La désactivation du plafonnement du loyer du bail commercial renouvelé

Publié le 30/03/2022
Loyer, immobilier
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La question se pose de savoir si la modification notable des locaux loués est un critère exclusif du déplafonnement du loyer du bail renouvelé au sens de l’article L. 145-34 du Code de commerce. Elle ne manque pas d’intérêt puisque l’incidence favorable de la modification sur l’activité du preneur est jugée nécessaire à l’éviction du plafonnement. Mais la Cour de cassation a opté pour l’exclusivité du critère de la modification notable. L’exclusion du critère de l’incidence favorable qui en résulte est critiquable. Le défaut de corrélation entre l’activité du commerçant et la modification des locaux loués peut faire subir au commerçant locataire des pertes considérables.

Cass. 3e civ., 9 sept. 2021, no 19-19285

Des débats sur les conditions de déplafonnement des loyers commerciaux, a émergé une vive critique de la jurisprudence qui évince la règle du plafonnement légal du loyer sur la base exclusive d’un critère juridique1.

Avec la règle du plafonnement du loyer du bail renouvelé2, le preneur est prémuni contre une révision inattendue du loyer à la hausse lors du renouvellement3. Néanmoins, le statut des baux commerciaux, en application de l’article L. 145-34 du Code de commerce, permet la désactivation exceptionnelle du plafonnement à des conditions limitativement énumérées. Le juge, référant un cas quelconque d’inapplicabilité du plafonnement du loyer du bail reconduit, notamment en cas de modification notable des lieux loués, procède à la révision pour la prise en compte effective de la valeur locative.

La révision du bail pour modification des éléments caractéristiques de la chose louée s’opère sous le prisme de la justice contractuelle. Le juge, censé se départir du contrat, se substitue aux parties et impose le montant du prix du bail renouvelé4. Bien entendu, cette désactivation judiciaire du plafonnement du loyer ne s’effectue que sur la base exclusive du critère juridique que constitue la modification des locaux loués à l’initiative du preneur5. Or il ne fait nul doute que les travaux, mêmes légitimés par des fins économiques en amont, peuvent se solder, en aval, par un résultat sans incidence favorable à son initiateur. Le cas échéant, la protection du preneur, réputée partie faible au bail, s’éloigne de la réalité. C’est à juste titre qu’il convient de rappeler la thèse protectionniste du preneur systématisée en doctrine6. La seule modification notable des éléments légaux définis à l’article L. 145-34 du Code de commerce, selon les tenants de ce courant, est insuffisante pour justifier le déplafonnement du loyer du bail renouvelé. Il faut qu’elle soit aussi favorable à l’activité du preneur. Tout semble alors indiquer que l’application exclusive du critère de la modification notable génère un malaise. Le juge ne doit-il pas toujours rechercher l’incidence favorable de cette modification sur l’activité du preneur avant tout déplafonnement du loyer du bail renouvelé ?

L’arrêt du 9 septembre 2021 entraînerait, à juste titre, si l’on s’en tient à la lettre de l’article L. 145-34 du Code de commerce, une nette désillusion sur la question7.

Des faits litigieux, il ressort qu’une société bailleresse a remis, par bail, des locaux à usage commercial à une société locataire à compter du 1er juillet 2002. Elle a, par la suite, offert le renouvellement du bail au 1er juillet 2011 dans un congé délivré le 28 décembre 2011. Cette proposition était assortie d’une révision à la hausse du loyer désormais fixé à 180 000 € hors taxes et hors charges. La locataire accepte le principe du renouvellement tout en rejetant l’augmentation du loyer. La société bailleresse saisit alors, le 31 juillet 2013, le juge des loyers commerciaux d’une action en fixation de loyer du bail renouvelé.

La cour d’appel, dans un arrêt confirmatif, approuve l’augmentation du loyer du bail renouvelé décidée par le juge de première instance. Elle constate que les travaux réalisés par la locataire constituent une modification notable des lieux loués de nature à justifier, à elle seule, la révision du loyer lors du renouvellement du bail.

