Point de départ d’un délai de forclusion dans une situation de surendettement

Publié le 07/05/2019

Des incidents de paiement peuvent se produire, pendant l’exécution des plans de surendettement, et pour y remédier, la solution est d’amener des successions de plans. D’où l’intérêt de se pencher sur les délais de forclusion, et surtout leur point de départ, puisque l’écoulement de ces délais peut conduire à neutraliser une créance ou à la maintenir.

Cass. 1re civ., 6 févr. 2019, no 17-28467

Pendant l’exécution des plans de surendettement, des incidents de paiement peuvent se produire, d’où l’intérêt de se pencher sur les délais de forclusion et leur point de départ, puisque l’écoulement de ces délais peut conduire à neutraliser une créance ou à la maintenir. D’où l’intérêt de la présente décision qui, même si elle a statué sur la base d’un texte1 antérieur à la loi de 2010 réformant la question du crédit2 et pour les dispositions concernant la forclusion, confirmée par la dernière en date des réformes du surendettement3, conserve les principes dont la décision commentée fait application.

Les faits se caractérisent par une succession d’échéances non payées et de plans conventionnels de redressement, au nombre de deux, tentant de remédier à cette situation, la chronologie mérite d’être rappelée :

  • Par acte du 6 février 2009, l’emprunteur a souscrit auprès d’une banque deux crédits à la consommation, le premier d’un montant de 9 000 €, remboursable en 84 mensualités, au taux contractuel de 7 %, et le second d’un montant de 5 000 €, remboursable en 72 mensualités, au taux contractuel de 6,55 % ;

  • le 12 avril 2011, un plan conventionnel de redressement a accordé à l’emprunteur un moratoire de 24 mois ;

  • le 31 mai 2014, un nouveau plan conventionnel de redressement a été adopté, accordant à l’emprunteur un délai de 12 mois ;

  • le 27 août 2015, la banque a assigné l’emprunteur en paiement.

Pour déclarer l’action forclose, l’arrêt de la cour d’appel retient que le délai de 2 ans, a commencé à compter du 30 octobre 2010, date des dernières échéances réglées sur les deux prêts, et qu’il a été interrompu par l’adoption du premier plan conventionnel de surendettement du 12 avril 2011 et qu’il était donc expiré le 12 avril 2013.

Suivant ce raisonnement, l’adoption du second plan de surendettement n’a pu interrompre une forclusion qui était déjà acquise.

La Cour de cassation, elle, estime que le point de départ du délai de forclusion est le premier incident non régularisé intervenu après l’adoption du premier plan conventionnel de redressement, c’est-à-dire qu’il convenait de ne pas tenir compte du moratoire accordé par le second plan, et sur cette base casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel. Ainsi, en cas de succession d’incidents de paiement et de succession de plans conventionnels de redressement, il devient donc particulièrement important pour les créanciers d’un débiteur surendetté, qui souhaitent préserver leurs créances, de connaître avec précision le point de départ de la forclusion (I). Il faut aussi tenir compte de la situation en cas de rééchelonnement (II), afin de permettre aux créanciers de réagir à temps pour sauvegarder leurs chances de recouvrer leurs créances.

I – La fixation du point de départ du délai de forclusion

En matière de surendettement, une nouvelle procédure a été mise en place à compter du 1er janvier 2018, mais en ce qui concerne la forclusion, elle conserve les solutions antérieures, l’arrêt ici commenté bien qu’antérieur à cette réforme statue sur un problème qui conserve donc tout son intérêt. Le point de départ du délai de forclusion est important pour les créanciers, puisqu’il en va de la disparition ou de la survie de la créance en fonction de l’événement choisi comme point de départ de la forclusion.

Le principe reste que l’emprunteur doit rembourser ce qu’il a reçu, mais, en pratique, les emprunteurs sont parfois confrontés à des difficultés qui rendent complexe l’exécution de cette obligation, d’où l’existence de procédures de surendettement destinées à les aider à y faire face. Certains y parviennent, avec plus ou moins de difficultés.

Pour éviter la forclusion de son action, le créancier dispose d’un délai de 2 ans. Les actions doivent être formées dans les 2 ans suivant l’événement qui leur a donné naissance4. Le juge doit soulever d’office la forclusion de l’action de l’organisme de crédit5. Le point de départ du délai de forclusion6, pour agir contre son débiteur7, se situe après le premier incident de paiement non régularisé. Il ressort de l’arrêt qu’en cas de second plan de redressement, celui-ci n’a pas d’effet sur le point de départ de la forclusion, qui reste calculée sur la base de la date de l’incident non régularisé, par rapport au premier plan. Le dépôt par le débiteur, d’une demande de bénéfice d’une procédure de surendettement, n’a pas pour effet d’interrompre le délai de forclusion de l’action en paiement contre le débiteur8. Lorsque les créanciers signataires ont accepté un réaménagement des échéances impayées, le point de départ du délai de forclusion ne commence qu’à compter du premier incident non régularisé qui suit la signature du plan9, sans qu’il y ait lieu de tenir compte de l’existence et du fonctionnement du second plan.

