Le défaut d’autorisation des travaux en copropriété par l’assemblée générale ne constitue pas une fraude du pétitionnaire

Publié le 04/05/2021

Une contestation relative au défaut d’autorisation des travaux par l’assemblée générale de la copropriété ne saurait caractériser une fraude du pétitionnaire visant à tromper l’administration sur la qualité qu’il invoque à l’appui de sa demande d’autorisation d’urbanisme.

CE, 23 oct. 2020, no 425457

Droit de l’urbanisme et droit de la copropriété. Dans cette affaire1, un copropriétaire souhaite transformer son garage en logement à usage d’habitation au sein d’un ensemble immobilier soumis au statut de la copropriété. Malgré le refus d’autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires d’effectuer ces travaux, le copropriétaire dépose une demande de permis de construire auprès du service d’urbanisme de la mairie de Paris. Le service instructeur de la mairie de Paris accorde le permis de construire au pétitionnaire. Le syndicat des copropriétaires demande au tribunal administratif de Paris d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 7 septembre 2016 par lequel le maire de Paris a accordé à M. A. un permis de construire pour la transformation en logement d’un garage situé à Paris, ainsi que la décision du 18 janvier 2017 ayant rejeté son recours gracieux contre cet arrêté. Le tribunal administratif annule le permis de construire aux motifs qu’en attestant de sa qualité pour déposer sa demande de permis de construire alors qu’il ne pouvait ignorer que les travaux, objet de la demande, nécessitaient l’accord préalable de l’assemblée générale des copropriétaires, ni davantage qu’à la date du dépôt de sa demande de permis de construire, il s’était vu refuser l’assentiment de l’assemblée générale des copropriétaires lors des deux réunions qui s’étaient tenues avec sa participation, M. A. s’était livré à une manœuvre frauduleuse entachant d’irrégularité le permis de construire qui lui a été délivré. Le Conseil d’État censure les premiers juges car le défaut d’autorisation des travaux par l’assemblée générale des copropriétaires n’est pas susceptible de caractériser une fraude visant à tromper l’Administration sur la qualité invoquée à l’appui de la demande de permis, si bien que le tribunal administratif a entaché son jugement d’une erreur de droit. Le Conseil d’État précise dans l’arrêt rapporté que la décision de l’assemblée générale des copropriétaires est sans incidence sur la qualité du copropriétaire pétitionnaire déposant une demande de permis de construire (I) en constatant que ce dernier est rendu sous réserve du droit des tiers (II).

I – La décision de l’assemblée générale des copropriétaires sans incidence sur la qualité du copropriétaire pétitionnaire

Caractérisation de la fraude en matière d’urbanisme. Pour le Conseil d’État, sous réserve de la fraude qui n’est pas caractérisée en l’espèce (B), le pétitionnaire qui fournit l’attestation prévue à l’article R. 431-5 du Code de l’urbanisme selon laquelle il remplit les conditions fixées par l’article R. 423-1 du même code doit être regardé comme ayant qualité pour présenter sa demande (A).

A – L’appréciation de l’attestation

On sait que « le permis de construire qui a une nature réelle est un acte individuel créateur de droit qui fait grief ». Pour autant, ce caractère réel du permis de construire n’efface pas totalement la personne du titulaire qui est prise en considération en matière de transfert de permis de construire2. Selon l’article R. 423-1 du Code de l’urbanisme le ou les propriétaires du ou des terrains, leur mandataire ou une ou plusieurs personnes attestant être autorisées par eux à exécuter les travaux peuvent avoir la qualité de pétitionnaires3.

