Bâtiment : « Nous avons 8 à 9 mois de carnet de commande en Île-de-France »
Avec 41 000 entreprises (employant au moins 1 salarié), 345 000 actifs et 37 Mds€ de chiffre d’affaires, le bâtiment en Île-de-France représente plus d’un tiers de l’activité nationale. Pour représenter ce secteur volumineux au niveau francilien, la Fédération française du bâtiment (FFB) est structurée en trois organisations : la FFB Île-de-France, la FFB Île-de-France Est et la FFB Grand Paris. La FFB Île-de-France a en charge les professionnels des départements du Val d’Oise, des Yvelines et de l’Essonne. Ces territoires représentent 3 500 entreprises pour 40 000 salariés. 80 % sont des TPE et PME de moins de 20 salariés. Mais il y a aussi une dizaine d’entreprises de taille intermédiaire qui sont souvent des filiales de groupes. Si le secteur du bâtiment a enregistré une reprise, les pénuries de matières premières et de main-d’œuvre sont venues bousculer la conjoncture 2021. Mais 2022 s’annonce riche en commande. Nous faisons le point avec Patrick Ramé, président de la Fédération française du bâtiment Île-de-France.
Actu-Juridique : Quel bilan faites-vous de l’année 2021 dans le secteur du bâtiment ?
Patrick Ramé : Nous avons fait preuve de résistance. Malgré la crise sanitaire, nous avons su réagir et s’organiser pour continuer à avoir une activité. Nous avons du travail mais nous avons un problème d’organisation face à la Covid 19. Puis, nous avons aussi des difficultés d’approvisionnement de matériaux. Mais globalement, en 2021, nous avons aussi constaté une reprise dans notre secteur. Nous sommes en augmentation constante dans tous les domaines du bâtiment. Nous avons toujours une crainte par rapport au logement neuf. Sur les douze derniers mois, ce secteur a été en baisse de 3 % par rapport à la même période de l’année précédente. Une diminution constatée surtout pour les logements collectifs. Ensuite, toujours en 2021, nous avons connu un rebond de mise en chantier mais une stagnation des autorisations, dans la construction neuve de bâtiment non résidentiel. En revanche, l’activité entretien et rénovation a été boostée par la Prime Rénov, une prime destinée à la rénovation énergétique. Nous avons eu une hausse entre 9,5 et 13 % des volumes au premier et deuxième trimestre 2021. L’augmentation s’est poursuivie en fin d’année. Néanmoins la région Ile-de-France reste la moins dynamique en termes d’activité entretien rénovation au 3e trimestre 2021.
AJ : Vous êtes donc satisfaits de cette année 2021 ?
P. R.: Nous sommes satisfaits au niveau du résultat. Nous sommes mitigés au niveau des marges. Nous pensons que les résultats vont être croissants. Mais les marges vont fortement diminuer du fait de la complexité à pouvoir réaliser les travaux.
AJ : La complexité à réaliser les travaux vient notamment de la pénurie des matériaux, que vous avez évoquée, qui engendre une augmentation des prix de ces produits. Concrètement, quelles ont été les conséquences de ce phénomène ?
P. R.: Il y a deux sujets. D’abord les marchés révisables. Dans ces cas, vous avez la possibilité de revoir les prix. C’est donc un moindre mal. Par exemple, dans les marchés publics, nous avons une clause, qui permet de faire une revalorisation des prix. En revanche, dans les marchés privés, cette clause existe très rarement. Dans ces conditions, il a fallu négocier avec les maîtres d’ouvrage. Une minorité d’entre eux a été compréhensive. Mais, nous avons eu beaucoup de difficultés notamment avec les promoteurs dans le logement, pour obtenir des révisions de prix. Certains de nos entrepreneurs ont refusé de faire des travaux, qui avaient été négociés en 2020. S’ils engageaient le chantier, ce serait à perte. Ils ont donc forcé à la négociation. Mais confrontés à cette situation, les maîtres d’ouvrage menaçaient d’aller devant les tribunaux. Il y a donc eu plusieurs rapports de force, qui se sont plus ou moins bien terminés : soit en passant par des négociations, soit en allant au tribunal.
Ensuite, l’autre problématique sur la pénurie des matières première ce sont les délais d’approvisionnement et donc de finition des travaux. Certains ont été compréhensifs en décalant la livraison. Dans le cadre des marchés publics, le ministre de l’économie Bruno Le Maire est intervenu auprès des maîtres d’ouvrage publics. Ainsi, ils ont permis aux entreprises de pouvoir réadapter leur planning en fonction des matériaux. D’autres maîtres d’ouvrage, notamment dans le logement, ne pouvaient pas revoir les délais, du fait des pénalités de retard pour les promoteurs. Nous avons, là aussi, été contraints à des négociations compliquées. Mais, un médiateur, nommé au niveau de l’État, a parfois permis de résoudre ces complications.
« En Île-de-France, nous sommes prêts à embaucher 44 000 personnes »
AJ : L’autre phénomène qui touche votre secteur c’est la pénurie de main-d’œuvre. Comment les entrepreneurs font face aux difficultés de recrutement ?
