Un nouveau contentieux en référé-suspension : le contrôle de l’appréciation du ministre de la Justice des aptitudes des candidats à l’attribution d’offices notariaux depuis l’adoption de la loi Macron du 6 août 2015

Publié le 06/03/2019

La loi du 6 août 2015 a permis une réforme considérable de l’accès aux professions réglementées dont celle de notaire. En raison du nombre de candidatures, supérieur à l’offre de nouveaux offices, un processus de sélection par tirage au sort a été mis en place, suivi par des décisions d’acceptation ou de refus de nomination de la ministre de la Justice. Ces décisions de refus ont fait l’objet d’un contentieux devant les juges des référés des tribunaux administratifs, faisant de ce contentieux de l’urgence un recours à la fois moderne et indispensable pour garantir l’impartialité du processus d’attribution des offices nouvellement créés.

Le rapporteur public Louis Dutheillet de Lamotte affirmait : « On n’avait jamais créé autant d’offices en deux siècles » et qu’il « n’est pas douteux, à la lecture des travaux préparatoires, que la loi du 6 août 2015 a entendu créer un véritable choc dans l’administration de professions jugées trop fermées aux jeunes, aux salariés et aux femmes »1, faisant état de l’importance considérable de la réforme des professions réglementées enclenchée en 2015. En effet, la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a procédé à une réforme des conditions d’exercice des professions réglementées. En ce sens, l’article 52 de cette loi, permet la création de nouvelles zones d’installation des offices, dont des zones dites « d’installation libre » dans lesquelles le ministre de la Justice possède un pouvoir de nomination. Par un arrêté du 16 septembre 2016, le ministre de la Justice et le ministre de l’Économie et des Finances ont établi la carte d’installation des notaires pour une période de deux ans, composée de 247 zones dites « d’installation libre » et 60 zones dites « d’installation contrôlée ». Dans chacune des zones dites « d’installation libre » le ministre de la Justice nomme les candidats suivant l’ordre d’enregistrement de leur demande, 1 002 créations d’offices étaient prévues afin d’atteindre l’objectif de 1 650 nouveaux notaires libéraux d’ici 2018.

Les nouvelles modalités de l’attribution des nouveaux offices créés dans ces zones sont fixées par le décret n° 2016-661, plus précisément aux articles 1 à 4 concernant les notaires, qui modifient le décret n° 71-941 du 26 novembre 1971 relatif aux actes établis par les notaires et le décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d’accès aux fonctions de notaire. Concernant ce dernier, son nouvel article 3 dispose que : « Nul ne peut être notaire s’il ne remplit les conditions suivantes : (…) /2° N’avoir pas été l’auteur de faits contraires à l’honneur et à la probité ». Selon la professeure émérite Jeanne de Poulpiquet : « les manquements à la probité, à l’honneur et à la délicatesse représentent une incrimination plus floue et plus difficile à cerner »2 que les infractions aux lois, règlements et aux règles professionnelles. Par conséquent, le défaut d’honneur et de probité par sa plasticité, se présentait précocement comme l’angle mort de l’appréciation des demandes des postulants aux nouveaux offices notariaux.

On distingue trois phases dans l’attribution des offices notariaux, dès lors que le recours au tirage au sort est devenu systématique ; tout d’abord, il est attribué à chaque candidature un numéro qui est tiré au sort par l’Administration afin d’établir un ordre de classement d’enregistrement de ces dernières, ensuite, le ministre de la Justice procède à l’évaluation de l’aptitude des candidats à exercer la profession de notaire, notamment sur la base de l’article 3 du décret de 1973 précité3, enfin, il prend un arrêté de nomination à destination des candidats ayant été jugés aptes à exercer la profession de notaire. C’est dans la deuxième phase qu’est né le contentieux devant le juge des référés auprès des tribunaux administratifs, car une candidature peut être classée « R », ce qui peut signifier soit qu’elle a été radiée parce que le candidat a été nommé dans une autre zone d’installation, ou sinon, que la candidature a été tout simplement rejetée du fait que le candidat ne remplit pas les conditions légales pour exercer les fonctions de notaire.

