D’après le Conseil d’État, si en adoptant les dispositions prévues à l’article L. 146-4, I, du Code de l’urbanisme relatives à la loi Littoral, le législateur a entendu interdire en principe toute opération de construction isolée dans les communes du littoral, le simple agrandissement d’une construction existante ne peut être regardé comme une extension de l’urbanisation au sens de ces dispositions.
CE, 3 avr. 2020, no 419139
« Il est des lois auxquelles on ne touche qu’avec une main tremblante », écrivait Montesquieu. La loi Littoral en fait partie1. Au cas d’espèce2, le maire de la commune de l’Île de Batz (département du Finistère) avait accordé plusieurs permis de construire dont l’un concernait l’extension d’une maison d’habitation3. Un voisin situé à proximité, propriétaire de terrains non constructibles, avait attaqué devant le tribunal administratif de Rennes, puis devant la cour administrative de Nantes, l’arrêté de permis de construire accordé pour l’extension d’une maison d’habitation. Le Conseil d’État, saisi par une première requête avait annulé les arrêts rendus. Puis sur renvoi, la cour administrative d’appel avait rejeté les demandes de M. F. pour défaut d’intérêt à agir contre l’arrêté du maire de la commune de l’Île de Batz. Le Conseil d’État a été saisi à nouveau de l’affaire4. Pour la haute assemblée, le requérant avait bien intérêt à agir contre l’arrêté du maire accordant le permis de construire portant sur l’extension d’une maison d’habitation (II) qui constituait un simple agrandissement d’une construction existante ne présentant pas le caractère d’une extension de l’urbanisation « en continuité » (I).
I – L’agrandissement d’une construction existante ne présente pas le caractère d’une extension de l’urbanisation « en continuité »
Interprétation casuistique. Pour le Conseil d’État, le simple agrandissement d’une construction existante ne peut être regardé comme une extension de l’urbanisation « en continuité » (B) selon une interprétation casuistique des conseillers d’État (A).
A – L’interprétation casuistique de la notion d’extension d’urbanisation en « continuité »
L’extension de l’urbanisation en continuité avec les agglomérations conforme à la Constitution du 4 octobre 1958. Il convient de noter, de prime abord, que la notion d’extension de l’urbanisation en continuité avec les agglomérations et les villages a été jugée conforme à la Constitution à la suite du refus par le Conseil d’État de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel5. En effet, aux termes d’un arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Marseille il a été jugé que la libre administration des collectivités territoriales et la liberté d’entreprendre garantie par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, qui ne sont ni générales ni absolues, peuvent être limitées par le législateur si ces limites sont justifiées notamment par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi. De plus, les juges du fond soulignent qu’eu égard à l’intérêt général de l’objectif de préservation des espaces naturels et agricoles particulièrement fragiles des communes littorales, du fait notamment de la pression foncière, le législateur a pu légitimement limiter l’urbanisation de ces zones, sans interdire pour autant tout développement de l’activité économique sur l’ensemble du territoire communal6.
Interprétation casuistique de la notion d’extension d’urbanisation. On admet généralement que la règle d’urbanisation en continuité s’applique à l’ensemble du territoire de la commune littorale7. Au vrai, la notion de continuité, au sens de l’ancien article L. 146-4-1 du Code de l’urbanisme8, n’est pas toujours aisée à appliquer d’autant plus que la doctrine administrative ne permet pas de déterminer avec précision le champ d’application de ce texte9. On sait que la difficulté provient de la fixation de seuil à partir duquel un projet de construction ne se situe plus en continuité d’une agglomération ou d’un village existant10. À défaut d’homogénéisation jurisprudentielle impulsée par le Conseil d’État, l’interprétation de la notion d’extension d’urbanisation reste donc exclusivement casuistique et donne donc lieu à un contentieux abondant. C’est ainsi que la haute assemblée estime que l’édification d’un immeuble de cinq étages en centre-ville ne constitue pas une extension11. En revanche, un arrêt a jugé que la construction d’un bâtiment de 30 m2, relié à l’habitation préexistante par un couloir, est une construction neuve indépendante12.
