Point de départ du délai de prescription de l’action menée contre le taux conventionnel calculé sur « l’année lombarde »

Publié le 12/02/2018

La Cour de cassation est favorable aux actions en nullité menées contre des taux conventionnels calculés en recourant indument au « diviseur 360 ». Mais où se situe le point de départ du délai de prescription accompagnant cette action ? Les textes et la Cour de cassation ne disant mot sur ce point, nous tâchons ici de répondre à cette importante interrogation.

1. Un usage bancaire, trouvant son origine en Lombardie il y a plusieurs siècles, calcule les intérêts sur une année théorique de 360 jours, correspondant à 12 mois de 30 jours chacun, et non pas sur une année civile de 365 ou 366 jours. On parle ici souvent de « diviseur 360 » ou d’« année lombarde »1.

2. Or, il est bien connu que le recours à une telle méthode de calcul est prohibé en cas de crédits aux consommateurs (crédits à la consommation et crédits immobiliers). En effet, selon une décision de principe rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 19 juin 20132 : « Le taux de l’intérêt conventionnel mentionné par écrit dans l’acte de prêt consenti à un consommateur ou un non-professionnel doit, comme le taux effectif global, sous peine de se voir substituer l’intérêt légal, être calculé sur la base de l’année civile. » Cette solution, qui ne concerne donc que les emprunteurs-consommateurs3, a été rappelée à plusieurs reprises depuis4.

3. La sanction applicable en la matière est alors particulièrement claire à la lecture des décisions rendues de la haute juridiction (même si elle est aujourd’hui contestée par la chambre 6 du pôle 5 de la cour d’appel de Paris5) : il s’agit de la nullité de la clause mentionnant le taux ainsi calculé par le recours au « diviseur 360 » et sa substitution par le taux légal.

4. Une question se pose alors : quel est le délai de prescription applicable à une telle action ? La réponse est simple. Pendant longtemps, l’ancien article 1304, alinéa 1er, du Code civil envisageait un délai de cinq ans. Depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, cette action relève de l’article 2224 du même code prévoyant d’une façon générale que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

5. Nous arrivons alors ici au point le plus incertain. À quel moment doit débuter exactement le délai de prescription de l’action en nullité menée contre le taux conventionnel ayant été calculé par le recours à l’« année lombarde » ? La loi ne prévoyant rien sur ce point, il convient de se référer aux décisions de justice.

6. Or, que nous dit la jurisprudence de la Cour de cassation ? À notre connaissance, celle-ci n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer expressément sur cette question à l’égard du « diviseur 360 ». Toutefois, la première chambre civile de la Cour de cassation nous a déjà donné des indications concernant la difficulté, proche, du TEG erroné. En effet, selon cette chambre, l’action en nullité de la stipulation d’intérêts conventionnels court à compter du jour où l’emprunteur a connu ou aurait dû connaître cette erreur6. Dès lors, concrètement, ce point de départ sera la date de la convention lorsque l’examen de sa teneur aura permis de déceler l’erreur. À défaut, ce sera la date de la révélation de l’erreur à l’emprunteur qui sera prise en considération7. Cette solution est fréquemment rappelée par la haute juridiction8. Les juges se doivent par conséquent de rechercher « si les emprunteurs étaient effectivement en mesure de déceler, par eux-mêmes, à la lecture de l’acte de prêt, l’erreur affectant le calcul des intérêts sur une autre base que l’année civile9 ».