L’une des questions les plus discutées à propos du recours contre la demande de permis de construire concerne la nature des obligations de produire à l’appui de la demande de permis de construire. Le pétitionnaire doit simplement informer le service instructeur des renseignements requis par l’article R. 431-5 du Code de l’urbanisme : « La demande de permis de construire précise : a) L’identité du ou des demandeurs ; b) L’identité de l’architecte auteur du projet, sauf dans les cas prévus à l’article R. 431-2 ; c) La localisation et la superficie du ou des terrains ; d) La nature des travaux ; e) La destination des constructions, par référence aux différentes destinations définies à l’article R. 123-9 ; f) La surface hors œuvre nette des constructions projetées, s’il y a lieu répartie selon les différentes destinations définies à l’article R. 123-9, ainsi que leur surface hors œuvre brute lorsque le projet n’est pas situé dans un territoire couvert par plan local d’urbanisme ou un document d’urbanisme en tenant lieu. La demande comporte également l’attestation du ou des demandeurs qu’ils remplissent les conditions définies à l’article R. 423-1 pour déposer une demande de permis »4. En l’espèce, selon le Conseil d’État, l’attestation fournie par la société pétitionnaire ne pouvait, alors qu’aucune manœuvre frauduleuse n’est alléguée, être écartée par l’autorité administrative pour considérer que le permis était illégal et pour procéder, pour ce motif, au retrait de ce permis. Le Conseil d’État a eu récemment l’occasion d’affirmer qu’il résulte des articles R. 423-1, R. 423-1 et L. 424-5 du Code de l’urbanisme que les demandes de permis de construire doivent seulement comporter l’attestation du pétitionnaire qu’il remplit les conditions définies à l’article R. 423-1 cité ci-dessus ; que les autorisations d’utilisation du sol, qui ont pour seul objet de s’assurer de la conformité des travaux qu’elles autorisent avec la législation et la réglementation d’urbanisme, étant accordées sous réserve du droit des tiers, il n’appartient pas à l’autorité compétente de vérifier, dans le cadre de l’instruction d’une demande de permis, la validité de l’attestation établie par le demandeur ; qu’ainsi, sous réserve de la fraude, le pétitionnaire qui fournit l’attestation prévue à l’article R. 423-1 du Code de l’urbanisme doit être regardé comme ayant qualité pour présenter sa demande5.

B – L’exclusion de la fraude du pétitionnaire-copropriétaire

1 – Fraude en matière urbanistique

Selon Marcel Waline, en vertu de l’adage Fraus omnia corrumpit, « une décision administrative qui n’aurait été obtenue que par fraude, en trompant l’Administration, pourrait donc être annulée », la fraude apparaissant comme l’un des « cas de nullité des actes administratifs »6. Pour autant, la fraude ne dispense pas l’Administration de respecter les règles du retrait relatives à la compétence7. C’est ainsi que l’autorité compétente pour opérer le retrait d’un acte administratif ne peut être que l’auteur de la décision, même s’il était incompétent pour la prendre8. Il a été suggéré en droit de l’urbanisme que la qualification d’un acte obtenu de manière frauduleuse ne peut jamais produire d’effet juridique et n’acquiert aucun caractère définitif9. En l’espèce, le Conseil d’État estime qu’une contestation relative au défaut d’autorisation des travaux par l’assemblée générale de la copropriété ne saurait caractériser une fraude du pétitionnaire visant à tromper l’administration sur la qualité qu’il invoque à l’appui de sa demande d’autorisation d’urbanisme, l’absence d’une telle autorisation comme un refus d’autorisation des travaux envisagés par l’assemblée générale étant, par eux-mêmes, dépourvus d’incidence sur la qualité du copropriétaire à déposer une demande d’autorisation d’urbanisme et ne pouvant être utilement invoqués pour contester l’autorisation délivrée.

