Pratiques commerciales trompeuses : rien ne va plus !
La chambre criminelle de la Cour de cassation sanctionne, en tant que pratique commerciale trompeuse, le fait d’avoir modifié le taux de rémunération d’un livret avant le terme annoncé de la compagne promotionnelle, sans avoir assuré la « proportionnalité » entre les moyens mis en œuvre pour assurer la promotion dudit livret et ceux déployés pour informer la clientèle de l’arrêt de la rémunération de ce livret au taux initialement annoncé.
Cass. crim., 13 janv. 2016, no 14-88136, PB
1. Le régime applicable aux pratiques commerciales déloyales, trompeuses et agressives est une tapisserie de Pénélope, toujours sur le métier mais jamais achevée. Ce ne sont pas moins de six lois (quatre pour les années 2008 et 2014), deux ordonnances et un arrêté1 qui, en l’espace de dix ans, ont été publiés, sans pour autant que la transposition de la directive n° 2005/292 soit, ni totale, ni conforme. Cette production normative au rythme approximatif d’un texte tous les 15 mois, pourrait laisser penser qu’en 2016, l’édifice réglementaire est désormais achevé et toutes les zones d’ombres levées. Il n’en est rien. Chaque nouveau texte s’accompagne de son lot d’interrogations et la jurisprudence, loin d’apporter l’éclairage nécessaire, contribue au contraire à l’invraisemblable brouhaha qui domine cette question. L’arrêt de la Cour de cassation du 13 janvier 20163 vient illustrer ce constat.
2. À l’occasion de cet arrêt, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait à connaitre des circonstances suivantes. Entre le 21 janvier et le 13 février 2009, HSBC France a conduit une campagne publicitaire relative à un compte livret « Compte épargne direct » bénéficiant d’une rémunération très attractive de 6 % pendant 6 mois mais uniquement pour les comptes ouverts jusqu’au 31 mars, la rémunération tombant ensuite à 3,75 %. Le hasard a voulu que cette offre intervienne dans un contexte de taux particulièrement bas4, la rendant ainsi tout à fait attractive. On notera que la souscription était destinée à être effectuée en ligne.
Face à l’engouement suscité par son offre, HSBC France a décidé d’y mettre un terme à partir du 19 février, sans toutefois faire cesser la procédure d’ouverture à distance des comptes. Pour la cour d’appel de Paris5, la pratique commerciale était trompeuse dès lors que la banque avait, alors même qu’elle n’appliquait plus le taux initialement annoncé, poursuivi la prise de souscriptions sans que les clients soient suffisamment informés de ce changement.
3. Deux remarques complémentaires s’imposent. Tout d’abord, la Cour de cassation souligne que, ni la communication commerciale originelle, ni celle communiquée aux clients à l’instant de la souscription (et indiquant que le taux applicable était de 3,75 % au lieu de 6 %), ne sont trompeuses. La cour d’appel de Paris mettait en relief « la disproportion (…) évidente entre les moyens mis en œuvre par la banque HSBC pour lancer sa campagne et ceux qui ont été mis en œuvre pour l’arrêter prématurément ». De cette disproportion, les hauts magistrats déduisent une altération manifeste du « [….] comportement économique d’un consommateur normalement attentif et avisé, trompé sur les qualités essentielles du contrat souscrit et la portée de l’engagement de l’annonceur ».
Il est intéressant de souligner que, par-delà le contenu des messages, la Cour de cassation pointe une défaillance dans l’information de la clientèle au sujet de la remise en cause des conditions de l’offre promotionnelle initiale.
La Cour s’appuie notamment sur le fait que le « code promotionnel » associé à cette offre, lequel devait impérativement être repris dans le formulaire de souscription, était toujours sollicité sur ledit formulaire même après l’arrêt de la promotion. Bien que ce code n’ait été en réalité destiné qu’à identifier le périodique par l’intermédiaire duquel le client avait eu connaissance de l’offre, les magistrats semblent avoir considéré, même si cela n’est pas clairement exprimé dans les décisions, que cet élément a pu contribuer à induire en erreur le consommateur.