Il y a lieu de tenir compte des incidences des plans conventionnels successifs de surendettement élaborés pour permettre au débiteur d’apurer son passif, et de leur inexécution éventuelle, ainsi que des mesures prises pour y remédier, car si le débiteur justifie, par suite d’un élément nouveau, ne pouvoir respecter les termes de son plan conventionnel de redressement, il peut saisir la commission d’une nouvelle demande de traitement du surendettement10. L’exigibilité de la créance est reportée, en principe, à l’issue du moratoire11 qu’entraîne la mise en place d’un plan conventionnel de règlement d’une situation de surendettement.

En raison de son fondement et de ses conséquences pratiques, la qualification en délai de forclusion12 rend stratégique la détermination du point de départ, puisque ce délai n’est susceptible ni de suspension ni d’interruption13.

Il existe un principe de base qui a été affiné au fur et à mesure des saisines judiciaires, tout en tenant compte des interventions du législateur.

Le point de départ de la forclusion est le premier incident de paiement, non régularisé. Il a d’abord été jugé que le point de départ du délai de forclusion était la première échéance impayée14 puis que les échéances payées avec retard, mais régularisées, ne peuvent donner lieu à une action, et que par suite, le délai de forclusion ne court qu’à compter du premier incident de paiement non régularisé15. La solution est inspirée d’un alinéa ajouté par la loi relative à l’information et à la protection des consommateurs ainsi qu’à diverses pratiques commerciales reportant le point de départ, en cas de réaménagement ou de rééchelonnement, au premier incident non régularisé intervenu ultérieurement16. La conséquence est que le prêteur est forclos pour l’intégralité de la dette dès lors que 2 ans se sont écoulés depuis la première échéance impayée et non régularisée17. La solution est constante. Le choix opéré en faveur d’un point de départ unique du délai de forclusion n’autorise pas d’autre solution que celle de faire courir le délai à compter de la date de la première échéance que les versements effectués n’auront pas eu pour effet de régulariser. Le point de départ du délai demeure donc fixé, dans ce cas, au premier incident de paiement non régularisé, et le prêteur ne pourra pas se prévaloir d’un réaménagement ou d’un rééchelonnement du prêt.

II – Le point de départ en cas de réaménagement ou de rééchelonnement

Le législateur est intervenu pour éviter que la rigueur du délai de forclusion ne se retourne contre les débiteurs en obligeant les créanciers à engager des poursuites dans les 2 ans d’un incident de paiement. Pour cette raison, la loi sur le surendettement des particuliers18 avait complété la loi relative à l’information et à la protection des consommateurs ainsi que diverses pratiques commerciales par un alinéa prévoyant que, lorsqu’un accord de réaménagement ou de rééchelonnement des échéances impayées a été conclu, le point de départ du délai de forclusion est le premier incident non régularisé intervenu après le premier aménagement ou rééchelonnement conclu entre les intéressés19. Ce point de départ reste défini après adoption du plan conventionnel de redressement20. Il est maintenant très clairement exprimé : lorsque les modalités de règlement des échéances impayées ont fait l’objet d’un réaménagement ou d’un rééchelonnement, le point de départ du délai de forclusion est le premier incident non régularisé intervenu après le premier aménagement ou rééchelonnement conclu entre les intéressés ou après adoption du plan conventionnel de redressement21. La possibilité d’un nouveau report du point de départ de la forclusion est exclue en cas de mise en place d’un second accord de réaménagement ou de rééchelonnement. Le délai de forclusion échappe aux causes d’interruption et de suspension22. Sauf en cas de citation en justice, de commandement ou de saisie, motifs qui interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir23. Ce qui couvre le délai de forclusion24.

Conclusion

Dans ces conditions, les créanciers devront donc être vigilants et, s’ils veulent sauvegarder leurs chances de recouvrer leurs créances, réagir dès le premier incident de paiement non régularisé. En revanche, cela n’empêchera pas la mise en œuvre d’un second plan dans lequel la créance pourra alors être incluse, ce qui leur donnera une chance d’être finalement payés.