La société locataire conteste l’arrêt confirmatif de la juridiction d’appel qu’elle défère à la censure de la Cour de cassation. Elle développe, dans son pourvoi, que le déplafonnement du loyer du bail ne pouvait être admis qu’à condition que la modification des caractéristiques des lieux loués eût été favorable à l’activité du preneur. Elle en a alors déduit l’illégalité de l’arrêt d’appel. Elle l’a fondée sur les dispositions des articles L. 145-33 et L. 145-34 du Code de commerce qui, suivant son entendement, ne font pas de la modification notable des locaux loués le critère exclusif du déplafonnement du loyer. De fait, la substance de ces textes pouvait se lire ainsi : en l’absence de modification notable économiquement favorable à l’activité du locataire, il ne peut y avoir de déplafonnement du loyer.

La Cour de cassation avait alors à contrôler la régularité du critère de déplafonnement du loyer appliqué par les juges d’appel. Elle était invitée à répondre à la question ci-après : peut-on déplafonner le loyer du bail renouvelé sur le fondement exclusif du critère de la modification notable des lieux loués ?

La réponse de la haute juridiction est sans équivoque. La modification notable des locaux loués constitue le critère exclusif du déplafonnement du loyer du bail renouvelé. Il s’agit d’une décision strictement conforme à la lettre de l’article L. 145-34 du Code de commerce appliqué en l’espèce. Elle est pourtant critiquable car l’incidence favorable des modifications sur l’activité commerciale du preneur n’est pas inconnue de la jurisprudence de la Cour8. Elle avait été retenue, dans deux cas de figure, comme un critère supplémentaire de déplafonnement du loyer du bail renouvelé. Ainsi avait-il été jugé que, pour désactiver le plafonnement, la modification notable des facteurs locaux de commercialité9 ou des locaux loués par le bailleur doit être favorable à l’activité du preneur10. L’écarter traduit le refus de sa généralisation à toute sorte de modification11.

La clarté de la solution de la juridiction de cassation est saisissante même si elle couve certaines interrogations. Le rejet des considérations économiques qui en découle contrarie l’intégrité du droit au renouvellement, gage de la propriété commerciale reconnue au preneur. Il est de nature à refroidir, par ailleurs, l’enthousiasme du preneur à l’investissement. L’exclusivité du critère de la modification notable décidée par le juge (I) est, par suite, elle-même source de certaines équivoques nourries par l’exclusion du critère de l’incidence favorable à l’activité du preneur (II).

I – La modification notable : critère exclusif retenu par le juge

D’entrée, il importe de souligner que la Cour de cassation s’est aussi prononcée sur la question de la date de départ des intérêts qui naissent entre le loyer du bail renouvelé et le loyer payé depuis le renouvellement. Elle a réaffirmé, à ce sujet, une solution devenue classique12 et, pour cela, elle n’a pas retenu l’attention de l’analyse. Mais son interprétation était attendue sur la question de savoir si la modification notable était exclusive ou si elle devrait être également favorable à l’activité du preneur. Sa réponse est une affirmation expresse de l’exclusivité de la modification notable des locaux effectuée par le preneur (A). Elle est fondée sur l’interprétation conforme de l’article L. 145-34 du Code de commerce (B).

A – La réaffirmation expresse de l’exclusivité de la modification notable

Le but visé ici est l’exposé de la solution de la Cour de cassation. Elle va consister à présenter les termes de la décision rapportée mais il convient de mettre en exergue, au préalable, l’enjeu de la question spécifique du déplafonnement du loyer du bail révisé en raison de la modification notable des locaux loués par le preneur. Cela permettra de cerner davantage le sens de la position de la juridiction de cassation.