En bref, pour reprendre l’arrêt de la cour d’appel de Paris dans cette affaire, « Le caractère trompeur de la pratique en cause, qui ne saurait se limiter au message de la publicité initiale qui, de manière intrinsèque et à ce stade, ne comportait aucun élément de tromperie, résulte dans le fait qu’eu égard aux circonstances de diffusion de cette offre promotionnelle affichant notamment un délai clair de validité de l’offre, le consommateur fort de ces conditions largement diffusées et auxquelles un code spécifique d’offre était attachée, ne pouvait, à défaut d’avis clair et antérieur à tout engagement de sa part, que penser légitimement que l’offre restait valable, alors qu’elle ne l’était plus, et ce d’autant que sa souscription continuait à être prise en compte sur internet ». Les circonstances comptent donc autant que le contenu des messages commerciaux pour apprécier une pratique trompeuse et c’est là que se manifeste une dangereuse zone d’ombre au travers de la notion de disproportion.
4. La motivation qui sous-tend cet arrêt est intéressante pour deux raisons. La première réside dans un rappel, sans ambiguïté, du caractère purement matériel du délit de pratique commerciale trompeuse (I). La seconde est le fait que la Cour de cassation valide la référence explicite faite par la cour d’appel de Paris à la notion de « proportionnalité », critère dont l’apparition, s’agissant de la répression des pratiques commerciales trompeuses est pour le moins inquiétante (II).
I – Le caractère purement matériel de la pratique commerciale trompeuse
A – Pratiques trompeuses vs pratiques déloyales
5. Tout d’abord, rappelons que les pratiques commerciales trompeuses sont objets de l’article L. 121-1-I6 du Code de la consommation pour les pratiques trompeuses par action et de l’article L. 121-1-II7 du même code, s’agissant des pratiques trompeuses par omission.
On notera toutefois qu’in fine, les hauts magistrats ne se réfèrent pas à la lettre de l’article L. 121-1-I8, mais à celle de l’article 120-19 du Code de la consommation. Ce dernier article fixe un principe général : « les pratiques commerciales déloyales sont interdites », en précisant qu’est déloyale la pratique qui, non seulement est « contraire aux exigences de la diligence professionnelle », mais aussi qui « altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service »10. On voit là que les hauts magistrats ont assimilé les pratiques commerciales trompeuses aux pratiques déloyales, estimant sans doute, sans l’exprimer clairement, que les pratiques trompeuses ne sont qu’une illustration de ce qu’est une pratique déloyale.
6. Cette interprétation peut se recommander de l’article L. 120-111 du Code de la consommation lequel constitue, à lui seul, le chapitre préliminaire du titre II – Pratiques commerciales – du Livre I – Information des consommateurs et formation des contrats du Code de la consommation, et affirme un principe général de prohibition de la déloyauté. Le II12 de cet article énonce par ailleurs, de manière très claire, que constituent « en particulier » des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux anciens articles L. 121-1 et L. 121-1-1 du Code de la consommation. Nous verrons ci-après (§ 7) que cette interprétation n’est pas celle de la CJUE.
La question suivante concerne le caractère ou non intentionnel de cette infraction.
B – Quelle place pour l’intention dans les pratiques commerciales trompeuses ?
7. Un peu d’histoire, s’agissant de « l’intentionnalité » qui s’attache, ou pas, à cette infraction. Les pratiques commerciales trompeuses font l’objet d’une répression de nature pénale par le biais de l’article L. 121-613 du Code de la consommation. Auparavant existait le délit de publicité fausse ou de nature à induire en erreur lequel était un délit non-intentionnel. L’on sait que la loi d’adaptation du 16 décembre 1992 relative à l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal prévoyait, dans son article 339, que « tous les délits non intentionnels réprimés par des textes antérieurs à l’entrée en vigueur de la présente loi demeurent constitués en cas d’imprudence, de négligence et de mise en danger délibérée de la personne d’autrui, même lorsque la loi ne le prévoit pas expressément ». Or, le délit de publicité fausse ou de nature à induire en erreur était, avant la réforme du Code pénal, un délit non-intentionnel, nature qu’il a conservée ensuite lors de l’introduction, par la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008, des pratiques commerciales trompeuses et agressives.
