À propos du communiqué de procédure relatif à la transaction de l’Autorité de la concurrence

Publié le 02/05/2019

La récente publication du communiqué de l’Autorité de la concurrence relatif à la procédure de transaction offre l’occasion de livrer une étude sur ces procédures occupant une place sans cesse accrue dans le contentieux des pratiques anticoncurrentielles. L’Autorité fait ici œuvre de pédagogie en synthétisant – pour l’essentiel – sa pratique antérieure. Elle laisse cependant un certain nombre de questions en suspens.

Ardemment attendu de qui s’intéresse aux procédures organisées devant l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité » ou « l’ADLC ») dans le domaine des pratiques anticoncurrentielles, le communiqué relatif à la procédure de transaction a été récemment publié1. Il fait suite à une consultation publique ouverte au printemps dernier2. Sur la base des échanges et réflexions menés avec l’ensemble des parties prenantes – entreprises, cabinets d’avocats, associations spécialisées – l’Autorité fait ici œuvre de pédagogie à l’adresse des entreprises et leurs conseils en élaborant un document – qui a valeur de lignes directrices conformément à la jurisprudence administrative – propre à offrir une grille de lecture claire et relativement détaillée du déroulement des procédures de transaction.

Genèse. Pour mémoire, la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances dite loi Macron a remplacé la procédure de non-contestation des griefs par un mécanisme de transaction. La première – naguère instaurée par la loi NRE du 15 mai 2001 – permettait à toute entreprise renonçant à contester les griefs notifiés dans le cadre d’une procédure de sanction des ententes et/ou des abus de position dominante de bénéficier d’une réduction de 10 % du montant de l’amende encouru. À cette dernière, pouvaient éventuellement s’ajouter des réductions supplémentaires au titre des engagements que pouvaient proposer les contrevenants. Si la non-contestation des griefs avait le mérite d’une certaine simplicité, elle pêchait par le manque de prévisibilité de la sanction. Or s’il est un champ encore susceptible d’être négocié dans le cadre de cette procédure, celui du montant de l’amende encourue est assurément le dernier. L’introduction de la transaction à l’article L. 464-2, III du Code de commerce avait précisément pour objectif de conférer une meilleure prévisibilité de la sanction. Selon ce dernier, « lorsqu’un organisme ou une entreprise ne conteste pas la réalité des griefs qui lui sont notifiés, le rapporteur général peut lui soumettre une proposition de transaction fixant le montant minimal et le montant maximal de la sanction pécuniaire envisagée. Lorsque l’entreprise ou l’organisme s’engage à modifier son comportement, le rapporteur général peut en tenir compte dans sa proposition de transaction. Si, dans un délai fixé par le rapporteur général, l’organisme ou l’entreprise donne son accord à la proposition de transaction, le rapporteur général propose à l’Autorité de la concurrence, qui entend l’entreprise ou l’organisme et le commissaire du gouvernement sans établissement préalable d’un rapport, de prononcer la sanction pécuniaire prévue au I dans les limites fixées par la transaction ». L’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions annonçait alors, non seulement, l’abrogation des dispositions relatives à la non-contestation des griefs et la caducité du communiqué de procédure y afférant3, mais sonnait également le glas de la récompense des programmes de conformité au titre des engagements pris dans ce cadre et de l’application de la méthode classique de calcul des amendes lorsque l’entreprise renonce à discuter les griefs4.

Objectifs. Restait alors à définir les conditions précises de la mise en œuvre de ce « nouveau » mécanisme procédural. Comme son prédécesseur, le communiqué relatif à la transaction fait la promesse que le recours à ce mécanisme est l’assurance d’une résolution rapide du contentieux, la réalisation de gains procéduraux, et d’une prévisibilité accrue de l’amende encourue. Il s’agit surtout, pour l’Autorité, d’une garantie du traitement plus rapide de l’affaire en mobilisant dans une moindre mesure ses ressources humaines et matérielles. Les victimes d’entente et d’abus de position dominante ne sont pas en reste, puisqu’une décision constatant définitivement l’infraction intervient dans un délai sensiblement plus court que dans le cadre d’une procédure traditionnelle de sanction des pratiques anticoncurrentielles. En intervenant plus rapidement, le constat définitif de l’infraction issu de la décision de l’Autorité – valant présomption irréfragable de faute au civil – sert l’efficacité de l’action en réparation des victimes de l’infraction par l’accélération de la durée globale des procédures de follow on5.