La haute juridiction ne s’était pas encore prononcée sur cette question spécifique. Elle avait plutôt jugé des espèces dans lesquelles était en cause la modification notable des facteurs locaux de commercialité ou celle des locaux par le bailleur13. Dans ces affaires, elle a admis que la notabilité de la modification est insuffisante, à elle seule, pour déplafonner le loyer du bail renouvelé. Il fallait qu’elle soit, en plus, favorable à l’activité du preneur. Mais cette solution n’a pas une portée générale. Tel est le principal enseignement qui se dégage de l’arrêt.

La demanderesse au pourvoi, sans se référer à ces arrêts, sollicite l’application de leur solution pour casser l’arrêt d’appel. L’arrêt confirmatif d’appel aurait méconnu, à son entendement, l’exigence d’une modification notable et favorable à l’activité du preneur pour justifier le déplafonnement du loyer de son bail lors du renouvellement. Elle fait apparaître cela dans le premier moyen de son pourvoi en soutenant « qu’une modification des caractéristiques des locaux loués intervenue au cours du bail expiré ne peut constituer un motif de déplafonnement du nouveau loyer qu’autant qu’elle a eu une incidence favorable sur l’activité exercée par le preneur ». L’idée qu’elle tente de faire admettre peut s’expliquer de la manière suivante : il n’y a de déplafonnement possible que si les travaux modificatifs effectués par le preneur sont notables et ont une incidence favorable sur son activité.

La haute juridiction, pour déconstruire ce raisonnement, précise dans sa réponse que la recherche de l’incidence favorable de la modification des locaux loués est inopportune. En conséquence, ce critère de l’incidence favorable ne joue pas lorsque les travaux modificatifs ont été effectués par le preneur. Elle avait, en effet, jugé que « la cour d’appel, qui n’avait pas à procéder à une recherche inopérante, dès lors qu’elle avait constaté que les travaux, dont il n’était pas soutenu qu’ils fussent d’amélioration et qui avaient été décidés et réalisés par la locataire, avaient, au cours du bail expiré, modifié notablement les caractéristiques des locaux loués, a exactement retenu que cette modification notable des caractéristiques des locaux loués justifiait, à elle seule, le déplafonnement du loyer du bail renouvelé ».

Voici la règle formulée par la juridiction de cassation qui se dégage de ce motif : le seul critère qui compte pour déplafonner le loyer est la modification notable des locaux loués au cours du bail expiré. Il exclut toute autre exigence telle que l’incidence favorable de la modification sur l’activité économique du preneur. Fort de cela, le juge des loyers commerciaux, saisi d’une action en révision du loyer, n’a qu’à rechercher ce caractère notable. Lorsque celui-ci est avéré, il fixe le loyer dans une indifférence totale aux limites imposées par le plafonnement sans courir le risque de la censure. Point n’est donc besoin d’exiger qu’elle soit favorable à l’activité du preneur.

En substance, la modification notable des caractéristiques des lieux loués en cours du bail expiré est le seul critère qui vaut pour fixer en justice un loyer au-delà des plafonds légaux. Elle supplée l’absence de loyers révisés par l’accord des parties. Le juge doit faire correspondre le loyer à la valeur locative en se basant sur le critère de la modification notable de certains éléments précis. Tel est le sens de l’article L. 145-34 du Code de commerce appliqué à la lettre par la Cour de cassation.

B – L’interprétation conforme à l’article L. 145-34 du Code de commerce

La stratégie contentieuse développée par le demandeur au pourvoi avait un but inavoué. Elle voulait amener le juge à adopter un critère supplémentaire qui ne ressort pas de la lettre de l’article L. 145-34 du Code de commerce. En visant, dans son moyen, la nécessité de soumettre la modification notable des locaux loués à une exigence de faveur à l’activité du preneur, c’est une interprétation totalement étrangère à cet article qui est recherchée. Or, il est une évidence que la modification notable constitue le seul critère légal de déplafonnement du loyer du bail renouvelé. Le législateur définit lui-même les éléments qui, faisant l’objet de cette modification notable, habilitent le juge à passer outre le plafonnement. Il s’agit des caractéristiques du local14, de la destination des lieux15, des obligations des parties et des facteurs locaux de commercialité16.

