Questions juridiques autour d’un service public peu connu : la restauration administrative et interadministrative
La restauration administrative et interadministrative est un service public administratif prévu par la loi dite Le Pors du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et, en accord avec ladite loi, sa gestion est confiée, par délégation, à des personnes morales de droit privé, étroitement liées aux administrations employeurs.
Seule une circulaire ministérielle du 21 décembre 2015 relative à l’organisation et au fonctionnement des restaurants interadministratifs fixe les modalités de son fonctionnement.
Toutefois, deux questions importantes, en droit, sont ignorées par ce texte, celle de la soumission des personnes privées délégataires du service à la taxe sur la valeur ajoutée, ainsi qu’aux dispositions du Code de la commande publique.
Ce sont ces deux questions laissées à l’appréciation de l’administration fiscale que le présent article expose, après avoir présenté la nature de ce service public méconnu.
Les restaurants administratifs et interadministratifs ne bénéficient pas, en doctrine, d’un degré de reconnaissance proportionné à l’importance revêtue, aux yeux des agents publics, par les prestations qu’ils assurent.
C’est qu’en effet ils illustrent parfaitement la manière dont chaque administration employeur conduit une politique sociale vis-à-vis des membres de son personnel.
Et ce faisant, leur fonctionnement est remis aux bons soins de personnes morales de droit privé, qui interviennent ainsi dans la journée de travail de la plupart des agents administratifs.
Cette délégation trouve sa source dans les termes du troisième alinéa de l’article 9 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, selon lesquels l’action sociale à l’attention des fonctionnaires est ainsi définie :
« L’action sociale, collective ou individuelle, vise à améliorer les conditions de vie des agents publics et de leurs familles, notamment dans les domaines de la restauration, du logement, de l’enfance et des loisirs, ainsi qu’à les aider à faire face à des situations difficiles ».
Et selon les dispositions des sixième et septième alinéas de ce même article 9 :
« L’État, les collectivités locales et leurs établissements publics peuvent confier à titre exclusif la gestion de tout ou partie des prestations dont bénéficient les agents à des organismes à but non lucratif ou à des associations nationales ou locales régies par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association.
Ils peuvent participer aux organes d’administration et de surveillance de ces organismes ».
La circulaire de la ministre de la Décentralisation et de la Fonction publique du 21 décembre 2015 relative à l’organisation et au fonctionnement des restaurants interadministratifs1 est venue préciser les règles à cet égard et il n’est pas exagéré, en l’absence de tout décret, de présenter cette circulaire comme la mesure d’application des dispositions précitées de l’article 9 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983. Cette circulaire est suivie de six annexes thématiques, fournissant les lignes directrices à suivre à propos de la gestion et du financement de ces restaurants2.
Pour aussi détaillées et précises qu’elles soient, les dispositions de cette circulaire et de ses six annexes n’abordent pas deux questions des plus sensibles soulevées, en droit, par les prestations assurées dans le cadre de service essentiel pour les agents de l’Administration, celle de l’assujettissement des personnes privées qui en ont la charge à la taxe sur la valeur ajoutée et celle de leur éventuelle soumission au Code de la commande publique.
Ces questions découlent de la nature du service dont elles assurent la gestion et des relations que les administrations nouent avec elles à cet effet.
Aussi convient-il, dans un premier temps, d’examiner ces qualifications juridiques, avant d’aborder l’état des lieux relatif aux deux questions laissées sans réponse par la circulaire d’application de l’article 9 de la loi du 13 juillet 1983.
I – Les restaurants interadministratifs : un service public administratif assuré par des personnes privées
Il est revenu à la circulaire précitée de la ministre de la Décentralisation et de la Fonction publique du 21 décembre 2015 de donner une définition du restaurant interadministratif (v. page 2, premier paragraphe sous le I) :
« Un restaurant interadministratif (RIA) se définit comme une structure de restauration où sont accueillis des agents des services relevant des administrations d’au moins deux ministères ou d’un ministère et d’une administration d’un autre versant de la fonction publique. Il s’agit d’un site équipé (ensemble de locaux et d’installations techniques) en vue de préparer et servir des repas, à un tarif social, aux agents de ces services à proximité ou de passage ».