Champ d’application. Si la transaction à la française s’est émancipée du mécanisme de transaction devant la Commission de 20086, à l’instar de cette dernière, sa mise en œuvre gagne en acuité au fil des années. En témoignent les différents rapports annuels d’activité de l’Autorité7. La publication du communiqué relatif à la transaction en date du 21 décembre 2018 offre ainsi l’occasion de livrer une étude sur un mécanisme procédural, suscitant engouement et craintes des entreprises, prenant le pas – sans toutefois les remplacer – sur les procédures traditionnelles de sanction des pratiques anticoncurrentielles. D’autant que son champ d’application offre à l’Autorité comme aux opérateurs économiques une grande latitude pour y recourir. Dans le droit fil de la non-contestation des griefs, la transaction « à la française » dispose, à cet égard, d’un champ sensiblement plus large que celui de la transaction prévue en droit européen. Ce dernier vise les seuls cas d’ententes là où le communiqué Transaction envisage – sans surprise – un traitement des ententes et des pratiques unilatérales telles qu’envisagées par les articles L. 420-1, L. 420-2, L. 420-5 du Code de commerce, et 101 et 102 TFUE.

Si le communiqué a ainsi consacré et « codifié » un certain nombre de solutions d’ores et déjà esquissées au grès de la récente pratique décisionnelle (I), certaines questions – et non des moindres – restent néanmoins en suspens (II).

I – Les solutions consacrées par le communiqué de procédure relatif à la transaction

Le communiqué Transaction précise les règles organisant son déroulement (B) ainsi que les règles relatives à la décision rendue par le collège (C). Au-delà, il apporte d’intéressantes précisions quant à l’initiative et l’éligibilité à la procédure de transaction, tantôt en confirmant la pratique antérieure tantôt en apportant des solutions nouvelles (A).

A – L’initiative de la procédure

Initiative de la procédure. L’initiative de cette dernière relève des entreprises destinataires d’une notification de griefs. Toutes les entreprises ne bénéficiant cependant pas du même degré de culture des règles et stratégies qu’offre le droit des pratiques anticoncurrentielles, l’Autorité propose, sans plus de précisions, de dispenser – à l’initiative du rapporteur général – une information préalable sur les modalités de déroulement de la procédure. La formule du communiqué est certes relativement lapidaire. Pour autant, elle présente assurément un intérêt pratique. Comme chacun sait, la non-contestation des griefs n’équivaut pas à un aveu de culpabilité8. Parfois, certaines entreprises – souvent plus petites et moins rompues aux stratégies procédurales du contentieux administratif de l’Autorité ou convaincues de la faiblesse des griefs retenus à leur encontre – préfèrent néanmoins s’orienter vers une procédure classique leur permettant de discuter les éléments infractionnels et la sanction, espérant à tort ou à raison obtenir plus qu’en transigeant. Le succès escompté de cette stratégie procédurale est d’ailleurs assez rarement au rendez-vous, en particulier, lorsque d’autres entreprises parties à la procédure ont opté pour le choix inverse. Une information quant aux enjeux et modalités de la transaction paraît dès lors la bienvenue.

Encadrement de l’initiative dans un délai de 2 mois. Le candidat à la transaction est invité à manifester son intérêt auprès du rapporteur général le plus rapidement possible. Souhaitant s’assurer de l’effectivité des gains procéduraux et donc de la célérité du contentieux, l’Autorité limite le temps laissé aux contrevenantes pour manifester leur volonté de transiger. Le procès-verbal de transaction doit pouvoir être établi dans un délai de 2 mois à compter de l’envoi de la notification des griefs9. Sauf dans certains cas exceptionnels que le communiqué n’explicite pas, toute demande intervenant après l’expiration des griefs n’est en principe pas prise en compte.

Proposition d’engagements. Dès ce stade, l’entreprise qui souhaite associer à la transaction des engagements doit les proposer. Elle doit, pour ce faire, transmettre l’ensemble des éléments propres à permettre au rapporteur général de vérifier « le caractère substantiel, crédible et vérifiable de ces propositions ». Si ces conditions sont remplies, le rapporteur général en tient compte dans sa proposition de transaction.