En plus, la modification notable ne peut entraîner le déplafonnement que si elle est intervenue au cours du bail expiré et, à défaut, à la date de la prise d’effet du bail renouvelé. Elle rend le plafonnement inopérant à condition d’être notable et caractérisée au plus au jour d’exécution du bail reconduit. Nul autre critère ne peut être relevé ni à l’article L. 145-34, ni à l’article L. 145-33 du Code de commerce. La Cour de cassation inscrit sa décision dans ce schéma. Elle applique ces dispositions combinées à la lettre. Elle n’a pas voulu donner une interprétation qui serait moins claire et rendrait les termes de la loi nébuleux. Dans cette posture, sa décision est une approbation de la juridiction d’appel. Elle laisse apparaître que la « cour d’appel (…) a exactement retenu que cette modification notable des caractéristiques des locaux loués justifiait, à elle seule, le déplafonnement du loyer du bail renouvelé ».

La méthode suivie par le juge est tout aussi saisissante que l’affirmation de l’exclusivité du critère de la modification notable des locaux loués. Elle prolonge l’interprétation des articles L. 145-34 et L. 145-33 du Code de commerce. La modification des locaux loués doit être fondamentalement notable pour que le déplafonnement du loyer puisse être renouvelé. Si l’affirmation de cette exigence semble relever désormais du truisme, l’appréciation du caractère notable de la modification l’est moins.

Dans l’absolu, est notable ce qui peut être remarqué à première vue. Est donc notable la modification des locaux qui se constate prima facie. La régularité de ce caractère relève, en droit, de l’appréciation souveraine des juges du fond. Elle est soustraite au pouvoir régulateur de la juridiction de cassation. La jurisprudence entérine le propos17. Elle l’a rappelé encore dans une décision relativement récente. Les juridictions du fond doivent se livrer à un examen concret de la modification pour en déduire son caractère notable18. En application du principe, il a été jugé qu’une cour d’appel a souverainement retenu que la modification des locaux alléguée n’était pas notable. De même, il a pu être considéré que la modification des caractéristiques des locaux est notable lorsque les travaux ont augmenté la surface accessible au public19.

Dans l’arrêt rapporté, la Cour de cassation a inscrit sa position dans la continuité de cette jurisprudence. Elle confirme que le caractère notable de la modification n’est ni présomptif ni sous-entendu. Des éléments de procédure, il ressort que la juridiction d’appel s’est évertuée à constater que la configuration des locaux, objet du bail, a connu une modification à la suite des travaux réalisés par la société locataire. Elle a retenu que plusieurs cloisons intégrées à la surface de vente ont été supprimées avec, pour incidence, l’augmentation remarquable de la surface de vente accessible au public. Cette modification, à son entendement, était notable. Évidemment, ce point n’est pas contesté par le locataire.

La Cour de cassation entérine la démarche de la cour d’appel. Elle confirme que le caractère notable de la modification doit s’apprécier concrètement à partir des données factuelles. C’est ce qui ressort de sa réponse : « La cour d’appel (…) dès lors qu’elle avait constaté que les travaux (…) avaient, au cours du bail expiré, modifié notablement les caractéristiques des locaux loués, a exactement retenu que cette modification notable des caractéristiques des locaux loués justifiait, à elle seule, le déplafonnement du loyer du bail renouvelé. »

En clair, la Cour réaffirme que seule la modification notable des caractéristiques des locaux loués par le preneur suffit pour désactiver les limites supérieures du montant du loyer du bail renouvelé. Elle réfute le critère de l’incidence favorable que devrait avoir, selon la demanderesse au pourvoi, la modification notable des locaux loués pour justifier le déplafonnement du loyer du bail renouvelé. Néanmoins, malgré la clarté de ce raisonnement, il est possible de relever, non de manière hâtive, certaines équivoques qui légitiment divers questionnements.

