Projet de loi ELAN : pourquoi la loi Littoral revient-elle dans le débat parlementaire ?

Publié le 04/07/2018

La discussion du projet de loi ELAN a pris une tournure imprévue ces dernières semaines en raison du vote d’amendements intégrant au texte des dispositions visant à assouplir l’application de la loi Littoral du 3 janvier 1986. Pour l’essentiel, les députés ont souhaité rétablir les conditions d’une nouvelle densification des espaces urbanisés de faible taille des communes littorales. Initialement tolérée par le juge administratif, la réalisation de constructions nouvelles au sein des « hameaux » a depuis lors été systématiquement sanctionnée depuis 2013. Cette nouvelle sévérité du juge dans le contrôle de conformité de toute opération d’urbanisme à la loi Littoral a pu décontenancer bien des élus locaux en contrariant les prévisions des documents d’urbanisme opposables. Plus qu’une remise en cause de la loi littoral, l’article 12 quinquies du projet de loi ELAN vise à un retour à l’apaisement dans les relations entre l’autorité compétente en matière d’urbanisme et le juge de l’excès de pouvoir à propos du devenir des espaces littoraux faiblement construits.

La discussion en séance publique du projet de loi Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN) a commencé le 30 mai dernier devant l’Assemblée nationale. Pour mémoire, le gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce texte le 4 avril 2018 et celui-ci a été immédiatement renvoyé pour examen devant la commission des affaires économiques.

Toutefois, entre la version du texte présentée par le gouvernement et celle débattue en première lecture dans l’hémicycle, des différences notables apparaissent. Et si le projet de loi ELAN ne portait initialement aucune disposition proposant de réformer la loi Littoral, des adaptations à l’emblématique texte du 3 janvier 1986 se sont retrouvées finalement dans un article additionnel.

La commission des affaires économiques a voté un amendement n° CE 2235 proposant, après l’article 12 du projet de loi, d’insérer un nouvel article 12 quinquies modifiant le chapitre du Code de l’urbanisme consacré à l’aménagement et à la protection du littoral1. Cet amendement a été défendu devant la commission par Hervé Pellois, député de la première circonscription du Morbihan, lors de sa réunion du 16 mai2. Julien de Normandie, secrétaire d’État auprès du ministre de la Cohésion des territoires, a justifié l’avis favorable du gouvernement sur celui-ci en affirmant qu’il permettait « d’avancer en réglant de manière pragmatique un problème spécifique à certains territoires »3.

Le texte issu de la commission a été amendé à son tour lors du débat en séance publique. L’article 12 quinquies voté en première lecture par l’Assemblée nationale lors du scrutin n° 745 à l’occasion de la séance du 1er juin 2018 va moins loin que prévu dans l’adaptation de la loi littoral4. Plusieurs dérogations à ses dispositions introduites en commission, valables en outre-mer et en métropole, ont été supprimées. Tel est le cas des dérogations relatives à la construction ou l’installation d’équipements collectifs dans les territoires « ultra-marins » et « insulaires de métropole », ou bien encore de l’extension aux projets photovoltaïques, votée en commission par la majorité contre l’avis du gouvernement, des dérogations jusqu’alors circonscrites aux seuls projets éoliens.

Cependant, le principe de la densification des « dents creuses » est maintenu, même si le texte lui oppose désormais des conditions plus contraignantes que dans la version votée en commission. En l’adoptant, les députés entendent permettre des constructions nouvelles dans des interstices disponibles au sein de ces secteurs urbanisés, appelés « hameaux » dans le lexique de la loi littoral, dont la faible taille les distingue des « villages » et « agglomérations ». Pour y parvenir, le projet de loi ELAN redonne aux documents d’urbanisme une plus grande autorité dans l’application de la loi littoral, autorité dont il faut bien admettre qu’elle s’est trouvée largement contestée par la jurisprudence administrative depuis quelques mois.

