Précisions sur le régime des consultations facultatives du public
En dépit de récentes avancées, le droit des consultations facultatives du public restait marqué par d’importantes lacunes. Grâce à la décision commentée, celles-ci se trouvent en grande partie comblées. L’assemblée du contentieux du Conseil d’État vient en effet consolider le cadre juridique qui s’impose à l’administration lorsqu’elle fait le choix d’organiser une consultation ouverte, tout en définissant l’office du juge dans le contrôle qu’il est amené à exercer.
CE, ass., 19 juill. 2017, nos 403928 et 403948, Assoc. citoyenne pour Occitanie et Pays Catalan et autres : Lebon, à paraître
Il arrive régulièrement qu’une autorité administrative décide d’organiser, en dehors de toute obligation légale ou réglementaire, une consultation du public afin de recueillir son avis sur une décision qu’elle envisage de prendre ou, plus largement, sur un projet ou une réforme qu’elle compte mettre en œuvre. Il s’agit là, désormais, d’une réalité à la fois « bouillonnante, contrastée et évolutive »1. En dépit de récentes avancées, l’encadrement juridique de ce type de consultations, dites facultatives ou spontanées, reste pourtant, dans une assez large mesure, à construire. C’est dire toute l’importance de la décision commentée, par laquelle le Conseil d’État vient, dans sa formation la plus solennelle, apporter de nombreuses précisions sur cette question.
La haute assemblée était en l’espèce saisie de plusieurs recours contre le choix du gouvernement de dénommer « Occitanie » la nouvelle région issue du regroupement des régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées, choix qui avait été opéré par un décret du 28 septembre 2016. Comme l’y contraignait l’article 2 de la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, cette décision avait été précédée d’un avis de l’assemblée délibérante de la collectivité nouvellement créée. Or, en vue de rendre cet avis qu’il était amené à donner au gouvernement, le conseil régional décida, par une délibération du 15 avril 2016, de soumettre à une consultation ouverte à toutes les personnes âgées de plus de 15 ans habitant la région ou déclarant y avoir leur attache une liste de cinq propositions de nom. Avec près de la moitié des avis exprimés en sa faveur, le nom « Occitanie » arriva en tête et fut celui que le conseil régional décida de proposer au gouvernement.
Plusieurs moyens, d’inégale valeur, étaient soulevés à l’encontre du décret. Tous ont été rejetés par le Conseil d’État.
Les requérants reprochaient d’abord au gouvernement d’avoir méconnu l’étendue de sa compétence en s’en remettant à l’avis émis par le conseil régional. Le juge allait au contraire relever que le gouvernement avait bel et bien exercé son pouvoir d’appréciation s’agissant du choix du nom de la nouvelle région, sans s’être estimé lié par cet avis. Il devait également écarter comme trop imprécis les moyens tirés de la méconnaissance des principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité et celui, proclamé par le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution, selon lequel « la langue de la République est le français ». Le Conseil d’État a, de la même manière, considéré que le choix du nom « Occitanie » n’était entaché d’aucune erreur manifeste d’appréciation, indiquant par là qu’il se limitait – comme c’est le cas s’agissant du changement de nom d’une commune2 – à exercer un contrôle restreint sur ce point.
C’est surtout la question de l’appréciation de la régularité de la consultation publique à laquelle avait procédé la région qui allait faire l’objet d’une analyse circonstanciée de la part du juge. La requête entendait en effet dénoncer la procédure suivie par l’assemblée locale afin de remettre en cause l’avis qu’elle avait rendu et, par voie de conséquence, la décision finale du gouvernement.
Dans cette perspective, les requérants ont d’abord contesté la base juridique même de la consultation. D’après eux, le conseil régional aurait méconnu les dispositions des articles L. O. 1112-1 et L. 1112-15 du Code général des collectivités territoriales, relatifs respectivement aux référendums locaux et aux consultations locales des électeurs sur un projet de décision. Mais, comme le rappelle le Conseil d’État, ces dispositions « n’ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que les collectivités territoriales puissent associer le public à la conception d’une réforme ou à l’élaboration d’un projet ou d’un acte en procédant à une consultation du public selon des modalités qu’elles fixent ». L’administration s’est en effet toujours vue reconnaitre la possibilité d’organiser, de manière spontanée, une procédure de consultation du public3. Aussi, le juge en a-t-il déduit que l’on ne saurait assimiler de telles consultations « (…) ni [à] un référendum local, ni [à] une consultation des électeurs sur un projet de décision » et, en conséquence, prétendre leur opposer les dispositions invoquées.