II – L’incidence favorable à l’activité du preneur : critère exclu par le juge

L’équilibre contractuel est une exigence de justice contractuelle. Il l’est davantage pour le bail commercial dans lequel le loyer doit, sauf stipulation contraire des parties, correspondre en permanence à la valeur locative. L’article L. 145-34 du Code de commerce définit les modalités de réalisation de l’adaptation du loyer à la valeur locative du local loué. La mesure exceptionnelle de déplafonnement qu’il prévoit s’inscrit dans cette logique. Le critère de déclenchement de cette mesure est la modification notable des éléments prévus aux 1° à 4° de l’article L. 145-33 du Code de commerce auquel renvoie l’article L. 145-34 ci-dessus évoqué. On peut cependant observer que l’exclusivité consacrée et appliquée n’est pas valable pour tous les motifs de déplafonnement. Tantôt exclusive, tantôt nécessité complémentaire d’une incidence favorable, l’application de la modification notable de l’un quelconque de ces éléments conduit à une interprétation dualiste de l’article L. 145-34 du Code de commerce. À la vérité, la clarté de l’exclusivité affirmée du critère de la modification notable n’a pas une portée générale. Elle est spécifique aux travaux modificatifs des locaux loués lorsqu’ils sont effectués par le preneur. L’interprétation globale de l’article paraîtrait alors variable en fonction du motif de déplafonnement en cause (A). Elle rend l’exclusion de l’incidence favorable décidée par le juge équivoque (B).

A – L’interprétation variable de l’article L. 145-33 du Code de commerce

Quoique conforme à la lettre de l’article visé, l’exclusivité du critère de la modification notable n’est pas à appliquer à toutes les causes de déplafonnement du loyer du bail renouvelé. Elle partage l’audience de la condition d’éviction du plafonnement avec le critère de l’incidence favorable. Il s’agit de la lecture de la solution de l’arrêt à la lumière de la jurisprudence issue des différentes applications de l’article L. 145-33 du Code de commerce. Quiconque parcourt ces applications est saisi par deux tendances jurisprudentielles.

La première tendance réfute l’exclusivité du critère de la modification notable. Elle soumet le déplafonnement du loyer du bail renouvelé à deux critères cumulatifs : le caractère notable de la modification et son incidence favorable sur l’activité du preneur. Il est à souligner que cette double exigence a été appliquée par la Cour de cassation dans deux cas légaux de déplafonnement. Il était question de la modification notable des facteurs locaux de commercialité20 et celle des locaux loués qui était effectuée par le bailleur21. Dans ces deux cas, la haute juridiction, en allant au-delà de l’unique critère légal de la notabilité de la modification, a logiquement exigé, en complément, que celle-ci soit favorable à l’activité du preneur.

La seconde tendance, quant à elle, exclut le critère de l’incidence favorable. Inaugurée par l’arrêt rapporté, elle juge suffisant le critère de la modification notable prévue par le législateur. Elle est appliquée à l’un des éléments dont la modification est susceptible de justifier le déplafonnement du loyer du bail révisé. Pour délimiter les contours de cette exclusion de l’incidence favorable décidée par le juge, il suffit de suivre son raisonnement.

La demanderesse au pourvoi sollicite la cassation dans la mesure où le juge d’appel s’est contenté du caractère notable de la modification sans rechercher si celle-ci a été favorable à son activité. Elle invitait à une solution non conforme aux prévisions strictes de l’article L. 145-3 du Code de commerce. Elle soutient que « la modification notable des locaux loués au cours du bail expiré ne peut constituer un motif de déplafonnement du nouveau loyer qu’autant qu’elle a eu une incidence favorable sur l’activité exercée par le locataire ». Elle n’a pas été suivie. Selon la Cour, la juridiction d’appel n’avait nullement à établir l’incidence favorable de la modification notable. Le critère de l’incidence favorable, pourtant appliqué à d’autres cas de modification notable, est déclaré inopérant en la présente cause.

