présentée par l’UNEF de se voir communiquer les algorithmes utilisés pour examiner les candidatures présentées par Parcoursup. Le Conseil d’État, saisi en cassation par l’université vient de casser ce jugement, apportant ainsi des précisions sur le régime juridique du dispositif Parcoursup. En substance, le juge administratif suprême retient le principe de la règle spéciale qui déroge à la règle générale, admettant la spécificité des règles de communicabilité des documents inhérents à Parcoursup, tout en veillant à préserver la cohérence des règles relatives à l’inscription universitaire dans le cadre Parcoursup. L’analyse successive de ces deux décisions de justice incite à une réflexion sur les évolutions possibles du dispositif actuel.

C’est une victoire bien temporaire qu’a remportée l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) devant le tribunal administratif de Guadeloupe1, puisque le Conseil d’État a annulé le jugement qui avait enjoint à l’université de lui communiquer les procédés algorithmiques utilisés dans le cadre du traitement des candidatures d’entrée en licence par l’intermédiaire de la plate-forme Parcoursup, ainsi que les codes sources correspondant. Première « victoire » sur le terrain juridique qui n’aura été que de courte durée. C’est ainsi que l’UNEF, deuxième syndicat étudiant, avait salué la décision du tribunal administratif de la Guadeloupe, qui lui avait été communiquée mardi 5 février 20192. La cassation de ce jugement remet une série de pendules à l’heure tout en laissant ouvertes de nouvelles interrogations.

Il faut en premier lieu rappeler que la loi du 8 mars 20183 d’orientation et de réussite des étudiants a créé une nouvelle procédure nationale de préinscription dite « Parcoursup » dont les règles ont été codifiées aux articles L. 612-1 et suivants du Code de l’éducation et, pour la partie réglementaire, aux articles D. 612-1 et suivants du même code, et en second lieu que d’autres procédures liées à la contestation de Parcoursup devant le juge administratif avaient déjà échoué, lors de deux contentieux de l’urgence.

Sur le premier point, il faut rappeler l’annulation d’une circulaire du 24 avril 2017 qui prévoyait le recours au tirage au sort pour départager les candidats ayant obtenu le même classement4, le gouvernement a décidé de réformer la procédure d’affectation dans les formations initiales du premier cycle de l’enseignement supérieur à compter de la rentrée 2018.

Sur le deuxième point, deux décisions lues le 20 février 2018 par le Conseil d’État avaient en effet rejeté les référés-suspension introduits contre Parcoursup et sa mise en œuvre. En effet, le 5 février 2018, le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE), le Syndicat national de l’enseignement supérieur-Fédération syndicale unitaire (SNESUP-FSU), la Fédération de l’éducation, de la recherche et de la culture CGT (FERC-CGT), l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) et l’Union nationale lycéenne (UNL) avaient demandé au juge des référés du Conseil d’État, statuant sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative de suspendre l’exécution de l’arrêté du 19 janvier 2018 de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation autorisant la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Parcoursup ».

Le Conseil d’État5 avait alors jugé d’une part que l’arrêté litigieux, dans son article 1er, autorise le traitement de données, avec pour seule finalité le recueil des vœux des étudiants dans le cadre de la gestion de la procédure nationale de préinscription dans une formation du premier cycle de l’enseignement supérieur pour l’année universitaire 2018-2019 et, d’autre part, selon son article 4, les informations et données à caractère personnel relatives aux étudiants ainsi que celles relatives à la traçabilité des accès ne seront conservées que jusqu’au 2 avril 2018 et seront supprimées après cette date à moins que leur utilisation dans le cadre de la procédure nationale de préinscription soit expressément autorisée par la réglementation en vigueur à cette date. Il juge alors que, se conformant sur ces points aux exigences émises par la Commission nationale de l’informatique et des libertés dans sa délibération n° 2018-011 du 18 janvier 2018, la ministre de l’Enseignement, de la Recherche et de l’Innovation a ainsi conféré à ce traitement un caractère temporaire et limité à la préinscription des futurs étudiants.