Comme on pouvait s’y attendre, le vote de l’article 12 quinquies a provoqué une déflagration médiatique. Présenté comme un ajustement nécessaire par les uns, il serait un véritable « détricotage » de la loi pour bétonner le littoral aux dires des autres. Pour tenter de calmer les esprits, Nicolas Hulot, ministre d’État de la Transition écologique et solidaire, et Jacques Mezard, ministre de la Cohésion des territoires, ont cru utile de rappeler dans un communiqué de presse « leur plus grand attachement à la loi littorale »5.

Nous n’entendons rejoindre ici aucun de ces deux camps. Tel n’est pas notre propos. L’analyse des causes de cette réforme est à nos yeux plus stimulante que l’affirmation d’une position à l’égard de celle-ci. Il est à ce titre une question initiale absolument indispensable à la compréhension des enjeux du débat : pourquoi la loi Littoral revient-elle subitement dans l’enceinte parlementaire ? La question se pose d’autant plus que ce débat s’est engagé de manière presque fortuite. Le projet de loi ELAN déposé par le gouvernement et son étude d’impact n’en traitaient d’aucune façon.

La réponse est à rechercher selon nous dans une volonté de la majorité de reprendre la main sur l’application des dispositions du texte du 3 janvier 1986. Ses termes très généraux ont toujours nécessité une interprétation décisive pour permettre leur application à un littoral français très disparate. Or la lecture du texte peut diverger entre l’autorité compétente en matière d’urbanisme, autrement dit le maire, et le juge de l’excès de pouvoir. Cet aléa laisse planer une incertitude déroutante sur la localisation des droits à bâtir dans les communes littorales. La situation est jugée préoccupante, pour ne pas dire intolérable, par les élus des territoires littoraux. Le constat n’est d’ailleurs pas le seul fait de la majorité. Le député d’opposition de la 7e circonscription d’Ille-et-Vilaine, Gilles Lurton, a ainsi pointé du doigt « ces situations (…) vécues comme des injustices par les élus locaux et les habitants qui comprennent difficilement leur justification [et qui] sont également sources de conflits juridiques, lorsque des personnes ayant acquis en toute bonne foi des terrains classés comme constructibles, en pensant réellement pouvoir construire dessus, ont obtenu de la part des élus locaux les permis de construire nécessaires, en toute bonne foi également, et ont construit leur maison avant de se voir condamnées, suite à un recours, quelques années plus tard, à détruire les bâtiments »6.

L’adaptation de la loi Littoral forme une réponse à deux mouvements jurisprudentiels récents ayant contribué, d’une part, à interdire la densification des secteurs d’habitat diffus (I) et, d’autre part, à disqualifier les documents d’urbanisme dans la mise en œuvre de ses dispositions (II). L’analyse des termes de l’article 12 quinquies du projet de loi ELAN prouve que celui-ci constitue bel et bien un tempérament à ces évolutions jurisprudentielles (III).

I – La densification des secteurs d’habitat diffus interdite en 2013

Pierre angulaire de l’arsenal littoral, l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme établit que « l’extension de l’urbanisation se réalise soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement ». Le deuxième cas de figure s’avère très délicat à envisager. Les caractéristiques de ce que les spécialistes dénomment les « HNIE » sont tellement difficiles à identifier que leur emploi a toujours été d’une grande insécurité juridique dans les documents d’urbanisme depuis plus de 30 ans. Le juge administratif a longtemps préféré définir négativement cette notion en disant ce que le HNIE n’est pas. Dans un arrêt du 3 avril 2014 Commune de Bonifacio7, le Conseil d’État en a précisé les contours en exigeant que les constructions susceptibles de s’y établir forment « un ensemble dont les caractéristiques et l’organisation s’inscrivent dans les traditions locales »8. Nous n’en traiterons pas. Y compris, parce que l’article 12 quinquies, I, 2°, du projet de loi ELAN9 propose sa suppression pure et simple.

A – L’extension de l’urbanisation limitée aux agglomérations et villages

En commune littorale, à l’exception des terrains situés dans la bande littorale des cent mètres et dans les espaces proches du rivage relevant respectivement des articles L. 121-16 et L121-13 du Code de l’urbanisme, l’extension de l’urbanisation ne peut être réalisée que par « greffe » à partir de secteurs urbanisés d’importance que sont les « agglomérations » et « villages ».