Fond – conditions d’éligibilité. Quoi qu’il en soit, la procédure française se distingue nettement du mécanisme européen, dans la mesure où l’initiative de l’entreprise en faveur de la transaction intervient, en droit français, après et non avant la communication des griefs. Cette dissemblance procédurale n’est pas sans conséquences sur le fond, en particulier, quant au périmètre des discussions. En droit de l’Union européenne, l’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction, sa potentielle qualification et son imputabilité font partie des négociations. Le champ des discussions est sensiblement plus étroit dans la pratique consacrée par le communiqué français. En droit français, l’entreprise qui souhaite transiger renonce à discuter les griefs. Pour être efficace, cette renonciation exige qu’elle ne remette en cause ni la régularité, ni le bien-fondé de la notification des griefs. La renonciation est transcrite dans le procès-verbal sous la forme d’une déclaration dépourvue de toute ambiguïté par laquelle l’auteur de la pratique indique « qu’il ne conteste ni la réalité de l’ensemble des pratiques en cause, ni leur qualification juridique, telle qu’elle résulte de la notification des griefs, ni leur imputabilité »10. Toute contestation ultérieure de nature à remettre en cause – sur le fond et/ou la forme – la notification des griefs vaut en principe renonciation au bénéfice de la transaction, y compris une fois celle-ci formalisée dans le cadre du procès-verbal signé par les parties et le rapporteur. Le terrain de discussion est dès lors cantonné aux seuls éléments relatifs à l’amende fixée par le collège.

B – Le déroulement de la procédure

L’opportunité du recours à la transaction. Il appartient au rapporteur général d’apprécier l’opportunité du recours à la transaction. Aucun critère ne permet véritablement de déterminer au préalable le sort réservé à la demande d’une entreprise. Il n’en reste pas moins que l’efficacité du traitement de l’affaire, en particulier au regard de la célérité et de la simplification de la procédure reste le maître-mot. Outre la volonté avérée du demandeur et la vision commune qu’elle peut avoir avec les services de l’Autorité de l’affaire, le rapporteur général tient compte de l’économie de la procédure d’une manière plus générale, en particulier en cas de pluralité des parties au contentieux. Autrement dit, la pluralité de destinataires des griefs intéressés par la résolution de l’affaire par voie de transaction est assurément un élément plaidant en faveur du recours à cette procédure. Sans pour autant exclure purement et simplement l’hypothèse d’une procédure hybride, l’Autorité marque une certaine réticence à son encontre11, ces dernières vidant au moins en partie la transaction de son intérêt. Le choix des uns n’est cependant pas sans conséquences quant aux perspectives de succès de la stratégie procédurale des autres, dans la même affaire. Lorsque les uns admettent – sans discuter – les faits qui leur sont reprochés, la défense des autres est pour ainsi dire le plus souvent vouée à l’échec. Dans ces conditions, la logique du tout ou rien – sous réserve des cas particuliers – insufflée par l’Autorité dans son communiqué s’entend.

Les discussions préparatoires. D’ailleurs, lorsque le rapporteur général reçoit une demande de transaction dans une affaire dans le cadre de laquelle ce type de procédure est susceptible de prospérer, il peut – avant la signature du procès-verbal de transaction – en informer les autres entreprises visées par les griefs. Si les entreprises ont toujours la possibilité de renoncer à la transaction, le rapporteur garde la maîtrise des discussions et peut à tout moment y mettre un terme dès lors qu’il estime qu’elles n’aboutiront à aucune vision commune du dossier. Certes, contrairement aux transactions menées devant la Commission européenne, la procédure française exclut toute discussion des éléments infractionnels formalisés par la notification des griefs. À cet égard, c’est à ce stade que le rapporteur général vérifie que la renonciation à contester les griefs est « claire, complète, dépourvue d’ambiguïté et inconditionnelle »12.

Mais, à la différence de la procédure européenne qui fige le niveau de la réduction attachée à la transaction à 10 % du montant de l’amende encoure, la transaction en droit interne offre aux parties un terrain de discussion quant au montant de l’amende.

Le procès-verbal. Le montant de l’amende susceptible d’être payée est, à cet égard, fixé dans le cadre d’une fourchette. Lorsque les discussions offrent une perspective d’accord, le rapporteur formalise une proposition de transaction fixant le montant minimal et le montant maximal de l’amende envisagée. Dès lors que l’entreprise donne son accord à la transaction dans le délai prédéterminé, le rapporteur l’informe de ce qu’il proposera au collège de l’Autorité à qui il incombe de fixer définitivement la sanction de tenir compte de la fourchette déterminée dans le cadre de la transaction. Outre la fourchette de sanction négociée, le procès-verbal inclut également la déclaration de non-contestation des griefs et les éventuels engagements proposés. Ce dernier doit être signé des entreprises et du rapporteur général dans un délai de deux mois à compter de la notification des griefs. Si les autres parties n’ont jusqu’alors pas souhaité privilégier la voie de la transaction, elles ont encore éventuellement la possibilité de réorienter leur choix procédural si le rapporteur général les informe de la signature du procès-verbal. Elles devront, pour ce faire, respecter le délai de 2 mois.