Le juge avait alors rappelé que l’article L. 612-3 du Code de l’éducation subordonne l’inscription dans un établissement d’enseignement supérieur à la sollicitation d’une préinscription, tout en rappelant encore que la plate-forme Parcoursup a été accessible aux futurs étudiants dès le 22 janvier, afin que ceux-ci procèdent à leur enregistrement et à la saisie de leurs vœux. Le Conseil d’État souligne alors que la suspension de l’exécution de l’arrêté litigieux aurait pour effet d’interrompre cette procédure nationale de préinscription, ce qui entraînerait de graves perturbations, tant pour les futurs étudiants que pour les autorités académiques et pourrait avoir pour effet, compte tenu du « caractère extrêmement contraint du calendrier », de compromettre le bon déroulement du début de l’année universitaire 2018-2019 dans le premier cycle de l’enseignement supérieur. Le Conseil d’État en déduit qu’il existe un intérêt public à ce que l’exécution de l’arrêté litigieux ne soit pas suspendue. Exerçant son traditionnel contrôle de proportionnalité, le Conseil d’État juge que la suspension de l’exécution de l’arrêté litigieux porterait ainsi à l’intérêt général qui s’attache au bon déroulement de la procédure de préinscription, une atteinte excédant les inconvénients qu’invoquent les requérants et dont, eu égard notamment au caractère limité du traitement autorisé par l’arrêté litigieux, la gravité n’est pas établie6.

Une autre affaire, lue aussi le 20 février 20187, porte sur la mise en œuvre de Parcoursup. En effet, par une requête, enregistrée le 11 février 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, Solidaires étudiant-e-s, syndicats de luttes (SESL) et l’Union nationale lycéenne- syndicale et démocratique (UNL-SD) demandaient au juge des référés du Conseil d’État, statuant sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, premièrement de suspendre l’exécution de la décision de la directrice générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle constituée de la partie publique du site internet parcoursup.fr, ainsi que la charte du 6 décembre 2017 pour une mise en œuvre partagée des attendus des formations et les éléments de cadrage national des attendus pour les mentions de licence qui y sont associés. La requête demandait aussi au juge des référés de suspendre l’exécution de la décision non publiée par laquelle la directrice générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle a instauré un portail destiné à recueillir les choix des candidats, afin de les sélectionner, sur la partie privée du site parcoursup.fr, et enfin de suspendre l’exécution de l’arrêté du 19 janvier 2018 de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation autorisant la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé Parcoursup.

La base juridique du dispositif est la même que celle citée plus haut à propos de la précédente affaire, c’est-à-dire l’article L. 612-3 du Code de l’éducation. Pour soutenir qu’il y a urgence à suspendre les décisions litigieuses, les syndicats requérants font valoir que le dispositif Parcoursup instaure sans base légale une sélection à l’entrée de l’enseignement supérieur ; que sa complexité, qui rend nécessaire le recours aux services de conseillers privés, risque d’imposer aux futurs étudiants d’exposer en pure perte des dépenses importantes ; qu’il occasionne la collecte de données dangereuses et, enfin, qu’en mettant les futurs étudiants devant le fait accompli, il porte atteinte à la raison d’être du syndicat Solidaires étudiant-e-s, syndicat de luttes (SESL).

Le Conseil d’État souligne qu’il ressort des termes mêmes de l’arrêté du 19 janvier 2018 que, d’une part, selon son article 1er, le traitement de données qu’il autorise a pour seule finalité le recueil des vœux des étudiants dans le cadre de la gestion de la procédure nationale de préinscription dans une formation du premier cycle de l’enseignement supérieur pour l’année universitaire 2018-2019 et que, d’autre part, selon son article 4, les informations et données à caractère personnel relatives aux étudiants ainsi que celles relatives à la traçabilité des accès ne seront conservées que jusqu’au 2 avril 2018 et seront supprimées après cette date à moins que leur utilisation dans le cadre de la procédure nationale de préinscription soit expressément autorisée par la réglementation en vigueur à cette date ; que, se conformant sur ces points aux exigences émises par la Commission nationale de l’informatique et des libertés dans sa délibération du 18 janvier 20188, la ministre de l’Enseignement, de la Recherche et de l’Innovation a ainsi conféré à ce traitement un caractère temporaire et limité à la préinscription des futurs étudiants. Reprenant la motivation de la décision citée plus haut9, le Conseil d’État juge que la suspension de l’exécution des décisions contestées porterait ainsi à l’intérêt général qui s’attache au bon déroulement de la procédure de préinscription une atteinte excédant les inconvénients qu’invoquent les syndicats requérants et dont, eu égard notamment au caractère limité du traitement autorisé par l’arrêté du 19 janvier 2018, la gravité n’est pas établie ; qu’il en résulte que la condition d’urgence requise par l’article L. 521-1 du Code de justice administrative ne peut être regardée comme remplie ; que, par suite, il n’est pas besoin de se prononcer sur l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité des décisions litigieuses.