Pour aborder ces notions visées mais non définies à l’article L. 121-8, il peut être utile de se référer autant à la jurisprudence qu’à la circulaire du 14 mars 2006 relative à l’application de la loi littoral10. Pour aller à l’essentiel, nous nous permettons de nous référer au fascicule mis en ligne et actualisé par les services déconcentrés de l’État en Bretagne et intitulé : Référentiel loi Littoral. Extension de l’urbanisation en continuité avec les agglomérations et les villages existants11.

Il en résulte que l’« agglomération » forme en réalité le bourg central qui caractérise la commune. Sauf exception, il ne peut donc n’y avoir qu’une seule agglomération par commune. Au gré des décisions, la notion s’est trouvée façonnée et peut se définir comme un ensemble à caractère urbain composé de quartiers centraux d’une densité relativement importante comprenant un centre-ville ou un bourg et des quartiers de densité moindre, présentant une continuité dans le tissu urbain. Manifestement, quelques constructions dispersées situées en périphérie d’un village ne constituent pas une agglomération12. De la même manière, un ensemble d’habitations situé à l’extérieur d’un village et dépourvu des équipements ou lieux collectifs qui caractérisent un bourg ne constitue pas une agglomération13.

De même, le « village » est classiquement défini comme « un noyau traditionnel assez important pour avoir une vie propre tout au long de l’année »14. De taille plus importante que le hameau, le village doit accueillir ou avoir accueilli par le passé des éléments de vie collective : une place, une église, quelques commerces de proximité ou services publics par exemple, et ce même si ces derniers n’existent plus compte tenu de l’évolution des modes de vie15.

B – Les constructions nouvelles interdites en urbanisation diffuse (CAA Nantes, 2013, Landéda)

Longtemps, la réalisation de constructions isolées au sein de secteurs d’habitat isolés, trop faibles pour être qualifiés d’agglomération ou de villages, a été tolérée si elle consistait dans le comblement de « dent creuses ». La densification raisonnable d’un hameau n’était pas alors assimilée par la jurisprudence à une extension de l’urbanisation. À l’inverse, de telles constructions n’étaient pas admises si elles étaient susceptibles de contribuer à un étalement de cet îlot d’urbanisation.

Le juge administratif va cependant procéder à un revirement de jurisprudence en 2013. Pour la première fois, la cour administrative d’appel de Nantes, dans un arrêt Commune de Landéda16, sanctionne un projet de construction situé sur une parcelle entourée de terrains déjà bâtis dans un hameau de cette commune située dans le Finistère. La Cour qualifie tout d’abord l’environnement du projet et considère que si le terrain d’assiette de la construction autorisée par le permis de construire litigieux « est situé en son centre et est bordé sur ses quatre côtés par des maisons d’habitation, cet ensemble épars de constructions ne saurait être regardé comme constituant une agglomération ou un village » au sens de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme. Le projet ne se situe donc pas en continuité d’agglomérations ou de villages existants. Il est insusceptible d’être regardé comme la réalisation d’un hameau nouveau intégré à l’environnement. En conséquence, et alors même qu’elle est localisée au centre d’une enveloppe bâtie, la parcelle servant d’assiette au projet de construction est située dans une zone d’urbanisation diffuse. Elle ne peut en conséquence accueillir une construction nouvelle à destination d’habitation.

Depuis lors, la cour administrative d’appel de Nantes a eu maintes fois l’occasion de confirmer cette position. Dans un arrêt Commune de Larmor Baden de 201517, elle a estimé par exemple qu’une parcelle, bien que bordée sur trois de ses côtés par des parcelles bâties, pouvait n’appartenir ni à un village ni à une agglomération, de sorte que la construction projetée située en zone diffuse méconnaissait les dispositions précitées de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme.

