Est illicite la clause limitant la révision du loyer à la baisse au loyer initial contractuel
Un bailleur donne un local à bail commercial prévoyant une clause selon laquelle le preneur renonce à faire fixer le loyer à une somme inférieure au loyer contractuel, même si la valeur locative se révèle inférieure au loyer contractuel. Le bailleur croit ainsi pouvoir échapper à la révision à la baisse du loyer en-deçà du loyer plancher. Il n’en est rien. La position de la Cour de cassation est claire, outre qu’une telle clause fait échec au réajustement du loyer en vigueur à la valeur locative, la renonciation du preneur à la révision à la baisse du loyer ne peut intervenir qu’une fois ce droit acquis.
Cass. 3e civ., 30 mars 2017, no 16-13914, PB
Il est fréquent que le bail commercial envisage que le loyer, en sus de la révision légale triennale1, évolue tous les ans par le jeu d’une indexation prévue dans le cadre d’une clause d’échelle mobile2. Une révision du loyer pourra alors être demandée dès lors que, par le jeu de ladite clause, le loyer varie de plus d’un quart par rapport au précédent loyer contractuel ou judiciaire. La variation à la baisse du loyer ne saurait alors être limitée au loyer plancher contractuel, comme nous l’indique la Cour de cassation dans son arrêt en date du 30 mars 2017, qui aura les honneurs d’une publication au Bulletin.
En l’espèce, les faits sont relativement simples. Un bailleur donne des locaux à bail commercial. Le bail limite la variation du loyer à la baisse en vertu d’une clause selon laquelle « il a été expressément convenu, comme constituant une condition essentielle et déterminante du présent bail, sans laquelle il n’aurait pas été consenti, que le preneur renonce pendant toute la durée du présent bail à faire fixer judiciairement le loyer à une somme inférieure au loyer contractuel défini ci-dessus, même dans le cas où la valeur locative se révélerait inférieure au loyer contractuel ».
Pour autant, le preneur demande la révision du loyer à la baisse sur le fondement de l’article L. 145-39 du Code de commerce et ainsi sa fixation à la valeur locative inférieure au loyer de base.
Bien entendu, le bailleur entend opposer à cette prétention la clause contractuelle restrictive.
La cour d’appel de Paris, estimant que la clause contestée ne fait pas échec à l’article L. 145-39 du Code de commerce en ce qu’elle permet au preneur, une fois remplies les conditions de la demande en révision, d’obtenir une fixation à la baisse du loyer du bail révisé mais dans la limite du loyer « plancher » convenu, concède à fixer le loyer révisé au montant du loyer contractuel initial.
Le preneur forme alors un pourvoi, dans lequel il soutient, en substance, tout d’abord, que la clause litigieuse est nulle dès lors que, écartant toute réciprocité de variation, elle fausse le jeu normal de l’indexation ; et qu’en cas de variation de plus d’un quart, la demande en révision tendant à faire correspondre le loyer à la valeur locative est de droit. D’autant plus, ensuite, que, ne pouvant valablement renoncer à un droit d’ordre public avant qu’il ne soit acquis, sa renonciation par avance à faire fixer judiciairement le loyer à la valeur locative n’est pas valable.
Ainsi, la question qui est posée à la Cour de cassation est donc de savoir si, en dépit de la clause restrictive, le loyer peut être révisé à la valeur locative à un montant inférieur au loyer contractuel plancher initial, ou, autrement dit, de savoir si le preneur peut renoncer, par anticipation, dès le bail, à la variation à la baisse du loyer à la valeur locative en-deçà du loyer plancher.
En répondant par la négative, la Cour de cassation censure la position de la cour d’appel. Elle motive son arrêt en retenant que, en statuant ainsi, alors que la clause litigieuse avait pour effet de faire échec au réajustement du loyer en vigueur à la valeur locative et que la renonciation par le preneur à son droit d’obtenir la révision ne pouvait valablement intervenir qu’une fois ce droit acquis, soit après le constat d’une augmentation du loyer de plus d’un quart par le jeu de la clause d’échelle mobile, la cour d’appel a violé les articles L. 145-15 et L. 145-39 du Code de commerce.