B – Le simple agrandissement d’une construction existante ne peut être regardé comme une extension de l’urbanisation en « continuité »
Contiguïté et une seule et même enveloppe du bâti. En l’espèce, le projet litigieux consistait en la réalisation d’une extension de 42 m2 d’une construction existante à usage d’habitation disposant initialement d’une surface hors œuvre nette (SHON) de 105 m2. Sur la qualification juridique d’extension envisagée par le projet du pétitionnaire, il semble que l’extension mesurée des constructions réponde à des exigences issues d’une réponse du ministère de l’Égalité des territoires et du Logement datant du 20 février 201413. Il est logique qu’en l’absence d’un minimum de contiguïté entre la construction existante et le projet d’extension souhaité par le pétitionnaire l’extension soit refusée14. En d’autres termes, l’extension d’une construction est donc l’agrandissement d’une seule et même enveloppe bâtie15. En l’espèce, cette question n’était pas discutée.
Construction considérée comme nouvelle. L’examen de la jurisprudence du Conseil d’État révèle qu’une construction dont les dimensions sont comparables à celles du bâtiment auquel elle s’intègre est exclue de la qualification juridique d’extension16 ou la juxtaposition d’un nouveau bâtiment17.
Extensions démesurées. Selon la réponse du ministère de l’Égalité des territoires et du Logement (cité supra) s’agissant du terme « mesuré », la jurisprudence porte souvent sur des cas « démesurés ». Car pour le Conseil d’État, l’extension doit rester « subsidiaire par rapport à l’existant »18. Le Conseil d’État refuse le qualificatif de « mesuré » en fonction de l’importance de l’extension et de sa nature. Ainsi, ne sont pas des extensions mesurées : la réhabilitation et l’extension d’un bâtiment de 65,87 à 111 m219 ; la modification des volumes du bâtiment préexistant par une élévation de 2,83 à 5,27 m ; la création d’un nouvel espace habitable et d’une terrasse couverte20 ; l’accroissement de 73 % de l’emprise au sol d’un chalet et la création au premier étage d’une surface habitable jusque-là inexistante21 ; le passage de 76 à 168 m2 de la SHON existante22 ; une extension représentant 55 % de la surface existante23. En revanche, une extension de 30 % a été considérée comme « mesurée »24.
La notion de simple agrandissement d’une construction existante. Or en l’espèce, le projet litigieux qui consistait en la réalisation d’une extension de 42 m2 d’une construction existante à usage d’habitation disposant initialement d’une surface hors œuvre nette de 105 m2 semble donc être considéré comme une extension mesurée. Dans une note publiée dans La Semaine Juridique – Édition Administrations et collectivités territoriales, un auteur indiquait : « Les dispositions applicables aux zones littorales qui soumettent à certaines conditions l’extension de l’urbanisation ne sont pas applicables au “simple agrandissement” d’une construction existante, lequel ne peut être regardé comme une telle extension »25. L’auteur conclue ainsi : « En tout état de cause, une extension, comme ici, de 50 % environ du bâti existant reste dans les limites du “simple agrandissement” »26.

II – Recours contre l’autorisation d’agrandissement d’une construction existante ne présentant pas le caractère d’une extension de l’urbanisation « en continuité »
L’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme. Selon la haute assemblée, le propriétaire d’un terrain non construit est recevable, quand bien même il ne l’occuperait ni ne l’exploiterait, à former un recours pour excès de pouvoir contre l’autorisation d’agrandissement d’une construction existante (A). L’interprétation stricte de l’article L. 600-2-1 du Code de l’urbanisme implique-t-elle toujours un renforcement du caractère subjectif de l’intérêt à agir (B) ?
