La clause d’imprévision dans les contrats de baux commerciaux : fallait-il une « corona-vision » ?

Publié le 31/03/2020

La crise sanitaire actuelle conduit inévitablement à s’interroger sur la clause de renonciation à l’imprévision intégrée dans les contrats de baux commerciaux dont beaucoup pensaient en 2016, qu’elle ne trouverait jamais à s’appliquer.

L’actualité nous oblige à le démentir… Fallait-il faire preuve de « corona-vision » ?

La clause d’imprévision dans les contrats de baux commerciaux : fallait-il une « corona-vision » ?
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En 2014, la loi dite Pinel (L. n° 2014-626 du 18 juin 2014) était venue pour bouleverser le statut des baux commerciaux bien installé depuis 1953.

À part avoir tenté de définir des catégories de charges et instauré un lissage des loyers aux calculs toujours non affinés, la révolution attendue n’aura pas lieu.

Cette loi s’est cependant trouvée combinée avec l’ordonnance de 2016 (Ord. n° 2016-131, 10 février 2016) portant réforme du droit des obligations. Contrat oblige : le bail commercial se trouvait concerné.

Occupés, voire concentrés sur l’impossibilité d’invoquer le déséquilibre contractuel sur le fondement de l’article L 442-6 du code de commerce en matière de baux commerciaux, les praticiens et amateurs de doctrine ont cherché refuge dans la qualification de contrat d’adhésion, seule porte ouverte à la notion de relation déséquilibrée.

Peu ont senti l’intérêt de combattre l’inscription quasi systématique dans les contrats établis postérieurement à l’Ordonnance par les bailleurs institutionnels et autres Foncières, de la clause contenant renonciation à l’imprévision.

Cette clause fait renoncer le preneur au bénéfice des dispositions de l’article 1195 du Code civil dont les dispositions prévoient :

« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations pendant la négociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».

Certains ont pensé que dans la mesure où le changement de circonstances imprévisible était proche de la force majeure et qu’en réalité tout bon preneur pouvait forcément prévoir un crash boursier ou un phénomène inflationniste, ce dernier ne pourrait jamais bénéficier de ces circonstances particulières. Ce faisant, il n’était donc pas nécessaire de combattre plus ce point de négociation (au surplus la plupart du temps non négociable).

La clause selon laquelle le preneur renonce au bénéfice des dispositions de l’article 1195 du Code civil est donc restée inscrite dans le marbre des macros et modèles des baux commerciaux postérieurs à l’entrée en vigueur de l’ordonnance de 2016.

L’histoire nous oblige à nous interroger sur le fait de savoir s’il nous fallait avoir une « corona-vision » ? Pouvait-on imaginer de telles circonstances faisant place à l’application des dispositions de l’article 1195 du Code civil ?

Certes non. Et pourtant, la crise sanitaire actuelle n’est-elle pas un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat ?

Cette crise ne rend-elle pas, par la fermeture des commerces et la mise à l’arrêt totale de ceux-ci, l’exécution du contrat de bail excessivement onéreux de sorte que s’il l’avait connu, le preneur n’aurait pas accepté d’en assumer le risque ?

Si le chikungunia à son époque n’avait pas été qualifié comme un événement de force majeure, en dépit de ses caractéristiques (douleurs articulaires, fièvre, céphalées, fatigue, etc.) c’est parce que son caractère irrésistible n’était pas reconnu aux motifs que la maladie pouvait être soulagée par des antalgiques et qu’un traitement existait rendant la maladie surmontable (Basse-Terre, 17 déc. 2018, n°17-00739).

Mais là ? La maladie est fatale. Elle est mondiale et le seul « traitement » est le confinement, à l’exacte origine de la fermeture des boutiques qui rend l’exécution du contrat excessivement onéreuse pour le preneur, partie qui doit remplir son obligation d’exploitation.

Est-ce à dire que ceux qui ont laissé la clause de renonciation dans leur contrat seront privés de le renégocier ou de demander au juge (lorsqu’il rouvrira ses portes) de le faire pour lui ?

Il leur restera la bonne intelligence et le déséquilibre du contrat d’adhésion.

Est-ce à dire que ceux qui ont réussi à faire « sauter » la clause, à la dernière mouture des nombreux échanges des mark-up de négociations, seront les heureux élus bénéficiant d’un levier intéressant pour changer leurs conditions contractuelles en cours de bail ?

Ils pourront effectivement discuter sérieusement avec leurs bailleurs pour effacer les loyers de ces mois douloureux, affectés par la maladie, voire envisager de nouveaux accords pendant le temps de la reconstruction post déconfinement, et à défaut demander au juge de le faire pour eux.

L’enjeu en vaut la chandelle.

Outre clause d’imprévision, clause de revoyure, bon sens et solidarité, est-il besoin d’une « corona-vision » pour que preneurs et bailleurs se parlent et trouvent ensemble une solution à leurs relations équilibrées ?

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