C – La décision

Une fois le procès-verbal établi, l’affaire est ensuite portée devant le collège de l’Autorité à qui appartiennent les pouvoirs de décision et de sanction. Dans un premier temps, celui-ci examine les faits, les griefs retenus, et le procès-verbal. Il vérifiera plus particulièrement que les conditions de fond de la mise en œuvre de la transaction – notamment la renonciation à contester les griefs est exprimée de manière « claire, complète, dépourvue d’ambiguïté et inconditionnelle » – sont bien réunies. Si tel est le cas, il prononce une sanction comprise dans la fourchette fixée dans le procès-verbal. S’il estime, au contraire, que les conditions ne sont pas réunies ou que les griefs sont trop fragiles, libre à lui de renvoyer l’affaire à l’instruction, laquelle obéira au régime de droit commun des articles L. 463-1 et suivants du Code de commerce.

Le collège rend sa décision après avoir entendu les différentes parties à la procédure. À cet égard, lorsque plusieurs entreprises transigent, l’Autorité peut envisager une séance en deux temps, en consacrant une première séance commune à l’ensemble des entreprises mises en causes portant sur les éléments « non négociables », c’est à dire les griefs notifiés, les faits et qualifications retenus. Elle peut, ensuite, entendre – en la présence du commissaire du gouvernement – individuellement les entreprises parties à la transaction. C’est à cette occasion que les entreprises pourront discuter la fixation de l’amende au sein de la fourchette, et seulement celle-ci.

Saisissant et transaction. Le communiqué précise utilement la place des éventuels plaignants. Contrairement aux procédures organisées devant la Commission, les procédures de l’Autorité placent – au-delà de la seule procédure de transaction – le plaignant sur un même pied d’égalité que les entreprises poursuivies. Comme ces dernières, le saisissant est donc partie à la procédure. Pour autant, la transaction – en particulier la phase des négociations nouées entre le rapporteur général et les entreprises en cause – s’accommode difficilement de la présence d’un plaignant. Il n’est d’ailleurs pas certain qu’elle ait un véritable intérêt à cette étape de la procédure, les discussions ne pouvant porter que sur la seule sanction laquelle ne l’intéresse guère. En revanche, les saisissants peuvent éventuellement puiser quelque intérêt à assister à la séance, en particulier, à la phase consacrée au constat de l’infraction. Le Code de commerce reste silencieux sur ce point. Le communiqué admet néanmoins que l’Autorité puisse autoriser les saisissants à assister à la première partie de la séance, non la seconde. Il ne s’agit donc nullement d’un droit consenti aux plaignants mais davantage d’une latitude laissée à l’Autorité si elle estime que la présence et les observations émises par ces derniers sont susceptibles de nourrir la procédure. Ce sera d’ailleurs particulièrement le cas lorsque les entreprises en cause proposent, en plus de la transaction, d’adopter des engagements. Ces derniers peuvent sensiblement affecter la situation commerciale, économique et financière du saisissant. Il est dès lors important qu’il puisse dans un premier temps avoir connaissance de leur contenu, pour ensuite émettre des observations. Suivant les mêmes motifs, le communiqué aurait peut-être pu aller un peu plus loin en permettant plus clairement à l’Autorité d’entendre également une troisième catégorie de personnes – « les tiers affectés » – c’est-à-dire, tout opérateur économique susceptible d’être directement et substantiellement affecté par ces mêmes engagements, les effets de ces derniers n’étant pas cantonnés aux seules entreprises ayant saisi l’Autorité, ni même une conséquence systématique. Une publication de l’essentiel du contenu des engagements avant leur adoption définitive serait sans doute à cet égard pertinente.

Sans grande surprise, le communiqué consacre ainsi un certain nombre de principes et de règles issus de la pratique décisionnelle de l’Autorité. Il fait œuvre de synthèse. C’est là son mérite. Pour autant un certain nombre de questions et non des moindres restent en suspens.

II – Les questions esquivées par le communiqué de procédure relatif à la transaction

Parmi les questions esquivées par le communiqué Transaction du 21 décembre 2018, deux méritent particulièrement attention : Les modalités de calcul de l’amende avec ou sans engagements (A) et le sort d’un éventuel recours contre la décision rendue à l’issue d’une transaction (B).

A – La détermination de la sanction

Calcul de l’amende et motivation de la décision. La détermination de l’amende encourue dans le cadre de la procédure de transaction est d’importance puisque le montant de la sanction pécuniaire s’impose – depuis l’entrée en vigueur de la Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 – comme le seul terrain de négociation offert aux parties.

