Nouveautés concernant l’interdiction du paiement en espèces ou au moyen de monnaie électronique

Publié le 30/05/2018

En France, les paiements en espèces ou au moyen de monnaie électronique ne sont pas sans limites. Des interdictions sont ainsi prévues par notre droit. Celles-ci viennent d’ailleurs de connaître quelques évolutions à la suite du décret n° 2018-284 du 18 avril 2018. Ce nouveau « billet du bancariste » vient alors faire l’état des lieux du droit applicable en la matière.

1. La loi encadre le droit de payer en espèces. C’est ainsi qu’aux termes de l’article R. 642-3, alinéa 1er, du Code pénal1 « le fait de refuser de recevoir des pièces de monnaie ou des billets de banque ayant cours légal en France selon la valeur pour laquelle ils ont cours est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 2e classe », c’est-à-dire 150 € au plus2. L’infraction demeure néanmoins rarement caractérisée en pratique3 ; elle est même peu souvent invoquée4.

2. Ce droit de payer en espèces connaît cependant des limites expressément envisagées par le Code monétaire et financier. Il en va plus particulièrement ainsi5 avec les dispositions imposant des paiements par l’intermédiaire d’un instrument de paiement déterminé, c’est-à-dire les articles L. 112-6 et suivants du Code monétaire et financier6. Depuis longtemps, en effet, les pouvoirs publics se méfient des paiements en espèces, susceptibles de faciliter la commission d’actes de fraude fiscale, de blanchiment d’argent, mais aussi de financement du terrorisme. Ces limites ont été étendues, ces dernières années, aux paiements réalisés à l’aide de monnaie électronique pour les mêmes motifs.

3. Plusieurs interdictions sont donc prévues en la matière, et leur rigueur est variable selon les hypothèses. Ainsi, des prohibitions générales (I), comme spéciales (II), sont envisagées par notre droit, et leur violation fait encourir à leur auteur diverses sanctions (III). Quelques dérogations à ces interdictions demeurent néanmoins à relever (IV).

I – Les interdictions générales

4. Pour l’article L. 112-6, I, alinéa 1er, ne peut être effectué en espèces ou au moyen de monnaie électronique le paiement d’une dette supérieure à un montant fixé par décret, « tenant compte du lieu du domicile fiscal du débiteur, de la finalité professionnelle ou non de l’opération et de la personne au profit de laquelle le paiement est effectué ».

5. Mais quels sont les montants applicables ? Il convient, pour répondre à cette question, de se référer à l’article D. 112-3 du Code monétaire et financier. Or, celui-ci est régulièrement modifié par le pouvoir réglementaire. Citons ainsi le décret n° 2010-662 du 16 juin 2010, le décret n° 2015-741 du 24 juin 20157, le décret n° 2016-1985 du 30 décembre 2016 ou encore, dernièrement, le décret n° 2018-284 du 18 avril 20188. Ce tout dernier texte n’entrera cependant en vigueur que le 1er octobre prochain. Plusieurs hypothèses sont alors à distinguer.

6. Tout d’abord, lorsque le débiteur a son domicile fiscal sur le territoire de la République française ou agit pour les besoins d’une activité professionnelle, le montant prévu est de 1 000 € pour les paiements effectués en espèces9. Ce montant est, en revanche, de 3 000 € pour les paiements effectués au moyen de monnaie électronique10.

7. Ensuite, lorsque le débiteur justifie qu’il n’a pas son domicile fiscal sur le territoire de la République et qu’il n’agit pas pour les besoins d’une activité professionnelle, le montant est porté à 15 000 € pour les paiements effectués non seulement en espèces, mais aussi au moyen de monnaie électronique.

8. Cette hypothèse connaîtra cependant une évolution à partir du 1er octobre 2018, en raison du décret du 18 avril 2018 mentionné plus haut11. En effet, une distinction s’imposera alors. D’une part, lorsque le débiteur justifiera qu’il n’a pas son domicile fiscal sur le territoire de la République française, n’agira pas pour les besoins d’une activité professionnelle et paiera une dette au profit d’une personne qui n’est pas mentionnée parmi celles qui sont assujetties aux obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme12, le montant maximum admis pour les paiements effectués en espèces ou au moyen de monnaie électronique sera de 10 000 €. Les conditions précitées seront cumulatives.

9. D’autre part, lorsque le débiteur justifiera qu’il n’a pas son domicile fiscal sur le territoire de la République française, n’agira pas pour les besoins d’une activité professionnelle et paiera une dette au profit d’une personne cette fois-ci mentionnée à l’article L. 561-2 du Code monétaire et financier, le montant maximum admis pour les paiements effectués en espèces ou au moyen de monnaie électronique sera de 15 000 €. Ainsi, de par la présence de ce professionnel assujetti à la lutte contre le blanchiment ou le financement du terrorisme, le paiement présentera moins de risque. Cela légitimera alors un plafond identique à celui applicable à l’heure actuelle.

