Nouvelles précisions sur le régime juridique de l’article L. 128-2 (anciennement L. 137-2) du Code de la consommation

Publié le 05/04/2017

En se déterminant sans distinguer entre l’action relative au paiement du capital restant dû à la date de la déchéance du terme, qui n’était pas prescrite, et celle portant sur les mensualités échues depuis le mois de janvier 2009, et sans constater, pour ces dernières, que les paiements effectués jusqu’à la déchéance du terme avaient permis de régulariser les incidents de paiement antérieurs, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.

Cass. 1re civ., 14 déc. 2016, no 15-24055

1. Les dispositions régissant le crédit immobilier, figurant aujourd’hui aux articles L. 313-1 et suivants du Code de la consommation, ne prévoient aucune solution spécifique concernant la prescription de l’action en paiement menée par le prêteur à l’encontre de l’emprunteur défaillant. Cette situation a alors entraîné un certain nombre d’interrogations1 : quel est le délai applicable en la matière ? À partir de quel moment se met-il à courir ?

2. Concernant la première question le doute était permis. Deux solutions étaient possibles. D’une part, l’article L. 110-4 prévoit à son I que : « Les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes ». D’autre part, depuis la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, l’article L. 137-2, devenu l’article L. 218-2 suite à l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du Code de la consommation, prévoit que : « L’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans »2. Quel article faire prévaloir ?

3. La Cour de cassation a rapidement répondu à cette interrogation en se montrant favorable à l’application de cet article L. 218-2 aux actions en paiement menées par les prêteurs contre les emprunteurs défaillant en matière de crédit immobilier3. Cette solution peut paraître convaincante d’un point de vue juridique. En effet, on peut penser qu’il ne faut pas distinguer là où la loi ne distingue pas. Dès lors, puisque les crédits immobiliers consentis aux consommateurs4 par des organismes de crédit constituent bien des services fournis par des professionnels aux consommateurs, il doit être possible d’y appliquer l’article L. 218-2. En outre, la brièveté de la prescription consumériste peut être vue comme un correcteur du déséquilibre existant entre les parties au contrat de consommation, ce qui légitime également le fait d’y recourir. Enfin, il est à noter que la solution avait été préconisée, dès 2009, dans une réponse ministérielle5 et retenue à plusieurs reprises par les juges du fond6.

4. Pourtant, l’application de cet article n’échappe pas à toute discussion. En premier lieu, cette solution n’est pas forcément favorable à l’emprunteur. En effet, celle-ci peut inciter les banques à entamer une procédure de saisie des biens très tôt, sans attendre un éventuel retour à meilleure fortune ou sans tenter de négocier une vente à l’amiable du bien ou un rééchelonnement de la dette7. En poussant les établissements vers des stratégies expéditives et radicales, la solution retenue par la cour pourrait se retourner ainsi contre les emprunteurs8. En second lieu, des arguments plaident également en faveur du délai de prescription de cinq ans. Rappelons ainsi que le prêt immobilier est un contrat commercial ; cela pourrait alors légitimer l’application de l’article L. 110-4 précité. De même, on pourrait penser que si le législateur avait véritablement voulu faire échapper les crédits immobiliers au droit commun de la prescription commerciale, il l’aurait précisé9. Néanmoins, et au-delà de ces arguments, la jurisprudence est parfaitement claire désormais : l’article L. 218-2 est le délai de prescription applicable aux actions du prêteur contre l’emprunteur défaillant.

5. Une autre question s’est alors logiquement posée : à partir de quel moment exact ce délai de deux ans commence-t-il à courir ? Cette question, anodine en apparence, a donné lieu à un revirement de jurisprudence notable.

