Nouvelles évolutions du droit au compte

Publié le 18/09/2017

Cette présentation revient sur les dernières évolutions textuelles du droit au compte se traduisant, à nouveau, par son élargissement, mais aussi par certaines modifications de sa procédure.

1. Par principe, les opérations de banque sont des contrats conclus intuitu personae, c’est-à-dire en prenant en considération la personne du client. En conséquence, le banquier doit avoir la liberté de choisir son cocontractant1. L’ouverture d’un compte n’échappe pas à cette règle, même si, pour des raisons commerciales évidentes, les refus sont exceptionnels.

2. Cependant, cette liberté reconnue au banquier s’est vue limitée par la reconnaissance, par l’intermédiaire de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984, d’un droit au compte, dont l’étendue n’a cessé de se développer depuis la fin des années 19902. Les établissements de crédit se sont notamment vus contraints d’offrir au titulaire du compte des services bancaires de base, et ce gratuitement.

3. Sans surprise, ce droit au compte a pris une importance croissante. Si nous comptions ainsi moins de 5 000 ouvertures de compte opérées par son intermédiaire en 1985, ce chiffre dépasse aujourd’hui, régulièrement, les 60 000 par an3. Son succès n’empêche cependant pas de nouvelles évolutions.

4. Il apparaît, en effet, que le droit européen s’est intéressé au droit au compte et a cherché, comme il l’a fait pour le crédit à la consommation ou le crédit immobilier, à prévoir un régime commun à l’ensemble des pays de l’Union européenne en la matière. La directive n° 2014/92/UE du 23 juillet 2014 sur la comparabilité des frais liés aux comptes de paiement, le changement de compte de paiement et l’accès à un compte de paiement assorti de prestations de base, a été adoptée en ce sens4. Cette dernière a donc été transposée en droit français par l’ordonnance n° 2016-1808 du 22 décembre 2016 relative à l’accès à un compte de paiement assorti de prestations de base5. Or ce texte est à l’origine d’évolutions non négligeables du droit au compte qui viennent d’entrer en vigueur le 23 juin 2017. Trois principales nouveautés sont ainsi à relever.

5. En premier lieu, en matière d’ouverture de la procédure du droit au compte, l’ordonnance n° 2016-1808 du 22 décembre 2016 élargit son bénéfice à « toute personne physique résidant légalement sur le territoire d’un autre État membre de l’Union européenne n’agissant pas pour des besoins professionnels », sous réserve d’être dépourvue d’un tel compte en France. On peut légitimement s’interroger sur les impacts pratiques de cette évolution. Les services de la Banque de France gérant le droit au compte ne seront-ils pas noyés de demandes ? On sait déjà qu’avec plus de 60 000 cas à traiter par an, ce service ne peut pas passer beaucoup de temps sur chaque demande. Rappelons que, légalement, la Banque de France doit désigner « un établissement de crédit situé à proximité » du domicile de l’intéressé « ou d’un autre lieu de son choix, en prenant en considération les parts de marché de chaque établissement concerné », et ce « dans un délai d’un jour ouvré à compter de la réception des pièces requises définies par arrêté ». Parfois, l’établissement de crédit choisi par la Banque de France pour devoir ouvrir le compte sera celui qui a clôturé le dernier compte du postulant6.

6. En second lieu, concernant la clôture du compte ouvert grâce à la procédure précitée, notre droit connaît aussi une évolution. Désormais, les règles à respecter sont plus étendues que par le passé7. L’établissement de crédit ne peut ainsi résilier unilatéralement la convention de compte de dépôt assorti des services bancaires de base, ouvert selon la procédure du droit au compte, que si l’une au moins des conditions mentionnées à l’article est remplie8. Six mobiles sont désormais admis : le client a délibérément utilisé son compte de dépôt pour des opérations que l’organisme a des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales ; le client a fourni des informations inexactes ; le client ne répond plus aux conditions de domicile ou de résidence définies au I° de l’article L. 312-1 ; le client a ultérieurement ouvert un second compte de dépôt en France qui lui permet d’utiliser les services bancaires de base ; le client a fait preuve d’incivilités répétées envers le personnel de l’établissement de crédit ; l’établissement est dans l’une des situations prévues à l’article L. 561-8 du code, c’est-à-dire qu’il n’est pas en mesure de satisfaire à ses obligations de vigilance. S’il se trouve dans l’un de ces cas, l’établissement concerné sera tenu de notifier par écrit et gratuitement cette décision de résiliation au client. Cette notification doit par principe être motivée, sauf « lorsque la notification est de nature à contrevenir aux objectifs de sécurité nationale ou de maintien de l’ordre public ». Pour finir, le respect d’un délai de préavis de 2 mois minimum est toujours exigé, sauf dans les deux premiers cas mentionnés précédemment (utilisation à des fins illégales et fourniture d’informations inexactes).