Cette structure est gérée selon des règles et préceptes issus principalement de la circulaire du 21 décembre 2015, dont ressort un mode de gestion étroitement encadré par l’Administration, ce dont témoignent l’organisation et le fonctionnement du service.
A – Un mode de gestion étroitement encadré par l’Administration et présentant un caractère interministériel prononcé
Ladite circulaire, page 2, en son troisième paragraphe, restreint le choix des administrations en ce qui a trait au mode de gestion du service. Là où l’article 9 de la loi du 13 juillet 1983 envisageait la faculté du recours (voir l’emploi du verbe « pouvoir ») à « des organismes à but non lucratif ou à des associations nationales ou locales régies par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association » (v. supra), la circulaire impose aux administrations l’association régie par la loi du 1er juillet 1901.
Non seulement le choix d’une gestion directe en régie ou par un établissement public par les administrations intéressées – non expressément exclu par l’article 9 de la loi – est écarté par la circulaire, mais parmi les « organismes à but non lucratif » sont également évincés les groupements d’intérêt public, qui, possiblement, auraient pu être retenus, de même que les établissements d’utilité publique ou plus vraisemblablement encore, de nos jours, les sociétés coopératives d’intérêt collectif, les premiers étant des personnes morales de droit public, les deuxièmes et troisièmes, des personnes privées.
En outre, la circulaire du 21 décembre 2015 impose à l’Administration de mettre ses agents à même de participer à la définition et à la gestion de la restauration collective et lui assigne la mission d’accorder toutes facilités aux agents désireux de participer aux instances de décision et d’exécution de l’organisme gestionnaire.
La coordination et le pilotage de l’action des services de l’État sont, en ce domaine, confiés au préfet, qui est chargé de la mise en œuvre du schéma directeur de la restauration et auquel il incombe d’indiquer aux associations gestionnaires tout projet de réorganisation des services de l’État ou des collectivités territoriales associées afin de leur permettre d’anticiper les évolutions de la fréquentation des restaurants qu’elles régissent3.
Aux termes de la circulaire, les restaurants interadministratifs sont placés sous la tutelle d’au moins deux administrations. L’une de ces administrations est dite « coordonnatrice » et c’est à elle qu’il revient l’assurer le pilotage du fonctionnement du restaurant. La ou les autres administrations de tutelle sont dites « associées ».
La circulaire impose que les restaurants interadministratifs soient ouverts, en priorité, aux agents des administrations en cause, à leurs conjoints, à leurs enfants et aux personnes retraitées qui, en activité, en étaient membres4. Si elle autorise l’accès des personnes non membres des administrations parties prenantes, c’est à deux conditions : premièrement, le tarif de l’accès de ces personnes doit être supérieur à celui en vigueur à l’égard des agents des administrations associées ; deuxièmement, elles doivent rester minoritaires par rapport au total.
B – Une organisation et un fonctionnement para-administratifs
S’agissant de leur organisation interne, la circulaire du 21 décembre 2015 impose aux restaurants interadministratifs un schéma uniforme, comprenant un conseil d’administration, un bureau et une commission de surveillance. L’annexe 2 à la circulaire prévoit que les administrations associées siègent à parité de leurs représentants, au conseil d’administration, ou participent à la commission de surveillance. Au surplus, en vertu de la même annexe, les associations gestionnaires ne comportent que deux catégories de membres : les administrations associées et leurs agents.
Il convient de se pencher sur la composition de la commission de surveillance, qui, en application de l’annexe 2 à la circulaire, comprend cinq membres, au nombre desquels son président, responsable de l’administration coordonnatrice, ainsi que deux membres représentant les autres administrations de tutelle et deux membres élus par les usagers. Le préfet est associé à ses travaux.
