Le point de départ de la prescription des actions en responsabilité dans le cadre des investissements de défiscalisation immobilière

Publié le 19/03/2021

L’épineuse question du point de départ de la prescription quinquennale de l’action en responsabilité dans le domaine des opérations de défiscalisation immobilière est toujours d’actualité.

En la matière, un point sur la récente évolution de la jurisprudence permet d’établir des éléments de réponse juridiques quant au point de départ du délai de prescription des actions en responsabilité qui peuvent être initiées dans le cadre des investissements locatifs.

Au fil des gouvernements et des ministères successifs, l’État a instauré différentes lois de défiscalisation, telles que les lois Besson, Robien, Borloo, Scellier, Censi-Bouvard, Duflot et Pinel aux fins de favoriser l’investissement immobilier locatif dans le neuf ou l’ancien.

La défiscalisation immobilière permet de bénéficier d’un remboursement partiel du prix d’achat du logement par le biais de réductions d’impôts en contrepartie de sa mise en location pendant une période déterminée par le dispositif.

Ces investissements dans la pierre, donnant lieu à une défiscalisation, se sont avérés rentables dans bon nombre de cas.

À l’heure actuelle, cependant, une partie de ces investisseurs traversent de grandes difficultés : inachèvement de l’immeuble par le promoteur, apparition de désordres et/ou de malfaçons, carence locative, difficultés à revendre le bien, rentabilité inférieure aux espérances…

C’est notamment lors du dénouement de l’opération financière, soit plus de 5 ans après l’achat du bien, que l’investisseur est en mesure de dresser le bilan de son investissement. C’est alors que ce dernier découvre avec effroi qu’il s’est engagé dans une opération financière déficitaire.

Si des actions en responsabilité à l’encontre des différents intervenants à l’opération (vendeur, prêteur, notaire, conseillers en gestion patrimoniale ou autres intermédiaires) peuvent être initiées pour manquement aux obligations d’information, de mise en garde ou de conseil, la question du point de départ du délai de la prescription quinquennale reste pendante.

En effet, plusieurs dates peuvent être retenues pour point de départ du délai de prescription :

  • le jour du manquement au devoir (soit le jour de la conclusion du contrat) ;

  • le jour où le préjudice de l’investisseur survient (et qui est également le jour de conclusion du contrat puisqu’il s’agit le plus souvent d’un préjudice de perte de chance de ne pas contracter ou de mieux contracter) ;

  • et enfin le jour où ce préjudice se manifeste à la victime quand celle-ci s’aperçoit qu’elle n’a pas été correctement informée.

Dès lors, il convient de se demander comment apprécier le point de départ de la prescription d’une action en responsabilité dans le cas d’une opération de défiscalisation reposant sur l’acquisition d’un bien immobilier avec une obligation de location.

Les magistrats fixent souverainement le point de départ de la prescription quinquennale. Depuis de nombreuses années, la jurisprudence à ce sujet est en constante évolution.

Cet article a donc pour objectif d’établir des éléments de réponse juridiques concernant le point de départ du délai de prescription des actions en responsabilité, auxquelles ce type d’opérations peuvent donner naissance.

Dans cette perspective, nous aborderons en la matière les principes de détermination du point de départ de la prescription (I), puis son application au cas d’espèce (II).

I – Les principes de détermination du point de départ de la prescription en matière de manquements aux devoirs d’information

En matière de prescription, il convient de connaître le délai dans lequel est enfermée une action mais aussi la fixation du point de départ de ce délai.

L’article 2224 du Code civil dispose que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

En principe, le point de départ de la prescription d’une action en responsabilité se situe au jour du fait générateur du dommage1. C’est du moins la règle lorsque la victime a nécessairement connaissance du dommage qu’elle subit.

C’est donc le jour où est conclu le contrat que surviennent simultanément le manquement au devoir d’information (qui est le fait générateur) et le préjudice lié à la perte de chance de ne pas contracter ou de mieux contracter, puisque cette chance est perdue lorsque le contrat litigieux est conclu.