P. R.: Le problème du recrutement ne date pas de la crise sanitaire. Nous connaissons ces difficultés sur nos métiers depuis quelques temps. Nous avons fait face à cette problématique grâce à l’intérim. C’est une solution d’ajustement pour répondre à la pénurie de main-d’œuvre. Pour 2021, nous nous sommes organisés. En revanche, pour 2022, la situation va être plus compliquée car l’activité va être importante. Actuellement, nous avons huit à neuf mois de carnet de commande. C’est un record pour les entreprises. En Île-de-France, nous sommes prêts et nous devons embaucher 10 000 salariés par an. Pour certains, ce sont des besoins en personnel d’exécution. Dans ce cas, nous passons par la sous-traitance ou par l’intérim. Mais il y a aussi une pénurie pour le personnel d’encadrement. C’est le cas de la fonction conducteur de travaux. C’est un métier cadre important dans l’entreprise car il fait la jonction entre la partie administrative au bureau et le chantier. Dans cette situation, il y a une bagarre entre les entreprises. Certaines vont chercher ce type de collaborateur chez les autres. Aujourd’hui, nous avons peu de propositions d’emploi sur cette fonction.
AJ : Aujourd’hui, quelles sont les solutions pour rendre attractifs vos métiers ?
P. R.: La Fédération française du bâtiment (FFB) travaille beaucoup sur la communication pour attirer les jeunes. Au niveau national, nous allons faire une campagne de communication à partir du mois de mars 2022 pour aller chercher les jeunes en leur présentant notre secteur d’activité. Nous allons, aussi, dans les établissements scolaires pour faire une promotion de nos métiers. Une fois par an, nous organisons « Les Coulisses du bâtiment ». Beaucoup d’élèves viennent durant cette journée pour visiter des chantiers. Nous leur expliquons les différents métiers du bâtiment. Dans chaque département, nous avons près de 6 000 jeunes collégiens durant cette journée. Nous rencontrons de plus en plus une écoute de la part des professeurs. Il y a quelques années, le corps enseignant préconisait la filière classique et envoyait les mauvais élèves dans le bâtiment. Mais, la situation évolue. Puis, nous avons une convention avec l’académie de Versailles pour prendre des jeunes en stage dans nos entreprises.
Enfin, en 2021, nous avons lancé une opération baptisée « 15 000 jeunes talents bâtisseurs », menée avec le ministère du Travail. Nous allons chercher dans les quartiers prioritaires de la ville (QPV) des jeunes qui n’ont aucune formation. Nous les formons et les embauchons à travers les centres de formation et d’apprentis (CFA) ou directement en entreprise. Notre objectif c’est d’embaucher 15 000 jeunes cette année, au niveau national. Nous allons sûrement dépasser cet objectif.
AJ : De quelle manière le secteur du bâtiment se saisit-il aujourd’hui du sujet environnemental ?
P. R.: Le secteur du bâtiment fait partie aujourd’hui des activités qui émettent beaucoup de dioxyde de carbone. Nous devons absolument nous mettre dans la tête que nos métiers vont devoir évoluer. Nous sommes en train d’instruire des réunions à propos de l’environnement pour qu’il y ait une vraie évolution. Les acteurs du bâtiment en ont conscience. Pour modifier notre activité au niveau de la construction, le changement passe aussi par la maîtrise d’œuvre. La conception même du bâtiment va faire évoluer les entreprises. On entend beaucoup parler de construire en bois par exemple. Nous sommes plutôt favorables à un mix entre le bois, le béton et l’acier. Nous travaillons sur ce mélange des matériaux.
Nous devons aussi passer par une phase de transition. Aujourd’hui, nous avons 450 000 maçons. Si demain nous devons construire que 50 % des bâtiments en béton, nous allons devoir former ces collaborateurs dans d’autres activités. Actuellement, nous avons des entreprises en phase d’adaptation. Certaines font du développement externe. Par exemple, des sociétés de gros œuvre achètent une entreprise de charpente de bois pour pouvoir mixer l’évolution de l’entreprise à l’avenir.
AJ : Et au sein de la fédération, de quelle manière vous agissez pour développer le sujet environnemental ?
P. R.: Au niveau de notre fédération, nous avons une entité de formation : l’Institut de formation et de recherche du bâtiment (IFRB) au Port-Marly. C’est destiné à former les personnes de nos entreprises adhérentes. Nous proposons des formations sur la partie administrative, digitale ou encore environnementale. Nous avons mis en place une démarche appelée « Chantier responsable », à travers un partenariat avec l’ADEME – Agence de la transition écologique d’Île-de-France. Mais c’est souvent avec la maîtrise d’ouvrage que nous mettons en place des mesures environnementales fortes sur le chantier. Puis, nous allons créer une communauté « responsabilité sociale et environnementale » (RSE) car les entreprises sont de plus en plus sollicitées, dans le cadre des appels d’offres, à la présentation de mémoires RSE. Nous allons former les entrepreneurs car ils font de la RSE mais ils n’arrivent pas à la formaliser.
Référence : AJU270895