Selon l’annexe 1 à la circulaire du 21 décembre 2015, les restaurants interadministratifs doivent être implantés sur des biens appartenant soit à l’État, soit à une collectivité territoriale. Leur implantation ne peut donner lieu au versement d’un loyer et la convention d’occupation obligatoirement signée entre l’administration occupante et l’association gestionnaire est conclue à titre gratuit.
Si l’État et une ou plusieurs collectivités territoriales sont parties prenantes et si le restaurant est implanté sur un bien appartenant à une collectivité territoriale, une convention financière doit être conclue entre l’État et cette dernière.
De surcroît, un restaurant interadministratif peut être implanté sur un bien n’appartenant pas à l’État et qu’il loue pour mise à disposition à l’association gestionnaire à titre gratuit. En ce cas, une convention d’occupation doit être signée entre l’État, le propriétaire et l’association.
Cette dernière peut assurer elle-même la gestion du restaurant5 et elle est dite « en gestion directe » ou bien elle peut confier, après mise en concurrence et élaboration d’un cahier des charges précis, à un prestataire extérieur, le soin de préparer les repas.
La même annexe 1 prévoit, pour ce qui concerne les achats, que les associations gestionnaires peuvent s’inspirer des bonnes pratiques en matière de marchés publics.
Sur le plan comptable, l’annexe 2 à la circulaire de la ministre de la Décentralisation et de la Fonction publique du 21 décembre 2015 prescrit l’individualisation de la gestion des restaurants interadministratifs, en la dissociant des lignes budgétaires des personnes publiques qui y sont associées.
Chaque association gestionnaire, selon les termes de l’annexe 4 à la circulaire, bénéficie d’une subvention de fonctionnement, qui comprend le coût de la fourniture des fluides, entièrement prise en charge par les administrations associées, les locaux, l’équipement, l’entretien, le personnel et les services annexes (tenue de la comptabilité, mutuelle…).
En outre, une subvention d’investissement est versée par le ministère chargé de la Fonction publique ; tel est l’objet de l’annexe 6 à la circulaire du 21 décembre 2015.
Enfin, les administrations versent une subvention interministérielle de participation au prix des repas pour chaque agent en activité justifiant d’un traitement ne dépassant pas un indice brut égal à un plafond. La subvention en question est versée à l’association gestionnaire et l’indice plafond (indice brut 567 au 1er janvier 2019) comme le taux de la subvention sont fixés par circulaire conjointe du ministre chargé du Budget et du ministre chargé de la Fonction publique.
De ces règles et principes d’organisation et de fonctionnement, il résulte que la gestion des restaurants interadministratifs constitue une mission de service public administratif.
En effet, si l’activité de restauration est couramment une activité appartenant au secteur marchand livré à la concurrence selon le droit commun, il apparaît que l’article 9 de la loi du 13 juillet 1983 inclut la restauration administrative dans la sphère de l’action sociale assurée par les administrations. Or cette dernière mission constitue un service public de nature administrative6, les prestations servies en application des dispositions de l’article 9 de la loi du 13 juillet 1983 étant, de surcroît et plus précisément, attribuées au titre de l’action sociale au sens de l’article R. 811-1 du Code de justice administrative78.
L’hypothèse tenant à ce que la restauration interadministrative soit qualifiée de service public industriel et commercial sur le fondement de la jurisprudence du Conseil d’État9 ne peut donc être retenue.
De surcroît, l’organisation et le fonctionnement qui ont été dépeints supra ne sont pas sans apparenter les associations gestionnaires du service en cause à des associations dites « transparentes »10. Une telle situation a pour effet de placer la gestion du service public dans la situation qui serait la sienne si ce service public était directement géré par une ou plusieurs des administrations intéressées1112.
La nature de la prestation et du service assurés par ces associations imposées par l’effet d’une circulaire étant identifiée, il y a lieu de s’interroger sur ses conséquences au regard de leur soumission à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et aux dispositions du Code de la commande publique.
II – Les conséquences de cette qualification juridique au regard du champ d’application de la TVA et du Code de la commande publique
Les deux questions, sans être dépendantes l’une de l’autre, se joignent et, sur un plan pratique, se posent aux associations gestionnaires du service public aux différents stades de l’accomplissement de leur mission.