Le délai de prescription d’une action en manquement à un devoir d’information devrait donc courir à partir de ce jour.

Cependant, le point de départ de la prescription court à compter du jour où le dommage a été révélé à la victime, si celle-ci en ignore légitimement l’existence. En matière d’action en responsabilité pour manquement à un devoir d’information, la victime est forcément dans l’impossibilité de connaître son dommage qui consiste en un préjudice de ne pas contracter ou de mieux contracter.

Par conséquent, le délai de prescription de l’action potentielle de la victime d’un manquement à un devoir d’information ne commence à courir qu’à partir du jour de la découverte effective de ce préjudice.

La Cour de cassation retient en ce sens, au titre du manquement au devoir d’information et de conseil de l’assureur à l’égard de l’assuré, que « le point de départ de la prescription (…) se situe non pas à la date du sinistre mais au jour où l’assuré a eu connaissance du manquement de l’assureur à ses obligations et du préjudice en découlant pour lui »2.

De la même manière, la Cour de cassation a considéré que « le point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité exercée par la caution contre la banque est fixé au jour où la caution a su, par la mise en demeure qui lui était adressée, que les obligations résultant de son engagement allaient être mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal »3.

Néanmoins, d’autres décisions de la Cour de cassation laissent entendre que le préjudice de perte de chance de ne pas contracter, qui survient le jour de la conclusion du contrat, est également la date à laquelle ce dommage s’est manifesté à la victime, ce qui semble incohérent.

Ainsi, en matière de manquement au devoir de mise en garde du banquier à l’égard de l’emprunteur, la Cour de cassation a affirmé que « le dommage résultant d’un manquement à l’obligation de mise en garde, d’information et de conseil, consistant en la perte de la chance de ne pas contracter ou d’éviter le risque qui s’est réalisé, se manifeste dès l’octroi du crédit, à moins que l’emprunteur ne démontre qu’il pouvait, à cette date, légitimement ignorer ce dommage »4.

Fort heureusement, plusieurs décisions très récentes de la Cour de cassation rendues en matière de crédit in fine tendent à faire courir la prescription à compter du jour où l’emprunteur réalise le risque encouru.

En effet, deux arrêts de 2019 ont amorcé cette évolution5 mais c’est surtout un arrêt du 22 janvier 2020 qui se montre le plus éloquent. La Cour de cassation y affirme que « le dommage résultant du manquement d’une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d’endettement excessif né de l’octroi d’un prêt consiste en la perte d’une chance d’éviter le risque qui s’est réalisé (…) commence à courir, non pas à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d’exigibilité des sommes au paiement desquelles l’emprunteur n’est pas en mesure de faire face »6.

Certes, cette récente évolution ne concerne que le devoir de mise en garde du banquier à l’égard de l’emprunteur mais on peut espérer une harmonisation de la jurisprudence pour tous les manquements aux devoirs d’information.

Concept d'investissement immobilier
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II – L’application des principes de détermination du point de départ de la prescription au cas d’espèce

En principe, le point de départ de la prescription pour les actions au titre d’un manquement à l’ensemble des devoirs d’information au sens large (information, conseil ou mise en garde) s’apprécie in concreto à la date à laquelle les investisseurs ont pu réellement avoir connaissance des dommages subis7.

Par conséquent, dans le cadre des opérations d’investissement locatif, la prescription des actions en responsabilité pour manquement des différents intervenants à leurs obligations d’information, de conseil ou de mise en garde, ne devrait pas avoir pour point de départ le jour de la signature de l’acte de vente ou le jour de la signature du premier bail. En effet, cette connaissance effective ne peut pas avoir lieu à la date où les investissements réalisés ont été souscrits8.

Le dommage n’a été révélé à la victime qu’au jour où le risque à propos duquel elle devait être informée se réalise.