La comparaison de cette position aux autres arrêts impose le constat d’une interprétation variable de l’article L. 145-34 du Code de commerce. Selon la cause du déplafonnement, tantôt la modification notable est suffisante, tantôt il lui faut être favorable à l’activité du preneur. L’interprétation est, de toute évidence, à géométrie variable, dualiste avec le développement d’une jurisprudence en dents de scie. À l’évidence, ce dualisme procède d’une politique jurisprudentielle. Elle consiste à appliquer, de façon spécifique, le critère de la modification notable à chaque motif de déplafonnement. Autrement dit, selon que la modification notable concerne les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties et les facteurs locaux de commercialité, le juge tiendra compte de l’incidence favorable de celle-ci au preneur. Finalement, aucun des critères rencontrés n’a de portée générale22. En l’état de la jurisprudence, l’incidence favorable de la modification notable ne peut être pertinemment évoquée que dans les cas limitatifs de modification notable des facteurs locaux de commercialité23 ou de celle des locaux loués par le bailleur24. En revanche, elle est inapplicable lorsqu’il s’agit de la modification notable des locaux loués par le locataire.

Au total, le critère de l’incidence favorable sur l’activité du preneur a une portée restrictive. La modification notable des locaux loués reste la seule exigence qui vaut, au sens de l’arrêt, pour déplafonner le loyer du bail à renouveler en cas de travaux effectués par le preneur. L’inapplication du critère de l’incidence favorable qui en découle est, dans une certaine mesure, équivoque.

B – L’exclusion du critère de l’incidence favorable comme source d’équivoques

L’arrêt désapprouve la généralisation du critère de l’incidence favorable à tous les cas de déplafonnement du loyer du bail renouvelé. Cette exclusion est source d’équivoques juridiques et économiques.

Du point de vue juridique, le rôle de la valeur locative dans le déplafonnement peut être discuté. Lorsque le local n’est pas disponible parce que faisant l’objet d’un bail en cours, les parties au bail conservent la liberté de fixer le montant du loyer dans les limites des variations prévues par la loi. En cas de désaccord, elles peuvent saisir le juge d’une action en révision du loyer qui tient compte de la valeur locative pour évincer le plafonnement légal. Certes, l’équilibre des prestations réside dans la jouissance du local contre le paiement du loyer. La valeur locative est alors censée préserver cet équilibre mais la technique utilisée pour la déterminer rend moins évident le résultat. Elle consiste à ne tenir compte que d’un critère légal, la modification notable des éléments mentionnés à l’article L. 145-33 du Code de commerce, pour déplafonner le loyer. Or, toute modification notable, même quand elle n’a pas initialement une fin confortative, n’est pas toujours favorable à l’activité du preneur. Il est alors possible de relire la notion de valeur locative que le déplafonnement du loyer permet de réaliser. Elle va pouvoir être déterminée par une modification qui sera à la fois notable et favorable à l’activité du preneur.

Un autre quiproquo juridique peut être relevé : l’affaiblissement de la propriété commerciale. Il s’agit de la protection du preneur. Elle est remise en cause par certains qui considèrent que l’incidence favorable ne concerne que l’activité du preneur25. Mais cette faveur ne reviendrait-elle pas, en définitive, au locataire ? Évidemment, c’est à une réponse positive que semble conduire l’analyse substantielle du critère de l’incidence favorable. On pourrait en déduire que le preneur est, sans conteste, bénéficiaire indirect de l’incidence favorable de la modification notable des locaux loués. Or la propriété commerciale, constituée par le droit au renouvellement du bail, reste une prérogative du locataire26. La révision à la hausse du loyer consécutivement à une modification des locaux peut entraîner une rupture du bail ou, à tout le moins, menacer sa stabilité parce que le preneur qui n’a pas tiré un avantage de la modification des locaux sera moins disposé à renouveler le bail à des conditions plus onéreuses.