A – Les associations gestionnaires de restaurants interadministratifs et la TVA
À première approche, le service assuré paraît, sur un plan matériel, entraîner une soumission de principe à la TVA de l’activité, en raison de ce qu’il présente un caractère économique.
En vertu des dispositions du I de l’article 256 du Code général des impôts, sont ainsi soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel.
Ces dispositions paraissent englober la restauration, laquelle, par elle-même, présente un caractère économique. L’article 256, I, du Code général des impôts n’a, au surplus, pas égard à la nature juridique de la personne accomplissant la prestation de services qu’il mentionne et, par conséquent, les associations n’en sont pas exclues.
Cependant, il y a lieu de prendre en considération les dispositions du a) du 1° du paragraphe 7 de l’article 261 du Code général des impôts, selon lesquelles les services de caractère social, éducatif, culturel ou sportif rendus à leurs membres par les organismes légalement constitués agissant sans but lucratif, et dont la gestion est désintéressée, sont exonérés de la TVA.
Eu égard à leur constitution, à leur objet social et aux règles d’organisation et de fonctionnement qui les régissent, les associations auxquelles est confiée la restauration interadministrative entrent dans le champ des « organismes agissant sans but lucratif » mentionnés par ces dispositions.
Toutefois, le a) du 1° du paragraphe 7 de l’article 261 restreint lui-même le champ de l’exonération qu’il prévoit en en excluant matériellement les « opérations d’hébergement et de restauration ».
Mais cette restriction apportée par une disposition consacrée à l’exonération de la TVA est elle-même assortie d’une réserve, qui repose davantage sur un critère organique.
En effet, le b) du 1° du paragraphe 7 de l’article 261 pose le principe de l’exonération des « opérations faites au bénéfice de toutes personnes par des œuvres sans but lucratif qui présentent un caractère social ou philanthropique et dont la gestion est désintéressée, lorsque les prix pratiqués ont été homologués par l’autorité publique ou que des opérations analogues ne sont pas couramment réalisées à des prix comparables par des entreprises commerciales, en raison notamment du concours désintéressé des membres de ces organismes ou des contributions publiques ou privées dont ils bénéficient ».
Indépendamment des organismes ayant un objet purement caritatif, cette disposition du Code général des impôts s’applique aux opérations accomplies par des organismes, dans un but strictement social et tendant à offrir à leurs adhérents des biens et services à des conditions nettement plus avantageuses et différentes de celles pratiquées dans le secteur commercial traditionnel.
Les œuvres en question doivent répondre à une utilité sociale et des activités de restauration peuvent en faire partie. Or l’article 9 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires en son troisième alinéa, les y inclut (v. supra).
La restauration fait ainsi partie, selon ces dispositions statutaires de la fonction publique, de l’action sociale menée à destination des agents publics et elle dessine les règles relatives à la participation financière requise des agents bénéficiaires de cette action, dont l’exercice constitue une mission de service public prévue par la loi.
La gestion de ces opérations doit être désintéressée, ce qui constitue un critère fondamental selon le b) du 1° du paragraphe 7 de l’article 261 du Code général des impôts.
En outre, pour entrer dans le champ de l’exonération, il faut que les opérations soient effectuées à des prix homologués par l’autorité publique ou, à défaut, que des opérations analogues ne soient pas couramment réalisées à des prix comparables dans le secteur commercial. La condition d’homologation implique une décision particulière d’une autorité publique (ministère ou administrations habilitées à cet effet) ou que les prix soient définis dans les limites fixées réglementairement par ces autorités ou encore que les opérations aient fait l’objet de conventions ou de contrats passés avec les caisses de Sécurité sociale ou d’allocations familiales. La seconde condition réside dans l’obligation faite de ne pas réaliser d’opérations analogues à des prix comparables dans le secteur commercial.
La jurisprudence fait application de ces critères fixés par la loi13.