8. Dans son arrêt du 13 janvier 2016, la Cour de cassation adopte à ce sujet une position différente. En effet, elle valide résolument la position de la cour d’appel de Paris au sujet du caractère intentionnel, cette dernière ayant souligné que : « (…) l’élément intentionnel requis par l’infraction visée réside dans le fait que la banque ait décidé de ne plus appliquer les conditions de sa promotion avant son terme, dans les conditions qui viennent d’être rappelées… ».
In fine, le délit de pratique commerciale trompeuse est-il ou non intentionnel ? Pour la CJUE, il est clair que ce délit est matériel. Elle l’a affirmé, de manière catégorique, à deux reprises.
9. Tout d’abord, dans une décision du 19 septembre 201314, elle a décidé (§ 48) que : « la directive sur les pratiques commerciales déloyales doit être interprétée en ce sens que, dans le cas où une pratique commerciale satisfait à tous les critères énoncés à l’article 6, paragraphe 1, de cette directive pour être qualifiée de pratique trompeuse à l’égard du consommateur, il n’y a pas lieu de vérifier si une telle pratique est également contraire aux exigences de la diligence professionnelle au sens de l’article 5, paragraphe 2, sous a)15, de la même directive pour qu’elle puisse valablement être considérée comme déloyale et, partant, interdite au titre de l’article 5, paragraphe 1, de ladite directive ».
Autrement dit, il importe peu que la pratique contestée soit le fruit d’une violation de la diligence professionnelle, peu importe que son auteur soit ou non de bonne foi.
10. La CJUE estime dans sa décision du 19 septembre 201316 que cette interprétation « est la seule qui soit de nature à préserver l’effet utile des règles particulières prévues aux articles 6 à 9 de la directive sur les pratiques commerciales déloyales. En effet, si les conditions d’application de ces articles étaient identiques à celles énoncées à l’article 5, paragraphe 2, de la même directive, lesdits articles seraient dépourvus de toute portée pratique, alors même qu’ils ont pour but de protéger le consommateur contre les pratiques commerciales déloyales les plus fréquentes ».
La doctrine remarque à cet égard que l’« élément matériel et [l’] élément moral de l’infraction tendent pratiquement à fusionner et la faute intentionnelle finit par évoquer la faute lourde d’imprudence ou de négligence »17, la jurisprudence évoquant, quant à elle, « une négligence coupable assimilable à de la mauvaise foi »18 ou bien encore une « grave négligence professionnelle »19. Ramené au cas qui nous préoccupe, ceci signifie qu’il importe peu que la banque ait eu, ou non, une volonté délibérée de tromper ses clients, il importe peu qu’elle ait été ou non de bonne foi ou bien encore, qu’elle invoque des circonstances matérielles pour expliquer son attitude20.
11. Cette prise de position a été rappelée dans une décision du 16 avril 201521 par laquelle la CJUE, reprenant la solution dégagée dans son arrêt du 19 septembre, estime qu’est « dénué de toute pertinence le caractère prétendument non intentionnel d’un agissement tel que celui en cause au principal »22. La Cour se réfère à l’article 11 de la directive23 n° 2005/29, lequel prévoit expressément que l’application des mesures prises par les États membres aux fins de lutter contre de telles pratiques est indépendante de la preuve d’une intention, voire d’une négligence de la part du professionnel, tout comme de celle d’un préjudice réel subi par le consommateur.
12. L’arrêt de la Cour de cassation du 13 janvier 2016 démontre une double divergence de vue entre la Cour de cassation et la CJUE. D’une part, pour les juges du Quai de l’horloge, la question de l’intentionnalité se pose. Mais y a-t-il une divergence fondamentale entre, d’une part, une intentionnalité interprétée de manière très compréhensive et une matérialité « brute » ? Ce que l’on retient de tout ceci est que l’élément légal de l’infraction devient rien de moins qu’approximatif et que de telles libertés prises avec les principes de la procédure pénales sont préoccupants en présence d’un délit lourdement réprimé24.