C’est une nouvelle confirmation de la légalité du dispositif et de ses modalités d’application par les instances compétentes. Le Conseil d’État juge, en effet, par une décision du 12 juin 201910, que le droit, reconnu par la loi du 8 mars 2018 aux candidats inscrits sur la plate-forme Parcoursup, de connaître les critères d’examen de leur candidature par les établissements d’enseignement supérieur et les raisons de la décision prise à leur égard n’est pas ouvert aux syndicats étudiants.

L’UNEF avait en effet demandé à l’université des Antilles que lui soient communiqués les procédés algorithmiques utilisés dans le cadre du traitement des candidatures d’entrée en licence via la plate-forme Parcoursup ainsi que les codes sources correspondants. Une décision implicite de rejet était née le 18 août 2018 du silence gardé par l’université. C’est cette décision implicite qui, après saisine et avis de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), dans la mesure où l’article L. 342-1 du Code des relations entre le public et l’Administration dispose que cette saisine est un préalable obligatoire à tout recours contentieux, a émis un avis défavorable à la communication demandée, qui a fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir avec demande d’injonction devant le tribunal administratif de la Guadeloupe.

Par un jugement du 4 février 201911, le tribunal administratif a fait droit à la demande, annulé cette décision et enjoint à l’université des Antilles de communiquer à l’UNEF les documents demandés dans un délai d’1 mois, sous astreinte de 100 € par jour de retard.

L’université a contesté ce jugement devant le Conseil d’État qui, conformément aux dispositions de l’article R. 811-1 du Code de justice administrative, se prononce ici en cassation. La haute juridiction censure une erreur de droit sur l’interprétation des textes relatifs à Parcoursup par le juge de premier et dernier ressort (I) et précise ainsi les obligations pesant sur les instances universitaires en matière de transparence dans l’application du dispositif Parcoursup (II).

I – L’erreur de droit sur les textes relatifs à Parcoursup sanctionnée par le juge de cassation

C’est en raison de divergences d’interprétation des bases juridiques applicables à l’espèce (A) que le Conseil d’État décide de censurer l’erreur de droit commise par le tribunal administratif (B).

A – Les bases juridiques applicables à l’espèce jugée par le tribunal administratif

Après l’annulation du dispositif dit APB, « admission post-bac », notamment de la circulaire du 24 avril 201712 qui prévoyait le recours au tirage au sort pour départager les candidats ayant obtenu le même classement, le gouvernement a décidé de réformer la procédure d’affectation dans les formations initiales du premier cycle de l’enseignement supérieur à compter de la rentrée 2018. La loi du 8 mars 2018 d’orientation et de réussite des étudiants a créé une nouvelle procédure nationale de préinscription dite Parcoursup (1), initiant des règles spécifiques dans le domaine de la communication des documents administratifs (2).

1 – Les conditions de fonctionnement du dispositif Parcoursup

Plusieurs articles servent de bases juridiques au litige en présence. Le dispositif Parcoursup s’organise en deux temps successifs, un temps correspondant à la dimension nationale du processus et ensuite un temps correspondant à la dimension locale. En premier lieu, l’article L. 612-3, dans son premier point, du Code de l’éducation, issu de la loi du 8 mars 2018 d’orientation et réussite des étudiants dispose que : « (…) L’inscription dans une formation du premier cycle dispensée par un établissement public est précédée d’une procédure nationale de préinscription qui permet aux candidats de bénéficier d’un dispositif d’information et d’orientation (…) ». Le II du même article prévoit, pour la plate-forme nationale mise en place dans le cadre de cette procédure nationale de préinscription – dite Parcoursup – le droit à la communication de son code source, de son cahier des charges et de l’algorithme du traitement qu’elle utilise.