Ces critères paraissent pouvoir être appliqués à la gestion des restaurants interadministratifs, les associations qui en ont la charge proposant leurs prestations de restauration, principalement, à leurs membres et selon des conditions financières qui répondent à l’homologation par une autorité publique telle que la conçoit le b) du 1° du paragraphe 7 de l’article 261 du Code général des impôts.
C’est ainsi que la détermination du bénéfice de la subvention-repas est alignée sur l’indice de rémunération figurant sur le bulletin de salaire de l’usager du restaurant interadministratif.
Dans le même ordre d’idées, c’est conformément aux instructions ministérielles en vigueur que les associations s’engagent à ristourner, à concurrence d’un seul repas par jour et par agent, la subvention repas interministérielle sur le montant global du plateau pour tout agent dont l’indice de rémunération ne dépasse pas un certain plafond, le montant de la subvention-repas étant modifié dès lors que les instructions ministérielles en matière de prestations sociales le prévoient.
C’est en effet la politique de gestion des ressources humaines qui est mise en œuvre par les administrations associées à la gestion de restaurants interadministratifs et, dans les conditions de sa mise en œuvre, elle ne peut être assimilée à une opération économique. Tel pourrait être le sens de la réponse ministérielle apportée à la question écrite n° 40215 posée le 1er juin 2004 par un député, au sujet de la possibilité, pour les usagers de restaurants municipaux, d’utiliser des tickets-restaurants, le ministre d’État, ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie ayant répondu que, par principe, ces restaurants ne pouvaient être assimilés à des restaurateurs et qu’une telle assimilation ne pouvait résulter que d’une décision du ministre de l’Économie après avis d’une commission nationale14.
Par conséquent, les conditions dans lesquelles sont fixés les prix de la prestation de restauration, comme les conditions relatives à l’accès à cette prestation, alignées sur la qualité de membre de l’association, qualité qui découle presque exclusivement de la qualité d’agent d’une des administrations « associées » au sens de la circulaire précitée du 21 décembre 2015, pourraient permettre de conclure dans le sens de l’exonération de cette prestation à la TVA, conformément aux dispositions du b) du 1° du paragraphe 7 de l’article 261 du Code général des impôts.
Néanmoins, il convient de souligner qu’en pratique aucune ligne directrice ou disposition réglementaire n’est venue confirmer ou infirmer cette conclusion, laissant les associations intéressées face à la doctrine de l’administration fiscale, dont les pratiques peuvent varier.
B – Les restaurants interadministratifs et le Code de la commande publique
À titre liminaire, il y a lieu d’indiquer que le choix par lequel les administrations confient la gestion de restaurants interadministratifs à des associations n’est pas, lui-même, soumis aux dispositions du Code de la commande publique.
En effet, dans un avis du 23 octobre 2003 précisément relatif à l’article 9 de ladite loi du 13 juillet 198315, le Conseil d’État a estimé qu’une loi qui permet aux personnes publiques de confier une mission à des organismes déterminés a pour conséquence nécessaire de permettre à ces personnes de choisir ces organismes sans mise en œuvre des procédures nationales de publicité et mise en concurrence alors même que serait conclu entre les deux parties un contrat qui remplirait les conditions pour être qualifié de marché au sens des articles 1 et 2 du Code des marchés publics, ou de convention de délégation de service public au sens de l’article 38 de la loi du 29 janvier 1993.
Par ce même avis, le Conseil d’État tire la conséquence qu’il n’est pas nécessaire de s’interroger, ni sur la compatibilité de ces dispositions législatives avec les objectifs poursuivis par la directive du Conseil des communautés européennes n° 92/50/CEE du 18 juin 1992, ni sur la nécessité pour, en l’espèce, le ministère de l’Intérieur, de la Sécurité intérieure et des Libertés locales de se conformer aux règles applicables aux marchés publics, les prestations d’action sociale en cause, qui constituent un élément de la politique de gestion des ressources humaines de ce ministère, ne présentant pas, dans les conditions où elles sont mises en œuvre, le caractère d’une activité économique, solution qui confirme une jurisprudence précitée rendue au sujet de l’application de l’article 9 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 198316.