7. En dernier lieu, une distinction notable est désormais prévue en matière de « services bancaires minimums ». Tout d’abord, pour les personnes physiques n’agissant pas pour des besoins professionnels, les établissements de crédit doivent à présent disposer, dans leur gamme de services, de prestations de base9, aujourd’hui définies par l’article D. 312-5 du Code monétaire et financier dont le contenu est issu du décret n° 2016-1811 du 22 décembre 201610. Dix prestations de base y sont envisagées : l’ouverture, la tenue et la clôture du compte ; un changement d’adresse par an ; la délivrance à la demande de relevés d’identité bancaire ; la domiciliation de virements bancaires ; l’envoi mensuel d’un relevé des opérations effectuées sur le compte ; l’encaissement de chèques et de virements bancaires ; les paiements par prélèvement SEPA, titre interbancaire de paiement SEPA ou par virement bancaire SEPA (ce dernier pouvant être réalisé aux guichets ou à distance) ; des moyens de consultation à distance du solde du compte ; les dépôts et les retraits d’espèces au guichet ou aux distributeurs automatiques de l’organisme teneur de compte ; et enfin une carte de paiement « permettant notamment le paiement d’opérations sur internet et le retrait d’espèces dans l’Union européenne ». Cette liste fait immanquablement songer aux anciens services bancaires de base (SBB) avec pour différence le fait que certains d’entre eux ont disparu : la réalisation des opérations de caisse ainsi que la remise de deux formules de chèques de banque par mois. La carte de paiement est, en outre, entendue plus largement par cet article D. 312-5, de même que les dépôts et retraits d’espèces qui peuvent être réalisés aux distributeurs automatiques. La presse spécialisée a d’ailleurs pensé qu’il y avait là une évolution non négligeable des SBB11.

8. Or tel n’est pas le cas. Les services précités ne sont pas les SBB qui sont, quant à eux, désormais visés par l’article L. 312-1, III, alinéa 4, du Code monétaire et financier, et définis par le nouvel article D. 312-5-1 issu aussi du décret n° 2016-1811 du 22 décembre 2016. Selon cette dernière disposition, en effet, ces services bancaires de base (donc propres au droit au compte) comprennent les huit premières prestations de base mentionnées précédemment12, et sont complétés de quatre autres services : les dépôts et les retraits d’espèces au guichet de l’organisme teneur de compte (les DAB ne sont donc pas mentionnés) ; une carte de paiement dont chaque utilisation est autorisée par l’établissement de crédit (qui doit également permettre « notamment » le paiement d’opérations sur internet et le retrait d’espèces dans l’Union européenne) ; deux formules de chèques de banque par mois ou « moyens de paiement équivalents offrant les mêmes services » ; et enfin la réalisation des opérations de caisse. Leur gratuité est en outre toujours prévue par l’article D. 312-6 du Code monétaire et financier13. Ainsi, nous le voyons, malgré l’évolution des textes, les SBB n’ont pas changé14 !

Notes de bas de pages

  • 1.
    Il en va par exemple ainsi en matière de crédit, puisque notre droit n’admet logiquement pas le « droit au crédit », Cass. ass. plén., 9 oct. 2006, n° 06-11056 : Bull. ass. plén. 2006, n° 11.
  • 2.
    Mathey N., « Le droit au compte : de la lutte contre les exclusions à la promotion de l’inclusion bancaire », Banque et droit mars 2014, Hors-série, p. 65.
  • 3.
    Les derniers chiffres d’ouverture de compte à l’aide de cette procédure sont les suivants : 60 370 en 2014 ; 68 775 en 2015 ; 66 715 en 2016 et déjà 26 987 pour les 5 premiers mois de 2017 (source : Banque de France).
  • 4.
    JOUE n° L 257, 28 août 2014, p. 214.
  • 5.
    Ord. n° 2016-1808, 22 déc. 2016, relative à l’accès à un compte de paiement assorti de prestations de base : JO, 23 déc. 2017, texte n° 17 ; Roussille M., « Droit au compte : nouvelles exigences en vue pour la conformité à la directive PAD », Banque et droit, mars-avr. 2017, p. 45 ; Lasserre Capdeville J., « Les évolutions résultant de l’ordonnance n° 2016-1808 du 22 décembre 2016 relative à l’accès à un compte de paiement assorti de prestations de base », JCP E 2017, 285, n° 16.
  • 6.
    CA Paris, 26 août 2011, n° 11/15269 : LEDB 2011, p. 3, obs. Lasserre Capdeville J.
  • 7.
    Jusqu’à cette réforme, une notification écrite et motivée adressée à la fois au client et à la Banque de France pour information et le respect d’un délai de préavis d’au minimum deux mois, étaient simplement exigés.
  • 8.
    C. mon. fin., art. L. 312-1, IV.
  • 9.
    L’alinéa suivant précise que lorsque ces personnes sont en situation de fragilité financière au sens de l’article L. 312-1-3, « elles se voient proposer l’offre spécifique mentionnée au même article ». Ce passage opère donc bien une distinction entre les prestations de base s’adressant à tous les clients et celles réservées aux « clients fragiles ».
  • 10.
    D. n° 2016-1811, 22 déc. 2016, relatif à l’accès à un compte de paiement assorti de prestations de base : JO, 23 déc. 2016, texte n° 21.
  • 11.
    Mignot V., « Banque : le droit au compte est désormais un droit européen », Banque, 23 juin 2017.
  • 12.
    N’y figurent donc pas : les dépôts et les retraits d’espèces au guichet et aux distributeurs automatiques de l’organisme teneur de compte et une carte de paiement « permettant notamment le paiement d’opérations sur internet et le retrait d’espèces dans l’Union européenne ».
  • 13.
    Celle-ci n’est en revanche pas prévue par les textes à l’égard des prestations de base visées par l’article D. 312-5 du code s’adressant aux personnes physiques n’agissant pas pour des besoins professionnels.
  • 14.
    La seule évolution concerne les paiements par prélèvement, titre interbancaire de paiement ou virement bancaire qui sont désormais logiquement devenus SEPA.