En deuxième lieu, il en va ainsi également des caractéristiques des formations proposées sur cette plate-forme telles qu’elles sont fixées par l’article D. 612-1-5 du même code, au titre de l’examen, par les établissements d’enseignement supérieur, des demandes d’inscription formulées sur la plate-forme nationale Parcoursup. En outre, le IV de l’article L. 612-3 du Code de l’éducation, issu de la même loi du 8 mars 2018 dispose, s’agissant des formations de premier cycle dites « non sélectives », que : « (…) lorsque le nombre de candidatures excède les capacités d’accueil d’une formation, les inscriptions sont prononcées par le président ou le directeur de l’établissement dans la limite des capacités d’accueil, au regard de la cohérence entre, d’une part, le projet de formation du candidat, les acquis de sa formation antérieure et ses compétences et, d’autre part, les caractéristiques de la formation ». Il s’agit là de la phase locale du processus.

S’agissant de cet examen comparatif, par chaque établissement, des candidatures rassemblées par la plate-forme nationale, le dernier alinéa du I du même article dispose que : « Afin de garantir la nécessaire protection du secret des délibérations des équipes pédagogiques chargées de l’examen des candidatures présentées dans le cadre de la procédure nationale de préinscription (…), les obligations résultant des articles L. 311-3-1 et L. 312-1-3 du Code des relations entre le public et l’Administration sont réputées satisfaites dès lors que les candidats sont informés de la possibilité d’obtenir, s’ils en font la demande, la communication des informations relatives aux critères et modalités d’examen de leurs candidatures ainsi que des motifs pédagogiques qui justifient la décision prise ».

Pour réaliser cette sélection, les présidents réunissent une commission d’examen des vœux qui définit les modalités et les critères d’examen des candidatures rassemblées sur la plate-forme nationale et propose les réponses devant être apportées aux candidats13.

Selon le dernier alinéa du I de l’article L. 612-3, dans le cadre de cet examen, « les obligations résultant des articles L. 311-3-1 et L. 312-1-3 du Code des relations entre le public et l’Administration sont réputées satisfaites dès lors que les candidats sont informés de la possibilité d’obtenir, s’ils en font la demande, la communication des informations relatives aux critères et modalités d’examen de leurs candidatures ainsi que des motifs pédagogiques qui justifient la décision prise ».

C’est en estimant que ces dispositions ne s’opposaient pas à l’application des dispositions relatives à la communication des documents administratifs, qui incluent nécessairement les algorithmes, que l’UNEF a contesté le refus implicite de communication. Or le tribunal administratif de la Guadeloupe y a fait droit, tandis qu’en cassation, le Conseil d’État a une interprétation contraire, dans la logique de la dialectique de la règle générale et de la règle spéciale.

2 – La dialectique de la règle générale et de la règle spéciale

La question centrale est de savoir si les dispositions spécifiques du dispositif Parcoursup rendaient inapplicables une partie des dispositions du Code des relations entre le public et l’Administration dans leur dimension relative à la communication des documents administratifs.

Les dispositions en présence sont les suivantes. En premier lieu, l’article L. 311-1 du Code des relations entre le public et l’Administration, dans sa rédaction issue de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique14 dispose que : « Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues au présent livre ». Ces dispositions posent le principe d’un droit d’accès général. Ce droit concerne aussi bien les personnes directement intéressées qui bénéficient de la communication, qu’aux tiers qui peuvent accéder à la publication. Il ne semble pas faire de doute que ces dispositions sont applicables aux établissements publics d’enseignement supérieur. Il est également possible de considérer que la définition large donnée des documents administratifs par l’article L. 300-2 du Code des relations entre le public et l’Administration porte aussi sur les algorithmes utilisés par les administrations.

S’agissant, en particulier, des traitements algorithmiques, l’article L. 311-3-1 du même code, issu de la même loi, dispose en effet que : « Sous réserve de l’application du 2° de l’article L. 311-5, une décision individuelle prise sur le fondement d’un traitement algorithmique comporte une mention explicite en informant l’intéressé. Les règles définissant ce traitement ainsi que les principales caractéristiques de sa mise en œuvre sont communiquées par l’Administration à l’intéressé s’il en fait la demande ». Cet article ne s’applique qu’aux règles définissant le traitement algorithmique fondant une décision individuelle et aux principales caractéristiques de la mise en œuvre de ce traitement. Les bénéficiaires en sont logiquement les personnes intéressées.

