La tolérance de l’erreur du TEG inférieure à une décimale : l’intervention attendue de la CJUE

Publié le 21/08/2017

La jurisprudence française est favorable à l’erreur du TEG inférieure à une décimale. Dans un tel cas, l’emprunteur se voit refuser par la Cour de cassation les sanctions prévues en la matière. L’inexactitude devient tolérable. Cette lecture de l’ancien article R. 313-1 du Code de la consommation est-elle conforme au droit de l’Union européenne régissant le crédit à la consommation ? La CJUE devrait nous renseigner prochainement sur ce point.

1. Les décisions importantes intéressant le taux effectif global (TEG) s’enchaînent à un rythme soutenu depuis plusieurs années. Les avocats ont aujourd’hui compris l’intérêt de bien maîtriser les règles dégagées en la matière, ces dernières étant susceptibles d’être très favorables à leurs clients emprunteurs.

2. L’erreur de TEG est en effet très sévèrement sanctionnée. D’une part, si le crédit en question n’est pas un crédit aux consommateurs, le banquier dispensateur de crédit encourt la nullité de la clause prévoyant le taux conventionnel et sa substitution par le taux légal1. D’autre part, s’il s’agit d’un crédit à la consommation ou immobilier, la sanction encourue n’est pas plus clémente : il s’agit de la déchéance du droit aux intérêts2, peine pouvant faire l’objet d’une modulation par le juge en cas de crédit immobilier3.

3. Des limites ont cependant été dégagées en la matière par la Cour de cassation4. L’une d’entre elles nous interpelle plus particulièrement : il s’agit de la tolérance à l’égard de l’erreur inférieure à une décimale.

4. À plusieurs occasions déjà, la haute juridiction a déclaré que l’action en justice exercée en présence d’un TEG erroné n’est envisageable que lorsque l’écart entre le TEG mentionné dans le contrat de prêt et celui qui aurait dû l’être est supérieur ou égal à une décimale. Cette solution dégagée par deux décisions de 20145, réitérée en 20156, a été rappelée à plusieurs reprises en 20177.

5. On pourrait comprendre que le juge du droit souhaite limiter les actions fondées sur l’erreur du TEG lorsque cette dernière est particulièrement faible. Cependant, encore faut-il que cette solution ait un fondement juridique. Or nous peinons à en trouver un.

6. Certes, les décisions précitées mentionnent l’ancien article R. 313-1 du Code de la consommation dans sa rédaction issue du décret n° 2002-927 du 10 juin 2002 relatif au calcul du taux effectif global applicable au crédit à la consommation et portant modification du Code de la consommation8. En effet, l’annexe de cet article précise à son point d), concernant le calcul du TEG, que : « Le résultat du calcul est exprimé avec une exactitude d’au moins une décimale ».

7. Mais ce fondement proposé ne nous convainc pas du tout. En premier lieu, l’article 1er du décret n° 2002-927 du 10 juin 2002 précise bien que ce dernier, à l’origine donc de l’article R. 313-1, ne concerne pas les prêts mentionnés aux articles L. 311-3, 3°, et L. 312-2 du Code de la consommation, c’est-à-dire à l’époque les crédits consentis dans une finalité professionnelle et les crédits immobiliers, pour lesquels le mode de calcul du TEG est différent (méthode proportionnelle). La règle prévue au d) de l’annexe fait d’ailleurs suite à la présentation de l’équation relative à la méthode d’équivalence. Dit autrement, la règle ici posée n’a vocation à jouer qu’en matière de crédit à la consommation, et non à l’égard de crédits immobiliers ou de crédits professionnels.

8. En second lieu, et surtout, la lecture donnée par les juges à cet article R. 313-1, ou du moins à son annexe, nous paraît très discutable. Cette dernière ne nous dit à aucun moment que le résultat du calcul du TEG peut être exprimé avec une erreur inférieure à une décimale9. Le texte doit plus certainement être lu comme rappelant l’obligation pour la banque de communiquer un taux exact avec au moins une décimale.