Sous l’empire du texte consacré à la non-contestation des griefs, les entreprises bénéficiaient d’un pourcentage de réduction appliqué sur le montant calculé par application de la méthodologie du communiqué Sanctions en date du 16 mai 201113. Le régime actuel est donc bien différent, puisqu’il n’est plus question d’appliquer un pourcentage fixe de réduction sur un montant inconnu au moment des négociations menées au cours de l’instruction, mais de fixer une fourchette de sanction à l’issue de l’instruction sur la base d’un accord entre le rapporteur général et l’entreprise en cause. Cette modification majeure a été conçue pour répondre à une préoccupation vivement exprimée par les opérateurs économiques et leurs conseils en faveur d’une meilleure prévisibilité de la sanction. Ce chiffrage est dès lors appréhendé a priori dans le cadre d’une fourchette, puis définitivement fixé par le collège. Il est d’ailleurs parfois envisagé – nous y reviendrons – d’une manière extrêmement large si bien qu’il n’est pas toujours certain que l’objectif de prévisibilité soit pleinement atteint.

Quoi qu’il en soit, la décision rendue à l’issue de la procédure de transaction doit – suivant un objectif de transparence – nécessairement motiver la sanction. Comme le rappelle le communiqué Transaction, « l’Autorité détermine le montant de la sanction pécuniaire en faisant application des critères et plafond légaux figurant au I de l’article L. 464-2 du Code de commerce ». Autrement dit, l’Autorité doit imposer une sanction pécuniaire proportionnée à la gravité de la situation infractionnelle, à l’importance du dommage à l’économie et à la situation propre à chaque contrevenant14. Pour autant, contrairement à l’amende prononcée à l’issue de la non-contestation des griefs ou de la transaction en droit de l’UE, celle infligée aux termes de la transaction en droit interne n’obéit pas – comme l’a indiqué le communiqué accompagnant la décision relative aux « revêtements de sol »15 à la méthodologie du communiqué Sanctions. Ce dernier fait seulement figure de grille de référence pouvant utilement inspirer les négociations entre le rapporteur général et les entreprises en cause. L’Autorité opère donc une application extrêmement souple des lignes de force de la méthodologie traditionnelle. L’obligation de motivation ne s’en impose pas moins à l’Autorité qui tout en prenant soin de préciser les éléments de fixation de la sanction au risque, sinon, de nourrir un éventuel contentieux devant la cour d’appel de Paris, limite ce travail à la mention des orientations générales du calcul de l’amende. En témoigne la récente décision relative à l’entente sur le marché des « produits électroménagers »16.

Prévisibilité de la sanction et application conjointe de la clémence et de la transaction. Le calcul de la sanction attire d’autant plus l’attention dans le cadre de la procédure de transaction qu’elle peut se cumuler à un programme de clémence. Le communiqué consacre, à cet égard, un cumul que les autorités interne17 et européenne pratiquaient d’ores et déjà18. L’autorité promeut cette combinaison en la conditionnant aux gains procéduraux que peuvent en tirer ses services19. Par ailleurs, elle assure sa préférence en faveur de la clémence compte tenu des gains tirés de la détection qu’elle offre, la transaction facilitant le constat des faits par l’absence de discussion des faits20.