7. Qu’en est-il alors en matière de recours au « diviseur 360 » ? Trois situations doivent logiquement être distinguées selon nous. En premier lieu, si l’offre de prêt ou les conditions générales de banque indiquent, comme c’est parfois le cas, que le taux conventionnel a été calculé (au moins pour l’une des échéances) sur 360 jours et non pas une année civile, il est évident que cette situation sera jugée décelable dès l’acceptation de l’offre. La prescription quinquennale commencera alors à courir à ce moment-là10. Dit autrement, un critère objectif doit prédominer. En second lieu, et à l’inverse, si le recours à l’« année lombarde » n’est pas expressément mentionné dans l’acte et que sa découverte résulte d’une expertise, car impliquant un calcul mathématique, le point de départ du délai devra être repoussé à la date de la découverte de la méthode de calcul employée par la banque11, généralement à la date de l’expertise en question. En dernier lieu, on pourrait imaginer que, dans ce dernier cas, il n’y ait pas de report du point de départ lorsque l’emprunteur avait, de par ses connaissances en mathématiques, la possibilité d’opérer par lui-même le calcul précité. Cette dernière hypothèse ne devrait cependant pouvoir jouer qu’en présence d’individus ayant suivi des études ou exerçant une activité professionnelle impliquant des connaissances en mathématiques, et plus particulièrement en mathématiques financières. Ainsi, à défaut du crédit objectif mentionné plus haut, un critère subjectif permettrait de présumer, dans ce dernier cas (et uniquement dans celui-ci), que l’emprunteur a pu avoir connaissance du recours au « diviseur 360 » dès la date de la convention. Dans tous les cas, ce critère subjectif, « rattrapant » l’absence du critère objectif, devrait être expressément relevé par les magistrats.

8. Mais qu’en est-il en pratique ? Les solutions de bon sens précitées se rencontrent-elles dans toutes les hypothèses ? On ne sera pas surpris de constater que les banques essayent, dans leurs défenses, de nier la seconde alternative qui ne leur est pas favorable.

9. Ainsi, à plusieurs reprises, nous avons pu noter que les avocats des établissements de crédit n’hésitaient pas à affirmer, dans leurs conclusions, qu’il est à la portée de tous « de déterminer des intérêts correspondants au capital débloqué (simple pourcentage), et les multiplier au prorata temporis, soit nombre de jours/nombre de jours dans l’année »12. Des renvois sont également souvent faits à certaines décisions « novatrices » de la chambre 6 du pôle 5 de la cour d’appel de Paris13, et notamment à un arrêt du 10 décembre 201514 ayant ainsi qualifié d’« extrêmement simple » le calcul suivant : « capital emprunté x taux d’intérêt / 360 x 30 jours, soit 373 500 x 5,15 / 100 / 360 jours x 30 jours ». La simplicité affirmée de cette formule mathématique n’emporte pas notre adhésion, et plus particulièrement à sa lecture ! Le consommateur moyen ne nous paraît pas à même d’opérer un tel calcul.

10. Bien au contraire, le fait de laisser de la sorte les chiffres à la disposition de l’emprunteur, à charge pour lui de déterminer si le taux conventionnel a bien été calculé sur une année civile, sans le spécifier, rend selon nous moins décelable la faute du banquier et participe même à sa dissimulation.