2 – La position du Conseil d’État

On signalera que la haute assemblée a jugé récemment10 qu’il résulte de ces dispositions que, sous réserve de la fraude, le pétitionnaire qui fournit l’attestation prévue à l’article R. 431-5 du Code de l’urbanisme selon laquelle il remplit les conditions fixées par l’article R. 423-1 du même code doit être regardé comme ayant qualité pour présenter sa demande. Il résulte également de ces dispositions qu’une demande d’autorisation d’urbanisme concernant un terrain soumis au régime juridique de la copropriété peut être régulièrement présentée par son propriétaire, son mandataire ou par une ou plusieurs personnes attestant être autorisées par lui à exécuter les travaux, alors même que la réalisation de ces travaux serait subordonnée à l’autorisation de l’assemblée générale de la copropriété, une contestation sur ce point ne pouvant être portée, le cas échéant, que devant le juge judiciaire. Une telle contestation ne saurait, par elle-même, caractériser une fraude du pétitionnaire entachant d’irrégularité la demande d’autorisation d’urbanisme.

Copropriété
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II – Le permis de construire délivré sous réserve du droit des tiers

Réserve du droit des tiers et protection de la séparation des législations. Le permis de construire est délivré sous réserve du droit des tiers (A), si bien que toute personne s’estimant lésée par la méconnaissance du droit de propriété ou d’autres dispositions de droit privé peut faire valoir ses droits en saisissant les tribunaux civils, même si le permis respecte les règles d’urbanisme (B).

A – La réserve du droit des tiers en matière d’urbanisme

Il est de jurisprudence constante que le permis, qui est délivré sous réserve des droits des tiers, a pour seul objet d’assurer la conformité des travaux qu’il autorise avec la réglementation d’urbanisme11. Cela signifie que si l’Administration et le juge administratif doivent, par exemple, pour l’application des règles d’urbanisme relatives à la desserte et à l’accès des engins d’incendie et de secours, s’assurer de l’existence d’une desserte suffisante de la parcelle par une voie ouverte à la circulation publique et, le cas échéant, de l’existence d’un titre créant une servitude de passage donnant accès à cette voie, il ne leur appartient de vérifier ni la validité de cette servitude ni l’existence d’un titre permettant l’utilisation de la voie qu’elle dessert, si elle est privée, dès lors que celle-ci est ouverte à la circulation publique12. Dans la même veine, il a été jugé au regard de l’article R. 423-1 du Code de l’urbanisme que le service instructeur se limite à contrôler la présence et la régularité purement externe de l’attestation, mais ne procède à aucun contrôle de fond, l’objectif étant de réduire les formalités13. Toutefois, on remarquera que si l’Administration est en mesure de démontrer que le demandeur n’est pas propriétaire du terrain d’assiette du projet, elle doit refuser de statuer sur la demande14. Le Conseil d’État rappelle, à bon escient, en l’espèce que le permis est délivré sous réserve du droit des tiers, il vérifie la conformité du projet aux règles et servitudes d’urbanisme, il ne vérifie pas si le projet respecte les autres réglementations et les règles de droit privé.

B – Le juge privé et le droit de l’urbanisme

1 – Illustration : le juge civil compétent

On enseigne généralement : « qu’un particulier lésé par une construction litigieuse peut fonder son action en responsabilité civile sur le non-respect, par le constructeur, d’une règle de hauteur, de reculement, de prospect, ou même de densité peut-être, mais qu’il ne peut utilement faire état de la méconnaissance des règles procédurales : l’absence de permis de construire ou l’irrégularité du permis, si elles ne s’accompagnent pas de la violation d’une règle de fond, ne peuvent être invoquées par le voisin au soutien de son action »15.

2 – Appréciation par le juge pénal : l’exception d’illégalité

Par un arrêt rendu le 21 novembre 2017, la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que saisie sur le fondement de l’article 710 du Code de procédure pénale d’un incident contentieux relatif à l’exécution, la justice pénale était compétente en vertu de l’article 111-5 du Code pénal, pour apprécier, par voie d’exception, la légalité d’un acte administratif16. Dans cette espèce, la Cour de cassation confirme la recevabilité de l’exception d’illégalité en constatant que la cour d’appel a fait l’exacte application de l’article 111-5 du Code pénal, pour apprécier la légalité du retrait du permis de construire.