Pour rappel, l’article L. 464-2, IV du Code de commerce21consent une exonération totale ou partielle des sanctions pécuniaires à qui dénonce l’infraction ou permet de l’établir, en apportant aux autorités de concurrence des éléments de preuve d’une entente au sens de l’article L. 420-1 du Code de commerce et ou 101 TFUE. La révélation de l’infraction permet potentiellement à son auteur de bénéficier d’une clémence de rang ou de type 1, laquelle offre une exonération totale ou une immunité d’amende. L’apport des preuves d’une infraction connue des autorités permet, si les conditions de fond sont réunies, de bénéficier d’une clémence de rang ou de type 2, laquelle est assortie d’une simple exonération partielle. Comme chacun sait – même s’il est question de supprimer cette étape procédurale22 – à l’issue de l’instruction, la demande de clémence fait l’objet d’un avis conditionnel dans lequel le collège de l’Autorité indique au candidat le sort de sa demande et le niveau d’exonération consenti. S’il s’agit seulement d’une exonération partielle, le taux d’exonération – exprimé sous forme d’une fourchette de pourcentage – et les conditions qui le subordonnent doivent être indiqués. Au collège ensuite de fixer définitivement lors de la phase décisionnelle le montant imposé. Cet avis n’a qu’une portée relative compte tenu du fait qu’au moment où il est rendu, le candidat n’a pas nécessairement donné la pleine mesure de sa coopération. Lorsque la transaction se combine à la clémence, le rapporteur général doit dès lors émettre une fourchette de sanction au titre de la transaction incluant la fourchette de réduction fixée dans l’avis conditionnel. Or, comme en témoigne la décision de sanction de l’entente sur le marché des « produits électroménagers »23, cette fourchette peut parfois devoir être définie de manière si large qu’il est permis de s’interroger quant à l’effectivité de l’objectif de prévisibilité accrue qui présidait à la réforme de la procédure de non-contestation des griefs, d’autant que l’entreprise n’a nullement la garantie que le collège prononce une amende s’inscrivant dans la partie basse de la fourchette. D’ailleurs, le candidat à la clémence ne sait nullement aux termes de la décision quel pourcentage de réduction lui a été alloué au titre de sa coopération. Gageons, cependant, que l’Autorité saura gratifier – si les conditions le justifient – les entreprises qui ont dénoncé et pris les risques d’une aggravation de la sanction qui l’accompagnent au moins dans un premier temps mécaniquement, en particulier, depuis la transposition de la directive Dommages. C’est à tout le moins le sens de la décision de sanction de l’entente sur le marché des « produits électroménagers ».

Incertitude de la réduction obtenue au titre des engagements. Par ailleurs, l’Autorité peut devoir consentir une réduction supplémentaire au titre des engagements proposés par l’entreprise en cause. Il appartient au rapporteur général comme au collège de vérifier que ces engagements sont substantiels, crédibles et vérifiables24.

À la différence des engagements susceptibles d’être proposés dans le cadre de la non-contestation des griefs qui s’accompagnaient d’un pourcentage de réduction supplémentaire, les engagements associés à la transaction « peuvent être pris en compte », sans plus de précisions selon les termes de l’article L. 462-4, III du Code de commerce, dans la proposition de transaction. C’est dire la latitude que laisse le Code de commerce à l’Autorité. Cette prise en compte se traduira par une réduction supplémentaire dont le montant n’est pas prédéterminé par un pourcentage. La transaction avec engagements est pour l’heure peu fréquente. L’essentiel des engagements jusqu’alors attachés à la transaction ou la non-contestation des griefs s’exprimaient sous la forme de programme de conformité. Or, comme chacun sait, à l’occasion de l’affaire des « revêtements de sols », l’Autorité a expressément indiqué qu’elle ne souhaitait plus gratifier l’adoption de ces derniers, considérant que dans un contexte de culture de la concurrence intégrée par les opérateurs économiques, notamment sous l’aiguillon de la loi Sapin II25, la mise en place de ces derniers relève de la gestion courante de l’entreprise. La suppression a également été gouvernée par la volonté de l’Autorité d’éviter que la récompense offerte au titre de l’adoption d’un programme de conformité ne soit instrumentalisée par certains opérateurs économiques, renonçant dans un premier temps à s’en doter pour mieux, dans un second temps, s’en prévaloir en cas de poursuite devant l’Autorité, la réduction ainsi obtenue étant plus avantageuse que le coût d’un tel programme26. Le communiqué rappelle clairement cette exclusion du champ des engagements susceptibles d’être rémunérés.

B – Le recours contre la décision rendue à l’issue de la transaction

Les incertitudes qu’acceptent l’entreprise qui transige doivent d’autant plus être prises en compte qu’à ce jour il n’est nullement certain qu’un recours contre la décision prononcée à l’issue de cette procédure puisse offrir la perspective d’un recours devant la cour d’appel de Paris. Les dispositions du Code de commerce comme le communiqué lui-même sont restés silencieux sur ce point. Il n’en reste pas moins que l’Autorité conçoit ce mécanisme dans la perspective d’un gain procédural tenant à la célérité et la simplification du contentieux, mais aussi à l’éloignement du spectre d’un éventuel recours visant à critiquer les éléments ayant fait l’objet de l’accord de transaction. D’ailleurs, en droit civil, la chose transigée comme la chose jugée, devient en principe « immuable, intangible et ne peut plus être remise en cause »27. Tout en étant un contrat, elle est un acte juridictionnel développant les mêmes effets extinctifs qu’une décision de justice.