La compétence des tribunaux administratifs a prêté à caution, le Conseil d’État a dû expliciter cette question dans deux arrêts récents. Dans un arrêt du 25 juin 2018 (CE, 25 juin 2018, n° 412970), il a indiqué que : « (…) La décision par laquelle le ministre rejette une candidature au motif que le candidat ne remplit pas les conditions générales d’aptitude aux fonctions, qui ne porte pas sur le principe de la création de l’office pour lequel l’intéressé a déposé sa candidature, mais sur l’appréciation de l’aptitude du demandeur aux fonctions de notaire, constitue un acte individuel. Les recours contre une telle décision, qui n’est pas au nombre de celles dont le Conseil d’État est compétent pour connaître en premier et dernier ressort, relèvent de la compétence en premier ressort du tribunal administratif » et dans un arrêt du 28 décembre 2018 (CE, 28 déc. 2018, n° 409441), que : « (…) la décision par laquelle le garde des Sceaux, ministre de la Justice, crée un nouvel office ou se prononce sur l’ouverture d’un bureau annexe à un office existant, qui concerne le fonctionnement du service public notarial mais n’a pas, par elle-même, pour objet d’assurer son organisation, est dépourvue de caractère réglementaire. Dès lors, elle n’entre pas dans le champ de l’article R. 311-1 du Code de justice administrative ». Cette répartition des compétences interroge à double titre. D’une part, elle utilise la dichotomie « acte réglementaire » et « acte individuel » afin d’en déduire la compétence des tribunaux administratifs sur le fondement de l’article R. 312-10 du Code de justice administrative. Mais ces précisions semblent floues car le simple fait qu’un acte administratif soit individuel ne suffit pas à écarter la compétence du Conseil d’État. Ce dernier est par exemple compétent en premier et dernier ressort pour les contentieux relatifs aux actes concernant la situation individuelle des fonctionnaires nommés par décret du président de la République en vertu des dispositions de l’article 13 de la constitution et des articles premier et second de l’ordonnance n° 58-1136 du 28 novembre 1958 portant loi organique concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l’État sur le fondement de l’article R. 311-1 du Code de justice administrative ou encore dans le cadre du contentieux relatif aux changements de noms sur le fondement de l’article L. 311-2 du Code de justice administrative. De plus, le Conseil d’État avance que la décision de la ministre est « un acte individuel » relatif au « fonctionnement » du « service public notarial », sans en affecter l’organisation. La séparation entre organisation et fonctionnement paraît légère puisque la nomination ou le refus de nomination d’un candidat a une incidence directe sur le nombre d’offices qui restent à créer pour le ministère. Enfin, dans un arrêt du 3 décembre 1976 (CE, 3 déc. 1976, n° 95769 : Lebon 1976), le Conseil d’État a accepté de contrôler la régularité d’une nomination d’un notaire dès lors que dans la même affaire était contestée la suppression et la création d’un office. Il en déduit que « (…) eu égard à la connexité entre les conclusions de la requête », il est compétent pour contrôler en premier et dernier ressort les modalités de nomination des notaires. Il serait intéressant d’observer si le Conseil d’État maintient sa position adoptée en 2018 ou reprend celle de 1976, si un candidat en 2019 attaque simultanément un refus de nomination pour défaut de probité et la création d’un nouvel office notarial dans la même zone : quelle juridiction serait alors compétente ?

Le candidat ainsi évincé n’a de ce fait, comme seul recours, que la saisine en urgence du tribunal administratif, notamment le juge des référés-suspension, afin de se donner une chance de « sauver » sa candidature. Il doit démontrer que deux conditions sont remplies, à savoir l’existence d’une situation d’urgence et celle tenant à la caractérisation d’au moins un moyen de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision litigieuse (I), il arrive parfois à obtenir la suspension de la décision litigieuse du fait de l’erreur d’appréciation de sa probité par la ministre de la Justice (II).

I – Les principaux enseignements sur les deux conditions du référé-suspension

A – L’appréciation de l’existence d’une situation d’urgence

Roland Vandermereen indiquait que : « Bien que l’urgence soit la clé des nouvelles procédures, le législateur n’en donne aucune définition, laissant du même coup, une grande latitude aux juridictions »4. Selon une jurisprudence constante l’urgence justifie que soit prononcée la suspension d’un acte administratif lorsque l’exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre5.