Il ne manquait plus au Conseil d’État qu’à examiner les modalités d’organisation de la consultation en cause. Là se situe l’élément central de l’arrêt. Si le juge conclut ici encore à l’absence d’irrégularités susceptibles d’entacher la procédure d’adoption du décret attaqué, l’intérêt de la décision ne réside pas tant dans la solution retenue que dans sa motivation. Avec cet arrêt, la haute juridiction va en effet consolider le cadre juridique qui s’impose à l’autorité administrative dans l’organisation à titre facultatif d’une consultation ouverte, en même temps qu’elle va définir l’office du juge dans le contrôle qu’il sera amené à opérer sur ces consultations.
I – La consolidation du cadre juridique des consultations facultatives du public
Pour libre qu’elle soit, la mise en place d’une procédure ad hoc de consultation ouverte du public de la part d’une autorité administrative doit respecter certaines conditions, sous peine de vicier la décision prise à sa suite. Le juge ne manque donc pas de rappeler cette évidence : « Lorsqu’une autorité administrative organise, sans y être tenue, une telle consultation, elle doit y procéder dans des conditions régulières ».4 Mais le Conseil d’État n’en reste pas là. Ainsi, après avoir réaffirmé les contraintes existantes en la matière, il va également enrichir les garanties accordées au public consulté.
A – La réaffirmation des contraintes existantes
Le droit des consultations facultatives du public se caractérise traditionnellement par le souci de préserver les marges de manœuvre de l’autorité administrative qui décide spontanément de se soumettre à de telles procédures. Pour autant, les contraintes, quoique sommaires, n’en sont pas moins certaines. Le juge s’est ainsi toujours assuré du respect de quelques obligations minimales de la part de l’administration, lesquelles relèvent en réalité des règles générales gouvernant l’exercice des compétences en droit public.
Logiquement, l’autorité administrative qui prend l’initiative de mener une consultation ouverte est d’abord « tenue de se conformer aux règles de procédure à caractère réglementaire qu’elle a elle-même édictées, aussi longtemps qu’elle n’a pas décidé de procéder à leur abrogation »5. C’est ce que rappelle le Conseil d’État lorsqu’il indique qu’: « Il incombe (…) à l’autorité administrative de veiller au bon déroulement de la consultation dans le respect des modalités qu’elle a elle-même fixées. »
En outre, l’administration ne saurait conférer à l’avis sollicité une portée autre que consultative, sauf à se déposséder illégalement de sa compétence. En d’autres termes, l’autorité administrative qui s’estimerait liée par le résultat de la consultation encourrait la censure du juge6. Tel n’est pas le cas en l’espèce. S’il apparaît que « les résultats de la consultation publique ont exercé une influence sur l’avis rendu par le conseil régional dès lors que, notamment, plusieurs membres du conseil régional, dont sa présidente, ont déclaré vouloir “tenir compte” des résultats de cette consultation », le Conseil d’État a en effet considéré que « ces déclarations n’impliquent pas, à elles seules, que le conseil régional se soit estimé lié par les résultats de celle-ci », dans la mesure où « les motifs de la délibération du 24 juin 2016 et de son rapport de présentation ne s’y référent pas » et que « le sens de la délibération a été acquis à la majorité des voix ».
Par ailleurs, comme le souligne V. Daumas dans ses conclusions sur l’affaire étudiée, « à cette prohibition de l’incompétence négative s’ajoute (…) la prohibition de toute incompétence positive »7. L’objet de la consultation doit en effet relever du champ de compétence de l’autorité administrative qui en est à l’origine. Cette exigence est rappelée par le Conseil d’État dans l’arrêt rapporté (Cons. 15) ; elle se trouve en l’occurrence satisfaite, dans la mesure où le législateur avait imposé que l’avis du conseil régional soit recueilli en cas de regroupement de plusieurs régions.
