La régularisation de la preuve de la notification obligatoire posée en contentieux de l’urbanisme

Publié le 10/01/2018

Lorsqu’une requête est introduite devant lui, le juge administratif a toujours privilégié une position libérale visant à régulariser les requêtes qui ne présenteraient pas toutes les formes requises à leur validité afin que les requérants puissent accéder au prétoire. Toutefois, cette position libérale ne joue pas dans le contentieux spécifique de l’urbanisme dans lequel des règles précises ne sont que strictement régularisables. Cet arrêt illustre ainsi la rare possibilité de régulariser la preuve de la notification obligatoire (et non de régulariser la notification elle-même) en contentieux de l’urbanisme.

CE, 11 oct. 2017, no 406041, Association Comité de quartier Le Chateaubriand

Le présent arrêt est relatif à la régularisation d’une requête devant le juge administratif et, plus précisément, à la notification posée par l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme.

Pour rappel, en l’espèce, le maire de la commune du Plessis-Robinson avait accordé à une société un permis de construire pour détruire deux bâtiments et y construire 45 logements, un commerce et un parc de stationnement. En désaccord avec le projet, l’association Comité de quartier Le Chateaubriand a contesté le permis devant le juge administratif par un recours pour excès de pouvoir.

Le tribunal administratif a rejeté la demande au motif que l’association n’avait pas régularisé sa requête à la suite de la demande du juge. En effet, le tribunal avait demandé à l’association de justifier qu’elle avait bien accompli la formalité posée par l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme, justification qui n’avait pas été réalisée. Se pourvoyant en cassation devant le Conseil d’État, ce dernier constate qu’en réalité la demande de régularisation est revenue au tribunal avec la mention « destinataire inconnu à l’adresse », raison pour laquelle l’association n’avait pas pu régulariser sa requête et justifier de l’accomplissement de la formalité exigée par le Code de l’urbanisme. Partant, pour le Conseil d’État, le défaut de régularisation est dû à « une erreur des services postaux ». En conséquence, en retenant ce motif pour rejeter la requête, le tribunal s’est fondé sur « une circonstance matériellement inexacte ». Son ordonnance est annulée et l’affaire est renvoyée devant le tribunal administratif.

Par cette motivation, le Conseil d’État ajoute une dérogation à la régularisation très stricte de la justification de l’accomplissement posée à l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme. Afin de mettre en lumière cette dérogation, il convient de revenir sur la particularité du contentieux de l’urbanisme (I) avant d’analyser les conditions de régularisation possible dans ce contentieux particulier (II).

I – L’enjeu de la notification du recours dans le contentieux de l’urbanisme

Les dispositions de l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme, reprises à l’article R. 411-7 du Code de justice administrative, prévoient un mécanisme de notification dans un délai de 15 jours en cas de contestation d’un document d’urbanisme1. Selon ces dispositions, l’auteur d’un recours contre un tel document est tenu, sous peine d’irrecevabilité dudit recours, de le notifier au titulaire du document d’urbanisme. Notons également que l’auteur d’un recours administratif est également tenu de le notifier à peine d’irrecevabilité du recours contentieux qu’il pourrait intenter ultérieurement en cas de rejet du recours administratif. « Ces dispositions visent, dans un but de sécurité juridique, à permettre au bénéficiaire d’une autorisation d’urbanisme, ainsi qu’à l’auteur de cette décision, d’être informés à bref délai de l’existence d’un recours contentieux dirigé contre elle »2.

En effet, en 1992, le Conseil d’État avait mis en évidence que la multiplication des recours contre les permis de construire étaient souvent infondés, ou correspondaient à des querelles de voisinage ou étaient introduits pour faire chanter le titulaire contre le monnayage d’un renoncement au recours3. Cette multiplication était due à un défaut de sécurité juridique. Selon le Conseil d’État, « le bénéficiaire du permis de construire se trouvait dans une situation à la fois précaire et incertaine. Précaire, parce que le permis pouvait être remis en cause à l’occasion d’un recours contentieux introduit par un tiers. Incertaine, car le bénéficiaire du droit ignorait bien souvent si un recours contentieux avait été déposé. (…). Ainsi le déséquilibre est réel entre la situation excessivement précaire du titulaire d’un droit de construire, et celle d’un tiers requérant sur lequel ne pèse aucune responsabilité lors de l’introduction du recours devant le juge »4.