Du point de vue de l’analyse économique des baux commerciaux, le déplafonnement du loyer du bail de longue durée a une vertu économique : le rééquilibrage entre la valeur ajoutée au fonds de commerce, les droits du bailleur et l’accroissement de la valeur locative. Ce rééquilibrage, vrai mécanisme correctif, permet de faire correspondre le loyer aux avantages économiques du locataire en raison de la tendance haussière de la valeur ajoutée. En exemple, l’augmentation de l’espace accessible au public peut augmenter le nombre de clients ou de chalands. La modification des locaux aura eu une incidence favorable sur l’activité du preneur de sorte qu’il devient raisonnable de déplafonner le loyer pour rétablir l’équilibre entre les prestations réciproques. Cependant, la même modification peut être défavorable à l’activité économique du preneur. Il devient alors pertinent de vérifier si la modification des locaux a pu être corrélativement bénéfique à l’activité du preneur.

De plus, les travaux réalisés sont l’expression du risque que peut prendre le commerçant. Qui dit commerce, dit risque ! La présomption que ces travaux lui sont alors toujours favorables peut inhiber son goût pour l’investissement qui, par essence, est un vrai risque.

Tout bien considéré, la désactivation du plafonnement du loyer du bail renouvelé sur le fondement exclusif du critère de la modification notable des locaux recèle quelques inquiétudes. Le locataire court en effet un double risque lorsqu’il décide unilatéralement de la modification des locaux loués. Il investit ses capitaux sans une incidence favorable pour son activité, d’une part, et s’oblige à supporter, d’autre part, une révision à la hausse du loyer à l’occasion du renouvellement du bail. En l’état, le locataire qui entend engager des travaux modificatifs des lieux loués doit, tel un homo economicus, faire preuve de prudence en mesurant le risque de son initiative.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Pour une vue panoramique sur ces critiques, v. Cass. 3e civ., 14 sept. 2011, n° 10-30825 : RLDA 2011/65, n° 3696, note H. Kenfack ; D. 2011, p. 2273, obs. Y. Rouquet ; D. 2012, p. 1844, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; AJDI 2011, p. 867 ; AJDI 2011, p. 829, obs. A. Confino ; RTD com. 2012, p. 84, obs. J. Monéger ; Loyers et copr. 2011, n° 321, obs. P.-H. Brault – TGI Verdun, 12 juill. 2012, n° 10/00289 : Dalloz actualité, 24 sept. 2012, obs. Y. Rouquet ; AJDI 2012, p. 753 ; AJDI 2012, p. 733, étude P. Mélin – CA Paris, 28 oct. 2016, n° 14/18317 : Administrer, déc. 2016, p. 35, obs. M.-L. Sainturat – Cass. 3e civ., 14 sept. 2017, n° 16-19409 : AJDI 2017, p. 778.
  • 2.
    C. com., art. L. 145-34. Par ailleurs, pour une explication de la règle du plafonnement telle qu’énoncée par le législateur, v. P. Garbit, « Baux commerciaux », Le Lamy Droit Commercial 2021, n° 1502, p. 734 et s.
  • 3.
    P. Garbit, « Baux commerciaux », Le Lamy Droit Commercial 2021, n° 1502, p. 733.
  • 4.
    C. Demolombe, Cours de Code civil, t. XII, 1868, Bruxelles, Stienon, p. 73.
  • 5.
    S. Andjechaïri-Tribillac, « Modification notable des caractéristiques des locaux loués et point de départ des intérêts », Dalloz actualité, 24 sept. 2021.
  • 6.