On rappellera enfin que l’organisation d’une consultation préalable du public se trouve – là aussi en toute logique – exclue lorsque la procédure d’édiction d’une décision administrative est d’ores et déjà régie par des dispositions textuelles, dans la mesure où « l’ajout d’un élément de procédure non prévu par ces textes est susceptible de se traduire par un contournement, un affaiblissement ou un gauchissement de ceux qu’ils imposent »8.
Jusqu’à une date récente, ces procédures spontanées de consultation du public ne faisaient donc pas, comme on le voit, l’objet d’un encadrement juridique spécifique. L’entrée en vigueur le 1er janvier 2016 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA) est venue bouleverser l’état du droit. L’ordonnance n° 2015-1341 du 23 octobre 2015 a en effet institué, à travers l’article L. 131-1 dudit code, un véritable « régime de droit commun des procédures spontanément adoptées par l’administration afin d’associer le public »9. Cet article prévoit que : « Lorsque l’administration décide, en dehors des cas régis par des dispositions législatives ou réglementaires, d’associer le public à la conception d’une réforme ou à l’élaboration d’un projet ou d’un acte, elle rend publiques les modalités de cette procédure, met à disposition des personnes concernées les informations utiles, leur assure un délai raisonnable pour y participer et veille à ce que les résultats ou les suites envisagées soient, au moment approprié, rendus publics. » Cette nouvelle disposition permet ainsi, comme l’indique le professeur Saunier, « d’énoncer des règles générales applicables aux procédures de participation “innommées” issues de la pratique et pour lesquelles il n’existe pas de réglementation spécifique »10. Ce faisant, le législateur délégué a suivi les recommandations formulées quelques années auparavant par le Conseil d’État en faveur de la création de principes directeurs communs aux différentes formes de consultation des administrés11.
C’est le premier apport de la décision commentée : l’examen de la régularité de cette modalité particulière d’association du public à l’action administrative que constitue une consultation ouverte donne l’occasion au Conseil d’État de faire, pour la première fois, application de ces dispositions de l’article L. 131-1 du Code des relations entre le public et l’administration. L’assemblée du contentieux ne s’est d’ailleurs pas contentée de les reprendre telles quelles pour les appliquer purement et simplement au cas d’une procédure de consultation ouverte suivie à titre facultatif. Elle a ainsi précisé que, dans ce cadre particulier, « l’autorité administrative doit notamment mettre à disposition des personnes concernées une information claire et suffisante sur l’objet de la consultation et ses modalités afin de leur permettre de donner utilement leur opinion », là où le code se réfère plus simplement à une obligation pour l’administration de mettre à disposition les informations « utiles ». Les obligations d’assurer un « délai raisonnable » aux personnes intéressées pour participer à la consultation et de « veiller à ce que les résultats ou les suites envisagées soient, au moment approprié, rendus publics » sont également réaffirmées.
Ceci dit, l’intérêt suscité par cet arrêt aurait été bien moindre si le Conseil d’État s’était limité à un simple rappel des nouvelles contraintes issues du CRPA. Il faut donc saluer l’effort d’enrichissement des garanties accordées au public également entrepris par la haute juridiction.
B – L’enrichissement des garanties accordées au public
Si l’encadrement des consultations spontanées du public opéré par le nouvel article L. 131-1 du Code des relations entre le public et l’administration constitue une avancée indéniable, force est cependant de constater qu’il s’avère, à lui seul, pour le moins succinct et lacunaire12. Tout le mérite de l’arrêt analysé est de venir opportunément en combler les insuffisances et les faiblesses, à travers une formule ramassée par laquelle le Conseil d’État complète l’œuvre législative sur deux points essentiels, dont l’omission avait été vigoureusement dénoncée13. Le juge proclame en effet qu’« il incombe en particulier à l’autorité administrative qui organise une consultation dans les cas qui relèvent de l’article L. 131-1 du Code des relations du public et de l’administration d’en déterminer les règles d’organisation conformément aux dispositions de cet article et dans le respect des principes d’égalité et d’impartialité, dont il découle que la consultation doit être sincère »14.