9. Or ce dernier point devrait connaître un éclaircissement heureux dans quelques mois. Il apparaît, en effet, qu’une question préjudicielle a été récemment posée à la CJUE à propos de cette tolérance à l’égard de l’erreur inférieure à une décimale en matière de crédit à la consommation10. Rappelons que pour assurer une application effective et homogène de la législation de l’Union et éviter toute interprétation divergente, les juges nationaux peuvent, et parfois doivent, se tourner vers la Cour de justice pour demander de préciser un point d’interprétation du droit de l’Union, afin de leur permettre, par exemple, de vérifier la conformité avec ce droit de leur législation nationale11. La juridiction nationale destinataire de l’arrêt de la CJUE est alors liée par l’interprétation donnée quand elle tranche le litige pendant devant elle. L’arrêt de la Cour de justice lie de la même manière les autres juridictions nationales qui seraient saisies d’un problème identique.

10. Concrètement, pour le point de droit qui nous occupe, par un jugement du 1er février 2017, le tribunal d’instance de Limoges a posé la question préjudicielle suivante : « Le taux annuel effectif global d’un crédit à la consommation étant de 6,75772 %, la règle issue des directives nos 98/7/CE du 16 février 1998 et 2008/48/CE du 23 avril 2008 selon laquelle, dans la version française, “le résultat du calcul est exprimé avec une exactitude d’au moins une décimale. Si le chiffre de la décimale suivante est supérieur ou égal à 5, le chiffre de la première décimale sera augmenté de 1”, permet-elle de tenir pour exact un TAEG indiqué de 6,75 % ? » (en l’espèce, le TAEG était de 6,75772 % et le juge estimait qu’il convenait de l’arrondir à 6,76 %).

11. La jurisprudence française sera-t-elle alors validée ? À titre personnel, nous en doutons. Mais notre point de vue ne fait pas l’unanimité. Rappelons, notamment, qu’un courant doctrinal12 voit déjà une explication à la jurisprudence concernant l’erreur inférieure à une décimale dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, et plus particulièrement dans une décision du 9 novembre 201613 ayant pu affirmer que « l’omission du prêteur de faire figurer dans le contrat de crédit tous les éléments qui, en vertu de la directive, doivent obligatoirement être inclus dans le contrat peut être sanctionnée par les États par la déchéance du droit aux intérêts et aux frais lorsque l’absence de mention de ces éléments peut mettre en cause la possibilité pour le consommateur d’apprécier la portée de son engagement »14. Une erreur inférieure à une décimale serait ainsi vue comme ne mettant pas en cause une telle possibilité d’appréciation pour l’emprunteur.

12. Nous serons, dans tous les cas, prochainement fixés15, du moins concernant le crédit à la consommation16. En effet, une autre question préjudicielle fondée sur les dispositions de la directive n° 2014/17/UE du 4 février 2014 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel sera nécessaire si l’on veut savoir ce qu’il en est de cette jurisprudence en matière de crédit immobilier. Cependant, si la jurisprudence française venait à être remise en cause par le CJUE en matière de crédit à la consommation, on peut penser qu’il en irait forcément de même pour le crédit immobilier, tant leurs régimes juridiques sont proches. Enfin, pour ce qui est des crédits consentis aux professionnels, la CJUE n’est ici pas compétente pour se prononcer, ce crédit échappant à tout encadrement de la part du droit de l’Union européenne.