Cela étant, il convient de réserver l’hypothèse précédemment émise, selon laquelle les associations gestionnaires pourraient être qualifiées de « transparentes ».
À ce titre, elles présenteraient le caractère de « pouvoir adjudicateur » au sens du Code de la commande publique17, solution dégagée par la jurisprudence avant l’entrée en vigueur de ce code18.
En outre, à l’appui de ce raisonnement, la qualité d’association « transparente » dispense de rechercher si elle agit en tant que mandataire d’une personne publique lorsqu’elle souscrit à un contrat avec un tiers.
C’est en effet la qualité de « pouvoir adjudicateur » qui serait en mesure, si elle était accolée aux associations gérant les restaurants interadministratifs, de soumettre leurs contrats au Code de la commande publique.
Et eu égard à leur activité, il conviendrait de voir dans chacune d’elles une « personne morale de droit privé créée pour satisfaire spécifiquement un besoin d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial » selon les termes employés par le 2° de l’article L. 1211-1 du Code de la commande publique.
Les dispositions du 2° de cet article L. 1211-1 exigent soit que l’activité soit majoritairement financée par un pouvoir adjudicateur, soit que la gestion de la personne morale en question soit soumise à un contrôle par un pouvoir adjudicateur, soit que l’organe d’administration, de direction ou de surveillance soit composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur.
Ces critères sont alternatifs et non cumulatifs et, au cas par cas, il convient de vérifier si telle ou telle association répond à l’un de ces critères.
La qualité de « pouvoir adjudicateur » ne peut, en effet, résulter que d’une telle casuistique, ainsi que le rappelle le ministre de l’Économie et des Finances dans une réponse à une question écrite posée par une députée19, faisant ainsi une application stricte d’une solution jurisprudentielle dégagée par la Cour de justice de l’Union européenne afin de déterminer si une activité présente un caractère d’œuvre purement sociale à l’exclusion de tout caractère industriel ou commercial2021.
Eu égard aux règles d’organisation et de fonctionnement analysées dans la première partie de cette étude, il ne paraît pouvoir être exclu que de nombreuses associations gérant un restaurant interadministratif ne puissent être qualifiées de « pouvoir adjudicateur » au sens du 2° de l’article L. 1211-1 du Code de la commande publique et, partant, soumises aux dispositions de ce code.
Certes, il convient de souligner que s’agissant des marchés publics dont la valeur estimée est inférieure à 25 000 € HT, les associations ayant la qualité de pouvoir adjudicateur peuvent passer un marché négocié sans publicité ni mise en concurrence, en veillant à choisir une offre pertinente, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec le même opérateur22.
De surcroît, pour les marchés inférieurs aux seuils de procédures formalisées, les dispositions des articles 27 et 33 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics prévoient que les associations peuvent recourir à une procédure adaptée, laquelle est, si le montant du besoin à satisfaire est inférieur à 90 000 € HT, soumise à une publicité préalable allégée.
Enfin, en vertu, d’une part, des articles L. 2113-3 et L. 2113-4 du Code de la commande publique et, d’autre part, des articles L. 2113-6 et L. 2113-7 de ce même code, les associations peuvent recourir à des centrales d’achat – ce qui les dispense de mettre elles-mêmes en œuvre les obligations de publicité et de mise en concurrence – ou former avec d’autres acheteurs des groupements de commandes.
Il n’en reste pas moins qu’à la question de savoir si l’activité de restauration administrative ou interadministrative est assujettie aux règles globalement contraignantes de mise en concurrence prévues par le Code de la commande publique, aucune disposition textuelle n’apporte de réponse certaine.
Sur ce point, comme sur le précédent, un éclaircissement s’impose, qui serait respectueux de la nature particulière de ce service public mettant en œuvre la politique d’action sociale menée en faveur des agents publics.
Notes de bas de pages
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1.
Circ., 21 déc. 2015, NOR : RDFF1526648C.
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2.
Elle illustre assurément la catégorie des circulaires impératives au sens de la jurisprudence Duvignères, v. CE, sect., 18 déc. 2002, n° 233618 : Lebon, p. 463.