C’est, tout d’abord, l’absence de mention explicite de la part de l’article L. 131-1 du Code des relations entre le public et l’administration aux principes d’égalité et d’impartialité, codifiés à l’article L. 100-2 du même code, qui se trouve réparée à travers la combinaison par le juge de ces deux dispositions. Il confirme par là qu’elles s’imposent de la même manière aux consultations facultatives du public.
Mais c’est surtout la consécration d’une exigence de sincérité des consultations spontanées du public qui retient l’attention. Si la référence à cette exigence n’est pas en soi nouvelle15, elle n’était utilisée jusque-là que de manière implicite par le juge, « presque par inadvertance »16. La voici désormais solennellement érigée au rang de règle générale s’imposant à toute procédure de consultation du public suivie à titre facultatif. Le rapprochement avec le contentieux électoral est ici remarquable, même s’il convient de distinguer la consultation d’une élection17. Comme on le sait, « la notion de “sincérité du scrutin” est, sans doute, l’une des plus répandues du droit électoral. Le juge électoral, quel qu’il soit, l’utilise très fréquemment dans ses décisions et lui fait même jouer un rôle majeur puisque c’est son respect ou son atteinte qui détermine, le plus souvent, le sort du contentieux en cours »18. C’est que « la sincérité est en réalité une règle de bon sens de tout processus d’expression collective ou collégiale (…). Elle impose, simplement, que l’avis rendu soit la traduction correcte de la position collective des personnes consultées »19.
Cette nouvelle exigence de sincérité des consultations spontanées du public est également intéressante au regard des conséquences qui y sont attachées par le Conseil d’État. Déduite des obligations légales issues du Code des relations entre le public et l’administration, cette exigence permet en effet à l’assemblée du contentieux d’en étoffer les contraintes. Ainsi estime-t-elle en l’espèce que « la régularité de la consultation implique également, d’une part, que la définition du périmètre du public consulté soit pertinente au regard de son objet, et, d’autre part, qu’afin d’assurer sa sincérité, l’autorité administrative prenne, en fonction de cet objet et du périmètre du public consulté, toute mesure relative à son organisation de nature à empêcher que son résultat soit vicié par des avis multiples émanant d’une même personne ou par des avis émis par des personnes extérieures au périmètre délimité ». L’objectif est donc de garantir l’absence d’erreur ou de manipulation susceptible de fausser les résultats de la consultation.
Du reste – en témoigne l’usage de l’adverbe « notamment » – il est très probable que ces nouvelles obligations, dégagées par le juge sur la base de l’exigence de sincérité des consultations, ne soient pas énoncées de manière limitative. Comme pour tout standard juridique, le contenu précis de la notion de sincérité à laquelle le juge fait ici mention est en effet susceptible d’évoluer au gré des décisions à venir. Ses implications concrètes sont donc certainement appelées, à leur tour, à s’enrichir.
On peut ainsi imaginer qu’au titre de l’appréciation de la sincérité d’une consultation facultative du public, le juge accepte de vérifier la précision et l’intelligibilité de la question posée par l’administration. Un tel contrôle est en tous cas possible dans le cadre d’une consultation locale des électeurs sur un projet de décision, où le juge a eu l’occasion de censurer une délibération soumettant à l’avis des électeurs une question imprécise, à la fois quant à son objet et quant aux décisions qui pourraient être adoptées par la suite par les autorités municipales20. Sans examiner les cinq propositions de noms soumises à la population, le Conseil d’État n’a d’ailleurs pas manqué de relever, dans la décision commentée, que « la circonstance que le conseil régional ait désigné cette consultation par l’expression de “consultation citoyenne” n’était pas de nature à induire le public en erreur sur le sens et la portée de la procédure organisée eu égard à l’information donnée préalablement ».
Plus largement, le Conseil d’État pourrait à l’avenir être amené à étendre aux consultations facultatives du public l’application du principe de loyauté et de clarté des consultations, qui s’impose aux consultations des électeurs pour tout changement institutionnel de la collectivité territoriale à laquelle ils appartiennent. Ce principe est en effet « en passe de devenir une des règles essentielles des consultations locales, mais aussi des élections, au point d’être consubstantiel au principe démocratique lui-même »21. Mis au jour par le Conseil constitutionnel22, il a ensuite été repris à son compte par le Conseil d’État, qui s’assure par exemple à ce titre que la question posée soit « suffisamment précise pour indiquer aux électeurs intéressés la portée exacte de leur vote »23.