Les juges distinguent deux types d’urgence dans le cadre du contentieux notarial relatif au classement effectué postérieurement au tirage au sort. La première et principale est la combinaison d’un critère de nature subjective, le rang de classement du candidat à la suite du tirage au sort qui le placerait en position « utile » pour l’obtention d’un nouvel office, et un critère à valeur objective, caractérisé par l’état avancé ou non du processus de nomination par la ministre de la Justice dans la zone litigieuse. Le rang de classement du candidat est sans nul doute décisif, il paraît logique qu’un candidat qui aurait un numéro qui ne le classerait pas en « position favorable » pour obtenir un office, pourrait voir sa requête rejetée même si le processus de nomination avait débuté. Dans l’ordonnance n° 171055 du 13 juillet 2017 du tribunal administratif de Paris, le juge des référés relève que « considérant que la décision par laquelle le garde des Sceaux, ministre de la Justice a rejeté les demandes de nomination de M. B. présentées dans le cadre de la loi du 6 août 2015 a pour effet de priver celui-ci de la possibilité d’être nommé en qualité de notaire dans un office à créer dans les zones de Nevers et d’Evreux alors qu’après tirage au sort, il a été classé premier pour l’office à créer dans la zone de Nevers et deuxième pour l’un des deux offices à créer dans la zone d’Évreux ». On retrouve encore une illustration de cette urgence dans l’ordonnance n° 1801245 du 12 mars 2018, du juge des référés du tribunal administratif de Lyon, qui constate que la décision de la ministre « a pour effet de priver celle-ci (la requérante)6 de la possibilité d’être nommée en qualité de notaire dans un office à créer dans la zone de Saint-Etienne n° 60, alors qu’elle a été classée, après tirage au sort, en position utile pour obtenir une telle nomination. Dès lors, eu égard à l’importance des effets de la décision attaquée sur la situation de la requérante, la condition d’urgence, qui n’est d’ailleurs pas contestée par la ministre, doit être regardée comme satisfaite ». Il est à relever qu’un doute persisterait sur le caractère cumulatif ou alternatif des deux critères du rang et du début des nominations.

La seconde situation d’urgence, plus originale, peut découler des difficultés d’un candidat à trouver un emploi en tant que notaire salarié, par exemple en démontrant qu’il serait difficile d’être recruté dans un office de la zone concernée7, ou encore dans le cadre de difficultés dans l’exercice d’une autre profession, en ce sens l’urgence est caractérisée dès lors « qu’il résulte de l’instruction que M. B. qui établit rencontrer des difficultés matérielles dans l’exercice de sa profession comme avocat à Paris depuis 2011 envisage de longue date une installation en province en qualité de notaire, un projet bien avancé en Mayenne en 2014 n’ayant pu aboutir »8.

Concernant la théorie du bilan des intérêts dans l’appréciation de l’urgence, certains requérants se prévalent de la sécurité juridique du processus de nomination, là où l’Administration faisait valoir l’impérieuse nécessité de la continuité et du bon fonctionnement du processus de nomination. Le Conseil d’État a tranché que l’intérêt public tendant à garantir la sécurité juridique du processus de nomination était supérieur à celui de l’importance de ne pas entraver ce processus9.

B – L’appréciation des moyens de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité des décisions contestées

Les actes contraires à l’honneur et à la probité ont été reconnus dans trois affaires. L’une d’entre elles doit faire l’objet d’un point particulier, dès lors que la motivation retenue par le juge des référés s’avère problématique tant d’un point de vue pratique que juridique. Il est communément admis que la motivation des décisions des juges des référés doit faire preuve de la plus grande précaution, dès lors qu’elle ne doit pas apparaître comme préjugeant du sens du jugement au fond de l’affaire. Le professeur Paul Cassia relève que : « le législateur a en effet clairement invité le juge des référés à ne se livrer qu’à un contrôle sommaire de la légalité de la décision contestée ; par nature, le juge des référés est celui de l’évidence »10. Souvent les juges des référés optent pour une motivation laconique se basant sur le moyen de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée. Ce type de motivation peut se révéler problématique dans le cadre du contentieux administratif notarial car, ce n’est pas parce qu’un candidat a commis une faute professionnelle ou extra-professionnelle qu’il doit être considéré, ipso facto, comme l’auteur de faits contraires à l’honneur et à la probité. L’appréciation du ministre de la Justice, doit être méticuleuse et justifiée quant à l’impossibilité de nommer un candidat. Cette appréciation du ministre est susceptible de présenter une part de subjectivité apparente et constitue un enjeu considérable afin de garantir l’impartialité et la transparence du processus. La décision n° 1800526 du 29 janvier 2018 du tribunal administratif de Paris semble regrettable en ne retenant comme seule argumentation : « En l’état de l’instruction, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des 2° et 3° de l’article 3 du décret du 5 juillet 1973, dont M. A. remplirait les conditions, n’est pas propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ».