A – Intérêt actuel, personnel, pertinent et direct
Justifications de l’intérêt à agir du requérant. L’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme, prévoit « qu’une personne autre que l’État, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l’occupation ou à l’utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l’aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du Code de la construction et de l’habitation ». Il convient de souligner que le présent article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme a été modifié par la loi ÉLAN n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 en son article 80 publié au Journal officiel du 24 novembre 2018. Désormais le nouvel article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme élargit notablement l’application de cet article aux décisions relatives à l’occupation ou à l’utilisation du sol27. La jurisprudence a manifesté beaucoup de rigueur dans l’interprétation de cet article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme, les magistrats du Palais Royal ayant d’ailleurs rappelé les conditions de l’intérêt à agir dans le contentieux de l’urbanisme : « Considérant qu’il résulte de ces dispositions qu’il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien ; qu’il appartient au défendeur, s’il entend contester l’intérêt à agir du requérant, d’apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité ; qu’il appartient ensuite au juge de l’excès de pouvoir de former sa conviction sur la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci »28. Plus récemment, le Conseil d’État a jugé que le propriétaire d’un terrain non construit est recevable, quand bien même il ne l’occuperait ni ne l’exploiterait, à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager si, au vu des éléments versés au dossier, il apparaît que la construction projetée est, eu égard à ses caractéristiques et à la configuration des lieux en cause, de nature à affecter directement les conditions de jouissance de son bien29.
Le propriétaire d’un terrain non construit est recevable à agir. Revenant finalement sur cette analyse, le Conseil d’État juge désormais que M. F. justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour agir contre les permis de construire litigieux. Par suite, le moyen tiré de ce que le tribunal administratif aurait, à tort, admis une telle qualité doit être écarté.
B – Caractère subjectif de l’intérêt à agir du requérant ?
« Subjectivisation » et analyse in concreto de l’intérêt à agir contre l’autorisation d’urbanisme. Il est à peine besoin de rappeler que l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme a consacré une conception subjective de la qualité d’intérêt à agir du requérant qui doit justifier de la nature des atteintes qu’est susceptible de lui causer la construction projetée, ainsi que la réalité de l’affectation des conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien30. C’est ainsi qu’il ressort clairement de l’article 678 du Code civil que la loi interdit la jouissance d’une vue directe sur le fonds voisin à une distance inférieure qui se compte depuis le parement extérieur du mur où l’ouverture se fait et, s’il y a balcons ou autres semblables saillies, depuis leur ligne extérieure jusqu’à la ligne de séparation des deux propriétés31. Donc, le requérant doit démontrer que le projet lui cause personnellement un préjudice du fait de non-respect des distances prévues par l’article 678 du Code civil32. Au cas d’espèce, le requérant se prévalait de ce que les constructions autorisées étaient de nature à porter atteinte aux conditions de jouissance de son bien en ce qu’elles altéraient la qualité d’un site aux caractéristiques particulières, essentiellement naturel et identifié comme un espace remarquable au sens des dispositions de l’article L. 146-6 du Code de l’urbanisme, à l’intérieur duquel se trouvaient leurs terrains d’assiette et ses propres terrains. Le Conseil d’État estime qu’en jugeant, dans les circonstances particulières qui lui étaient soumises, que M. F., qui ne se bornait pas à invoquer de façon générale la qualité environnementale du site, ne se prévalait d’aucun intérêt lui donnant qualité pour contester les permis litigieux, la cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’une erreur de qualification juridique et la censure donc sur ce fondement. On a pu écrire à ce propos que : « Avec cet arrêt, il semble donc qu’on en revienne à une conception plus objective de l’intérêt à agir en matière d’urbanisme fondé sur la défense d’un environnement remarquable mais on s’éloigne par là même du caractère subjectif de l’intérêt à agir tel qu’il résulte de la version précitée de l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme »33.
Conclusion. On sait que les objectifs poursuivis par la notion d’extension de l’urbanisation en continuité sont de maintenir la continuité de l’urbain ainsi que de lutter contre le mitage et réduire les besoins de déplacement34. La jurisprudence du Conseil d’État est confrontée depuis de nombreuses années à des difficultés notables notamment en cas de constructions en zones diffuses. Comme le remarque d’ailleurs un auteur : « Ainsi par exemple le propriétaire d’une maison de 30 m2 dans une zone d’urbanisation diffuse, pourrait créer un agrandissement de plus de 100 m2, sans que cela constitue une extension de l’urbanisation au sens de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme »35. La recherche d’un meilleur équilibre entre protection et aménagement n’est pas aisée à atteindre !