Toute la question est dès lors de savoir si une entreprise peut valablement envisager d’introduire un recours contre la décision rendue par l’Autorité aux termes d’une procédure de transaction. L’Autorité elle-même n’y est pas favorable. À l’occasion de l’affaire Engie, la cour d’appel de Paris saisie d’un recours du plaignant a quant à elle eu l’occasion d’affirmer que « dans le cadre de cette procédure spécifique, l’entreprise en cause accepte de ne pas contester les griefs, ainsi que le montant de la sanction infligée, ce qui revient à une renonciation à ses droits de la défense et à son droit de recours sur ces points ».28

S’agissant de la transaction mise en œuvre par l’Autorité, celle-ci devrait, selon nous, moins affecter le principe même du recours – ce dernier pouvant porter sur d’autres éléments que ceux ayant fait l’objet de l’accord entre le service de l’instruction et l’entreprise en cause – que son étendue, autrement-dit les moyens susceptibles d’être recevables. Aucun texte ne pose d’ailleurs le principe d’une irrecevabilité pure et simple du recours. Il n’en demeure pas moins que si une entreprise souhaite contester le montant de l’amende finalement imposée par le collège alors qu’il est compris dans la fourchette fixée dans le cadre de l’accord de transaction conclu avec le rapporteur général, il est peu probable qu’un recours devant la cour d’appel de Paris prospère sur ce terrain. Une telle solution s’entend au regard des objectifs assignés à la transaction, lesquels sont parfaitement connus des parties à cette dernière. De même, l’inclusion des réductions allouées au titre de la clémence aux négociations nouées dans le cadre de la transaction risquent dès lors, en l’état actuel des choses, de priver le candidat à la clémence insatisfait de la réduction finalement consenties et même potentiellement des conditions dans lesquelles la clémence a été octroyée de toute perspective de remise en cause dans le cadre d’un recours. Nul doute que la cour d’appel de Paris ainsi que la Cour de cassation devraient prochainement apporter d’utiles précisions sur ces derniers points cruciaux.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Communiqué de procédure du 21 décembre 2018 relatif à la procédure de transaction, disponible sur le site de l’Autorité de la concurrence.
  • 2.
    Projet de communiqué de procédure relatif à la procédure de transaction, 5 mars 2018.
  • 3.
    Communiqué de procédure du 10 février 2012 relatif à la non-contestation des griefs.
  • 4.
    À l’occasion de l’affaire des « revêtements de sol résilients », l’Autorité a en effet déclaré que « la mise en œuvre de la procédure de transaction fondée sur les nouvelles dispositions du III de l’article L. 464-2 du Code de commerce justifie qu’en principe, les sanctions énoncées dans le communiqué du 19 mai 2011 de l’Autorité » (communiqué du 19 octobre 2017 accompagnant la décision de sanction de l’entente sur le marché des revêtements de sol).
  • 5.
    Les procédures dites de « follow on » coordonnent successivement une procédure administrative aux termes de laquelle l’Autorité de concurrence constate l’infraction, suivie d’une procédure devant les juridictions nationales à des fins réparatrices.
  • 6.
    Communication de la Commission relative aux procédures de transaction engagées en vue de l’adoption de décisions en vertu des articles 7 et 23 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil dans les affaires d’entente (texte présentant de l’intérêt pour l’EEE), OJ C 167, 2 juill. 2008, p. 1-6. Pour une comparaison des systèmes, v. Claudel E., « Procédure de transaction “à la française” : l’heure du premier bilan », RTD com. 2017, p. 865.
  • 7.
    Excepté pour l’année 2018 qui marque un fléchissement du nombre d’affaires faisant l’objet d’une transaction, la plupart des décisions contentieuses résultent d’une transaction ou de la non contestation des griefs (sur l’évolution du nombre d’affaires traitées dans le cadre de cette voie procédurale, v. Rapport annuel de 2017, p. 24). Depuis l’entrée en vigueur de la loi Macron, 12 décisions sont issues d’une procédure de transaction (Communiqué du 27 décembre 2018, l’Autorité adopte son communiqué de procédure sur la transaction afin de donner plus de lisibilité et de prévisibilité aux entreprises, disponible sur le site de l’Autorité).
  • 8.
    Communiqué du 27 décembre 2018, pt. 16.
  • 9.
    Communiqué du 27 décembre 2018, pt. 11.
  • 10.
    La renonciation à contester la réalité des pratiques vise à la fois leur matérialité, leur durée, leur champ géographique et la participation de l’intéressé aux pratiques. La renonciation à contester la qualification juridique des faits doit porter sur tous les éléments constitutifs de l’infraction et, en particulier, l’objet ou l’effet anticoncurrentiel de la pratique (Communiqué du 27 décembre 2018, pt. 13).
