Point de départ du délai de prescription des actions en paiement
Qu’il s’agisse du droit commun ou du droit de la consommation, les règles relatives au point de départ du délai de prescription sont désormais harmonisées.
Cass. 1re civ., 19 mai 2021, no 20-12520, ECLI:FR:CCASS:2021:C100354, FS–P
Ayant entrepris la construction d’une maison d’habitation, M. et Mme T. ont confié à une société des travaux de gros œuvre. Un procès-verbal de réception des travaux avec réserves a été établi le 1er août 2013.
Invoquant le défaut de paiement d’une facture émise le 31 décembre 2013, la société a, le 24 décembre 2015, assigné en paiement M. et Mme T. La société a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel qui avait estimé l’action prescrite.
La cour d’appel a déclaré l’action en paiement du solde des travaux irrecevable, comme prescrite.
Pour la cour d’appel, le point de départ du délai de prescription de l’action en paiement d’une facture de travaux se situe au jour de son établissement, pour déclarer la société prescrite en son action en paiement de la facture correspondant au solde des travaux réalisés, la cour d’appel fixe au 1er septembre 2013 le point de départ de la prescription de cette action. En statuant ainsi, quand elle constatait que cette facture était datée du 31 décembre 2013, de sorte que l’action de la société n’était pas prescrite lorsqu’elle avait assigné, le 24 décembre 2015, M. et Mme T. en paiement du solde de cette facture, la cour d’appel a ainsi violé les textes applicables1.
Cette juridiction rappelle que l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans, qu’il a été jugé que le point de départ du délai de prescription se situait au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action concernée2, qu’il a été retenu, comme point de départ, dans le cas d’une action en paiement de travaux formée contre un consommateur, le jour de l’établissement de la facture3. Puis elle a précisé qu’elle retient désormais que l’action en paiement de factures formée contre un professionnel, qui est soumise à la prescription quinquennale4, se prescrit à compter de la connaissance par le créancier des faits lui permettant d’agir, ceux-ci pouvant être fixés à la date de l’achèvement des prestations5.
Elle précise ensuite qu’afin d’harmoniser le point de départ des délais de prescription des actions en paiement de travaux et services6, il y a lieu de prendre en compte la date de la connaissance des faits qui permet au professionnel d’exercer son action, laquelle peut être caractérisée par l’achèvement des travaux ou l’exécution des prestations.
Pour déclarer irrecevable, comme prescrite, l’action en paiement formée par la société, l’arrêt de la cour d’appel retient que la facture a été établie près de 7 mois après l’exécution de la prestation en méconnaissance des délais d’établissement impartis7, que sa date n’est pas certaine et que le délai de prescription a commencé à courir à la date à laquelle la facture aurait au plus tard dû être émise.
Elle précise ensuite qu’au vu de la jurisprudence, relative à la fixation du point de départ du délai de prescription de l’action en paiement de travaux formée contre un consommateur à la date d’établissement de la facture, la prescription de l’action de la société serait susceptible d’être écartée, tandis que la modification de ce point de départ pourrait conduire à admettre la prescription au regard des constatations de la cour d’appel relatives à la date d’exécution de la prestation. Si la jurisprudence nouvelle s’applique de plein droit à tout ce qui a été fait sur la base et sur la foi de la jurisprudence ancienne, il en va différemment si la mise en œuvre de ce principe affecte irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi en se conformant à l’état du droit applicable à la date de leur action. L’application de la jurisprudence nouvelle à la présente instance aboutirait à priver la société, qui n’a pu raisonnablement anticiper une modification de la jurisprudence, d’un procès équitable8, en lui interdisant l’accès au juge, de sorte qu’il est justifié de faire exception au principe de cette application immédiate, en prenant en compte la date d’établissement de la facture comme constituant le point de départ de la prescription au jour de l’assignation.
La Cour de cassation constate que dans ces conditions, la cour d’appel, qui a fait abstraction de la date d’établissement de la facture qu’il lui incombait de déterminer, a violé les textes susvisés.
Elle casse l’arrêt, mais seulement en ce qu’il déclare la société prescrite en son action en paiement du solde des travaux.
La question de droit posée était celle du point de départ de la prescription, spécialement celle de l’événement qui lui donne naissance et de sa connaissance par les intéressés.