13. D’autre part, la Cour de cassation, pour retenir le caractère trompeur de la pratique, fait une référence expresse à l’article L. 120-125, alinéa premier, du Code de la consommation relatif aux pratiques commerciales déloyales pour affirmer qu’il y a eu une altération manifeste du « [….] comportement économique d’un consommateur normalement attentif et avisé, trompé sur les qualités essentielles du contrat souscrit et la portée de l’engagement de l’annonceur ».
Or, l’arrêt de la CJUE du 19 septembre 2013 nous invite à une toute autre lecture que celle retenue par la Cour de cassation. Les juges de Luxembourg déconnectent en effet les pratiques commerciales trompeuses des pratiques déloyales, soit un cloisonnement des dispositions privant l’article L. 120-126 de son rôle « d’article pilote ». Pour être conforme à la jurisprudence de la CJUE, la Cour de cassation aurait dû s’abstraire de l’article L. 120-127 et s’attacher à démontrer qu’étaient remplies les conditions d’application de l’article L. 121-1-II28.
14. Ces deux divergences illustrent la difficulté, tant pour les consommateurs, que pour les professionnels, de se faire une idée concrète du régime juridique des pratiques commerciales trompeuses. Le tableau qu’en dresse la CJUE est, très schématiquement le suivant : ces pratiques constituent un délit matériel dans lequel la bonne foi n’a pas sa place et les pratiques commerciales déloyales et trompeuses appartiennent chacune à un domaine bien précis. Le moins que l’on puisse dire est que la situation est regrettablement complexe en présence, encore une fois, d’un délit faisant l’objet d’une répression pénale.
L’autre conséquence importante de l’arrêt du 13 janvier 2016 est la référence faite par la Cour de cassation à la notion de proportionnalité afin d’évaluer le caractère ou non trompeur du comportement du professionnel.
II – La notion de proportionnalité des mesures d’information de la clientèle
15. Au risque de nous répéter, mais la répétition a ici son importance, la chambre criminelle de la Cour de cassation ne retient à la charge de la banque aucun message trompeur, que ce soit dans le message initial ou bien, dans celui communiqué lors de la souscription, mais un manque de « proportionnalité » entre les moyens mis en œuvre pour assurer la promotion du livret et ceux déployés pour informer la clientèle de l’arrêt de la rémunération de ce livret au taux initialement annoncé.
A – Ce à quoi on pouvait s’attendre
16. On aurait pu s’attendre à ce que l’arrêt du 13 janvier 2016 apporte un éclairage sur la question de savoir à quel moment doit se manifester le caractère trompeur d’une pratique pour être sanctionné.
Avant toute chose, la notion de décision commerciale est délicate à circonscrire et semble aller au-delà de la simple décision de contracter. Ainsi, la directive n° 2005/29, dans son article 2.k, précise que la décision commerciale est « toute décision prise par un consommateur concernant l’opportunité, les modalités et les conditions relatives au fait d’acheter, de faire un paiement intégral ou partiel pour un produit, de conserver ou de se défaire d’un produit ou d’exercer un droit contractuel en rapport avec le produit, une telle décision pouvant amener le consommateur soit à agir, soit à s’abstenir ».
Le document de travail de la Commission relatif à la mise en œuvre et l’application de la directive n° 2005/29/CE29 confirme la difficulté de situer ce moment : « Ces décisions commerciales peuvent conduire à des actes auxquels le droit national des contrats n’attache aucune conséquence juridique et elles peuvent être prises à tout moment entre celui où le consommateur est exposé au marketing pour la première fois et la fin de vie d’un produit ou la dernière utilisation d’un service ».
17. Si la pratique peut se manifester à n’importe quel moment du processus contractuel, la jurisprudence est toutefois divisée. Ainsi, dans un arrêt du 21 mai 201430, la cour d’appel de Paris avait à connaître d’une publicité télévisée dont le caractère trompeur était allégué. La cour estima à cette occasion que la publicité était de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur et ce, indépendamment du fait de savoir si l’ensemble des informations nécessaires afin de prendre une décision éclairée était présent sur l’emballage des produits.