L’article L. 312-1-3 dispose quant à lui que : « Sous réserve des secrets protégés en application du 2° de l’article L. 311-5, les administrations mentionnées au premier alinéa de l’article L. 300-2, à l’exception des personnes morales dont le nombre d’agents ou de salariés est inférieur à un seuil fixé par décret, publient en ligne les règles définissant les principaux traitements algorithmiques utilisés dans l’accomplissement de leurs missions lorsqu’ils fondent des décisions individuelles ».

La publication prévue dans cet article concerne non pas tous ces traitements mais les principaux d’entre eux, sous réserve en outre qu’ils soient utilisés par l’administration concernée dans l’accomplissement de ses missions et qu’ils fondent des décisions individuelles. Un lien est ici consacré entre communication et publication : doit être publié ce qui fonde des décisions individuelles et donc ce qui est communicable. Sur ce point, le rapporteur public, dans ses conclusions sur cette affaire, fait référence à l’avis de l’assemblée générale du Conseil d’État rendu sur le projet de loi à l’origine des dispositions des articles L. 311-3-1 et L. 312-1-3. Cet avis a donné une portée très « englobante » à ce nouveau dispositif. Il affirme en effet, comme le mentionne expressément le rapporteur public, qu’il consiste de manière générale à étendre le droit d’accès des personnes physiques aux traitements algorithmiques qui interviennent dans le processus des décisions administratives individuelles. Le rapporteur public rappelle encore que l’assemblée générale a d’ailleurs alerté le gouvernement sur la nécessité d’assurer l’équilibre entre le droit d’accès et les risques que pourrait comporter sa mise en œuvre, craignant en particulier qu’une trop grande précision des informations publiées ou communiquées ne permette de créer des profils destinés à obtenir du traitement algorithmique un résultat déterminé et conduise ainsi à contourner les règles qui seraient applicables normalement aux intéressés eu égard à leur situation réelle.

Or contrairement au tribunal administratif, le Conseil d’État juge que si ces dispositions sont, en principe, applicables aux traitements algorithmiques utilisés, le cas échéant, par les établissements d’enseignement supérieur pour fonder des décisions individuelles et si elles instaurent, par suite, un droit d’accès aux documents relatifs aux algorithmes utilisés par ces établissements et à leurs codes sources, il résulte des termes du dernier alinéa du I de l’article L. 612-3 du Code de l’éducation, que nous avons mentionné plus haut, éclairés par les travaux préparatoires de la loi dont ils sont issus, que le législateur a entendu régir par des dispositions particulières le droit d’accès aux documents relatifs aux traitements algorithmiques utilisés, le cas échéant, par les établissements d’enseignement supérieur pour l’examen des candidatures présentées dans le cadre de la procédure nationale de préinscription. Le rapporteur public souligne à ce titre que si doit être réputée satisfaite l’obligation de publication en ligne prévue par l’article L. 312-1-3, obligation qui vise à permettre aux tiers d’accéder aux traitements algorithmiques, on doit nécessairement exclure tout droit d’accès des tiers aux traitements algorithmiques utilisés par l’université. Cette lecture est aussi conforme à l’esprit de la loi du 8 mars 2018 qui, dans ce même article, a lié la question de la communication à celle de la publication en obligeant l’Administration à publier les règles définissant les traitements algorithmiques lorsqu’ils fondent des décisions individuelles et relèvent donc du droit de communication. Enfin, le rapporteur public détecte un autre indice de la dérogation de l’article L. 612-3 aux articles L. 311-3-1 et L. 312-1-3 dans la présence, au II de l’article L. 612-3, d’une disposition qui certes prévoit la communication du code source et du cahier des charges mais décide de la cantonner à la procédure nationale. En faisant un tel choix, le législateur semble, selon le rapporteur public sur l’affaire Parcoursup, avoir implicitement mais nécessairement exclu tout droit d’accès aux algorithmes locaux15.

Ces dispositions spéciales doivent ainsi être regardées comme ayant entendu déroger, notamment, aux dispositions de l’article L. 311-1 du Code des relations entre le public et l’Administration, en réservant le droit d’accès à ces documents aux seuls candidats, pour les seules informations relatives aux critères et modalités d’examen de leur candidature. Il en résulte qu’en se fondant sur les dispositions de l’article L. 311-1 du Code des relations entre le public et l’Administration pour annuler la décision de refus de communication litigieuse, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.