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3.
Circ., 21 déc. 2015, NOR : RDFF1526648C, p. 2, 4e parag.
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4.
Circ., 21 déc. 2015, NOR : RDFF1526648C, p. 3.
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5.
Circ., 21 déc. 2015, NOR : RDFF1526648C, annexe 1, p. 8.
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6.
CE, 13 janv. 2003, nos 235176, 238290 et 238291, Mutuelle générale des services publics et a.
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7.
CE, 1re-4e ch. réunies, 15 mars 2019, n° 415366.
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8.
En outre, précédemment, le Conseil d’État avait vu dans la gestion d’un restaurant administratif un service public : CE, 15 févr. 1993, n° 107771, Ministre d’État, ministre de l’Économie, des Finances et du Budget c/ Berjonneau et Sez : Lebon, p. 32.
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9.
CE, ass., 16 nov. 1956, n° 26549, Union syndicale des industries aéronautiques ; CE, sect., 26 janv. 1968, n° 70588, Dame Maron.
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10.
CE, 20 juill. 1990, n° 69867, Ville de Melun et Assoc. Melun-Culture-Loisirs c/ Vivien.
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11.
CE, 6 avr. 2007, n° 284736, Cne d’Aix-en-Provence.
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12.
Hypothèse récemment corroborée par un avis de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), qui a assimilé une association gérant un restaurant administratif qui sollicitait la communication d’un document administratif à une « administration » : CADA, avis n° 20185939, 24 janv. 2019.
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13.
CE, 30 déc. 2014, n° 361842 : Lebon T., p. 594-595 : « Il appartient, à cette fin, à cet organisme d’établir, d’une part, que sa gestion présente un caractère désintéressé et, d’autre part, que les services qu’il rend ne sont pas offerts en concurrence dans la même zone géographique d’attraction avec ceux proposés au même public par des entreprises commerciales exerçant une activité identique ; que, toutefois, même dans le cas où cet organisme intervient dans un domaine d’activité et dans un secteur géographique où existent des entreprises commerciales, il peut bénéficier de cette exonération s’il exerce son activité dans des conditions différentes de celles des entreprises commerciales, soit en répondant à certains besoins insuffisamment satisfaits par le marché, soit en s’adressant à un public qui ne peut normalement accéder aux services offerts par les entreprises commerciales, notamment en pratiquant des prix inférieurs à ceux du secteur concurrentiel et, à tout le moins, des tarifs modulés en fonction de la situation des bénéficiaires, sous réserve de ne pas recourir à des méthodes commerciales excédant les besoins de l’information du public sur les services qu’il offre ».
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14.
Rép. min. n° 40215 : JOAN, 16 nov. 2004, p. 9013, Aeschlimann M.
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15.
CE, avis, 23 oct. 2003, n° 369315, Fondation Jean Moulin : Études et documents du Conseil d’État 2004, p. 209.
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16.
CE, 13 janv. 2003, nos 235176, 238290 et 238291, Mutuelle générale des services publics et a.
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17.
Rép. min. n° 06119 : JO Sénat, 12 sept. 2013, p. 2652, Masson J.-L.
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18.
CE, 21 mars 2007, n° 281796, Cne de Boulogne-Billancourt.
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19.
Rép. min. n° 13682 : JOAN, 18 déc. 2018, p. 11766, Brulebois D.
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20.
CJUE, 6e ch., 16 oct. 2003, n° C-283/00, Commission c/ Royaume d’Espagne.
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21.
Dans un environnement normatif différent et à une autre époque, le ministre de la Réforme de l’État, de la Décentralisation et de la Citoyenneté avait, en réponse à la question écrite d’un député, indiqué que les associations gérant un restaurant administratif n’étaient pas soumises à « la procédure de transparence et de concurrence mise en place dans le cadre de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques », v. Rép. min. n° 26446 : JOAN 7 août 1995, p. 1469, erratum publié 9 oct. 1995, p. 4271, Demange J.-M.
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22.
V. disposition du 8° du I de l’article 30 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics.