Cession d’actions – contestation – prescription
T. com. Paris, 27 mai 2016, no 2013065100
M. Thierry A. et M. Olivier B. ont créé en 1991 la société Cravatatakiller.
En 2000, M. A. a démissionné de ses fonctions de directeur général et d’administrateur. En 2012 a été ouverte à l’égard de Cravatatakiller une procédure de redressement judiciaire, convertie en 2013 en liquidation judiciaire.
Ayant appris par la presse l’ouverture de la procédure collective, M. A. a interrogé M. B. sur les raisons pour lesquelles il n’était plus convoqué aux assemblées générales de la société. En mars 2013, la société lui a répondu qu’il avait cédé en 2000 ses actions à M. B..
En octobre 2013, M. A., contestant avoir jamais cédé ses actions, a assigné M. B., ainsi que la société et son liquidateur judiciaire, réclamant à titre de dommages-intérêts la somme de 24 423 728 €.
M. Bachellerie oppose une fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action.
Le tribunal dit la demande de M. A. irrecevable car prescrite aux motifs suivants :
« Attendu que la prescription extinctive est, selon l’article 2219 du Code civil, un mode d’extinction d’un droit résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps, ce laps de temps, qui était fixé à dix ans auparavant, ayant été réduit à cinq ans pour les actions personnelles ou mobilières par la réforme entrée en vigueur le 18 juin 2008,
Que le point de départ de ce délai est le jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer,
Que, pour soutenir que son action n’était pas prescrite lors de l’assignation, M. A. affirme n’avoir connu les faits à l’origine de son action qu’en mars 2013, lorsque Cravatatakiller, comme suite à un courrier du conseil de M. A. en date du 20 février 2013, interrogeant sur la raison pour laquelle il n’était plus convoqué aux assemblées générales de la société, a répondu que les parts de M. A. auraient été cédées le 13 juin (ou juillet ?) 2000,
Mais attendu que, postérieurement à la cession querellée, des assemblées générales ordinaires se sont tenues chaque année, la première le 16 avril 2001 pour approuver les comptes au 31 octobre 2000 et que, ni pour cette assemblée ni pour aucune des suivantes, M. A. n’a reçu de convocation ni une information quelconque de la société,
Que l’obligation légale pour la société est de procéder chaque année à l’approbation des comptes annuels dans les six mois suivant la clôture et que, dès le 30 avril 2001, M. A. était à même, s’il se croyait toujours titulaire des actions concernées, de constater qu’il y avait une anomalie, qu’année après année la situation s’est répétée et que ce qui aurait pu être considéré la première fois comme une simple erreur signifiait, sans contestation, que la société ne le considérait plus comme actionnaire,
Que, pourtant, c’est seulement après plus de douze ans, sans avoir jamais manifesté le moindre étonnement au cours des années écoulées, que M. A. a fait interroger la société pour savoir pourquoi il n’était plus convoqué aux assemblées générales,
Attendu que M. A. tente de trouver argument dans le fait qu’il n’y aurait eu aucune convocation à aucune assemblée générale au cours des années antérieures à l’année 2000 pour justifier qu’il n’avait aucune raison de s’interroger sur l’absence de convocation pendant douze ans,
Mais attendu que les feuilles de présence aux assemblées générales des 30 juin 1993, 30 juin 1994, 30 juin 1995, 12 décembre 1995, 10 avril 1996, 30 juin 1997, 30 avril 1998 et 23 avril 1999, versées aux débats, portent toutes, sans exception, la signature de M. A., prouvant que même si la convocation n’avait pas été faite dans la forme légale, M. A. avait été régulièrement informé de la tenue de l’assemblée,
Qu’il ne peut donc être contesté que M. A., qui avait toujours été informé auparavant de la tenue des assemblées générales annuelles, ne l’était plus à partir de 2000,
Attendu, par ailleurs, que le fait qu’il résidait à l’étranger, moyen supplémentaire soulevé par M. A., est totalement inopérant, le courrier fonctionnant de façon parfaitement normale entre Paris et Bruxelles,
Attendu, enfin, que le délai butoir de 20 ans fixé par l’article 2232 du Code civil ne fait pas échec aux dispositions de l’article 2224 mais institue simplement un plafond aux effets du report du point de départ, de la suspension et de l’interruption de la prescription,
Attendu, en conclusion, que M. A. aurait dû connaître les faits qu’on lui oppose dès les années suivant immédiatement l’année 2000 et que la prescription, alors de dix ans, était acquise antérieurement à l’assignation du 22 octobre 2013 et même à la requête déposée le 11 juillet 2013,
Que, même si l’on devait considérer qu’il ait fallu quelques années supplémentaires à M. A. pour s’apercevoir qu’il n’était plus convoqué aux assemblées annuelles de la société, la réforme de la prescription du 18 juin 2008 conduirait, de la même façon, à l’acquisition de la prescription le 18 juin 2013 dès lors que M. A. aurait dû nécessairement avoir connaissance des faits avant le 19 juin 2008, huit ans après leur survenance,
Et qu’en conséquence le tribunal déclarera l’action irrecevable car prescrite ».