Notes de bas de pages

  • 1.
    V. par ex., Cass. com., 17 janv. 2006, n° 04-11100 ; Cass. 1re civ., 7 mars 2006, n° 04-10876 ; Cass. 1re civ., 13 mars 2007, n° 05-20111 ; Cass. 1re civ., 19 sept. 2007, n° 06-16964 ; Cass. com., 30 oct. 2012, n° 11-23034 ; Cass. 1re civ., 24 avr. 2013, n° 12-14777 ; Cass. 1re civ., 27 nov. 2013, n° 12-22115.
  • 2.
    V. par ex., Cass. 1re civ., 18 févr. 2009, n° 05-16774 ; Cass. 1re civ., 30 sept. 2010, n° 09-67930 ; Cass. 1re civ., 16 janv. 2013, n° 05-12081 ; Cass. 1re civ., 24 avr. 2013, n° 12-14377 ; Cass. 1re civ., 29 mai 2013, n° 11-24278 ; Cass. 1re civ., 9 avr. 2015, n° 13-28058 ; Cass. 1re civ., 25 févr. 2016, n° 14-29838.
  • 3.
    C. consom., art. L. 341-34. La nullité de la clause prévoyant le taux conventionnel et sa substitution par le taux légal demeurera cependant retenue si l’erreur est relevée dans l’acte authentique réitérant devant notaire la convention de prêt immobilier, Cass. 1re civ., 18 févr. 2009, n° 05-16774.
  • 4.
    Lasserre Capdeville J. et a., Droit bancaire, 2017, Dalloz, nos 1156 et s. – v. par ex., concernant l’erreur favorable à l’emprunteur l’empêchant d’agir en justice : Cass. 1re civ., 12 oct. 2016, n° 15-25034 ; Cass. 1re civ., 16 nov. 2016, n° 15-23178.
  • 5.
    Cass. 1re civ., 1er oct. 2014, n° 13-22778 ; Cass. 1re civ., 26 nov. 2014, n° 13-23033.
  • 6.
    Cass. 1re civ., 9 avr. 2015, n° 14-14216.
  • 7.
    Cass. 1re civ., 11 janv. 2017, n° 15-24914 ; Cass. 1re civ., 25 janv. 2017, n° 15-24607 ; Cass. com., 18 mai 2017, n° 16-11147. Ces deux dernières décisions ont eu droit aux honneurs d’une publication au Bulletin civil.
  • 8.
    Il s’agit désormais de l’article R. 314-2 du Code de la consommation (C. consom., art. R. 314-2).
  • 9.
    Comme le résume un auteur (Poissonnier G. in D. 2017, p. 502) : « La règle exige une exactitude “d’au moins une décimale”, et non une exactitude “d’une décimale”, ce qui implique que, s’il y en a plusieurs, toutes les décimales annoncées doivent être exactes ».
  • 10.
    TI Limoges, 1er févr. 2017, n° 16-000784 : D. 2017, p. 502, obs. Poissonnier G.
  • 11.
    Notons que par une décision de sa première chambre civile du 25 janvier 2017 (Cass. 1re civ., 25 janv. 2017, n° 15-24607), la Cour de cassation avait estimé « qu’en l’absence de doute raisonnable quant à l’interprétation du droit de l’Union européenne et, en particulier, de la directive n° 98/7/CE, il n’y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle ». Le tribunal d’instance de Limoges en a heureusement décidé autrement.
  • 12.
    D. 2017, p. 328, Boucard F.
  • 13.
    CJUE, 9 nov. 2016, n° C-42/15.
  • 14.
    Notons cependant que cette décision de la CJUE ne concerne que la sanction à l’absence de certaines mentions dans le contrat de prêt, tel le TEG (mais non leur caractère erroné), et, surtout, ne s’adresse qu’au crédit à la consommation, plus précisément la conformité du droit slovaque à la directive n° 2008/48/CE du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs (mais aussi la dir. n° 98/7/CE, 16 févr. 1998).
  • 15.
    Les délais sont cependant assez longs en la matière. Les règles de forme sont ainsi assez importantes. Par exemple, une fois la demande traduite dans toutes les langues de l’Union par le service de traduction de la Cour, le greffe la notifie aux parties impliquées dans l’affaire au principal, mais aussi à tous les États membres et aux institutions de l’Union. Les parties, les États membres et les institutions disposent alors de 2 mois pour soumettre à la Cour de justice leurs observations écrites.
  • 16.
    Contra Lutz P., « Un TEG exact », RD bancaire et fin. 2017, étude 13, note 8.
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