En toute hypothèse, la décision étudiée aura eu pour effet de renforcer le cadre juridique qui s’impose désormais à l’autorité administrative qui souhaite solliciter l’opinion du public sur un projet donné. Reste ensuite logiquement au juge, après en avoir redessiné les contours, à vérifier que ce cadre juridique n’a pas été méconnu. Là aussi le Conseil d’État innove, en livrant une définition de la manière dont le juge administratif doit exercer son contrôle sur ce type de consultation.
II – La définition de l’office du juge dans le contrôle des consultations facultatives du public
Comment sanctionner les irrégularités commises dans le cadre d’une procédure de consultation ouverte organisée spontanément par une autorité administrative ? Telle est la délicate question à laquelle répond également le Conseil d’État dans cette décision. Son office se trouve ici conditionné par la nature spécifique de l’opération sur laquelle porte son contrôle. S’agissant d’une demande d’avis, la consultation du public ne pourra en effet voir sa régularité examinée qu’à l’occasion du recours contre la décision finale. S’agissant d’un vice de procédure, l’identification d’une irrégularité de la part du juge ne sera pas nécessairement sanctionnée. Son contrôle est donc à la fois indirect et modulable.
A – Un contrôle indirect
L’impossibilité de contester directement la régularité d’une consultation du public suivie à titre facultatif ne constitue rien d’autre qu’une conséquence classique de la théorie de la recevabilité du recours pour excès de pouvoir. On le sait, celui-ci ne peut être exercé qu’à l’encontre d’une décision administrative. Or, dans la mesure où elle ne vise qu’à éclairer l’opinion de l’autorité qui l’organise, une telle consultation « n’est qu’une demande d’avis », pour reprendre la formule de l’article L. 1112-17 du Code général des collectivités territoriales à propos des consultations locales des électeurs. Il s’agit, en d’autres termes, d’une mesure préparatoire d’une décision ultérieure, dépourvue en tant que telle de toute portée décisoire et, par conséquent, insusceptible de faire l’objet d’un recours en annulation. C’est ce qui est logiquement jugé dans le cadre d’une consultation locale des électeurs, où le Conseil d’État considère « qu’aucune disposition du Code des communes ni aucune autre disposition législative ou réglementaire ne prévoit que le déroulement d’une telle consultation puisse faire l’objet d’une contestation devant le juge administratif ; qu’en outre, les résultats de la consultation, tels qu’ils sont consignés dans un procès-verbal n’expriment qu’un simple avis qui ne lie pas l’autorité compétente pour prendre la décision et qui ne constitue pas un acte faisant grief susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir »24. La transposition de cette solution au cas des consultations du public menées de manière spontanée ne fait aucun doute.
Bien sûr, cela ne signifie nullement que les irrégularités qui auraient pu être commises par l’autorité à l’origine de la consultation demeurent hors d’atteinte. Seulement, celles-ci ne pourront être critiquées qu’indirectement, lors du recours contre la décision suivant la procédure de consultation.
Encore faut-il que le moyen soit opérant. En d’autres termes, pour que ce contrôle puisse être réalisé, la consultation menée en amont doit avoir exercé une véritable influence sur la décision qu’elle précède. Autrement dit, si elle ne doit avoir qu’une portée indicative25, il convient cependant, comme l’indique le Conseil d’État, que cette consultation « [puisse] être regardée, notamment au vu de son objet, de son calendrier et de ses conditions de réalisation, comme formant partie intégrante d’un même processus décisionnel ». Il s’agit alors pour le juge d’adopter une « approche raisonnable des conséquences d’une irrégularité sur des procédures très longues : lorsque la décision finale est suffisamment autonome de la procédure ou de l’acte vicié, ce vice est comme dilué dans les développements de la procédure et n’atteint pas la décision »26. Si la régularité des conditions d’organisation de la consultation en cause a été sans difficulté examinée par le juge, c’est bien parce que celle-ci était étroitement liée à la procédure de choix du nom de la région ayant conduit à l’adoption du décret attaqué.