18. À peu de temps de là, la cour d’appel de Lyon31, statuant sur renvoi après cassation, se prononçait au sujet d’un comparateur de prix ne mettant pas à jour, en temps réel, le prix des produits comparés. La cour refusait de retenir le caractère trompeur au motif que : « (…) la pratique commerciale dénoncée pour être de nature à induire temporairement en erreur, n’est ainsi pas susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur, du fait de cette information qu’il recueillera immanquablement avant de procéder ou non à un achat, l’absence de fiabilité des tableaux comparatifs étant d’ailleurs de nature à conduire l’internaute à ne plus faire confiance au site ». Cette fois-ci, la cour d’appel de Lyon se plaçait ainsi au jour de la contractualisation pour estimer la régularité de la pratique.
La chambre criminelle de la Cour de cassation, dans son arrêt du 13 janvier 2016, n’aborde en rien ce sujet en examinant, non pas le moment de la communication, amont ou aval, mais en appréciant la proportionnalité des moyens mis en œuvre par la banque pour informer ses clients de la modification d’un élément substantiel de l’offre par rapport à ceux mis en œuvre pour la commercialisation.
19. Plutôt que de se référer à la proportionnalité, les hauts magistrats auraient pu utiliser la notion d’informations données à « contretemps » évoquée dans l’article L. 121-1-II32. Quand bien même cette disposition ne transpose pas de manière intégrale l’article 7 de la directive n° 2005/29 afin de préciser l’effet de l’omission33, elle aurait pu offrir une base légale tangible.
20. De même, on évoquera, pour mémoire, la nouvelle rédaction de l’article L.121-1-II, alinéa 234, du Code de la consommation, tel que modifié par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 (dite loi Hamon)35. Cet article, qui ne concerne que les pratiques commerciales trompeuses par omission, vise les moyens de communication imposant « des limites d’espace ou de temps », situation permettant « pour apprécier si des informations substantielles ont été omises de tenir compte de ces limites ainsi que de toute mesure prise par le professionnel pour mettre ces informations à la disposition du consommateur par d’autres moyens ». Cette disposition est toutefois d’application limitée. Il n’est en effet pas certain que le canal internet soit un moyen de communication imposant des limites d’espaces et de temps. Par ailleurs, en tout état de cause, l’objet de ce texte est l’hypothèse où « (…) des informations substantielles » ont été omises or, au risque d’une lancinante répétition, la Cour de cassation ne relève pas une telle omission dans son arrêt du 13 janvier 2016.
B – Ce que l’on découvre : l’inquiétante émergence de la proportionnalité
21. Pourquoi avoir recours à un nouveau critère qui n’apparaît dans aucun texte ? La première explication qui vient à l’esprit est de nature compassionnelle. La Cour dégage ici, au nom de la défense d’une « certaine vision » du comportement que devrait adopter un professionnel diligent, un critère qui n’apparaît dans aucun texte.
Ne nous y trompons pas, la lutte contre les pratiques commerciales trompeuses est un impératif catégorique, de telles pratiques ruinant la confiance légitime que les consommateurs peuvent et doivent placer dans les professionnels, notamment lorsque ceux-ci sont des établissements de crédit. Se pose toutefois une question. Cette lutte, aussi légitime soit-elle, peut-elle avoir lieu au prix de la violation des principes du droit, de l’avènement d’une « transparence chicanière »36 et, finalement, d’une bonne raison supplémentaire de douter de l’attractivité d’un droit peu à peu dévertébré ?
22. Alain Bénabent s’interrogeait récemment au sujet du culte disproportionné de la proportionnalité37, redoutant que tout devienne plaidable puisque tout juge aurait le pouvoir de s’affranchir de la loi. Dans le cas qui nous retient, on irait droit vers une juridicisation des relations commerciales menaçant la sécurité des transactions.