Conclusion. Force est de conclure qu’un permis de construire délivré à défaut d’autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires n’est pas pour autant frauduleux. Mais, comme l’a relevé une doctrine autorisée : « L’ignorance du droit privé est totale puisque même la fraude est inapplicable en l’espèce »17.

Notes de bas de pages

  • 1.
    « La demande de permis de construire n’est pas frauduleuse même si la copropriété a refusé les travaux », efl.fr, La Quotidienne, 8 déc. 2020. L. Erstein L’étanchéité à la copropriété de l’autorisation de construire, JCP N 2020, 923. H. Périnet-Marquet, « Permis de construire et copropriété : l’ignorance érigée en dogme (CE, 2e-7e ch. réunies, 23 oct. 2020, n° 425457 : JurisData n° 2020-016871), Constr.-Urb. 2020, repère 10 ; J.-M. Pastor, « L’attestation inexacte du pétitionnaire ne fait pas de lui un fraudeur », AJDA 2020. 2053. L. Giudicelli, « La qualité d’un copropriétaire pour déposer une demande de permis de construire », 10 avr. 2020, https://lext.so/hLZxbD.
  • 2.
    P. Billet, JCP A 2004, n° 1810 ; P.-L. Niel, « Le permis de construire ne peut être transféré qu’avec l’accord du bénéficiaire initial », Defrénois 30 mai 2005, n° 38163, p. 866.
  • 3.
    « Le bénéficiaire d’une promesse de vente peut-il demander un permis de construire ? », https://www.ascb-avocat.fr.
  • 4.
    « Le bénéficiaire d’une promesse de vente peut-il demander un permis de construire ? », https://www.ascb-avocat.fr.
  • 5.
    P. Cornille, « Retrait pour fraude dans l’attestation de la qualité pour demander le permis », Constr.-Urb. 2017, comm. 145.
  • 6.
    M. Waline, « Récits de droit administratif », Le Lamy Mobilité Internationale, t. 1, 1969, p. 326 ; M. Lombard, « Les limites de l’application du principe “Fraus omnia corrumpit” en droit administratif français », LPA 18 janv. 1995, p. 17.
  • 7.
    J.-Y. Vincent et Molinero L., « Acte administratif unilatéral – Application dans le temps », fasc. 108-30, n° 78.
  • 8.
    J.-Y. Vincent et Molinero L., « Acte administratif unilatéral – Application dans le temps », JCl. Administratif, fasc. 108-30, n° 78.
  • 9.
    J.-L. Maillot, « Erreur et tentative de fraude dans les demandes d’autorisation d’urbanisme », LPA 17 déc. 1997, p. 14.
  • 10.
    CE, 3 avr. 2020, n° 422802.
  • 11.
    CE, 6e-1re ss-sect. réunies, 9 mai 2012, n° 335932.
  • 12.
    CE, 6e-1re ss-sect. réunies, 9 mai 2012, n° 335932.
  • 13.
    CE, 6e-1re ss-sect. réunies, 6 déc. 2013, n° 354703. « Le bénéficiaire d’une promesse de vente peut-il demander un permis de construire ? », https://www.ascb-avocat.fr.
  • 14.
    J.-L. Bergel, « Régime antérieur à la réforme des autorisations d’urbanisme entrée en vigueur le 1er octobre 2007 », in Le Lamy droit immobilier, 2007.
  • 15.
    F. Chenot, « Le juge civil et la violation des servitudes d’urbanisme », Gaz. Pal. 3 juill. 2001, n° C4116, p. 3.
  • 16.
    P.-L. Niel, « Compétence du juge pénal pour apprécier, par voie d’exception, la légalité du retrait de permis de construire », LPA 2 mars 2018, n° 133t1, p. 8.
  • 17.
    H. Périnet-Marquet, « Permis de construire et copropriété : l’ignorance érigée en dogme (CE, 2e-7e ch. réunies, 23 oct. 2020, n° 425457 : JurisData n° 2020-016871), Constr.-Urb. 2020, repère 10.
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