Reste enfin posée la question de savoir s’il est ou non possible d’exercer un recours direct non pas contre la consultation en tant que telle mais, à tout le moins, contre la décision de l’autorité administrative de procéder à la consultation, c’est-à-dire la décision par laquelle le principe même de la consultation ainsi que ses modalités sont fixés. Cela revient à poser la question de la détachabilité de cette décision du reste de l’opération de consultation. Là encore, la comparaison avec le contentieux des consultations locales des électeurs s’avère instructive. Le Conseil d’État a en effet admis le caractère détachable de la décision d’un conseil municipal d’organiser une consultation des électeurs de la commune au motif que « la délibération par laquelle un conseil municipal décide de mettre en œuvre la procédure de consultation prévue par l’article L. 125-1 du Code des communes constitue, alors même qu’en vertu du second alinéa de l’article L. 125-2, “cette consultation n’est qu’une demande d’avis”, non une mesure préparatoire mais une décision faisant grief susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir »27. Une telle solution semble là aussi parfaitement transposable au contentieux des consultations spontanées du public28. Elle présenterait l’intérêt évident de permettre au juge d’intervenir avant la tenue d’une consultation irrégulière et, partant, de garantir a priori le respect de ses obligations par l’autorité administrative.
Quoi qu’il en soit, le justiciable qui serait parvenu à faire état d’une irrégularité dans la procédure de consultation du public n’obtiendrait pas automatiquement l’annulation de la décision finale. C’est que le juge module par ailleurs le contrôle qu’il exerce en la matière.
B – Un contrôle modulable
Comme on le sait, le contrôle par le juge du respect des règles de procédure d’élaboration d’une décision administrative a toujours été caractérisé par un « rejet de l’excès de formalisme »29. Aussi, « confronté à un moyen mettant en cause une irrégularité procédurale, le juge administratif n’opère pas une censure systématique. Pragmatique et peu favorable à un formalisme rigide (…), il préfère s’assurer que l’objectif en vue duquel a été imposée la règle méconnue a bien été atteint malgré la maladresse commise »30. Le « mode d’emploi »31 du vice de procédure est désormais systématisé par l’arrêt d’assemblée Danthony32, dont on rappellera qu’il énonce le « principe selon lequel, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie », tout en ajoutant « que l’application de ce principe n’est pas exclue en cas d’omission d’une procédure obligatoire, à condition qu’une telle omission n’ait pas pour effet d’affecter la compétence de l’auteur de l’acte ».
Fort logiquement, l’assemblée du contentieux a inscrit, avec la décision commentée, le contrôle de la régularité des consultations facultatives du public dans le sillage de cette jurisprudence, en indiquant que « dans l’hypothèse où il relèverait l’existence d’une irrégularité, il appartient au juge administratif, avant d’en tirer les conséquences sur la légalité de l’acte pris à l’issue de la procédure comportant cette consultation, d’apprécier si elle a privé les intéressés d’une garantie ou a été susceptible d’exercer une influence sur l’acte attaqué ». Comme à chaque fois qu’il est confronté à un vice de procédure, le juge modulera donc son contrôle en fonction de son appréciation de l’impact de l’irrégularité relevée sur la décision prise après la consultation ou sur les garanties accordées au public. Assurément, cette faculté que se réserve le juge de neutraliser les conséquences d’une irrégularité procédurale correspond à une volonté de ménager une certaine souplesse dans son contrôle dans un domaine où, par définition, l’autorité administrative aura mené une procédure d’association préalable de la population sans y être tenue.