Le Conseil d’État, compte tenu de l’exigence de célérité dans ce domaine essentiel aux étudiants, décide de juger l’affaire au fond, comme le permet l’article L. 821-2 du Code de justice administrative. Il est ainsi conduit à apporter des précisions sur les obligations des universités au regard de Parcoursup.

II – Les obligations des universités au regard de Parcoursup

Une fois la cassation effectuée, il revenait au Conseil d’État d’apporter les précisions nécessaires aux instances nationales et locales pour éviter que ne se nouent de nouveaux contentieux du même type. Ce qui ressort de la décision du Conseil d’État du 12 juin 2019 tient en ce que les dispositions du Code de l’éducation portent exception et règles spécifiques dans la communication des documents/algorithmes (A). Cependant, il semble que des précisions réglementaires permettraient de renforcer la sécurité juridique du dispositif (B).

A – Les règles spécifiques de communication des documents dans le cadre de Parcoursup

C’est ce que signifie le Conseil lorsqu’il affirme en deux temps que certains documents peuvent être communiqués par l’université à des tiers, mais que celle-ci est fondée à refuser la communication de ceux directement relatifs aux candidats.

Il juge ainsi que s’il était loisible à l’université des Antilles de communiquer ou de publier en ligne, sous réserve des secrets protégés par la loi, les documents relatifs aux traitements algorithmiques dont elle faisait, le cas échéant, usage dans le cadre de la procédure nationale de préinscription et si chaque établissement est désormais tenu de publier les critères généraux encadrant l’examen des candidatures par les commissions d’examen des vœux en application de l’article D. 612-1-5 du Code de l’éducation dans sa rédaction résultant du décret du 26 mars 2019 relatif à la procédure nationale de préinscription pour l’accès aux formations initiales du premier cycle de l’enseignement supérieur et modifiant le Code de l’éducation, il résulte de ce qui a été développé plus haut que l’université a pu légalement, sans qu’y fassent obstacle les dispositions de l’article L. 311-1 du Code des relations entre le public et l’Administration et dès lors que seuls les candidats sont susceptibles de se voir communiquer les informations relatives aux critères et modalités d’examen de leurs candidatures ainsi que les motifs pédagogiques qui justifient la décision prise, refuser à l’UNEF, qui n’avait pas la qualité de candidat ayant soumis une candidature à l’entrée dans cette université, la communication des documents qu’elle sollicitait.

Il en résulte une nette distinction entre d’une part les candidats qui doivent se voir communiquer tant les critères généraux d’examen des candidatures que les critères strictement pédagogiques liés à leur candidature en soi, et les tiers, fussent-ils intéressés au sens premier du terme, en tant que syndicat étudiant par exemple, comme dans l’espèce qui a été jugée. Le dispositif, même jusqu’à maintenant jugé légal, pourrait être amélioré. Deux défauts semblent donner matière à réflexion. Le premier tient à ce que l’on si l’on comprend aisément le raisonnement tendant à appliquer la règle spéciale – en l’espèce celle posant le principe de la communicabilité spécifique des algorithmes inhérents au processus d’inscription à l’université –, il semble nécessaire que les syndicats étudiants puissent avoir suffisamment d’informations – sans entrer dans les cas individuels pour lesquels une certaine confidentialité doit être respectée – pour exercer leurs missions.

Or il n’est pas interdit de penser que la nouveauté de ces dispositifs, en partie fondés sur des algorithmes, peut être facteur d’incompréhension et d’anxiété, ce qu’une information suffisante des représentants des étudiants pourrait apaiser. Le second défaut tient dans les conditions de l’information communiquée aux étudiants dans le dispositif tel qu’il existe aujourd’hui. Si la publication d’une série d’informations a eu lieu sur les algorithmes et les codes sources, les informations individuelles ne sont communiquées aux candidats qu’a posteriori.

Il reste que l’on peut se demander si la transparence comme la sécurité juridique ne nécessiteraient pas une évolution des conditions de communication des éléments pertinents de l’évaluation.

B – De possibles évolutions réglementaires pour renforcer la sécurité juridique du dispositif Parcoursup

Le site internet du ministère de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur donne une série d’informations utiles à la transparence du fonctionnement de l’inscription par l’intermédiaire de Parcoursup.