Or il convient de préciser que, dans ce genre d’opération, tout est orchestré de manière à ce que l’investisseur, qui est souvent un particulier, n’ait pas à s’interroger sur la rentabilité de l’opération financière avant la fin de la période de location obligatoire (généralement de 9 ans). Ce n’est, le plus souvent, qu’à l’issue de cette période, en tentant de revendre le bien, que le manquement aux devoirs d’information, de conseil ou de mise en garde se révèle à lui.

Pour s’en convaincre, il suffit d’examiner de plus près les rouages de l’opération financière dans sa globalité. Les investisseurs ont été amenés à souscrire à un prêt pour financer l’opération de défiscalisation :

  • les loyers perçus et l’économie d’impôt permettent de couvrir les mensualités du prêt pendant toute la période de location obligatoire définie par le dispositif ;

  • au terme de la période de location obligatoire, l’investisseur ne bénéficie plus d’aucune économie d’impôt. Il est donc libre de vendre son bien sans craindre de devoir rembourser les économies d’impôt réalisées. La vente du bien immobilier doit notamment permettre (pour les personnes qui le souhaitaient) de rembourser le capital restant dû sur le montant emprunté et obtenir un rendement supplémentaire par la réalisation d’une plus-value.

Dès lors, il devient difficile pour l’investisseur de mesurer l’inopportunité de son investissement avant un certain laps de temps. Le dommage consistant en la perte de chance d’éviter un investissement déceptif ne se manifeste donc à ses yeux que tardivement lorsque, notamment, il tente de revendre le bien.

Par conséquent, au regard du fonctionnement de l’opération financière, le délai de prescription ne peut courir qu’à compter du jour où l’investisseur se rend compte qu’il s’est endetté pour mettre en place une opération financière déficitaire alors que la période de location obligatoire a expiré.

Or l’investisseur qui a conservé son bien immobilier pendant toute la période de location obligatoire devait, selon le dispositif, pouvoir réaliser une opération rentable lors de la revente du bien.

C’est d’ailleurs pourquoi la Cour de cassation a considéré, dans un arrêt du 6 mars 2019, que le délai de prescription de l’action en responsabilité court à compter du dénouement de l’opération pour les montages financiers complexes (en plusieurs étapes) et non pas à compter de la signature du contrat. Dans cet arrêt, l’opération « n’a pas permis à l’investisseur de rembourser son prêt grâce aux performances des contrats d’assurance-vie adossés… »9.

En raisonnant par analogie, il devrait donc être possible d’établir le point de départ du délai de la prescription au jour du dénouement de l’opération de l’investissement locatif, en d’autres termes, à l’expiration de la période locative obligatoire.

En dépit d’une évolution jurisprudentielle régulière en la matière, la confirmation de cette analyse par une nouvelle jurisprudence demeure pour l’instant en suspens…

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 1re civ., 28 janv. 2003, n° 01-02514, PB.
  • 2.
    Cass. 1re civ., 6 déc. 1989, n° 86-12645 ; Cass. 2e civ., 7 oct. 2004, n° 03-15713 : D. 2004, p. 2832 – V. aussi, Cass. 2e civ., 18 mai 2017, n° 16-17754, PB, selon lequel « le dommage résultant d’un manquement au devoir de conseil dû à l’assuré sur l’adéquation de la garantie souscrite à ses besoins se réalise au moment du refus de garantie opposé par l’assureur ».
  • 3.
    Cass. com., 13 déc. 2016, n° 14-28097.
  • 4.
    Cass. com., 17 mai 2017, n° 15-21260.
  • 5.
    Cass. com., 13 févr. 2019, n° 17-14785 ; Cass. com., 6 mars 2019, n° 17-22668.
  • 6.
    Cass. com., 22 janv. 2020, n° 17-20819.
  • 7.
    CA Versailles, 1re ch., 1re sect., 15 juin 2018, n° 16/05913.
  • 8.
    CA Angers, ch. com., sect. A, 28 janv. 2020, n° 17/01148.
  • 9.
    Cass. com., 6 mars 2019, n° 17-22668, PB.
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