L’arrêt du 13 janvier prend en tous les cas une distance notable avec la CEDH qui, dans une affaire Pessino c/ France38 a jugé, s’agissant de l’article 7 de la Convention EDH : « Il s’ensuit que la loi doit définir clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale39 ». Au premier chef, la Convention EDH exige la clarté « du libellé de la disposition pertinente », le recours à « l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux », ne devant jouer qu’un rôle subsidiaire (« au besoin »). Ici c’est tout le contraire. L’interprétation des juges fait le droit.
23. Voici donc que les pratiques commerciales trompeuses sont constitutives d’un délit matériel, étranger à toute mauvaise foi et dont l’élément légal est rien de moins qu’incertain. On trouve dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la CEDH des arguments invitant à une réflexion au sujet de la cohérence du recours au droit pénal s’agissant de délits strictement matériels. Ainsi, dans une décision du 16 juin 199940, le Conseil constitutionnel a rappelé que « la définition d’une incrimination, en matière délictuelle, doit inclure, outre l’élément matériel de l’infraction, l’élément moral, intentionnel ou non, de celle-ci ». La CEDH41 elle-même a jugé que « l’article 7, § 1, de la Convention, exige que les infractions soient clairement définies par la loi ; il en va ainsi lorsque l’individu peut savoir, à partir du libellé de la clause pertinente et, au besoin, à l’aide de son interprétation par les tribunaux quels actes et omissions engagent sa responsabilité ».
24. Arrivé au terme de ce tour d’horizon de l’arrêt du 13 janvier 2016, que faut-il en retenir ? Nous insisterons sur trois points principaux. Tout d’abord, une pratique commerciale trompeuse est un délit matériel, objet d’une répression que l’on qualifiera d’exagérément rigoureuse (jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 300 000 € d’amende) s’agissant d’un délit qui peut être « commis de bonne foi »42. Par ailleurs, là où la CJUE distingue pratiques trompeuses et déloyales, la Cour de cassation mêle en revanche les deux notions, brouillant ainsi largement le message relatif aux éléments constitutif du délit. Enfin, la notion de proportionnalité vient renforcer l’insécurité juridique, déjà manifeste, qui règne sur ce sujet.
En résumé, cet arrêt constitue un vibrant appel à la dépénalisation des pratiques commerciales trompeuses dont le régime juridique est ni plus ni moins qu’ubuesque43. En effet, on assiste à une regrettable instrumentalisation du droit pénal à des fins indemnitaires dans le cadre d’un litige de consommation. Nous sommes loin du principe rappelé par la CEDH44 exigeant que les infractions soient clairement définies par la loi.
Notes de bas de pages
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1.
L. n° 2008-3, 3 janv. 2008, pour le développement de la concurrence au service des consommateurs dont l’article 39 transpose en droit interne la directive européenne n° 2005/29/UE ; L. n° 2008-776, 4 août 2008, relative à la modernisation de l’économie modifiant l’article L. 120-1 du Code de la consommation définissant les pratiques commerciales qualifiées de déloyales ; L. n° 89-421, 23 juin 1989, relative à l’information et à la protection des consommateurs, abordant la question des loteries avec pré-tirage ; L. n° 2011-525, 17 mai 2011, dite de simplification et d’amélioration de la qualité du droit levant, notamment, la prohibition de principe des ventes liées, à primes et des loteries commerciales pour autant qu’elles ne revêtent pas un caractère déloyal au sens de l’article L. 120-1 du Code de la consommation ; L. n° 2014-344, 17 mars 2014, relative à la consommation abordant tant le sujet des loteries que des sanctions des pratiques commerciales trompeuses et agressives ; L. n° 2014-1545, 20 déc. 2014, relative à la simplification de la vie des entreprises abordant la question du formalisme et des sanctions en matière de loteries. Sans oublier, l’ord. n° 2012-351, 12 mars 2012, relative à la partie législative du Code de la sécurité intérieure venant abroger une loi du 21 mai 1836 portant prohibition des loteries et un arrêté du 11 mars 2015 relatif aux annonces de réduction de prix à l’égard du consommateur. En dernier lieu, une ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, relative à la partie législative du Code de la consommation.