II – Les interdictions spéciales

10. Tout d’abord, il découle de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, à l’origine de l’article L. 112-6, I, alinéa 3, que lorsqu’un professionnel achète des métaux à un particulier ou à un autre professionnel, le paiement doit nécessairement être effectué par chèque barré ou par virement à un compte ouvert au nom du vendeur. La solution est donc ici radicale : aucun paiement ne peut être fait sous une autre forme, et notamment en espèces.

11. De même, selon l’article L. 112-8 du code, les livraisons de céréales par les producteurs aux coopératives sont nécessairement réglées par chèque ou virement sur un établissement de crédit, sur un établissement de paiement ou sur un établissement de monnaie électronique dans le cadre de la fourniture de services de paiement. Là encore, aucune place n’est laissée à un paiement sous une autre forme.

12. En outre, la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle est à l’origine d’un nouvel article L. 112-6-2 visant le remboursement par les administrateurs et mandataires judiciaires des sommes avancées par l’AGS au titre du règlement des salaires impayés ou des indemnités de rupture du contrat de travail. Ce remboursement devra obligatoirement être effectué par virement au profit de l’AGS. Le paiement en espèces est par conséquent totalement prohibé. L’article ne s’arrête pas là. Il étend la même obligation, d’une part, aux professionnels « hors liste » désignés pour exercer les fonctions d’administrateur et de mandataire judiciaires, mais aussi, d’autre part, aux versements faits au profit des salariés d’un débiteur en redressement ou en liquidation judiciaire par les administrateurs et mandataires judiciaires, lorsqu’ils étaient jusqu’alors payés par virement.

13. Par ailleurs, l’article L. 112-6, II, du code prend soin de préciser que les dépenses des services concédés qui excèdent la somme de 450 € doivent être payées par virement. En revanche, en dessous de ce montant, la liberté est à nouveau de mise.

14. Citons encore la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées qui est venue prévoir, dans un article L. 112-6-1, que les paiements effectués ou reçus par un notaire pour le compte des parties à un acte reçu en la forme authentique et donnant lieu à publicité foncière doivent être assurés par virement. Depuis le décret n° 2013-232 du 20 mars 2013, l’article R. 112-5 précise les modalités d’exécution de ce virement, sachant qu’en dessous de 3 000 € les autres modalités de paiement demeurent autorisées.

15. Enfin, mentionnons un cas particulier issu de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2 : il s’agit des opérations afférentes au prêt sur gage, qui peuvent être payées en espèces ou au moyen de monnaie électronique dans la limite de 3 000 €. Il est vrai que, dans cette hypothèse, la limite de 1 000 € mentionnée antérieurement se révélait préjudiciable aux personnes ayant recours aux caisses de crédit municipal13. En effet, leur compte en banque étant souvent en position débitrice, les virements effectués obligatoirement au-delà de ce montant ne leur permettaient pas d’utiliser les fonds obtenus pour honorer une dette urgente.

III – Les sanctions encourues

16. Selon l’article L. 112-7 du Code monétaire et financier, les infractions aux obligations prévues par les articles L. 112-6 à L. 112-6-2 sont passibles d’une amende dont le montant est fixé compte tenu de la gravité des manquements, et ne peut excéder 5 % des sommes payées en violation des dispositions précitées. Précisons que le débiteur et le créancier sont solidairement responsables du paiement de cette amende en cas d’infraction aux articles L. 112-6 et L. 112-6-1. La sanction applicable n’est donc guère redoutable.

17. Il en va simplement différemment dans un cas. En effet, le non-respect de l’obligation relative au professionnel achetant des métaux à un particulier ou à un autre professionnel, visée par l’article L. 112-6, I, alinéa 314, est puni par une contravention de 5e classe, c’est-à-dire 1 500 €.

18. Notons que les infractions en question sont constatées par des agents désignés par arrêté du ministre chargé du Budget.

IV – Les dérogations envisagées

19. Cette mise à l’écart de la monnaie fiduciaire connaît un certain nombre de dérogations légales visées par l’article L. 112-6, III, du Code monétaire et financier. Celles-ci n’ont cependant vocation à jouer que pour les hypothèses envisagées par les I, II, et II bis du même article15.

20. Il en va ainsi, tout d’abord, pour les paiements réalisés par des personnes qui sont incapables de s’obliger par chèque ou par un autre moyen de paiement, ainsi que par celles qui n’ont pas de compte de dépôt. Une personne victime d’exclusion bancaire pourra donc bénéficier de cette exception. Ce cas ne devrait cependant se rencontrer que dans de rares cas, dans la mesure où les intéressés peuvent bénéficier du droit au compte et aux services bancaires de base16.