Concernant les deux autres affaires, les actes contraires à la probité découlent de dysfonctionnements issus de pratiques professionnelles. Pour illustration, dans une première situation, la constitution de faits contraires à l’honneur et la probité repose sur la commission de faits graves ayant eu des conséquences dommageables pour le fonctionnement de l’office. Pour un exemple de ce raisonnement du juge, dans l’ordonnance n° 1815990 du 18 septembre 2018, le tribunal administratif de Paris confirme une décision de refus du ministre de la Justice qui était fondée sur le fait que « d’importants dysfonctionnements comptables, de trésorerie et de gestion de l’office entre les années 2000 et 2003, ayant entraîné soit la mise en place en mars 2000 d’une mesure de curatelle d’une année par la Caisse de garantie des notaires, soit une ou plusieurs interdictions d’exercer pendant un an pour chacun des notaires précités, un rappel à la loi pour indélicatesse prononcé en novembre 2008 à l’encontre de Me X, une interdiction d’exercice pendant 6 mois prononcée en janvier 2009 à l’encontre de Me X pour manquements aux règles relatives à l’honneur, à la probité et à la délicatesse, un rappel à l’ordre prononcé en mars 2014 à l’encontre de Me X, une nouvelle interdiction d’exercer pendant 18 mois prononcée en mars 2014 à l’encontre de Me X, pour manquements à la probité et aux règles professionnelles, étant observé que ces sanctions ont été prononcées par différentes juridictions ». Dans une seconde situation, des éléments de forte suspicion quant à l’honorabilité du candidat peuvent parfois suffire à justifier la décision de refus de la ministre. Les juges des référés du tribunal administratif de Montreuil, dans deux affaires concernant une même candidate11, ont retenu le motif tiré de l’atteinte à l’honneur et à la probité en raison d’éléments issus d’un conflit né entre la candidate et son ancien employeur. Ceci est d’autant plus surprenant car aucune procédure n’avait abouti en raison de la démission de la requérante, qui au surplus fait valoir son droit à la présomption d’innocence. Finalement, le juge administratif valide le raisonnement du ministre qui fait découler la constitution d’actes contraires à l’honneur et à la probité de fautes professionnelles alléguées et non sanctionnées. Les confirmations des décisions du ministre semblent d’une rigueur inégale quant à la motivation des ordonnances des juges des référés, appelant probablement une clarification par le Conseil d’État sur les éléments valables permettant d’entériner la commission d’actes contraires à l’honneur et à la probité des candidats.

Concernant les suspensions des décisions de refus, la grande majorité est basée sur le défaut de motivation et de contradictoire. Ainsi, contrairement à ce que soutenait la ministre de la Justice, les tribunaux administratifs ont rapidement admis que les décisions litigieuses constituaient des actes administratifs individuels. Le défaut de motivation a irrémédiablement entraîné leur suspension, par exemple, le juge des référés du tribunal administratif de Paris considère que : « les moyens soulevés par la requérante tirés du défaut de motivation de la décision du 26 février 2018, au regard des articles L. 211-2 et L. 211-5 du Code des relations entre le public et l’Administration, dès lors que les faits reprochés ne sont pas mentionnés dans la décision contestée et de la méconnaissance du principe du contradictoire au regard de l’article L. 121-1 de ce même code, dès lors qu’elle n’a pas été mise à même de présenter ses observations avant l’édiction de la décision de rejet de sa demande sont propres à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée »12.

II – La caractérisation de l’erreur d’appréciation du ministre de la Justice

A – Les insuffisances des critères jurisprudentiels de contrôle

La profession de notaire présente un caractère dual, en effet, elle emprunte les traits de la fonction publique dès lors que les officiers ministériels sont détenteurs de l’autorité publique qui se matérialise par le caractère probant et exécutoire de leurs actes et, en même temps, est classée comme une profession libérale source d’indépendance et de discrétion. En raison de ces considérations, Jacques Motel dresse une typologie des deux éthiques encadrant la profession : l’éthique professionnelle et l’éthique de l’officier public13. La première ferait référence aux exigences d’honnêteté et de désintéressement qui obligent le notaire à faire preuve de totale transparence sur les informations nécessaires à ses clients dans le cadre de leurs opérations mais également à un maniement rigoureux des fonds de ces derniers. Elles défendent également au notaire de tirer profit de son office ou d’en faire illégalement bénéficier ses proches. L’éthique de l’officier public, se traduirait par l’obligation d’instrumenter, l’indépendance et l’impartialité. Dans le cadre du contentieux du refus d’attribution des offices, c’est principalement de l’éthique professionnelle dont il est question.