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2.
Directive relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur : JOUE, 11 juin 2005, n° L. 149.
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3.
Cass. crim. 13 janv. 2016, n° 14-88136.
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4.
Selon les constations de la DGCCRF, le taux de rémunération du livret A était passé à 4 % au 1er janvier 2009 puis à 2,5 % au 1er février de la même année. Ces soubresauts dans l’évolution des cours seront-ils considérés comme la manifestation d’une imprévision au sens du futur article 1195 du Code civil issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations ?
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5.
CA Paris, rép gén n° 12/07098.
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6.
Art. L. 121-2 dans la rédaction du code issue de l’ord. n° 2016-301, 14 mars 2016, entrant en vigueur le 1er juill. 2016.
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7.
Art. L. 121-3 dans la rédaction du code issue de l’ord. n° 2016-301, 14 mars 2016, entrant en vigueur le 1er juill. 2016.
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8.
Art. L. 121-2 dans la rédaction du code issue de l’ord. n° 2016-301, 14 mars 2016, entrant en vigueur le 1er juill. 2016.
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9.
Art. L. 121-1 dans la rédaction du code issue de l’ord. n° 2016-301, 14 mars 2016, entrant en vigueur le 1er juill. 2016.
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10.
« La société HSBC avait manifestement altéré le comportement économique d’un consommateur normalement attentif et avisé, trompé sur les qualités essentielles du contrat souscrit et la portée de l’engagement de l’annonceur ».
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11.
Art. L. 121-1 dans la rédaction du code issue de l’ord. n° 2016-301, 14 mars 2016, entrant en vigueur le 1er juill. 2016.
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12.
C. consom., L. 121-1 nouv, al. 3.
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13.
Art. L. 132-2 dans la rédaction du code issue de l’ord. n° 2016-301, 14 mars 2016, entrant en vigueur le 1er juill. 2016.
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14.
CJUE, 19 sept. 2013, n° C-435/11, CHS Tour Service GmbH. Nicod V., « L’arrêt de la CJUE du 19 septembre 2013, affaire C-435/11 : une clarification bienvenue dans le droit des pratiques commerciales déloyales ! », RLDA 2013/88, p. 32 ; Jouffin E., « La répression des pratiques commerciales trompeuses nature du délit et prescription : Ubu fait son droit », in Mélanges en l’honneur de Didier R. Martin, 2015, LGDJ, p. 267 et s.
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15.
Lequel vise les pratiques déloyales.
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16.
§ 46.
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17.
Jeandidier W., Droit pénal des affaires, 6e éd., 2005, Dalloz, n° 434.
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18.
CA Agen, ch. corr., 15 avr. 2009, n° 08/00306-A.
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19.
CA Bourges, ch. corr. 2, 16 avr. 2009, n° 2009/193.
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20.
Au cas d’espèce HSBC évoquait un engorgement des services dû au succès inattendu de son offre.
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21.
CJUE, 16 avr. 2015, n° C-388-13.
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22.
§ 47.
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23.
Art. 11-2 : « (…) les États membres confèrent aux tribunaux ou aux autorités administratives des pouvoirs les habilitant, dans les cas où ceux-ci estiment que ces mesures sont nécessaires compte tenu de tous les intérêts en jeu, et notamment de l’intérêt général [….] même en l’absence de preuve d’une perte ou d’un préjudice réels, ou d’une intention ou d’une négligence de la part du professionnel ».
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24.
L’article L. 121-6 du Code la consommation énonce, dans sa rédaction postérieure à la loi Hamon, que les pratiques commerciales trompeuses sont punies d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 300 000 €, montant pouvant être « porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement, à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits, ou à 50 % des dépenses engagées pour la réalisation de la publicité ou de la pratique constituant le délit ». Ceci sans préjudice des pouvoirs de sanctions notamment détenus par l’ACPR et l’AMF. Rédaction reprise dans C. com., art. L. 132-2, dans sa réaction issue de l’ord. n° 2016-301, 14 mars 2016, entrant en vigueur le 1er juill. 2016.