  • 11.
    Communiqué du 27 décembre 2018, pt. 19.
  • 12.
    Communiqué du 27 décembre 2018, pt. 21.
  • 13.
    Communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires.
  • 14.
    Selon l’article C. com., art. L. 464-2 « les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l’importance du dommage à l’économie, à la situation individuelle de l’organisme ou de l’entreprise sanctionné ou du groupe auquel l’entreprise appartient et à l’éventuelle réitération de pratiques prohibées (…). Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme et de façon motivée pour chaque sanction (…) ».
  • 15.
    Aut. conc., déc. n° 17-D-20, 18 oct. 2017, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des revêtements de sols résilients ; Communiqué du 19 octobre 2017 : « Cartel dans le secteur des revêtements de sols. La solution est reprise par le communiqué Transaction », pt. 37.
  • 16.
    Aut. conc., déc. n° 18-D-24, 5 déc. 2018, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits électroménagers, pt. 186 et s., Dumarçay M., « Clémence-transaction : la combinaison procédurale gagnante ? Regards sur la décision de l’Autorité de la concurrence sanctionnant l’entente sur le marché des produits électroménagers », RLC 2019, p. 36-43, n° 80.
  • 17.
    Pour une illustration en droit français à l’époque de la procédure de non contestation des griefs : Aut. conc., déc. n° 15-D-19, 15 déc. 2015, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la messagerie et de la messagerie express, spéc. pt. 1375 ; Pour une illustration du cumul depuis l’entrée en vigueur de la transaction : Aut. conc., déc. n° 17-D-20, 18 oct. 2017, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des revêtements de sols résilients.
  • 18.
    Dans le cadre des procédures menées devant la commission, la plupart des entreprises optent pour cette combinaison (Laina F. et Bogdanov A., « The EU Cartel Settlement Procedure : Latest Developments », Journal of European Competition Law & Pratice, 2017, Vol. n° 8, p. 333).
  • 19.
    Communiqué du 19 octobre 2017 : « Cartel dans le secteur des revêtements de sols. La solution est reprise par le communiqué Transaction », pts. 8 et s.
  • 20.
    Communiqué du 19 octobre 2017 : « Cartel dans le secteur des revêtements de sols. La solution est reprise par le communiqué Transaction », pt. 9.
  • 21.
    En vertu de l’article C. com, art. L. 464-2, III « lorsqu’un organisme ou une entreprise ne conteste pas la réalité des griefs qui lui sont notifiés, le rapporteur général peut lui soumettre une proposition de transaction fixant le montant minimal et le montant maximal de la sanction pécuniaire envisagée. Lorsque l’entreprise ou l’organisme s’engage à modifier son comportement, le rapporteur général peut en tenir compte dans sa proposition de transaction. Si, dans un délai fixé par le rapporteur général, l’organisme ou l’entreprise donne son accord à la proposition de transaction, le rapporteur général propose à l’Autorité de la concurrence, qui entend l’entreprise ou l’organisme et le commissaire du gouvernement sans établissement d’un rapport, de prononcer la sanction pécuniaire prévue au I dans les limites fixées par la transaction ».
  • 22.
    Dumarçay M., « Esquisses et esquives du projet de loi Pacte portant modification des procédures administratives de contrôle des pratiques anticoncurrentielles », RLC 2018, p. 34, n° 78.
  • 23.
    Dans cette décision, le rapporteur général avait dû tenir compte « des réductions de sanction envisagées par l’avis de clémence mais aussi de la possibilité que (l’entreprise) puisse bénéficier d’une réduction de sanction encore supérieure à la réduction maximale retenue par l’avis de clémence, au regard de sa contribution importante à l’instruction des faits » (Aut. conc., déc. n° 18-D-24, 5 déc. 2018, pts. 199 et s.)
  • 24.
    S’ils apparaissent insuffisants lors de la séance mais que l’entreprise propose des modifications propres à les rendre acceptables, le collège en tient également compte dans la fixation de l’amende au sein de la fourchette déterminée au préalable par le rapporteur général (Communiqué du 19 octobre 2017 : « Cartel dans le secteur des revêtements de sols. La solution est reprise par le communiqué Transaction », pt. 38.).
  • 25.
    L. n° 2016-1691, 9 déc. 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, JO, 10 décembre 2016.
  • 26.
    Martin S., « Dîner-Débat du 6 décembre 2018 », contenu disponible sur le site de la revue Concurrences.
  • 27.
    Cadiet L. et Jeuland E., Droit judiciaire privé, 5e éd., 2006, Litec, p. 269.
  • 28.
    CA Paris, 6 juill. 2017, n° 17/07296.
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