En conséquence, le Conseil d’État proposait d’instaurer une obligation au requérant de notifier le recours contre un document d’urbanisme sous peine de voir son recours irrecevable5.

L’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme a donc permis d’assainir le contentieux de l’urbanisme. Le juge administratif veille désormais scrupuleusement au respect de l’exigence de la notification du recours, dont la régularisation est très stricte. En effet, pour donner un effet plus utile à l’article R. 600-1 cité, le juge ne saurait transiger sur la notification du recours si celui-ci était effectué par exemple a posteriori du délai imparti.

II – La stricte régularisation de la justification de la notification du recours

La notification du recours à l’encontre d’un document d’urbanisme à son titulaire doit être réalisée dans un délai de 15 jours. Cette notification est obligatoire et ne souffre d’aucune exception.

En effet, il est impossible de régulariser l’absence de notification dès que le délai de 15 jours est dépassé si la notification n’a pas été effectuée6. Au regard de la portée libérale7 que donne le juge administratif à la régularisation des requêtes à des fins de bienveillance auprès du requérant8 pour des éléments liés à la représentation du requérant9 ou aux éléments de formes que sont les nom, domicile10 et signature11 des parties, la langue française de la requête12 ou la production du nombre suffisant de copies de la requête13, concernant la notification du recours en urbanisme son appréciation est au contraire rigide. Cela peut s’expliquer pour deux raisons.

Tout d’abord, là où le juge administratif est bienveillant envers les requérants profanes, il peut l’être moins pour ceux qui recourent contre des documents d’urbanisme si leurs desseins sont belliqueux.

Ensuite, il faut comprendre que le juge administratif se place sur le terrain du délai imparti (à l’instar d’une requête introduite tardivement) pour notifier le recours, délai court qui est de 15 jours. En effet, il convient d’assurer la sécurité juridique par la forclusion qui ne peut pas être régularisée14.

Concernant le contentieux de l’urbanisme, le délai de 15 jours est donc impératif pour notifier le recours. Le requérant ne pourra pas régulariser l’absence de notification après le délai de 15 jours. Mais notons qu’en cas de forclusion, il est possible de réitérer l’action en respectant le délai de 15 jours pour la notification tant que le délai de recours contentieux qui est de 2 mois n’est pas arrivé à expiration15.

Quant à la régularisation possible, elle porte seulement sur la justification de la notification : la preuve de la notification est régularisable jusqu’à la clôture de l’instruction16. Ainsi, l’accomplissement simultané de la notification et de la justification après le délai de 15 jours n’est pas non plus régularisable car la notification a été tardive17.

Le juge invite donc le requérant à régulariser le fait qu’il a bien effectué la notification. Il dispose ainsi pour ce faire d’un délai imparti qui ne peut être inférieur à 15 jours18. Conformément à l’article R. 222-1 du Code de justice administrative, ce n’est qu’à l’expiration de ce délai invitant à régulariser que la requête pourra être rejetée par ordonnance. En effet, comme l’indique le Conseil d’État dans l’arrêté commenté, « un président de formation de jugement d’un tribunal administratif peut, après avoir invité le requérant à régulariser sa requête en apportant la preuve de ce que, conformément aux dispositions de l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme, les notifications de la requête à l’auteur et au titulaire du permis de construire attaqué avaient été faites, rejeter cette requête comme manifestement irrecevable si à la date à laquelle il statue il constate que ces justifications n’ont pas été produites ».

Étant précisé que des obligations s’imposent au juge en cas de régularisation incorrecte ou d’absence de régularisation.

En premier lieu, sur la régularisation incorrecte, « lorsque l’auteur d’un recours entrant dans le champ d’application de l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme qui, n’ayant pas justifié de l’accomplissement des formalités de notification requises, a été invité à le faire par le greffe du tribunal administratif, adresse au tribunal, en réponse à cette invitation à régulariser, une lettre annonçant les justificatifs demandés, il appartient au greffe du tribunal, si les justificatifs annoncés ne figurent pas dans l’enveloppe reçue du requérant, d’en aviser ce dernier »19.