    La logique protectionniste du preneur n’est pas une systématisation exclusivement doctrinale. Elle a été, à un moment donné, un standard de la jurisprudence de la Cour de cassation. En ce sens, v. E. Martin-Imperator, « Le déplafonnement du loyer de renouvellement d’un bail commercial : de nouveaux obstacles pour le bailleur ? », RLDA 2008/31, n° 1853.
  • 7.
    Cass. 3e civ., 9 sept. 2021, n° 19-19285, FS-B.
  • 8.
    Cass. 3e civ., 9 juill. 2008, n° 07-16605 : Bull. civ. III, n° 123 ; RLDA 2008/30, n° 1788, obs. M. Filiol de Raimond ; AJDI 2008, p. 849, obs. J.-P. Blatter ; Administrer, 11/2008. 40, obs. J.-D. Barbier ; Ann. Loyers 2008, p. 1895, note A. Cerati-Gauthier – Cass. 3e civ., 14 sept. 2011, n° 10-30825, BMRC.
  • 9.
    Cass. 3e civ., 9 juill. 2008, n° 07-16605.
  • 10.
    Cass. 3e civ., 14 sept. 2011, n° 10-30825, BMRC.
  • 11.
    Cass. 3e civ., 14 sept. 2011, n° 10-30825 : RLDA 2011/65, n° 3696, note H. Kenfack.
  • 12.
    L’arrêt du 9 septembre 2021 a traité de deux questions : modification notable des caractéristiques des locaux loués et point de départ des intérêts. La position de la Cour sur cette question du point de départ des intérêts est le rappel de la règle en vertu de laquelle, en l’absence de stipulation contraire, les intérêts qui naissent de la différence entre le loyer du bail renouvelé et le loyer payé depuis le renouvellement courent à compter de la date de délivrance de l’assignation à la diligence du bailleur. Pour un commentaire de cet aspect non pris en compte par l’étude, v. S. Andjechaïri-Tribillac, « Modification notable des caractéristiques des locaux loués et point de départ des intérêts », Dalloz actualité, 24 sept. 2021. La réponse de la Cour de cassation est un rappel d’une solution classique déjà appliquée par sa troisième chambre. En ce sens, v. Cass. 3e civ., 3 oct. 2012, n° 11-17177 : D. 2012, p. 2388, obs. Y. Rouquet – Cass. 3e civ., 18 juin 2014, n° 13-14715 : D. 2014, p. 1374, obs. Y. Rouquet – Cass. 3e civ., 16 mars 2017, n° 16-10216 : AJDI 2017, p. 353 – Cass. 3e civ., 14 sept. 2011, n° 10-30825 : Lexbase, 29 sept. 2021, N8897BY8, n° 6, note M.-L. Besson.
  • 13.
    Cass. 3e civ., 2 oct. 2007, n° 06-17780 : Gaz. Pal. 29 déc. 2007, n° H0554, p. 2, note J.-D. Barbier – Cass. 3e civ., 18 janv. 2012, n° 11-10072 ; Cass. 3e civ., 14 sept. 2017, n° 16-19409 : GPL 21 nov. 2017, n° GPL307d7, note J.-D. Barbier.
  • 14.
    C. com., art. R. 145-3 ; C. com., art. R. 145-4.
  • 15.
    C. com., art. R. 145-4.
  • 16.
    C. com., art. R. 145-6.
  • 17.
    Cass. 3e civ., 25 juin 1975, n° 74-13069 : Bull. civ. III, n° 219 – Cass. 3e civ., 7 avr. 2004, n° 02-17946 : Bull. civ. III, n° 90 ; RLDA 2004/73, n° 4554.
  • 18.
    Cass. 3e civ., 18 janv. 2012, n° 11-10071.
  • 19.
    Cass. 3e civ., 8 déc. 2010, n° 09-17294 : Gaz. Pal. Rec. 1981, pan., p. 122 – CA Paris, 8 juin 2011, n° 09/22395.
  • 20.
    Cass. 3e civ., 14 sept. 2011, n° 10-30825.
  • 21.
    Cass. 3e civ., 9 juill. 2008, n° 07-16605.
  • 22.
    C. com., art. L. 145-33.
  • 23.
    Cass. 3e civ., 14 sept. 2011, n° 10-30825.
  • 24.
    Cass. 3e civ., 9 juill. 2008, n° 07-16605.
  • 25.
    Selon certains auteurs, le critère de l’incidence favorable n’est bénéfique qu’à l’activité et non au preneur. Ce point de vue, dans la doctrine récente, est défendu par M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, 2021, L’Harmattan, p. 479 et s.
  • 26.
    C. com., art. L. 145-23.