Cette position jurisprudentielle va emporter de graves conséquences puisqu’elle est susceptible de contredire les prévisions de documents d’urbanisme en cours d’application, particulièrement ceux autorisant l’implantation de constructions d’habitation dans des espaces faiblement bâtis. La fermeté du juge implique en effet que la localisation des droits à bâtir dans le cadre du règlement graphique, encore appelé plan de zonage, soit précédée d’une appréciation minutieuse des différentes typologies d’espaces bâtis présents sur le territoire. Dans le cas contraire, un plan local d’urbanisme s’avérerait incompatible avec les dispositions de la loi Littoral à laquelle doivent se conformer pourtant tous les projets d’aménagement et de construction.

II – La disqualification des PLU incompatibles par le Conseil d’État en 2017

Le Code de l’urbanisme prévoit qu’il incombe aux documents de planification des territoires littoraux de déterminer les conditions d’application de la loi littoral, notamment en procédant à la qualification par catégories des espaces urbanisés et en les répartissant entre agglomération(s), villages et hameaux. Ces appellations essentielles pour la localisation des droits à bâtir ne sont pourtant pas définies dans le code.

En vertu de l’article L. 131-1, les schémas de cohérence territoriale (SCoT) doivent être compatibles avec les dispositions de la loi Littoral. Ceux-ci peuvent fixer au sein de leur document d’orientation et d’objectifs des « orientations fondamentales de l’aménagement, de la protection et de la mise en valeur du littoral », lesquelles prendront alors la forme d’un chapitre individualisé valant schéma de mise en valeur de la mer18.

Le plan local d’urbanisme (PLU) doit, quant à lui, être compatible avec le SCoT selon l’article L. 131-4 du Code de l’urbanisme et donc compatible avec ses prévisions relatives au littoral. Il lui appartient d’opérer une localisation des droits à bâtir dans son règlement graphique qui intègre correctement la qualification des différents espaces urbanisés au sein du SCoT. En conséquence, et au moins « sur le papier », les autorisations d’urbanisme délivrées en conformité avec le PLU ne peuvent être que conformes à la loi Littoral.

La réalité peut s’avérer pourtant plus nuancée et les auteurs de PLU et de SCoT se livrent parfois à une interprétation si libérale de la loi Littoral que l’édifice juridique issu de la combinaison des articles L. 131-1, L. 131-4 et L. 152-1 du Code de l’urbanisme, dont la logique est théoriquement incontestable, peut être privé en grande partie d’effets.

C’est ce qui a amené le Conseil d’État à rappeler les conséquences qu’il attachait aux dispositions de l’article L. 121-3 du Code de l’urbanisme. Dans un arrêt très important relatif à deux permis de construire délivrés par le maire de la commune de Talloires19, les juges du Palais-Royal ont, comme qui dirait, frappé du poing sur la table en affirmant que les documents d’urbanisme ne peuvent pas jouer le rôle d’écran entre la loi Littoral et les décisions individuelles adoptées par l’autorité compétente en matière d’urbanisme.

Dans cette décision largement commentée20, le Conseil d’État commence par rappeler « qu’il appartient à l’autorité administrative chargée de se prononcer sur une demande d’autorisation d’occupation ou d’utilisation du sol (…), sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, de la conformité du projet avec les dispositions du Code de l’urbanisme particulières au littoral »21. En conséquence, toute demande de permis de construire doit être instruite de façon à s’assurer de la conformité du projet faisant l’objet de la demande aux dispositions de la loi littoral.

Dès lors, la conformité du projet aux dispositions du PLU opposable n’est pas à elle seule révélatrice de la régularité de l’autorisation, laquelle peut dans le même temps s’avérer non conforme aux dispositions de la loi littoral. La haute juridiction administrative estime à ce sujet que « la circonstance qu’une telle décision individuelle relative à l’occupation ou à l’utilisation du sol respecte les prescriptions du plan local d’urbanisme ne suffit pas à assurer sa légalité au regard des dispositions directement applicables des articles L. 121-1 et suivants »22.