6. Dans un premier temps, une décision de la première chambre civile en date du 10 juillet 201410 est venue répondre à cette interrogation. Il est vrai qu’à cette époque le doute était permis entre le fait de prendre en considération la date du premier incident de paiement non régularisé11 ou celui de faire débuter le délai à la date de la déchéance du terme du prêt en question, voire privilégier une autre solution encore12. L’opinion de la Cour de cassation était alors attendue en la matière. L’arrêt du 10 juillet 2014 précité avait alors déclaré par un « chapeau de tête » que « le point de départ du délai de prescription biennale (…) se situe au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action concernée, soit, dans le cas d’une action en paiement au titre d’un crédit immobilier consenti par un professionnel à un consommateur, à la date du premier incident de paiement non régularisé ».

Cette solution, réitérée à plusieurs reprises13, était cependant fortement critiquée par les auteurs. D’un point de vue pratique, elle était de nature à encourager le prêteur à exercer rapidement son action en paiement contre l’emprunteur dès le premier incident de paiement. Techniquement, elle revenait à appliquer au délai de prescription de l’article L. 218-2 du Code de la consommation une solution propre au délai de forclusion prévu pour le crédit à la consommation14, alors même que ces deux délais ne sauraient être confondus15. En effet, rappelons que le délai de forclusion est un délai pour agir en justice : il constitue une incitation pour agir au plus vite. C’est donc un délai de procédure. La prescription, quant à elle, tend plutôt à consolider une situation de fait. Elle est en principe une présomption irréfragable de paiement16, voire un mode d’extinction de l’obligation qui n’a pas été payée17. Toute assimilation de leurs régimes était maladroite. Un revirement de jurisprudence était donc attendu. Celui-ci a finalement eu lieu.

7. Dans un second temps, en effet, la première chambre civile de la Cour de cassation a totalement modifié sa solution par quatre décisions rendues le 11 février 201618. Ces dernières énoncent ainsi par un « chapeau de tête » commun, que : « à l’égard d’une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que, si l’action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d’échéance successives, l’action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité ».

8. Cette solution échappe à la critique. L’essentiel à prendre en considération en la matière est la date d’exigibilité de l’obligation. Cette solution figure d’ailleurs à l’article 2233, 3°, du Code civil selon lequel la prescription ne court pas « à l’égard d’une créance à terme, jusqu’à ce que ce terme soit arrivé ». Deux situations sont alors à distinguer. Tout d’abord, un prêt est généralement remboursable par fractions ; le plus souvent par échéances mensuelles. Par conséquent, chaque mensualité est une créance distincte, ayant sa propre date d’exigibilité, et, forcément, un point de départ particulier au regard du délai de prescription. Les échéances se prescrivent donc de façon successive. Cela est logiquement rappelé dans la solution dégagée par les quatre arrêts précités du 11 février 2016. Ensuite, une hypothèse particulière doit être réservée : celle où le créancier provoque la déchéance du terme. Dans ce cas en effet la dette devient exigible intégralement et la déchéance doit alors constituer le point de départ du délai de prescription. Ici encore, les quatre décisions confirment cette solution de bon sens.

9. Cette jurisprudence, qui a été confirmée à plusieurs reprises depuis19, nécessitait encore quelques précisions afin d’en clarifier parfaitement l’application. Une décision du 14 décembre 2016 de la première chambre civile de la Cour de cassation20 attire alors l’attention.

10. En l’espèce, par acte notarié du 12 février 1999, la banque A avait consenti à M. X et Mme Y un prêt immobilier d’un montant de 380 000 F, soit 57 931 €. Le couple s’était finalement révélé défaillant. Dès lors, après leur avoir délivré un commandement de payer valant saisie immobilière, la banque avait assigné les emprunteurs aux fins de vente forcée de l’immeuble, lesquels avaient opposé la prescription de l’action de la banque.

11. Or, pour dire l’action de la banque non prescrite, la cour d’appel de Versailles avait énoncé dans un jugement du 18 septembre 2014 que des incidents de paiement étaient intervenus à compter du mois de janvier 2009, et que des versements d’acomptes et des règlements provenant de l’assureur avaient été opérés postérieurement à cette date, de sorte que le délai de prescription avait commencé à courir à compter de la déchéance du terme intervenue le 10 août 2012 et que, le commandement de payer valant saisie immobilière ayant été délivré le 31 décembre 2012, l’action de la banque n’était pas prescrite. Le couple avait alors formé un pourvoi en cassation par l’intermédiaire duquel il soutenait que le point de départ devait être situé au jour du premier incident de paiement non régularisé.