Au demeurant, l’arrêt commenté ne permet pas de se faire une idée concrète de ce que pourrait être un vice ayant exercé une « influence sur l’acte attaqué » ou « privé les intéressés d’une garantie » en matière de consultation facultative du public. Les modalités d’organisation de la consultation en cause ont en effet en l’espèce été jugées « sincères » par le Conseil d’État. Ainsi a-t-il notamment relevé que ces modalités ont bel et bien été rendues publiques, que « eu égard à l’objet de la consultation, [la] délimitation du public consulté n’était pas dénuée de pertinence », ou encore que la méthode utilisée par le conseil régional pour la présentation et l’analyse des résultats de la consultation « était cohérente avec les modalités d’organisation de la consultation » qui avaient été définies et qu’elle « n’a pas été susceptible de vicier l’appréciation des résultats ni, par conséquent, l’avis émis par le conseil régional ». Les moyens établis par la région pour s’assurer de la sincérité des résultats de la consultation ont, enfin, été considérés comme suffisants par la haute juridiction. En l’occurrence, un numéro de téléphone portable français et une adresse électronique, dont la validité était vérifiée, devaient être renseignés par les personnes exprimant leur avis sur internet. On remarquera tout de même que, sur ce point, « l’administration se trouve face à une réelle difficulté, en particulier lorsque la consultation a lieu par voie dématérialisée, comme cela était le cas en l’espèce »33. Il est en effet possible de considérer que les moyens mis en œuvre par la région « n’assurent que faiblement la fiabilité des votes »34 et de s’interroger, en conséquence, « sur les possibilités de contrôle de la concordance des informations transmises dont peut disposer une autorité administrative »35.
L’équilibre auquel est parvenue l’assemblée du contentieux n’en semble pas moins, au total, satisfaisant. Sa décision renforce indéniablement les garanties reconnues aux administrés dans le cadre des consultations spontanées du public, sans remettre en cause la liberté procédurale dont dispose l’administration. Bien sûr, un certain nombre de questions demeurent en suspens et devront être précisées par la suite. Plus regrettable, l’édifice bâti par le juge demeure incomplet, dans la mesure où ne sont, par hypothèse, concernées que les procédures facultatives de consultation du public. Gageons cependant que la jurisprudence ultérieure aura l’occasion d’étendre aux autres modalités d’association ou de participation du public à la prise de décision les règles dégagées en l’espèce.
Notes de bas de pages
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1.
Daumas V., « Le Conseil d’État précise les principes et les règles encadrant les consultations du public suivies à titre facultatif », concl. sous CE, ass., 19 juill. 2017, nos 403928 et 403948, Assoc. citoyenne pour Occitanie et Pays Catalan et a., JCP A 2017, 2228.
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2.
CE, 20 janv. 1988, n° 62900, Cne Pomerol : Lebon, p. 16.
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3.
V. par ex. CE, sect., 8 janv. 1982, n° 17270, SARL Chocolat de régime Dardenne : Lebon, p. 1 ; Rev. adm. 1982, p. 624, note Pacteau B. – CE, 18 juin 2014, n° 369377, Communauté urbaine du Creusot-Montceau : BJCL 2014, p. 733, note Poujade B.
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4.
V. en ce sens par ex. CE, sect., 19 mars 1976, n° 98266, min. de l’Équipement et des Finances c/ Bonnebaigt : Lebon, p. 167 – CE, 4 juin 2012, n° 351976, Sté BT France : Lebon T., p. 547 ; RFDA 2012, p. 961, chron. Mayeur-Carpentier C., Clément-Wilz L. et Martucci F. ; RJEP 2012, n° 702, comm. 57, concl. Botteghi D.
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5.
CE, 15 mai 2000, n° 193725, Terr. de la Nouvelle-Calédonie : Lebon, p. 170 – CE, 12 févr. 2007, n° 285464, Fédération de l’hospitalisation privée : Lebon T., p. 646.
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6.
V. par ex. CE, 13 mars 1996, nos 121818 et 123869, Redslob : Lebon, p. 684.
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7.
Daumas V., art. préc.
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8.
Daumas V., art. préc. V. en ce sens par ex. CE, sect., 8 janv. 1982, n° 17270, SARL Chocolat de régime Dardenne, préc. ; CE, 18 juin 2014, n° 369377, Communauté urbaine du Creusot-Montceau, préc.
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9.
Saunier S., « L’association du public aux décisions prises par l’administration », AJDA 2015, p. 2426.
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10.
Saunier S., art. préc.
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11.
Conseil d’État, Consulter autrement, participer effectivement, Rapp. pub. 2011, La Documentation française, p. 57 et s., spéc. p. 85 et s.