Le terrain d’assiette du bâtiment projeté par la société requérante est situé à l’extrémité nord-est d’un lieu-dit dénommé « Les Granges », lequel, compte tenu du nombre limité de constructions qui le composent et en l’absence en son sein de services ou équipements collectifs, doit être regardé non comme un village mais comme un simple hameau. Dans ces conditions, ce bâtiment, alors même qu’il est proche de certaines des autres constructions du hameau, constitue une extension de l’urbanisation ne s’inscrivant ni en continuité avec une agglomération ou un village existant.

Pour refuser la délivrance du permis de construire sollicité, le maire de Talloires a pu légalement se fonder sur la méconnaissance par la construction envisagée des dispositions de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme, alors même que le terrain d’assiette était situé dans une zone ouverte à l’urbanisation du PLU opposable.

Il en ressort que les documents d’urbanisme, au premier rang desquels se situent les PLU, peuvent tout à fait voir leurs dispositions écartées au profit d’une application directe de la loi Littoral en cas d’incompatibilité avérée, notamment s’ils permettent la réalisation de constructions nouvelles dans des secteurs faiblement denses en appliquant à ces derniers un zonage « U », « Ah » ou « Nh ». Le juge estime qu’il convient en pareil cas de refuser l’autorisation d’urbanisme sollicitée alors qu’elle devrait être accordée en vertu du document d’urbanisme.

III – La densification planifiée des secteurs urbains non constitutifs de villages ou d’agglomérations avec le projet de loi ELAN

Le projet de loi ELAN forme une réponse politique à ces dernières évolutions jurisprudentielles. Les députés souhaitent en effet desserrer l’étau de la loi Littoral sur les « espaces urbanisés intermédiaires » et réaffirmer dans le même temps le rôle des documents de planification dans l’application de ses dispositions, ce qui quelque part tend à réaffirmer le rôle des auteurs desdits documents : à savoir les élus locaux.

A – Les ajouts apportés aux articles L. 121-3 et L. 121-8 du Code de l’urbanisme

Le projet de loi modifie les articles L. 121-3 et L. 121-8 du Code de l’urbanisme.

L’article L. 121-3 est complété par un nouvel alinéa rédigé ainsi : « Le schéma de cohérence territoriale précise, en tenant compte des paysages, de l’environnement, des particularités locales et de la capacité d’accueil du territoire, les modalités d’application des dispositions du présent chapitre. Il détermine les critères d’identification des villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés prévus à l’article L. 121-8, et en définit la localisation »23.

Deux alinéas supplémentaires sont ajoutés à l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme. Le premier établit le principe même de la densification des hameaux : « Dans les secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages identifiés par le schéma de cohérence territoriale et délimités par le plan local d’urbanisme, des constructions et installations peuvent être autorisées, en dehors de la bande littorale de cent mètres, des espaces proches du rivage et des rives des plans d’eau mentionnés à l’article L. 121-13, à des fins exclusives d’amélioration de l’offre de logement et d’implantation de services publics, lorsqu’elles n’ont pas pour effet d’étendre le périmètre bâti existant ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti. Ces secteurs se distinguent des espaces d’urbanisation diffuse par leur densité et leur caractère structuré »24.

Le second prévoit cependant l’exception suivante : « L’autorisation est refusée lorsque ces constructions et installations sont de nature à porter atteinte à l’environnement ou aux paysages ». Il s’agit d’un ajout intégré par voie d’amendement au cours de la discussion en séance publique25.

B – Les conditions opposées à la densification des « dents creuses »

Le projet de loi ELAN vise donc tout bonnement un retour à la situation antérieure à 2013. À ce sujet, l’exposé des motifs de l’amendement n° CE 2235 adopté en commission ne laisse planer aucun doute : « Il est encore proposé de répondre aux demandes relatives à la possibilité de densifier les formes urbaines intermédiaires entre le village et l’urbanisation diffuse, soit la problématique du comblement des « dents creuses » dans des territoires fortement marqués par une urbanisation dispersée ».