La première manifestation des critères d’appréciation réside dans une décision du juge des référés du tribunal administratif de Paris14, cette ordonnance a été confirmée par le Conseil d’État dans son arrêt du 25 juin 201815. Néanmoins, dans cette décision, il n’est pas fait état de la description des actes litigieux, mais uniquement d’une formule lapidaire constatant une erreur d’appréciation de la ministre.

Le principal apport de cette ordonnance réside dans le choix retenu par le juge des référés du contrôle normal des décisions de refus d’attribution, là ou pour les contentieux du refus de création ou de la suppression des offices, le Conseil d’État a retenu le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation16 en vérifiant que le ministre se fonde exclusivement sur des motifs tenant à l’intérêt du service public, la situation géographique et l’évolution démographique et économique17. De plus, quatre critères cumulatifs sont identifiés, à savoir les caractères isolés, anciens, graves des actes litigieux et le comportement de l’intéressé postérieurement à la commission de ces actes. Une critique doit être formulée quant au caractère isolé qui semble fragile et peu pertinent, à supposer isolé, un acte récent et d’une gravité exceptionnelle commis par un candidat serait difficile à écarter dans la prise en compte de l’honorabilité, du seul fait qu’il serait isolé. Un acte grave et récent, même isolé devrait être à même de justifier le refus de la candidature, alors que des actes répétés sans aucune gravité et très anciens seraient difficilement susceptibles de motiver un refus de nomination. Il est également possible de discuter du caractère récent étant donné que, dans le cas d’un candidat qui aurait commis ou participé à la commission d’un un crime extrêmement grave, il serait « incongru » que le juge utilise l’ancienneté de ce dernier pour suspendre la décision de refus de la ministre de la Justice. In fine, la gravité demeure le critère le plus solide.

B – Une illustration claire et détaillée du contrôle de l’appréciation du ministre de la Justice de l’honorabilité des candidats

À la fin de l’année 2016, M. F. clerc de notaire a candidaté pour l’obtention d’un nouvel office notarial dans une zone « d’installation libre ». Le 16 septembre 2017, il a constaté que sa candidature avait été rejetée. Dans une première requête la décision de la ministre de la Justice a été suspendue pour défaut de motivation18, puis, en application de l’injonction du juge des référés de réexaminer la demande de M. F., la ministre de la Justice a pris une décision de rejet le 27 février 2018. Pour justifier la suspension de la décision de la ministre de la Justice, le juge des référés indique que le requérant « relève que la plainte formée à son encontre par son ancien employeur a été classée sans suite par le procureur de la République de Sens (…) au motif que l’infraction n’était pas caractérisée et soutient, sans être contredit, que les faits d’août 2011, qui ont donné lieu à un rappel à la loi (…), consistent en une fausse déclaration produite au sujet du vol (…) retirée spontanément dès le lendemain », et que : « eu égard à l’ancienneté et à la nature des faits commis en 2011, au caractère unique de l’infraction routière de 2016, qui a fait l’objet d’un classement sans suite, et aux attestations produites par les employeurs actuels de M. F., le moyen tiré de ce que la garde des Sceaux, ministre de la Justice, a commis une erreur d’appréciation en estimant que M. F. ne présentait pas les conditions d’honorabilité requises est, en l’état de l’instruction, de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée ». Dans le cadre de cette jurisprudence il est possible d’observer l’application de cinq critères cumulatifs : l’absence de gravité, l’ancienneté, le caractère isolé, le comportement du candidat postérieurement à la commission des actes litigieux, enfin, la pratique professionnelle irréprochable du candidat.

L’appréciation de la gravité des actes repose sur le degré de sévérité de la sanction disciplinaire et/ou pénale. En l’espèce, il s’agissait d’un conflit entre M. F. et un ex-collègue qui a été classée sans suite et d’un faux témoignage de M. F. sanctionné d’un rappel à la loi. La légère réponse pénale apportée aux faits retenus contre M. F. apparaît comme l’élément principal de leur inopérance à constituer des actes contraires à l’honneur et à la probité. Concernant le taux d’alcoolémie, si le juge des référés n’a pas remis en question la gravité de l’acte, il déduit de la nature et du caractère unique de cette infraction, l’insuffisance de cette dernière à constituer, à elle-seule, une violation de l’honorabilité, justifiant le refus d’attribution d’un nouvel office. Reste à savoir à compter de combien de « petites » infractions une telle atteinte serait constituée. L’ancienneté des faits peut être discutée, le plus ancien d’entre eux date de 2011 et le plus récent de 2016. Le caractère isolé des deux infractions pénales sanctionnées ne prête pas à débat, le requérant n’ayant pas récidivé. Enfin, le professionnalisme du requérant dans l’exercice de ses fonctions au renfort de plusieurs attestations de ses employeurs a fortement joué en sa faveur.