Pour toutes les formations, sélectives et non sélectives, présentes sur la plate-forme Parcoursup, une capacité d’accueil a été définie, selon les principes fixés à l’article D. 612-1-4 du Code de l’éducation, lors du paramétrage des formations, en amont du 22 janvier 2019, et le cas échéant ajustée avant le commencement de la phase d’admission, fixée au 15 mai 2019.

Cette capacité d’accueil précise le nombre de candidats relevant de la procédure nationale de préinscription pour l’accès aux formations initiales du 1er cycle de l’enseignement supérieur, que la formation peut accueillir.

Au cours de la phase d’admission, la plate-forme Parcoursup fait, tous les jours à compter du 15 mai 2019, sur la base de l’ordre d’appel établi par elle-même, des propositions à un certain nombre de candidats sur la base des données d’appel définies par l’établissement pour chacune des formations qu’il a inscrites sur la plate-forme. En fonction des réponses des candidats à qui la formation sera proposée, des places seront libérées et proposées le lendemain à d’autres candidats toujours en attente sur la formation, dans le respect de l’ordre d’appel. Le chef d’établissement désigne la personne qui a les droits exclusifs de mise à jour des données. Les données d’appel comprennent le nombre de places, le cas échéant par groupe, le nombre de candidats à appeler, et éventuellement le rang limite d’appel16.

Concrètement ce sont effectivement des comités locaux qui, en se fondant à la fois sur des algorithmes et sur un nécessaire examen individuel des dossiers, se prononcent. Or il est très difficile de pouvoir s’assurer de l’examen au cas par cas et individualisé de chaque candidature. Pourtant, le principe de motivation des décisions individuelles défavorables pourrait justifier une évolution du dispositif.

D’ailleurs on rappellera que le Défenseur des droits avait adopté une position très extensive concernant la communication des documents. En effet, dans sa décision du 18 janvier 2019, il avait décidé d’adresser une série de recommandations à la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Il avait en premier lieu préconisé de rappeler aux chefs des établissements d’enseignement supérieur la nécessité de définir de manière suffisamment précise les attendus locaux. Il recommandait en deuxième lieu de prendre toutes les mesures permettant de favoriser et d’harmoniser les pratiques d’accueil de candidats boursiers dans toutes les formations de l’enseignement supérieur afin d’atteindre l’objectif de mixité sociale. Il avait aussi conseillé de mener une analyse approfondie concernant la situation de l’affectation des bacheliers technologiques et professionnels dans l’enseignement supérieur et de prendre les mesures nécessaires pour favoriser davantage leur accès dans les formations de leur choix. Il rappelle enfin que le recours au critère du lycée d’origine pour départager les candidats en favorisant certains candidats ou en défavorisant d’autres en fonction du lieu géographique dans lequel l’établissement est situé peut être assimilé à une pratique discriminatoire, s’il aboutit à exclure des candidats sur ce fondement.

D’ailleurs, ce même Défenseur des droits avait présenté des observations devant le Conseil d’État en faveur de la confirmation du jugement du tribunal administratif. Le Défenseur des droits avait en effet, devant le juge administratif, rappelé sa position selon laquelle le secret des délibérations du jury ne doit pas s’opposer à l’information des candidats sur le contenu exact et la manière précise d’évaluation de leurs candidatures. Il avait estimé que la publication de ces informations ne porte pas atteinte aux principes de souveraineté du jury et du secret de ses délibérations, étant donné qu’il ne vise pas à dévoiler le contenu de l’appréciation portée sur chaque candidature mais uniquement les critères pris en compte dans cette appréciation ainsi que leur méthode d’application. C’est la raison pour laquelle le Défenseur des droits a recommandé de rendre publiques ces informations.