12. Par un arrêt du 14 décembre 2016, la Cour de cassation casse la décision des juges du fond en se fondant sur l’article L. 137-2 du Code de la consommation, devenu L. 218-2, et les articles 2224 et 2233 du Code civil. La haute juridiction déclare alors « qu’à l’égard d’une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que, si l’action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d’échéance successives, l’action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité ». En conséquence, en se déterminant comme elle l’a fait, « sans distinguer entre l’action relative au paiement du capital restant dû à la date de la déchéance du terme, qui n’était pas prescrite, et celle portant sur les mensualités échues depuis le mois de janvier 2009, et sans constater, pour ces dernières, que les paiements effectués jusqu’à la déchéance du terme avaient permis de régulariser les incidents de paiement antérieurs », la cour d’appel a privé sa décision de base légale.

13. Cette décision, bien que non publiée au Bulletin civil, est importante. En effet, elle vient utilement nous dire que si l’action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité, il convient de ne pas oublier de prendre en considération les actions antérieures relatives au paiement portant sur les mensualités échues qui sont peut-être prescrites. Si tel est le cas, au moment où la déchéance du terme est prononcée, la banque n’a plus le droit de percevoir le montant de ces échéances. Concernant ces dernières, il appartient alors aux juges du fond de vérifier si elles sont prescrites ou non en fonction du délai biennal, de son point de départ situé au jour de l’exigibilité et des éventuelles causes de suspension et d’interruption. Il faut raisonner échéance par échéance.