Toutefois, le texte entoure ce retour à la densification des « dents creuses » d’un certain nombre de conditions qui ont trait respectivement à la localisation du secteur, à la qualité de l’urbanisation préexistante, à la planification préalable de la densification, au caractère relatif de celle-ci, à la destination des constructions susceptibles d’être admises et, enfin, à leur impact sur le paysage et l’environnement.

La première est une condition relative à la localisation de l’espace. Les secteurs susceptibles d’être densifiés ne peuvent se situer ni dans la bande littorale ni dans les espaces proches du rivage. Cette précision a été insérée au texte de l’article 12 quinquies par un amendement présenté par le gouvernement au cours de la discussion en séance publique26.

La deuxième condition exige une urbanisation préexistante de cet espace qui puisse servir de greffe à la densification. Les secteurs susceptibles d’être densifiés doivent présenter « une densité et un caractère structuré » pour qu’ils puissent être aisément distingués des espaces d’urbanisation diffuse. Un secteur rural comportant quelques habitations éparses ne peut donc pas être qualifié de la sorte. Le projet de loi ELAN circonscrit donc la densification aux seuls hameaux.

La troisième condition impose que l’urbanisation ait été planifiée. Les hameaux susceptibles d’être densifiés doivent avoir été identifiés au préalable par le SCoT et délimités par le PLU par un zonage dédié. Cette combinaison des prévisions du SCoT et du PLU en matière de densification de ce que l’on a coutume d’appeler les « gisements de foncier » a déjà été établie de manière générale par la loi Alur du 24 mars 2014. En vertu de l’article L. 141-3 du Code de l’urbanisme, les SCoT doivent identifier, en prenant en compte la qualité des paysages et du patrimoine architectural, les espaces dans lesquels les plans locaux d’urbanisme doivent analyser les capacités de densification et de mutation en application de l’article L. 151-4 du Code de l’urbanisme27.

La quatrième condition vise à garantir le caractère relatif de la densification admise. Les constructions autorisées ne doivent pas contribuer à étendre le périmètre bâti ni à le modifier de façon significative. Autrement dit, le ou les projet(s) ne doi(ven)t pas constituer une extension de l’urbanisation. On remarquera que le législateur emprunte ici les termes de la jurisprudence dite Soleil d’Or28, selon laquelle une opération située dans un espace déjà urbanisé ne peut être regardée comme une extension de l’urbanisation que « si elle conduit à étendre ou à renforcer de manière significative l’urbanisation de quartiers périphériques ou si elle modifie de manière importante les caractéristiques d’un quartier, notamment en augmentant sensiblement la densité des constructions »29.

La cinquième condition restreint, quant à elle, les destinations des constructions susceptibles d’être accueillies. La densification rendue possible ne peut répondre qu’à des fins exclusives d’amélioration de l’offre de logement et d’implantation de services publics. Deux destinations parmi les cinq détaillées à l’article R. 151-27 sont donc permises : habitation et services publics. Ceci exclut en retour – de manière tout à fait logique – les constructions à destination d’exploitation agricole et forestière, mais aussi les commerces et activités de service ainsi que les autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire. Toutefois, dans la destination « habitation », seuls les projets répondant à la sous-destination « logement », au sens de l’article R. 151-28 du Code de l’urbanisme, seront admis. Les constructions répondant à la sous-destination « hébergement » en sont donc exclues.

La sixième condition rappelle enfin que les constructions ne doivent pas porter atteinte à l’environnement ou au paysage. Cet amendement, qualifié d’« amendement de précision » par ses auteurs tirés des rangs de l’opposition, a selon nous une portée assez symbolique. Son utilité au plan purement juridique est contestable. Un article d’ordre public du règlement national d’urbanisme, l’article R. 111-27, dispose déjà que sur l’ensemble du territoire national : « Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l’aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales ». Intégrée au projet de loi ELAN, cette condition n’est donc pas réellement spécifique aux secteurs littoraux. Son rappel a le mérite de rappeler à l’autorité compétente en d’urbanisme qu’elle doit être appliquée ici autant – sinon plus – qu’ailleurs.