11. Dans un tel cas, si l’emprunteur n’a pas de connaissances particulières en mathématiques, notamment à la vue des études qu’il a suivies ou de la profession qu’il exerce (ce que le juge devra démontrer), le point de départ du délai de prescription devra nécessairement être reporté au jour où l’intéressé a pris effectivement connaissance du recours par le prêteur au « diviseur 360 », c’est-à-dire, normalement, à la date de l’expertise réalisée. Il serait heureux que la première chambre civile de la Cour de cassation ait l’occasion prochainement de le dire.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Sur cet usage, Lasserre Capdeville J., « Interrogations autour du recours au “diviseur 360” pour les crédits aux consommateurs », JCP E 2017, 1496 ; Lèguevaques C., « L’année lombarde et les banques. Entre faute lucrative et risque systémique diffus », LPA 4 oct. 2017, n° 129w3, p. 6.
  • 2.
    Cass. 1re civ., 19 juin 2013, n° 12-16651 : Bull. civ. I, n° 132 ; D. 2013, p. 2084, note Lasserre Capdeville J. ; LPA 4 nov. 2013, p. 17, obs. Eréséo N.
  • 3.
    Selon la Cour de cassation : « si le TEG doit être calculé sur la base de l’année civile, rien n’interdit aux parties de convenir d’un taux d’intérêt conventionnel calculé sur une autre base » : Cass. com., 24 mars 2009, n° 08-12530 : Bull. civ. IV, n° 44 ; D. 2009, AJ, p. 1016, obs. Avena-Robardet V. ; LPA 10 juin 2009, p. 17, note Rousset C.
  • 4.
    Cass. 1re civ., 17 juin 2015, n° 14-14326 : Gaz. Pal. 10 sept. 2015, n° 236x3, p. 11, note Lasserre Capdeville J. – Cass. 1re civ., 15 juin 2016, n° 15-16498 ; Cass. 1re civ., 8 févr. 2017, n° 16-11625 – Cass. com., 29 nov. 2017, n° 16-17802 : LEDB janv. 2018, n° 111a9, p. 4, obs. Lasserre Capdeville J.
  • 5.
    CA Paris, 6 oct. 2017, n° 16/04945 : JCP E 2017, n° 48, 1651, note Lasserre Capdeville J. – CA Paris, 17 nov. 2017, n° 16/09224 : Gaz. Pal. 9 janv. 2018, n° 310z8, p. 23, note Lasserre Capdeville J. Dans le même sens, TGI Paris, 16 janv. 2017, n° 15/14262 : Gaz. Pal. 13 juin 2017, n° 297k1, p. 64, obs. Roussille M.
  • 6.
    Lasserre Capdeville J., Storck M., Routier R., Mignot M., Kovar J.-P. et Eréséo N., Droit bancaire, 2017, Précis Dalloz, nos 1158 et s.
  • 7.
    V. par ex. Cass. 1re civ., 11 juin 2009, n° 08-11755 : Bull. civ. I, n° 125 ; Cass. 1re civ., 20 déc. 2012, n° 11-27836 ; Cass. 1re civ., 9 juill. 2015, n° 14-12939 ; Cass. 1re civ., 25 févr. 2016, n° 14-2926.
  • 8.
    V. par ex., Cass. 1re civ., 8 févr. 2017, n° 16-11625 ; Cass. 1re civ., 1er mars 2017, nos 15-16819 et 16-10270 ; Cass. 1re civ., 29 mars 2017, n° 13-18042 ; Cass. 1re civ., 26 avr. 2017, n° 16-12770.
  • 9.
    Cass. 1re civ., 8 févr. 2017, n° 16-11625.
  • 10.
    CA Bourges, 23 mars 2017, n° 16/00571 ; CA Bordeaux, 29 juin 2017, n° 16/00436.
  • 11.
    CA Toulouse, 18 avr. 2017, n° 16/00219 ; CA Bordeaux, 6 juill. 2017, n° 16/01431.
  • 12.
    La date de l’offre acceptée est ainsi invoquée par les avocats ; même dans des cas où les données nécessaires au calcul n’ont pu être mises à la disposition de l’emprunteur que postérieurement à cette date (en l’occurrence le tableau d’amortissement définitif)…
  • 13.
    Rappelons que la position sévère du pôle 5 de la cour d’appel de Paris à l’égard du recours au « diviseur 360 » n’est pas partagée par les chambres 8 et 9 du pôle 4 (Biens, immobiliers, environnement et consommation) de la même cour d’appel. CA Paris, 23 mars 2017, n° 16/14662 ; CA Paris, 8 juin 2017, n° 16/01465 ; CA Paris, 22 juin 2017, n° 17/01330 : LEDB oct. 2017, n° 110w2, p. 5, obs. Lasserre Capdeville J. – CA Paris, 14 sept. 2017, n° 16/25687. Une telle divergence entre plusieurs chambres d’une même juridiction est préoccupante, plus particulièrement à l’égard de la sécurité juridique.
  • 14.
    CA Paris, 10 déc. 2015, n° 14/15332.
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