14. Pour résumer, s’agissant d’un prêt remboursable en échéances soumises chacune à une date d’exigibilité propre, il convient de bien distinguer les échéances passées, dont certaines peuvent être prescrites, du capital restant dû et découlant de la déchéance des termes des échéances non prescrites. La déchéance des termes en question ne saurait concerner les échéances prescrites mais seulement celles qui ne le sont pas21. Cette solution échappe selon nous à toute critique.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Raymond G., Droit de la consommation, 2e éd., 2011, LexisNexis, n° 714.
  • 2.
    Ce texte est venu remplacer le quatrième alinéa de l’ancien article 2272 du Code civil, aujourd’hui abrogé, qui énonçait, depuis 1804, que l’action des marchands, pour les marchandises qu’ils vendent aux particuliers non marchands, se prescrit par 2 ans.
  • 3.
    Cass. 1re civ., 28 nov. 2012, n° 11-26058 : Bull. civ. I, n° 247 ; RD bancaire et fin. 2013, comm. 47, obs. Mathey N. ; Contrats, conc. consom. 2013, comm. 45, obs. Raymond G. ; LPA 4 nov. 2013, p. 6, obs. Éréséo N. ; LEDB janv. 2013, n° 179, p. 5, obs. Lasserre Capdeville J. – Cass. 1re civ., 9 avr. 2014, n° 12-27614 : Contrats, conc. consom. 2014, comm. 171, obs. Raymond G. ; LPA 1er août 2014, p. 19, obs. Lasserre Capdeville J. – Il en va différemment si le crédit a un rapport direct avec une activité professionnelle, Cass. 1re civ., 14 avr. 2016, n° 15-14567 : LEDB juin 2016, n° 93, p. 4, obs. Mignot M.
  • 4.
    Ne perd pas la qualité de consommateur la personne physique qui, agissant à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, souscrit un prêt de nature spéculative, Cass. 1re civ., 22 sept. 2016, n° 15-18858 : Dalloz actualité, 3 oct. 2016, obs. Delpech X. ; LEDB nov. 2016, n° 110b4, p. 5, obs. Mignot M.
  • 5.
    Rép. min. n° 410 : JOAN Q, 21 avr. 2009 ; Procédures 2009, comm. 205, obs. Croze H. ; Dalloz actualité, 11 mai 2009, obs. Lavric S.
  • 6.
    CA Douai, 30 juin 2011, n° 11/01396 : Contrats, conc. consom. 2011, comm. 273, obs. Raymond G.
  • 7.
    JCP E 2013, 1135, note Dupré M.
  • 8.
    LPA 4 nov. 2013, p. 6, obs. Éréséo N.
  • 9.
    Contrats, conc. consom. 2013, comm. 45, obs. Raymond G.
  • 10.
    Cass. 1re civ., 10 juill. 2014, n° 13-15511 : Bull. civ. I, n° 138 ; RTD com. 2014, p. 675, obs. Legeais D. ; LEDB oct. 2014, n° 119, p. 1, obs. Mignot M. ; JCP G 2014, 948, note Lasserre Capdeville J. ; JCP E 2014, 1441, note Legeais D. ; Contrats, conc. consom. 2014, comm. 255, obs. Raymond G. ; Gaz. Pal. Rec. 2014, p. 3005, note Mignot M. ; Gaz. Pal. Rec. 2014, p. 3221, obs. Piédelièvre S.
  • 11.
    V. par ex., CA Nîmes, 29 mars 2012, n° 11/03396.
  • 12.
    V. par ex., CA Amiens, 18 févr. 2014, n° 13/04272.
  • 13.
    Cass. 1re civ., 16 avr. 2015, n° 13-24024 : D. 2015, AJ, p. 916, obs. Avena-Robardet V. ; RTD com. 2015, p. 337, obs. Legeais D. ; Gaz. Pal. Rec. 2015, p. 1768, obs. Piédelièvre S. ; RD bancaire et fin. 2015, comm. 117, obs. Mathey N. – Cass. 1re civ., 3 juin 2015, n° 14-16950 : Gaz. Pal. Rec. 2015, p. 3690, obs. Roussille M. – Cass. 1re civ., 9 juill. 2015, n° 14-17870 : Contrats, conc. consom. 2015, comm. 244, obs. Raymond G. ; Gaz. Pal. Rec. 2015, p. 3690, obs. Roussille M. – Cass. 1re civ., 28 oct. 2015, n° 14-23267 : LEDB déc. 2015, n° 182, p. 4, obs. Mignot M.
  • 14.
    Ce délai de forclusion est désormais mentionné à l’article R. 312-35 du Code de la consommation.
  • 15.
    Vasseur M., « Délai préfix, délais de prescription, délais de procédures », RTD civ. 1950, p. 439.
  • 16.
    C. civ., art. 1350, 2° anc. et 1352, al. 2, anc.
  • 17.
    C. civ., art. 1234 anc.
  • 18.
    Cass. 1re civ., 11 févr. 2016, nos 14-23383, 14-27143, 14-22938 et 14-29539 : LEDB mars 2016, n° 38, p. 1, obs. Lasserre Capdeville J. ; RTD com. 2016, p. 314, obs. Legeais D. ; JCP E 2016, 1175, note Bazin E. ; JCP N 2016, 1298, note Piedelièvre S. ; RD bancaire et fin. 2016, comm. 59, obs. Mathey N. ; JCP G 2016, 220, obs. Lasserre Capdeville J.
  • 19.
    Cass. 1re civ., 14 avr. 2016, n° 15-15841 : LEDB juin 2016, n° 92, p. 3, obs. Mignot M. ; RD bancaire et fin. 2016, comm. 112, obs. Mathey N.
  • 20.
    Cass. 1re civ., 14 déc. 2016, n° 15-24055 : LEDB févr. 2017, n° 110h1, p. 5, obs. Mignot M.
  • 21.
    Comme le relève très justement un auteur (LEDB févr. 2017, n° 110h1, p. 5, obs. Mignot M.) : « Disons plutôt que l’efficacité de cette déchéance du terme d’une mensualité est subordonnée à l’absence d’invocation de la prescription par le débiteur ».
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