La prescription, qu’il s’agisse de celle soumise au droit commun ou de celle qui entre dans le champ des exceptions prévues, permet d’éteindre la créance, ce qui pose la question de son point de départ, spécialement de l’événement qui lui donne naissance.
La présente décision souhaitant harmoniser la jurisprudence pour appliquer le même régime au professionnel ou au consommateur fixe le point de départ de l’action, dans les deux cas, au jour de la connaissance des faits (I) mais au nom de la bonne administration de la justice et du respect du droit au procès équitable, elle apporte un tempérament (II) à la mise en œuvre du principe pour tenir compte de la situation des parties ayant agi de bonne foi.
I – Point de départ de la prescription de la créance
La prescription9 permet l’extinction d’une obligation en cas d’inaction du créancier pendant un certain délai (A) de droit commun, assorti de quelques exceptions, ce qui implique de se pencher sur le point de départ de celui-ci (B), question résolue par la présente décision.
A – Délais de prescription
Pour qu’une obligation soit prescrite, il faut que le délai de droit commun, désormais de 5 ans10, y compris en matière commerciale11, sous réserve des exceptions12, dont celle relative au droit de la consommation où la prescription n’est pas quinquennale mais biennale pour le paiement des biens et services fournis par un professionnel à un consommateur13, soit écoulé14. Cela vaut surtout en matière contractuelle et s’applique à la créance principale, des règles particulières, qui existent, subsistent pour d’autres matières. Par l’effet de la prescription, le débiteur n’est plus tenu de payer la dette15. Mais en cas de paiement, le débiteur ne pourrait pas répéter les sommes versées16.
B – Événement caractérisant le point de départ de la prescription
Si des aménagements conventionnels de la prescription sont possibles17, la prescription commence à courir du jour de l’exigibilité de l’obligation, ce qui pose la question de déterminer le point de départ de la prescription et de l’événement qui va le faire courir.
Le principe est que le point de départ du délai de prescription se situe18 au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action concernée, ce qui pose la question de l’événement permettant cette connaissance et de sa nature.
Ainsi, dans le cas d’une action en paiement de travaux formée contre un consommateur, c’est le jour de l’établissement de la facture qui a été retenu comme point de départ19. Ainsi, il a été jugé que le point de départ du délai de prescription biennale de l’action en paiement exercée par un professionnel à l’encontre d’un consommateur auquel a été consenti un crédit immobilier se situe au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action concernée, soit à la date du premier incident de paiement non régularisé20. Dans le cas d’une action en recouvrement d’un prêt viager hypothécaire, c’est la date à laquelle le prêteur a connaissance de l’identité des héritiers de l’emprunteur21.
La jurisprudence retient désormais que l’action en paiement de factures formée contre un professionnel, soumise à la prescription quinquennale22, se prescrit à compter de la connaissance par le créancier des faits lui permettant d’agir, pouvant être fixée à la date de l’achèvement des prestations23. Ceci permet d’harmoniser le point de départ des délais de prescription des actions en paiement de travaux et services24, il y a donc lieu de prendre en compte la date de la connaissance des faits qui permet au professionnel d’exercer son action, laquelle peut être caractérisée par l’achèvement des travaux ou l’exécution des prestations.
II – Tempérament à la mise en œuvre du principe
Ainsi, qu’il s’agisse du droit commun ou du droit de la consommation, le point de départ du délai de prescription est harmonisé.
Il en résulte que par la fixation du point de départ du délai de prescription de l’action en paiement de travaux, formée contre un consommateur à la date d’établissement de la facture, la prescription de l’action de la société serait susceptible d’être écartée, tandis que la modification de ce point de départ pourrait conduire à admettre la prescription au regard de la date d’exécution de la prestation.
Cependant, si la jurisprudence nouvelle s’applique de plein droit, il en va différemment si la mise en œuvre de ce principe affecte irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi en se conformant à l’état du droit applicable à la date de leur action. Ainsi, il est justifié de faire exception au principe de cette application immédiate, qui en l’espèce aboutirait à priver la société, qui n’a pu raisonnablement anticiper une modification de la jurisprudence, d’un procès équitable25, en prenant en compte la date d’établissement de la facture comme constituant le point de départ de la prescription.
Ainsi cette décision harmonise, pour l’avenir, les points de départ des délais de prescription tout en tenant compte de la sécurité juridique26 et des intérêts des justiciables de bonne foi, qui n’avaient pas pu prévoir un revirement de jurisprudence27 marquant ainsi, dans une décision dont l’un des fondements est le respect du droit à un procès équitable28, un juge en équilibre : entre droits des justiciables et sécurité juridique29.