En conclusion, si l’on met en parallèle les deux décisions des juges administratifs, en premier et dernier ressort, puis en cassation, et les préconisations du Défenseur des droits, une insatisfaction ne manque pas d’apparaître. En effet, la dérogation des règles spécifiques sur le dispositif Parcoursup par rapport au droit commun de la communication des documents administratifs risque de créer de nouveaux motifs de critiques, voire de contentieux. La succession des phases nationales et locales d’affectation des étudiants dans les universités implique une réflexion en termes de transparence, mais aussi de confidentialité des informations relatives à chaque étudiant, de souveraineté des comités, mais aussi d’exercice de leurs missions par les syndicats étudiants, dans une perspective d’équilibre entre chacun de ces paramètres. Il est en effet important que la transparence soit effective sur les critères d’affectation. Lors de sa première victoire, l’UNEF avait ainsi développé ses arguments : « Cette transparence permettra aussi de savoir dans quelle mesure des éléments comme le lycée d’origine du candidat, ou sa série de baccalauréat, ont été pris en compte, alors que la première année de Parcoursup a été marquée par les accusations de discriminations portées par des lycéens de banlieue parisienne envers la plate-forme et sa sélection »17.

On rappellera aussi les prises de position de la rentrée 2018 : « En attente ou refusé(e) dans la filière de ton choix ? Clique ici pour faire valoir tes droits », peut-on lire sur le site sos-inscription.fr. La plate-forme a été lancée par l’Unef (syndicat étudiant), l’UNL (syndicat lycéen), la FCPE (fédération de parents d’élèves) et le SAF (syndicat des avocats de France). Ils proposent une aide juridique aux jeunes étudiants qui n’ont pas obtenu d’affectation pour la rentrée, avec l’intention clairement affichée ce vendredi, lors de sa présentation, de « créer un contentieux de masse »18.

En somme, il semblerait pertinent, après ces premières expériences, ces contentieux et les interrogations que peuvent avoir les étudiants, de donner une série de critères de choix, qui servent à la décision des comités. Ces critères, les plus explicites possibles, pourraient être publiés et communiqués à quiconque en ferait la demande, sous réserve d’être intéressé. Sont intéressés à la fois tout candidat potentiel ainsi que les associations étudiantes. Cette communicabilité n’entre pas en contradiction avec la souveraineté des comités sous réserve des erreurs matérielles. Elle n’entre pas non plus en contradiction avec la nécessaire confidentialité des données relatives à chaque étudiant pris individuellement. Sans doute faudrait-il prévoir des procédures d’urgence non contentieuses afin d’avoir accès aux critères, aux raisons d’éventuels refus d’affectation – ou de réorientation. Il revient au pouvoir réglementaire de tirer les leçons de ces contentieux successifs afin de renforcer la sécurité juridique des citoyens au regard du dispositif Parcoursup.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Jugement du tribunal administratif de Guadeloupe du 4 février 2019, n° 1801094.
  • 2.
    « Parcoursup : la justice enjoint à une université de publier son algorithme de tri », Le Monde, 6 févr. 2019.
  • 3.
    L. n° 2018-166, 8 mars 2018, relative à l’orientation et à la réussite des étudiants : JORF, 9 mars 2018.
  • 4.
    V. CE, 22 déc. 2017, n° 410561, Assoc. SOS Éducation et a..
  • 5.
    CE, 20 févr. 2018, n° 417905.
  • 6.
    Pt 7 de la décision citée note précédente.
  • 7.
    CE, 20 févr. 2018, n° 418029.
  • 8.
    Commission nationale de l’informatique et des libertés, délibération n° 2018-011, 18 janv. 2018.
  • 9.
    CE, 20 févr. 2018, n° 417905.
  • 10.
    CE, 12 juin 2019, n° 427916 et CE, 12 juin 2019, n° 427919.
  • 11.
    CE, 4 févr. 2019, n° 1801094.
  • 12.
    CE, 22 déc. 2017, n° 410561, Assoc. SOS Éducation et a.
  • 13.
    V. les conclusions de Dieu F. sur CE, 12 juin 2019, nos 427916 et 427919 : à paraître au JCP.
  • 14.
    L. n° 2016-1321, 7 oct. 2016, pour une République numérique : JORF, 8 oct. 2016.
  • 15.
    Dieu F., concl. sur CE, 12 juin 2019, nos 427916 et 427919 : à paraître au JCP.
  • 16.
    https://services.dgesip.fr/fichiers/Fiche-Donnees_appel_2019_VDEF.pdf ; https://www.parcoursup.fr/index.php ?desc=savoir_admission.
  • 17.
    « Parcoursup : la justice enjoint à une université de publier son algorithme de tri », Le Monde, 6 févr. 2019, article déjà cité.
  • 18.
    L’Express, 7 sept. 2018.
X