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12.
V. en ce sens Saunier S., art. préc.
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13.
Saunier S., art. préc.
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14.
Nous soulignons.
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15.
Comme l’explique M. Daumas, le Conseil d’État avait en effet déjà eu l’occasion de s’assurer du respect de la sincérité de consultations obligatoires suivies en amont de l’adoption d’une décision : Daumas V., art. préc.
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16.
Daumas V., art. préc.
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17.
Sur ce point, v. Maligner B., « Élections (I – Droit du contentieux électoral administratif) », Rép. cont. Adm. Dalloz, 2014, n° 2.
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18.
Ghevontian R., « La notion de sincérité du scrutin », N3C 2003, n° 13, p. 63.
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19.
Odinet G. et Roussel S., « Consultations ouvertes facultatives : règles du jeu », AJDA 2017, p. 1662.
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20.
TA Lille, 16 juill. 1992, n° 92-2591, Préfet de la région Nord-Pas-de-Calais : Lebon, p. 619.
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21.
Verpeaux M., « Les consultations locales outre-mer, suite... et fin ? », AJDA 2004, p. 594. Sur cette question, v. Capitolin J.-L., « Droit constitutionnel local. La clarté et la loyauté d’une consultation préalable à l’évolution institutionnelle au sein de la République », RFDC 2005, p. 781.
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22.
Cons. const., 2 juin 1987, n° 87-226 DC, loi organisant la consultation des populations intéressées de Nouvelle-Calédonie.
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23.
CE, 4 déc. 2003, n° 262009, Feler : Lebon, p. 491 ; AJDA 2004, p. 154, note Melleray F. ; ibid., p. 594, obs. Verpeaux M. ; JCP A 2004, 1258, note Maillard Desgrées du Loû D. ; RFDA 2004, p. 187, obs. Terneyre P. ; ibid., p. 549, concl. Thiellay J.-P.
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24.
CE, sect., 29 déc. 1995, n° 154028, Géniteau : Lebon, p. 463 ; RFDA 1996, p. 471, concl. Chantepy C. ; AJDA 1996, p. 154, chron. Stahl J.-H. et Chauvaux D. ; D. 1996, p. 273, note Verpeaux M. Sur cette question, v. Guillot M., « La recevabilité des contestations relatives aux référendums d’initiative municipale », RFDA 1996, p. 460.
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25.
V. supra I.-A.
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26.
Odinet G. et Roussel S., comm. préc.
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27.
CE, 16 déc. 1994, n° 146832, Cne d’Avrillé : Lebon, p. 558 ; AJDA 1995, p. 839, note Jégouzo Y. ; LPA 31 mai 1995, p. 12, n° 65, note Koubi G. ; LPA 31 juill. 1995, p. 22, n° 91, note Gillig D. ; RFDA 1996, p. 452, note Rihal H.
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28.
V. en ce sens Daumas V., art. préc.
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29.
Chapus R., Droit administratif général, t. 1, 15e éd., 2001, Montchrestien, p. 1032.
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30.
Seiller B., « Acte administratif – régime », Rép. cont. Adm. Dalloz, 2015, n° 201.
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31.
Domino X. et Bretonneau A., « Le vice, mode d’emploi », AJDA 2012, p. 195.
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32.
CE, ass., 23 déc. 2011, n° 335033 : Lebon, p. 649 ; JCP G 2012, 55, note Connil D. ; JCP A 2012, 208, obs. Broyelle C. ; Dr. adm. 2012, comm. 2, note Melleray F. ; AJDA 2012, p. 195, obs. Domino X. et Bretonneau A. ; ibid., p. 1609, obs. Seiller B. ; RFDA 2012, p. 284, concl. Dumortier G. ; ibid., p. 296, note Cassia P. ; ibid., p. 423, comm. Hostiou R.
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33.
Testard C., « Les premiers pas prometteurs d’un droit commun de l’association du public », note sous CE, ass., 19 juill. 2017, nos 403928 et 403948, Assoc. citoyenne pour Occitanie et Pays Catalan et a. : JCP G 2017, 37, 942.
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34.
Testard C., note préc.
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35.
Testard C., note préc.