En conséquence, pour la Cour de cassation, doit être réputée non écrite, conformément à l’article L. 145-15 du Code de commerce, la clause ayant pour effet de constater la renonciation du preneur à la révision du loyer à un montant inférieur au loyer plancher initial.
Ainsi, une nouvelle fois, la problématique de l’indexation du loyer est posée devant la Cour de cassation. Alors que la validité de l’indexation sur l’indice de base est convenue3, il ne fait plus guère de doute que l’indexation doit impérativement être réciproque, en ce qu’elle doit pouvoir jouer tant à la hausse qu’à la baisse, sous peine d’être écartée, dans son intégralité4, comme étant réputée non écrite5. En tout état de cause, aucune disposition contractuelle ne doit organiser une distorsion entre la période de variation de l’indice et la durée s’écoulant entre deux révisions6. Ainsi, a pu écarter la clause d’indexation, la cour d’appel qui, ayant constaté que la clause prévoyait que l’indice à prendre en considération serait le dernier indice publié au 1er janvier de chaque année, l’indice de référence étant le dernier connu au 1er juillet 1996, et relevé que le bailleur avait, lors de la première révision le 1er janvier 1998, pris en compte l’indice publié à cette date, soit celui du 2e trimestre 1997, et l’avait rapporté à celui connu au 12 juillet 1996, soit celui du 1er trimestre 1996, a retenu une distorsion temporelle entre l’indice de base fixe et l’indice multiplicateur7.
Ceci acté, restait encore à savoir si la révision du loyer à la baisse pouvait être contractuellement limitée par un plancher bas, à savoir le loyer initial, comme c’était le cas en l’espèce ou si l’on devait considérer que le preneur ne pouvait renoncer par avance à une variation en-deçà de ce seuil. C’est pour cette dernière solution qu’opte finalement la Cour de cassation en reprochant à la cour d’appel d’avoir limité la fixation du loyer révisé au loyer initial. Est donc écartée la thèse du bailleur selon laquelle la clause en cause manifestait une renonciation expresse et non équivoque du preneur à demander une révision du loyer à un montant inférieur au loyer contractuel initial, peu important, d’ailleurs, que la demande soit fondée sur l’article L. 145-38 ou sur l’article L. 145-39 du Code de commerce.
On constate que la clause écartée, en l’espèce, avait pour effet de restreindre la pleine efficacité du jeu de la révision du loyer prévue par l’article L. 145-39 du Code de commerce. Il résulte de ce texte que lorsque « le bail est assorti d’une clause d’échelle mobile, la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d’un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire. La variation de loyer qui découle de cette révision ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédent ». On le sait, le loyer de référence, à prendre en compte pour l’action en révision du loyer fondée sur une variation de plus de 25 % en raison du jeu la clause d’échelle mobile, est le loyer du bail renouvelé et non celui du bail initial8. Dès lors que ce mécanisme de révision de l’article L. 145-39 du Code commerce, en vertu de l’article L. 145-15, est d’ordre public et trouve à s’appliquer, comme l’a soulevé le preneur, dans le cadre d’une procédure en révision du loyer, conformément à l’article R. 145-22 du Code de commerce, le juge doit adapter le jeu de l’échelle mobile à la valeur locative. Le loyer peut donc alors être fixé à un montant inférieur au loyer plancher initial.