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25.
C. consom., art. L. 121-1 nouv.
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26.
C. consom., art. L. 121-1 nouv.
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27.
C. consom., art. L. 121-1 nouv.
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28.
Art. L. 121-3 dans la rédaction du code issue de l’ord. n° 2016-301, 14 mars 2016, entrant en vigueur le 1er juill. 2016 : « Une pratique commerciale est également trompeuse si, compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu’elle n’indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte ».
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29.
3 déc. 2009 – SEC(2009) 1666, spéc. p. 24.
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30.
CA Paris, 21 mai 2014, n° 12/01417, Nestlé Purina Petcare France c/ Mars PF France.
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31.
CA Lyon, 24 juill. 2014, n° 11/08322, Concurrence c/ Kelkoo.
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32.
Art. L. 121-3, al. 1er, dans sa rédaction du code issue de l’ord. n° 2016-301, 14 mars 2016, entrant en vigueur le 1er juill. 2016 : « (…) omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle (…) ». Texte issu de l’article 7.2 de la directive. La chambre criminelle de la Cour de cassation a refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel une QPC au motif, d’une part sur le fait que la notion de contretemps avait déjà fait l’objet de décisions de droit interne et, d’autre part, qu’il s’agit d’une « notion claire » transposée de l’article 7.2 de la directive n° 2005/29 du 11 mai 2005 : Cass. crim., 30 nov. 2010, n° 10-90076 : Dr. pén. 2011, comm. 24, note Robert J.-H. Pour un commentaire critique de cette décision, Galvada-Moulenat C., in Dr. et procéd. févr. 2011, p. 14 ; Rev. Le Lamy Droit du Contrat, suppl. au n° 63 ; Lucas de Leyssac M.P., « Le droit pénal de la consommation », spéc. p. 38.
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33.
La directive énonce en effet que l’information doit être de celle dont « le consommateur moyen a besoin, compte tenu du contexte, pour prendre une décision commerciale en connaissance de cause et, par conséquent, l’amène ou est susceptible de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement ».
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34.
C. consom., art. L. 121-3 nouv., al. 1er.
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35.
« Lorsque le moyen de communication utilisé impose des limites d’espace ou de temps, il y a lieu, pour apprécier si des informations substantielles ont été omises, de tenir compte de ces limites ainsi que de toute mesure prise par le professionnel pour mettre ces informations à la disposition du consommateur par d’autres moyens ». Cette disposition tend à la mise en conformité du Code de la consommation avec l’article 7-3 de la directive n° 2005/29.
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36.
Mazeaud D., « Les vices de la protection du consentement du consommateur », D. 2002, n° 1, p. 71-74.
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37.
Bénabent A., « Un culte de la proportionnalité … un brin disproportionné ? », D. 2016, p. 137.
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38.
Req. n° 40403/02, arrêt du 10 oct. 2006.
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39.
V. not., Cantoni c/ France, arrêt du 15 nov. 1996 : Recueil des arrêts et décisions 1996-V, p. 1627, § 29 – CEDH, 29 mars 2006, n° 67335/01, § 41, Achour c/ France ; CEDH, 30 mars 2004, Radio France c/ France : « L’article 7, § 1, de la Convention, exige que les infractions soient clairement définies par la loi ; il en va ainsi lorsque l’individu peut savoir, à partir du libellé de la clause pertinente et, au besoin, à l’aide de son interprétation par les tribunaux quels actes et omissions engagent sa responsabilité ».
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40.
Cons. const., 16 juin 1999, n° 99-411 DC, cons. 16.
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41.
CEDH, 30 mars 2004, Radio France c/ France.
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42.
CJUE, 19 sept. 2013, supra § 7.
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43.
On lira avec intérêt l’éditorial de Daigre J.-J., « Des pratiques commerciales dangereuses pour les établissements », Banque et droit n° 165, janv.-févr. 2016, p. 3.
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44.
CEDH, 30 mars 2004, Radio France c/ France.