Notes de bas de pages
-
1.
C. consom., art. L. 137-2, devenu C. consom., art. L. 218-2.
-
2.
C. civ., art. 2224 ; Cass. 1re civ., 16 avr. 2015, n° 13-24024 : Bull. civ. I, n° 100 – Cass. 1re civ., 11 mai 2017, n° 16-13278 : Bull. civ. I, n° 111.
-
3.
Cass. 1re civ., 3 juin 2015, n° 14-10908 : Bull. civ. I, n° 136 – Cass. 1re civ., 9 juin 2017, n° 16-12457 : Bull. civ. I, n° 136.
-
4.
C. com., art. L. 110-4.
-
5.
Cass. com., 26 févr. 2020, n° 18-25036.
-
6.
C. civ., art. 2224 ; C. consom., art. L. 137-2, devenu C. consom., art. L. 218-2.
-
7.
C. com., art. L. 441-3 et CGI, art. 289.
-
8.
Conv. EDH, art. 6, § 1.
-
9.
L. n° 2008-561, 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile ; X. Lagarde, « Réforme de la prescription en matière civile : entre simplifications et incertitudes », Gaz. Pal. 11 avr. 2009, n° H3705, p. 2.
-
10.
C. civ., art. 2224.
-
11.
C. com., art. L. 110-4.
-
12.
C. civ., art. 2223 ; M. Richevaux, Les indispensables du régime général des obligations, 2018, Ellipses, fiches nos 39 et 40 « prescriptions exceptions ».
-
13.
C. consom., art. L. 137-2, devenu C. consom., art. L. 218-2.
-
14.
M. Richevaux, Les indispensables du régime général des obligations, 2018, Ellipses, fiche n° 38 « prescription droit commun ».
-
15.
C. civ., art. 2219.
-
16.
C. civ., art. 1235 anc.
-
17.
C. Pelletier, « L’aménagement conventionnel de la prescription extinctive », RDC 2008, p. 430.
-
18.
C. civ., art. 2224 ; Cass. 1re civ., 16 avr. 2015, n° 13-24024, P : Defrénois flash 4 mai 2015, n° 128n9, p. 4 – Cass. 1re civ., 11 mai 2017, n° 16-13278, P : Defrénois flash 5 juin 2017, n° 140d9, p. 10.
-
19.
Cass. 1re civ., 3 juin 2015, n° 14-10908, P ; Cass. 1re civ., 9 juin 2017, n° 16-12457, P.
-
20.
Cass. 1re civ., 16 avr. 2015, n° 13-24024, PB : Defrénois flash 4 mai 2015, n° 128n9, p. 4.
-
21.
Cass. 1re civ., 11 mai 2017, n° 16-13278.
-
22.
C. com., art. L. 110-4.
-
23.
Cass. com., 26 févr. 2020, n° 18-25036, P.
-
24.
C. civ., art. 2224 ; Cass. 1re civ., 19 mai 2021, n° 20-12520, FS-P.
-
25.
Conv. EDH, art. 6, § 1.
-
26.
L. Kaczmarek, « Revirements de jurisprudence et sécurité juridique : la Cour de cassation module sa position », LPA 9 oct. 2009, p. 10, obs. sous Cass. 1re civ., 11 juin 2009, n° 08-16914, M. X c/ Mme Z.
-
27.
N. Molfessis, Les revirements de jurisprudence. Rapport remis à Monsieur le premier président Guy Canivet, 2005, Litec, Cour de cassation.
-
28.
Conv. EDH, art. 6, § 1 ; J.-F. Renucci, Traité de droit européen des droits de l’homme, 2007, LGDJ, n° 636 ; CEDH, 13 juin 1979, n° 6833/74, Marckx c/ Belgique, § 58 ; CEDH, 28 mars 2000, n° 28358/95, Baranowski c/ Pologne, § 52 et 56 ; CJCE, 13 juill. 1961, nos 14, 16, 17, 20, 24, 26, 27-60 et 1-61, Meroni c/ Haute Autorité de la CECA.
-
29.
F. Tesson, « Un juge en équilibre : entre droits des justiciables et sécurité juridique », LPA 7 avr. 2011, p. 17, obs. sous CE, 1er oct. 2010, n° 314297.
Référence : AJU001g9