Déjà fortement contraint par le jeu de ces conditions successives, le dispositif ne sera opposable qu’à partir du 1er janvier 2020. En attendant, l’article 12 quinquies, II, ouvre cependant la voie à une densification des hameaux dans le cadre d’une procédure au cas par cas. En effet, jusqu’au 31 décembre 2019, en l’absence de localisation dans le SCoT et le PLU de secteurs faiblement urbanisés susceptibles d’être densifiés, « des constructions et installations qui n’ont pas pour effet d’étendre le périmètre du bâti existant, ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti, peuvent être autorisées dans ces secteurs avec l’accord de l’autorité administrative compétente de l’État après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites ».

En guise de conclusion provisoire…

Il n’y a donc pas lieu de considérer, ce qui a pu être fait de façon assez caricaturale dans la presse et les médias ces dernières semaines, que le projet de loi ELAN constitue une remise en cause spectaculaire des garde-fous établis par la loi Littoral. Les juristes savent bien que les articles du Code de l’urbanisme relatifs au littoral sont d’une lecture délicate et que leur interprétation jurisprudentielle est souvent très subtile. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les propos – le plus souvent destinés au grand public – sur le sort fait à la loi Littoral par le projet de loi ELAN proposent une vision alarmiste fondée sur une analyse parfois si simplifiée qu’elle finit par être tronquée.

Il est préférable de parler pour l’heure d’assouplissement de la loi Littoral30. Il n’en reste pas moins que le vote par l’Assemblée nationale de l’article 12 quinquies de la future loi ELAN révèle deux intentions de la majorité.

La première est évidente. Le texte tend à libérer des droits à construire en les réinstallant dans des espaces urbanisés faiblement denses, précisément là où ils avaient disparu en raison de la contraction de la jurisprudence sur l’application de la loi Littoral.

La seconde est moins perceptible et pourtant tout aussi importante. L’article 12 quinquies vise à opérer une forme de décentralisation de l’application de la loi Littoral en confiant davantage de responsabilités aux documents d’urbanisme dans son application pour adapter ses dispositions générales à des espaces littoraux très divers. Il y a beau jeu de croire que les sénateurs loueront cette intention qui, du côté du Palais du Luxembourg, a déjà été exprimée notamment dans un rapport parlementaire récent31.

Le parcours du projet de loi ELAN ne fait cependant que débuter. Il faudra encore attendre pour pouvoir vérifier que les intentions de la majorité se traduisent en actes.