Il semble donc qu’il n’y a guère que dans le cadre d’un loyer par paliers que la Cour de cassation autorise que l’évolution du loyer ne puisse conduire à un loyer inférieur au nouveau palier, dès lors que l’indexation peut intervenir aussi bien à la hausse qu’à la baisse. En effet, elle a retenu que : « ayant relevé que, pendant la période au cours de laquelle le loyer progressait annuellement par paliers, l’indexation des loyers s’opérait tant à la hausse qu’à la baisse par rapport au montant fixé au contrat pour chacun de ces paliers, sans que la période de variation de l’indice ne soit supérieure à la durée s’écoulant entre chaque révision, et retenu que l’augmentation des loyers, indépendamment du sens de l’évolution de l’indice au cours de cette période, résultait des paliers, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, que les stipulations relatives à l’évolution des loyers au cours de cette période n’étaient pas contraires aux dispositions de l’article L 112-1, alinéa 2, du Code monétaire et financier »9.Toutefois, il est à noter que, en l’espèce, la Cour de cassation ne ferme pas la porte à une renonciation de la part du preneur à une révision du loyer à un montant inférieur au loyer plancher initial, puisqu’elle exige seulement que cette renonciation ne soit pas préalable à l’acquisition du droit à la révision à la baisse du loyer. On savait déjà qu’une renonciation à un droit, dès lors qu’elle ne se présume pas, doit être certaine expresse et non équivoque10, et ne peut résulter que d’actes manifestant sans équivoque la volonté d’y renoncer11. Il est maintenant clair que le preneur peut renoncer à son droit à la variation à la baisse du loyer, dès lors que dans le cadre de l’article L. 145-39 du Code de commerce, ce droit est acquis, à savoir dès lors qu’il est constaté une augmentation du loyer de plus d’un quart par le jeu de la clause d’échelle mobile. Par extrapolation, dans l’absolu, on peut donc penser que le preneur peut également renoncer à une simple baisse du loyer résultant de l’indexation annuelle.
Reste que l’on pourrait toujours s’interroger sur la validité de la clause, répandue en pratique, qui limite au loyer plancher la baisse annuelle du loyer résultant du jeu de la clause. Il ne s’agirait ici que de consacrer un loyer plancher représentant le palier minimum contractuel garanti au bailleur, contrebalançant le plancher maximal légal né de la loi Pinel de 2014 d’où il résulte que la variation de loyer qui découle de l’indexation contractuelle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente12. Mais il est à craindre qu’une telle clause subira les foudres de la Cour de cassation. Reste aux bailleurs et aux mandataires professionnels à adapter leur clause d’indexation afin de permettre une réciprocité sans limite.
Notes de bas de pages
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1.
Cass. 3e civ., 10 janv. 1971 : Bull. civ. III, n° 71.
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2.
Sur la difficile distinction entre l’indexation conventionnelle et la clause de révision légale triennale, v. not. : Cass. 3e civ., 10 janv. 1979 : Gaz. Pal. Rec. 1979, 1, pan., p. 207 – Cass. 3e civ., 30 oct. 2002 : Bull. civ. III, n° 157. Ce qui amène les juges du fond à rechercher la commune intention des parties en cas de clause imprécise (v. not. : Cass. 3e civ., 28 oct. 1987).
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3.
V. not. : Cass. 3e civ., 11 déc. 2013, n° 12-22616 : Bull. civ. III, n° 159 ; Rev. Loyers 2014/943, n° 1718, p. 8, note Vaissié M.-O. et Chaoui H. ; RJDA 3/14, n° 20144 – Cass. 3e civ., 3 déc. 2014, n° 12-25034 : BRDA 1/15 ; Rev. Loyers 2015/953, n° 1962, p. 32.
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4.
Sans atteindre le contrat en lui-même, v : Cass. 3e civ., 20 févr. 1969 : Bull. civ., n° 165 – Cass. 3e civ., 6 juin 1972, n° 71-11279 ; Cass. 3e civ., 9 juill. 1973, n° 72-12660 : Bull. civ. III, n° 467 – Cass. 3e civ., 14 juin 1983 : Rev. Loyers 1983, p. 446.
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5.
Cass. 3e civ., 14 janv. 2016, n° 14-24681.
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6.
Cass. 3e civ., 25 févr. 2016, n° 14-28165, retenant une distorsion créée par la clause d’un avenant appliquant un indice de référence du 4e trimestre 1997 à un nouveau loyer de base dû à partir du 1er mars 2002.
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7.
Cass. 3e civ., 9 févr. 2017, n° 15-28691.
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8.
Cass. 3e civ., 15 déc. 2016, n° 15-27148.
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9.
Cass. 3e civ., 9 févr. 2017, n° 15-26200.
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10.
Cass. 3e civ., 18 janv. 2012 : D. 2012, p. 353, obs. Rouquet.
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11.
Cass. 2e civ., 10 mars 2005 : Bull. civ. II, n° 68 – Cass. 3e civ., 20 janv. 2015, n° 13-12127.
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12.
C. com., art. L. 145-39.