Notes de bas de pages

  • 1.
    C. consom., art. L. 311-37, dans sa rédaction antérieure à celle issue de L. n° 2010-737, 1er juill. 2010.
  • 2.
    Gourio A., « Les règles de mise en œuvre du délai de forclusion », RD bancaire et fin. 2000, dossier n° 100027.
  • 3.
    L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016, de modernisation de la justice du XXIe siècle, dite loi Justice 21 : JO n° 0269, 19 nov. 2016, texte n° 1 ; D. n° 2017-896, 9 mai 2017 : JO n° 0109, 10 mai 2017, texte n° 118 ; Richevaux M., Les indispensables du régime général des obligations, 2018, Ellipses : v. fiche n° 42, « surendettement » et fiche n° 43, « surendettement rôle du juge ».
  • 4.
    L. n° 78-22, 10 janv. 1978, relative à l’information et à la protection des consommateurs dans le domaine de certaines opérations de crédit, art. 27.
  • 5.
    Cass. 1re civ., 13 déc. 2012, n° 11-25378 : Contrats, conc. consom. 2013, comm. 67, obs. Raymond G.
  • 6.
    Gourio A., « Les règles de mise en œuvre du délai de forclusion », RD bancaire et fin. 2000, dossier 100027.
  • 7.
    Cass. 1re civ., 22 janv. 2009, n° 06-15370 : JurisData n° 2009-046629 ; Contrats, conc. consom. 2009, comm. 115.
  • 8.
    Cass. 2e civ., 1er juin 2017, n° 15-25519 : JurisData n° 2017-010447 ; Contrats, conc. consom. 2017, comm. 187, obs. Bernheim-Desvaux S.
  • 9.
    C. consom., art. R. 312-35 ; Cass. 1re civ., 13 févr. 2007, n° 05-19969 : Juris-Data n° 2007-037389 ; Contrats, conc. consom. 2007, comm. 138, note Raymond G.
  • 10.
    Cass. 2e civ., 2 juin 1993, n° 92-04090 : Bull. civ. II, n° 200 ; JurisData n° 1993001259 – Cass. 2e civ., 13 juill. 2005, n° 04-04105 : JurisData n° 2005-029531.
  • 11.
    Cass. 1re civ., 5 nov. 2009, n° 08-17053.
  • 12.
    L. n° 89-421, 23 juin 1989, relative à l’information et à la protection des consommateurs ainsi qu’à diverses pratiques commerciales.
  • 13.
    Pétel-Teyssié I., « Prescription et possession », JCl. Civil Code, Art. 2219, fasc. 58.
  • 14.
    Cass. 1re civ., 9 déc. 1986, n° 85-11263 : Bull. civ. I, n° 293 ; JCP G 1987, II 20862, note Bey E.-M. ; RTD civ. 1987, p. 590, obs. Normand J. ; D. 1988, p. 84, note Paire G.
  • 15.
    Cass. 1re civ., 22 avr. 1992, n° 90-13277 : Bull. civ. I, n° 132 ; Sultana J.-P., « Le délai de 2 ans prévu par l'art. 27 de la loi n° 78-22, du 10 janvier 1978, relative à l'information et à la protection des consommateurs dans le domaine de certaines opérations de crédit est un délai de forclusion qui court à compter du premier incident de paiement non régularisé », D. 1993, p. 77 ; Cass. 1re civ., 15 févr. 2000, n° 98-12032 : JCP G 2000, IV 1580.
  • 16.
    L. n° 89-421, 23 juin 1989, relative à l’information et à la protection des consommateurs ainsi qu’à diverses pratiques commerciales.
  • 17.
    Cass., avis, 9 oct. 1992, n° 92-08000 : JCP G 1993, II 22024, note Morgan de Rivery-Guillaud A.-M. ; JCP E 1993, 1264.
  • 18.
    L. n° 89-1010, 31 déc. 1989, relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles (1), art. 19.
  • 19.
    L. n° 89-421, 23 juin 1989, relative à l’information et à la protection des consommateurs ainsi qu’à diverses pratiques commerciales, art. 27.
  • 20.
    Ici C. consom., art. L. 311-37 anc., maintenant C. consom., art. R. 312-35 nouv. en vigueur depuis le 1er juillet 2016, créé par D. n° 2016-884, 29 juin 2016.
  • 21.
    C. consom., art. R. 312-35 nouv. en vigueur depuis le 1er juillet 2016, créé par D. n° 2016-884, 29 juin 2016.
  • 22.
    Cass. 1re civ., 10 déc. 1991, n° 90-16587 : Bull. civ. I, n° 348.
  • 23.
    C. civ., art. 2244.
  • 24.
    Pétel-Teyssié I., « Prescription et possession », JCl. Civil Code, Art. 2219, fasc. 58.
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