En second lieu, sur l’absence de régularisation, ce qui est le cas en l’espèce, encore faut-il que le défaut de régularisation provienne du requérant. En effet, il convient de rappeler que la demande de régularisation est faite par une lettre remise contre signature ou tout autre dispositif20 : il s’agit en effet de « protéger »21 le requérant qui doit pouvoir régulariser sa requête. Puisque le juge administratif doit permettre de faire connaître la demande de régularisation par tout moyen, la censure par le Conseil d’État en l’espèce est logique car le courrier est revenu au tribunal avec la mention « destinataire inconnu à l’adresse ». Le défaut de régularisation ne provient donc pas du chef de l’association, mais d’une erreur des services postaux. Le tribunal aurait dû demander une nouvelle régularisation pour que l’association prouve qu’elle avait bien effectué la notification visée à l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme. C’est pourquoi son ordonnance est annulée car « fondée sur une circonstance matériellement inexacte ».

Notes de bas de pages

  • 1.
    Notons que cette notification obligatoire n’est pas contraire à l’article 6 de la convention européenne des droits de l’Homme, CE, 5 avr. 2006, n° 266777, Mme B.
  • 2.
    CE, 13 mars 2015, n° 358677, Mme A.
  • 3.
    CE rapp., L’urbanisme pour un droit plus efficace, EDCE 1992, p. 98.
  • 4.
    Ibid.
  • 5.
    CE rapp., L’urbanisme pour un droit plus efficace, rapp. cit., p. 142.
  • 6.
    CE, avis, 6 mai 1996, n° 178473, Andersen.
  • 7.
    AJDA 1959, p. 157, concl. Fournier J. : CE, 26 juin 1959, n° 38299, Syndicat algérien de l’éducation surveillée CFTC – Gaz Pal. Rec., p. 399 ; Broyelle C., Contentieux administratif, 5e éd., 2017, LGDJ, p. 88.
  • 8.
    Odent R., Contentieux administratif 1953-1954, 1954, Les Cours de droit, p. 392-393 ; Odent R., Contentieux administratif, t. 1, 2007, Dalloz, rééd. du Contentieux administratif des années 1976-1980, p. 711 ; Chapus R., Droit du contentieux administratif, 13e éd., 2008, Montchrestien, p. 431.
  • 9.
    V. par ex. CE, 19 juill. 1933, nos 13232 et 14158, Scherer ; CE, 1er avr. 1938, nos 54715 et 54825, Sté L’alcool dénaturé de Coubert ; CE, 9 juill. 1997, n° 145518, Mlle Kang ; CE, 16 janv. 1998, n° 153558, Association « aux amis des vieilles pierres d’Aiglemont » ; CE, 23 déc. 1988, n° 70113, Cadilhac ; CE, 25 juill. 2008, n° 295437, Cardoso Lopes.
  • 10.
    CE, 10 déc. 1997, n° 171111, Pokou.
  • 11.
    CE, 18 déc. 1987, n° 89727, Abbate. Désormais la régularisation est possible par signature électronique depuis le dépôt des requêtes sur Télérecours (CE, 16 mars 2016, n° 389521, Mme B.) dont le dépôt est obligatoire pour certains requérants (D. n° 2016-1481, 2 nov. 2016, relatif à l’utilisation des téléprocédures devant le Conseil d’État, les cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs : JORF n° 257, 4 nov. 2016, texte n° 17).
  • 12.
    CE, 18 oct. 2000, n° 206341, Sté Max-Planck-Gesellschaft.
  • 13.
    CJA, art. R. 411-3. L’irrecevabilité de la requête pour défaut du nombre suffisant de copies n’est pas contraire à la convention européenne des droits de l’Homme dès lors que le juge administratif est dans l’obligation d’inviter le requérant à joindre les copies manquantes et ainsi à régulariser sa requête, CE, 19 nov. 2010, n° 325138, Société Lustucru-riz.
  • 14.
    CE, 22 oct. 1999, n° 156175, Association fonds mondial pour la nature-France et autres ; CE, 27 juill. 2005, n° 270577, M. X.
  • 15.
    CAA Paris, 16 oct. 2008, n° 07PA0122, Mme Y.-X. ; CE, 17 mars 2017, n° 397107, Association Novissen.
  • 16.
    CE, 19 déc. 2008, n° 297716, M. Montmeza c/ ministère de l’Écologie, Énergie, Développement durable et Aménagement du territoire ; CE, 18 oct. 2010, n° 314267, Destal c/ commune de Mérignac.
  • 17.
    CE, 5 avr. 2006, n° 266777, Duguet.
  • 18.
    CJA, art. R. 612-1.
  • 19.
    CE, 26 mai 2009, n° 316252, Mme B épouse A.
  • 20.
    CJA, art. R. 611-3.
  • 21.
    Chapus R., Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 438.
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