Notes de bas de pages

  • 1.
    C. urb., art. L. 121-1 et s.
  • 2.
    V. le compte-rendu intégral (not. p. 25 et s.) : http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/cr-eco/17-18/c1718076.pdf.
  • 3.
    Ibid.
  • 4.
    Scrutin public sur l’article 12 quinquies du projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (première lecture). Nombre de votants : 55 ; nombre de suffrages exprimés : 52 ; majorité absolue : 27 ; pour l’adoption : 45 ; contre : 7.
  • 5.
    V. : Hulot N. et Mézard J. saluent le travail du Parlement pour préserver la loi Littoral et prendre en compte les réalités locales (http://www.cohesion-territoires.gouv.fr/nicolas-hulot-et-jacques-mezard-saluent-le-travail-du-parlement-pour-preserver-la-loi-littoral-et-prendre-en-compte-les-realites-locales).
  • 6.
    Et de terminer ainsi : « Ces situations sont bien réelles. Je suis sûr que, dans l’hémicycle, certains entendront un écho familier dans mes paroles ». V. : Assemblée nationale, XVe législature, Session ordinaire de 2017-2018, compte rendu intégral, troisième séance du jeudi 31 mai 2018 (http://www.assemblee-nationale.fr/15/cri/2017-2018/20180241.asp).
  • 7.
    CE, 3 avr. 2014, n° 360902, Cne de Bonifacio.
  • 8.
    Il doit s’agir d’une « zone délimitée par le document local d’urbanisme, dans laquelle celui-ci prévoit la possibilité d’une extension de l’urbanisation de faible ampleur intégrée à l’environnement par la réalisation d’un petit nombre de constructions de faible importance, proches les unes des autres, et formant un ensemble dont les caractéristiques et l’organisation s’inscrivent dans les traditions locales ».
  • 9.
    L’article 12 quinquies nouveau, I, 2°, a), modifie C. urb., art. L. 121-8 en supprimant les mots : «, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement ».
  • 10.
    Circ. UHC/DU1 n° 2006-31, 14 mars 2006, relative à l’application de la loi Littoral (http://www.bulletin-officiel.developpement-durable.gouv.fr/fiches/BO20068/A0080047.htm).
  • 11.
    V. : Référentiel Loi Littoral. Extension de l’urbanisation en continuité avec les agglomérations et les villages existants, fasc. 1, Atelier permanent des zones côtières et des milieux marins DREAL Bretagne, DDTM des Côtes d’Armor, du Finistère, d’Ille-et-Vilaine et du Morbihan, version 3, juin 2017 (http://www.bretagne.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/fascicule_continuite_15_juin_2017.pdf).
  • 12.
    CE, 26 oc. 2001, n° 216471, Eisenchteter.
  • 13.
    CE, 3 juill. 1996, n° 137623, SCI Mandelieu Maure-Vieil : Lebon 1996, p. 261.
  • 14.
    Référentiel Loi Littoral, op. cit.
  • 15.
    Pour plus de précisions à ce sujet, v. : ibid., p. 30.
  • 16.
    CAA Nantes, 11 oct. 2013, n° 12NT01355, Cne de Landéda.
  • 17.
    CAA Nantes, 11 mai 2015, n° 14NT00865, Cne de Larmor Baden.
  • 18.
    C. urb., art. L. 141-2.
  • 19.
    CE, 31 mars 2017, n° 392186, SARL Savoie Lac Investissements.
  • 20.
    V. not. : Tasciyan D., « Loi Littoral : la fin des hésitations », JCP A 2017, 2267 ; Santoni L., « Hiérarchie des normes – La loi Littoral, l’atout qui bat le PLU », Constr.-Urb. 2017, comm. 81 ; Erstein L., « Urbanisme – La loi Littoral avant tout », JCP A 2017, act. 282 ; « Urbanisme. Loi Littoral. Applicabilité directe aux permis de construire », Dr. adm. 6 juin 2017, alerte 90.
  • 21.
    CE, 31 mars 2017, n° 392186, SARL Savoie Lac Investissements.
  • 22.
    Ibid.
  • 23.
    Proj. L. ELAN, art. 12 quinquies, I, 1°.
  • 24.
    Proj. L. ELAN, art. 12 quinquies, I, 2°.
  • 25.
    Amendement n° 1324 au projet de loi ELAN déposé le 25 mai 2018 par plusieurs députés du groupe « Les Républicains » (http://www.assemblee-nationale.fr/15/amendements/0971/AN/1324.asp).
  • 26.
    Amendement n° 3149 au projet de loi ELAN déposé le 26 mai 2018 (http://www.assemblee-nationale.fr/15/amendements/0971/AN/3149.asp)
  • 27.
    En vertu de l’article L. 151-4 du Code de l’urbanisme, le rapport de présentation du PLU doit analyser « la capacité de densification et de mutation de l’ensemble des espaces bâtis, en tenant compte des formes urbaines et architecturales ».
  • 28.
    CE, 7 févr. 2005, n° 264315, Sté Soleil d’Or c/ Cne de Menton.
  • 29.
    Ibid.
  • 30.
    Ce que fait par exemple le moniteur dans cet article publié en ligne le 29 mai dernier : https://www.lemoniteur.fr/article/projet-de-loi-elan-assouplissement-de-la-loi-littoral-remise-en-cause-du-role-des-architectes-les-re-35568711.
  • 31.
    On pense à ce rapport de 2014 intitulé : Plaidoyer pour une décentralisation de la loi Littoral : un retour aux origines, rapport d’information d’Odette Herviaux et Jean Bizet, fait au nom de la commission du développement durable n° 297 (2013-2014) – 21 janvier 2014.
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