21. Le même article vise une autre dérogation à la portée bien plus large : lorsque les paiements sont effectués entre personnes physiques n’agissant pas pour des besoins professionnels. Les paiements peuvent, ici encore, être librement réalisés en espèces (ou au moyen de monnaie électronique). Ainsi, à titre d’exemple, l’achat d’une automobile d’occasion entre deux particuliers peut parfaitement se faire en monnaie fiduciaire, et ce même au-delà de 1 000 €.

22. En outre, citons le cas, toujours mentionné par l’article L. 112-6, III, des paiements des dépenses de l’État et des autres personnes publiques.

23. Notons, pour finir, que la jurisprudence a eu l’occasion d’affirmer que l’interdiction de payer en espèces au-dessus d’un certain montant ne concerne que les règlements effectués sur le territoire français17. À défaut, aucune sanction ne peut être infligée.

Notes de bas de pages

  • 1.
    V. égal. C. mon. fin., art. R. 162-2.
  • 2.
    Lasserre Capdeville J., « Vers un rétrécissement du droit de payer en espèces ? », Banque et droit n° 118, 2008, p. 6.
  • 3.
    Cass. crim., 3 oct. 2007, n° 07-80045 : Bull. crim., n° 235 ; D. 2007, AJ, p. 2803, obs. Avena-Robardet V.
  • 4.
    Récemment, Cass. crim., 23 janv. 2013, n° 12-84164 : Bull. crim., n° 28 ; Banque et droit, mai-juin 2013, p. 49, obs. Lasserre Capdeville J. ; Dr. pén. 2013, comm. 57, obs. Robert J.-H.
  • 5.
    Citons encore l’article L. 112-5 obligeant le débiteur, en cas de paiement à l’aide de billets et pièces, à faire l’appoint. Sur cette question, Cass. crim., 14 déc. 2005, n° 04-87536 : Bull. crim., n° 334 ; D. 2006, AJ, p. 498, obs. Avena-Robardet V. ; RTD com. 2006, p. 501, obs. Bouloc B.
  • 6.
    En outre, pour l’alinéa 2 de l’article L. 112-6, I, au-delà d’un montant mensuel fixé par décret, le paiement des traitements et salaires est soumis à l’interdiction précitée et doit être effectué par « chèque barré ou par virement » à un compte bancaire ou postal ou à un compte tenu par un établissement de paiement ou un établissement de monnaie électronique qui fournit des services de paiement. Faute d’avoir été abrogé, il convient toujours de se référer, pour connaître ce seuil, au décret n° 85-1073 du 7 octobre 1985, qui le fixe à 1 500 €. V. égal. C. mon. fin., art. L. 112-10.
  • 7.
    Lasserre Capdeville J., « Renforcement des exceptions au droit de payer en espèces », Gaz. Pal. 3 sept. 2015, n° 233p6, p. 5.
  • 8.
    Cutajar C., « Le décret d’application de l’ordonnance du 1er décembre 2016 transposant la quatrième directive anti-blanchiment enfin publié », JCP G 2018, 538, spéc. nos 19-20.
  • 9.
    Ce seuil résulte du décret n° 2015-741, 24 juin 2015.
  • 10.
    C’est le décret n° 2016-1985 du 30 décembre 2016 qui a préféré prévoir un seuil plus élevé pour les paiements effectués au moyen de la monnaie électronique. Jusqu’à ce texte, et ce depuis le décret n° 2015-741 du 24 juin 2015, le seuil était de 1 000 €. Ce « relâchement » a alors été justifié par le fait que la monnaie électronique a pu faire l’objet, dans le même temps, d’un encadrement plus strict en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
  • 11.
    V. supra, n° 5.
  • 12.
    C. mon. fin., art. L. 561-2.
  • 13.
    Lasserre Capdeville J., « Vers un prochain réaménagement du seuil au-delà duquel les paiements en espèces sont prohibés ? », LPA 6 janv. 2016, p. 6, Le billet du bancariste.
  • 14.
    V. supra, n° 10.
  • 15.
    Y échappent donc les cas envisagés par les articles L. 112-6-1 (supra, n° 14), L. 112-6-2 (supra, n° 12) et L. 112-8 (supra, n° 11) du code.
  • 16.
    C. mon. fin., art. L. 312-1.
  • 17.
    CE, 10 mai 2012, n° 337573 : D. 2012, p. 2289, note Kleiner C. ; LPA 7 sept. 2012, p. 19, obs. Lasserre Capdeville J. ; RD bancaire et fin. 2013, comm. 2, obs. Crédot F.-J. et Samin T.
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