L’intérêt de la jurisprudence M. F. est qu’elle permet d’avoir une illustration claire des éléments de contrôle de l’appréciation du ministre par le juge administratif par le prisme de faits précis.

Statuant en premier et dernier ressort, les premières solutions dégagées par le juge des référés ont un impact tranchant sur la position de la ministre, dès lors que pour les deux affaires suscitées la ministre a systématiquement décidé de prendre un arrêté de nomination des candidats par la suite.

Sur plus de 1 600 créations de nouveaux offices notariaux, entre 2016 et 2018, on dénombre qu’une vingtaine de contentieux. Ce constat rend compte du succès global de la réforme de l’accès à cette profession réglementée. Il apparaît que le contentieux de ces deux années a permis de poser les premiers repères jurisprudentiels qui seront probablement repris dans le cadre des futurs contentieux qui risquent de surgir. En effet, le gouvernement a suivi, le 3 décembre 201819, la recommandation de l’Autorité de la concurrence de créer 733 nouveaux offices notariaux d’ici 2020. Les suspensions des décisions de la ministre alertent sur le caractère crucial, voire indispensable, de ce contrôle juridictionnel qui, par ses exigences œuvre à garantir l’impartialité du processus de nomination, par sa célérité permet de ne pas entraver son bon déroulement et par son efficacité participe à la légitimation de cette réforme ambitieuse de l’accès aux professions règlementées.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Dutheillet de Lamotte L., concl. sous CE, ass., 18 mai 2018, nos 400675, 400698, 400858, 401795 et 401810.
  • 2.
    De Poulpiquet J., Répertoire de droit immobilier, Dalloz, 2018, p. 536 à p. 543 ; v. dans le même sens : de Poulpiquet J., La responsabilité civile et disciplinaire des notaires (De l’influence de la profession sur les mécanismes de la responsabilité), 1974, LGDJ.
  • 3.
    Ce contrôle ne devant pas porter sur une appréciation des mérites des candidats mais uniquement sur leur aptitude à exercer la profession de notaire, c’est-à-dire le respect des conditions posées par l’article 3 du décret du 7 juillet 1973, en ce sens CE, 18 mai 2018, nos 400675, 400698, 400858, 401795 et 401810.
  • 4.
    Vandermereen R., « Le référé-suspension », RFDA 2002, p. 250.
  • 5.
    CE, sect., 19 janv. 2001, n° 228815, Confédération nationale des radios libres.
  • 6.
    Indication de l’auteur.
  • 7.
    TA Toulon, 15 oct. 2018, n° 1803019.
  • 8.
    TA Paris, 13 juill. 2017, n° 1710155.
  • 9.
    CE, 25 juin 2018, n° 412970, garde des Sceaux c/ M. B., classé B.
  • 10.
    Cassia P., « Le juge administratif des référés et le principe d’impartialité », D. 2005, p. 1182.
  • 11.
    TA Montreuil, 5 juin 2018, n° 1802656 ; TA Montreuil, 11 juill. 2018, n° 1806259.
  • 12.
    TA Melun, 17 nov. 2017, n° 1708455 ; TA Paris, 23 mars 2018, n° 1803921/9 possession.
  • 13.
    Motel J., « La déontologie notariale », AJ fam. 2004, p. 348.
  • 14.
    Ord. n° 1710155/9, 13 juill. 2017.
  • 15.
    CE, 25 juin 2018, n° 412970, garde des Sceaux c/ M. B.
  • 16.
    CE, 10 févr. 1984, n° 12794, Mme Martin-Chagnon : Lebon T., p. 722.
  • 17.
    CE, 9 mai 2001, n° 215024, Brugeille : Lebon T., p. 1173.
  • 18.
    TA Melun, 17 nov. 2017, n° 178455.
  • 19.
    Arrêté du 3 décembre 2018 pris en application de l’article 52 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques pour la profession de notaire.
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